Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après de longues semaines de discussion sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, M. Collin nous soumet une proposition de loi constitutionnelle tendant à écarter le recours à la procédure du « dernier mot » donné à l’Assemblée nationale, en cas d’échec de la commission mixte paritaire, pour les textes ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales.
Il est vrai que la tentation est grande d’abroger cette disposition de l’article 45 de la Constitution ! Mais quelle erreur ferions-nous en adoptant cette proposition de loi ! En effet, monsieur Collin, nous ne saurions adopter aujourd’hui votre texte : non pas au nom de quelque principe ou d’une quelconque objection politique, mais pour des raisons constitutionnelles et républicaines.
La discussion des textes législatifs dans les deux chambres parlementaires ne figure-t-elle pas parmi les fondements de notre démocratie et nos principes républicains ? Le peuple français a lui-même ratifié par référendum, le 28 septembre 1958, le principe du « dernier mot à l’Assemblée nationale », inscrit à l’article 45 de la Constitution. Il peut être révisé, conformément à l’article 89 de la Constitution, à l’initiative du Président de la République, sur proposition du Premier ministre ou des membres du Parlement. Cependant, la procédure diffère selon les cas, et il me semble important de rappeler, à cet instant, ce qui les distingue.
Tout projet ou proposition de révision constitutionnelle doit être examiné et voté en termes identiques par les deux assemblées. Les deux chambres disposent par conséquent d’un égal pouvoir constituant. La révision constitutionnelle ainsi adoptée doit ensuite être ratifiée soit par référendum, soit par vote à la majorité des trois cinquièmes du Congrès, convoqué sur décision du Président de la République.
La coexistence de ces deux procédures tient évidemment à des raisons politiques. Le général de Gaulle craignait que les initiatives parlementaires de révision constitutionnelle n’aient pour objet de détruire son œuvre. Aussi, connaissant la réserve de certains parlementaires à l’égard de la pratique référendaire, espérait-il limiter leurs tentations en prévoyant que tout projet de révision de la Constitution d’origine parlementaire serait obligatoirement soumis à référendum.
Alors, quelle disposition nous empêche aujourd’hui d’engager une telle procédure ? Sur le plan formel, aucune. Pourtant, c’est bien le renvoi à la commission de la présente proposition de loi que nous propose M. Gélard, rapporteur de la commission des lois. Comme l’a brillamment exposé M. Hyest en son nom, si nous devions adopter cette proposition de loi en l’état, la procédure référendaire pourrait être lancée. Or elle ne serait pas adaptée à la circonstance.
La question que vous soulevez aujourd’hui, monsieur Collin, est, en réalité, institutionnelle avant d’être politique. Or l’histoire de la Ve République nous montre que les révisions constitutionnelles de 1998, de 2005 et de 2007, relatives respectivement à la Nouvelle-Calédonie, à la charte de l’environnement et au statut pénal du chef de l’État, ont été adoptées par la voie de la ratification par le Congrès. Seule celle concernant le quinquennat, en 2000, a été adoptée par la voie référendaire : l’enjeu était alors de faire choisir par le peuple français la durée du mandat de son représentant à la fonction suprême, tandis que les autres révisions avaient trait à l’organisation de nos institutions.
La pratique observée, me direz-vous, a conduit à conférer au chef de l’État un véritable « droit de veto » en matière de révision de la Constitution, alors que celle-ci ne le prévoit pas. Il n’en est rien, puisque tout dépend de qui prend l’initiative de la révision ! Si le projet de révision constitutionnelle est d’origine parlementaire, il devra être approuvé par référendum ; en revanche, s’il émane du pouvoir exécutif, il appartient au Président de la République de choisir la procédure.
Mais ne nous égarons pas, mes chers collègues : le problème qui nous occupe aujourd’hui a trait non pas à la méthode, mais bien au fond du sujet traité. Pensez-vous raisonnablement que les Français ressentent le besoin de s’exprimer par voie référendaire sur l’organisation des travaux des chambres parlementaires ? Car il s’agit bien ici d’une « guerre de chapelles » entre les deux chambres sur le processus d’examen des textes législatifs.
L’article 45 de la Constitution, que vous souhaitez compléter, ou plutôt amputer, est totalement transparent. Il est nécessaire de le lire à la lumière de l’article 39, qui précise que les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat. C’est bien cet article de la Constitution qui nous intéresse au premier chef, et qui fonde toute notre légitimité législative. Quel besoin aurions-nous de modifier la procédure existante, alors que l’article 24 de la Constitution sanctuarise le statut du Sénat, en précisant qu’il « assure la représentation des collectivités territoriales de la République » ? Les Français le savent, et les élus ne s’y méprennent pas.
Mes chers collègues, légiférer sur l’ensemble des textes qui nous sont soumis avec le souci permanent du respect de l’équité territoriale, des élus qui gouvernent les collectivités et des besoins de nos concitoyens nous grandirait. De surcroît, il me semble important que députés et sénateurs se fassent mutuellement confiance pour réussir à trouver les dispositions les plus appropriées sur chacun des sujets sur lesquels ils légifèrent ensemble.
Pour toutes ces raisons, le groupe UMP soutiendra la motion tendant au renvoi de la proposition de loi à la commission déposée par M. le rapporteur.