Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, la présente proposition de loi constitutionnelle vise à modifier l’article 45 de la Constitution, afin que la procédure du « dernier mot » ne puisse plus s’appliquer aux propositions et aux projets de loi ayant pour objet principal l’organisation des collectivités territoriales.
Je voudrais tout d’abord rappeler, à titre liminaire, le cadre général de la procédure du « dernier mot ». L’article 45 de la Constitution prévoit que, dans le cas où les deux assemblées ne sont pas parvenues à un accord sur une proposition ou un projet de loi à l’issue de la commission mixte paritaire, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale de statuer définitivement sur le texte.
La procédure est la suivante : une ultime navette est alors organisée en vue d’une nouvelle lecture par l’Assemblée nationale, puis par le Sénat, et enfin seulement le « dernier mot » est donné, le cas échéant, à l’Assemblée nationale. Le constituant a souhaité donner le dernier mot à l’assemblée élue au suffrage universel direct par le peuple.
La procédure du « dernier mot » et la navette parlementaire sont des moyens de lever les désaccords entre les assemblées.
La philosophie de l’article 45 de la Constitution et la pratique révèlent que l’usage du « dernier mot » reste, et doit rester, limité. Le principe est celui qui est fixé au premier alinéa de l’article 45 : la loi résulte de l’adoption, par les deux chambres, d’un texte identique. La quasi-totalité des lois sont adoptées conformes par les deux assemblées, sans qu’il soit nécessaire de recourir au « dernier mot ». La procédure est tout entière construite pour faire converger les positions des deux assemblées du Parlement.
Le plus souvent, d’ailleurs, l’accord intervient entre les chambres sans qu’il soit même besoin de convoquer une commission mixte paritaire : depuis le 1er octobre 2007, sur 316 lois adoptées, 65 seulement ont nécessité la réunion d’une commission mixte paritaire. Les chiffres de l’activité parlementaire montrent également que nombre de textes votés par le Sénat sont adoptés par l’Assemblée nationale sans modification : sur la même période, c’est le cas pour 45 des 316 textes adoptés.
Le recours au dispositif du dernier alinéa de l’article 45 est donc exceptionnel. Si le « dernier mot » a été donné plusieurs fois à l’Assemblée nationale entre 2001 et 2002 –s’agissant de la loi de modernisation sociale, de la loi sur la Corse, de la loi relative aux professions de santé –, la procédure a depuis été utilisée une seule fois, au printemps 2010, pour une disposition de la loi organique relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Excepté donc ce dernier cas, l’Assemblée nationale et le Sénat se sont accordés.
La navette donne l’occasion aux commissions, ainsi qu’aux deux assemblées parlementaires, d’exprimer, mais aussi de rapprocher progressivement leurs points de vue. On l’a vu avec la loi de réforme des collectivités territoriales : entre le texte déposé par le Gouvernement et la loi adoptée par le Parlement, des modifications substantielles ont été apportées par chacune des assemblées. La navette permet d’améliorer les lois, mais aussi de rapprocher les positions des deux assemblées. Depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le travail en commission y contribue fortement.
J’évoquerai maintenant la logique institutionnelle du bicaméralisme.
La faculté laissée à l’Assemblée nationale, en cas de blocage persistant, de trancher ultimement est un élément de l’équilibre de la procédure législative et de notre démocratie. Cette logique a d’ailleurs été préservée par la réforme constitutionnelle de juillet 2008, aucun d’entre vous n’ayant alors souhaité sa remise en cause.
Il est vrai que la Constitution a confié à votre assemblée une priorité d’examen pour les textes portant à titre principal sur l’« organisation » des collectivités locales. Le constituant consacre ainsi votre fonction de représentation de ces collectivités et lui donne toute sa portée. Cela vous confère un rôle déterminant dans la définition de la législation dans cette matière. Lors de l’examen de la réforme des collectivités territoriales, vous avez imprimé votre marque sur de nombreux sujets, comme l’achèvement de la carte intercommunale, le mode d’élection des délégués communautaires, les métropoles… Au plus fort de la crise, vous avez choisi de mettre en place le remboursement anticipé du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée, qui a permis de soutenir l’économie locale.
Je le répète, depuis octobre 2007, pas moins de quarante-cinq textes ont été adoptés conformes par l’Assemblée nationale sur la base de la rédaction issue des travaux du Sénat.
Faut-il se priver d’une disposition qui permet, dans des cas somme toute exceptionnels, de dépasser les clivages et d’empêcher la paralysie institutionnelle ? Aurait-il fallu, en 1982, se priver de la grande loi de décentralisation ?
Le constituant a déjà prévu deux exceptions à la procédure du « dernier mot » de l’article 45, et ces exceptions sont strictement limitées. Ainsi, les lois organiques relatives au Sénat doivent impérativement être votées dans les mêmes termes par les deux assemblées. On comprend aisément qu’un vote conforme soit requis pour les textes qui concernent l’organisation et la composition de votre assemblée. Il en va de même pour les révisions constitutionnelles : la portée de ces textes justifie qu’ils soient adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées.
J’aborderai enfin la question de l’équilibre du bicaméralisme.
En réalité, monsieur Collin, les modifications que vous proposez tendent à rapprocher notre manière de légiférer de la pratique en œuvre dans plusieurs pays d’Europe, par exemple en Allemagne.
Dans ce pays, le Bundesrat, qui représente les Länder, a la possibilité de refuser la mise en œuvre des textes votés par le Bundestag qui portent sur les collectivités, la fiscalité ou les finances s’ils ne reçoivent pas son accord. Dans ces domaines, le dernier mot ne revient pas au Bundestag.
En contrepartie, le Bundesrat n’est pas compétent pour tous les textes et n’est donc pas systématiquement saisi ; ne lui sont soumis que les textes portant sur ses domaines de compétence. Il n’examine pas les lois « ordinaires » qui concernent la communauté nationale. C’est un autre équilibre institutionnel qui prévaut en Allemagne.
En France, le Sénat est saisi de l’ensemble des textes, car il a les mêmes compétences que l’Assemblée nationale. Il faut donc déterminer une procédure de décision en dernier ressort. Si le Sénat devait s’orienter vers un rôle analogue à celui du Bundestag, …