Je n’y manquerai pas, monsieur le président.
En tant que président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, j’ai eu l’occasion de me familiariser avec le sujet qui nous occupe.
Je voudrais remercier M. Marsin et tous les sénateurs signataires de cette proposition de loi d’avoir pris l’initiative d’élaborer et d’inscrire à l’ordre du jour de la Haute Assemblée un texte visant à assurer la protection du consommateur et la concurrence dans le secteur des télécommunications mobiles.
Je voudrais également saluer la qualité du travail accompli par le rapporteur, M. Pierre Hérisson, dont je connais les compétences et l’implication sur ces sujets, puisque nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion de travailler ensemble, dans le cadre de commissions mixtes paritaires. Je sais combien le Sénat est attaché à défendre les consommateurs.
Les dernières mesures législatives importantes dans ce domaine concernant la téléphonie mobile remontent à 2008. La loi Chatel a permis d’apporter des améliorations substantielles au quotidien de nos compatriotes. La Haute Assemblée avait alors contribué, avec l’Assemblée nationale, à renforcer la protection des consommateurs.
Les téléphones mobiles sont devenus aujourd’hui de véritables objets de mode et de haute technologie. Ils permettent à nos concitoyens d’accéder à des services et à des contenus de plus en plus riches et variés, tout en restant libres de leurs mouvements.
Vous savez, comme moi, à quel point nos concitoyens sont attachés à la liberté, qu’il s’agisse de la liberté de communiquer, d’être informé ou d’entreprendre. Le slogan « Un monde sans fil » s’affichait voilà quelques années sur les placards publicitaires d’un opérateur. Tout était dit : un monde sans fil, donc, mais pas sans liens !
Quoi de plus naturel aujourd’hui que le spectacle d’une personne marchant dans la rue, un téléphone collé à l’oreille, absorbée dans une conversation avec une autre personne, ou encore celui d’un homme d’affaires composant un message sur son smartphone ? Le monde change. Voilà une quinzaine d’années, des scènes semblables auraient prêté à sourire ! Voltaire a toujours raison : « Le superflu, chose très nécessaire » ! §
Le téléphone mobile fait aujourd’hui partie de nos habitudes de vie. Il nous accompagne partout, dans presque tous les actes de notre vie courante. Il permettra bientôt d’acheter son journal, sa baguette de pain ou de payer – c’est déjà le cas ! – la cantine scolaire de ses enfants.
Il est ainsi devenu en quelques années – vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur – un marché d’une taille économique significative puisqu’il représente plus de 60 millions d’abonnés, pour un chiffre d’affaires supérieur à 20 milliards d’euros, avec un réseau de troisième génération qui couvre 90 % de la population.
Monsieur Marsin, votre proposition de loi traite donc à la fois d’une activité industrielle de première importance et du thème, tout aussi central, de la consommation, qui préoccupe particulièrement le Gouvernement. Frédéric Lefèvre a d’ailleurs présenté les priorités de l’action du Gouvernement dans ce domaine, la semaine dernière, lors d’une conférence de presse à Bercy.
Il faut être particulièrement attentif – je sais que vous l’êtes et le Gouvernement le sera également, pour toutes les raisons que j’ai indiquées précédemment – à ce que ce marché se développe de manière équilibrée. Il faut éviter les abus de la part des professionnels, fabricants de terminaux mobiles et opérateurs de réseaux. Tel est l’objet de cette proposition de loi sur les télécommunications et on ne peut que s’en réjouir.
Cette proposition de loi comporte deux volets : l’un sur les questions de l’interopérabilité entre terminaux mobiles et réseaux ; l’autre sur la pratique du verrouillage des téléphones mobiles.
Les deux premiers articles ont ainsi pour objectif d’imposer une totale interopérabilité entre les téléphones mobiles et les réseaux des opérateurs. À cet effet, ils prévoient, d’une part, que les opérateurs ne peuvent interdire la connexion à leur réseau d’un équipement et, d’autre part, que les fabricants ne peuvent refuser l’accès de leurs équipements à certains exploitants de réseaux.
Le Gouvernement souscrit pleinement à l’objet de cette proposition de loi qui vise à favoriser la libre utilisation des réseaux et des terminaux. Comme vous le savez, cet objectif sous-tend d’ores et déjà la réglementation nationale et européenne.
La liberté de connexion des équipements terminaux conformes aux spécifications techniques des réseaux est ainsi reconnue par la directive européenne de 1999 concernant les équipements hertziens et les équipements terminaux de télécommunications et la reconnaissance mutuelle de leur conformité, dite R&TTE, selon l’appellation anglaise : radio and terminal telecommunications equipment. Ses dispositions ont été reprises dans le code des postes et des communications électroniques. De ce fait, l’article 1er de la proposition de loi est d’ores et déjà satisfait par les dispositions existantes. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans la suite de la discussion.
J’ai d’ailleurs noté que la commission de l’économie partage cette analyse et propose, dans un souci de clarté du droit, de ne pas retenir cet article. Le Gouvernement sera donc favorable à cet amendement.
La proposition de loi traite également la question inverse de l’accès des exploitants de réseaux aux équipements terminaux. Cette question est beaucoup plus délicate. Comme vous le savez, le Gouvernement a été – comme vous d’ailleurs – particulièrement préoccupé par des accords d’exclusivité qui ont pu lier certains opérateurs et fabricants d’équipements. Notre devoir est de veiller à l’équilibre de marché entre ces différents acteurs industriels au bénéfice des consommateurs.
Nous n’hésiterons pas à agir à l’encontre de tout comportement de prédation qui priverait les consommateurs de leur liberté de choix et créerait des situations de rentes pour tel ou tel acteur économique. Les lois votées, notamment depuis 2007, nous ont donné tous les outils nécessaires de supervision et de répression des acteurs de ce secteur. Tous doivent comprendre que le marché de la téléphonie a besoin de l’innovation pour continuer de se développer et que la capacité d’innover s’éteint très vite lorsque le choix se restreint.
L’Autorité de la concurrence a d’ailleurs été saisie de cette question complexe, voilà quelques années, et elle s’est prononcée sur le cas de l’exclusivité de la commercialisation de l’iPhone par Orange. Elle a estimé que ces accords pouvaient être acceptables sous certaines conditions : concerner la première présentation d’un modèle, être de durée limitée, permettre un retour sur investissement. Elle a, par ailleurs, rappelé que la directive européenne de 1999 organise une libre circulation des équipements dans l’Union européenne et confère une large liberté aux fabricants.
Cette question doit également être traitée à l’échelon européen. Comme vous le savez, le marché des terminaux est de dimension européenne, et même mondiale. C’est pourquoi le Gouvernement a décidé de susciter une discussion entre les États membres et la Commission européenne sur ce sujet, dans le cadre de la révision de la directive de 1999. Dans cette perspective, les autorités françaises défendront la mise en place de règles de transparence renforcées sur les interfaces pour les fabricants de terminaux.
La proposition du rapporteur de demander à l’ARCEP un rapport sur cette question est donc particulièrement opportune. Ce rapport nous permettra de préparer cet exercice, difficile, en disposant de toutes les informations techniques nécessaires sur les pratiques des fabricants d’équipements terminaux.
Le second volet de la proposition de loi traite des pratiques de verrouillage des terminaux mobiles, le fameux simlockage. Le Gouvernement partage la volonté des auteurs de la proposition de loi et du rapporteur de réprimer les comportements des opérateurs visant à limiter les choix des consommateurs.
Toutefois, sur cette question particulière, il faut agir avec prudence si l’on veut éviter de produire des effets contraires à l’intérêt des consommateurs. En effet, la pratique du verrouillage fait partie intégrante d’une politique de lutte contre la fraude sur le marché des terminaux mobiles et, surtout, du modèle économique de la téléphonie mobile. Vous le savez, monsieur le rapporteur, nous avons déjà longuement travaillé sur ce sujet.
En outre, elle permet aux opérateurs d’offrir aux consommateurs un terminal mobile à un prix réduit en contrepartie de la durée d’engagement. Modifier les règles de verrouillage nécessite donc d’examiner la question de l’équilibre économique entre les opérateurs et les consommateurs et de l’impact sur l’évolution de l’offre commerciale qui doit proposer à ces derniers un choix suffisant pour répondre à leurs besoins ou à leurs souhaits. Tout est question d’équilibre !
II faut impérativement se garder de prendre des mesures qui auraient pour effet de priver nos compatriotes de la possibilité d’acquérir un terminal mobile doté des dernières technologies à un prix modéré, et ce d’autant plus que nous sommes dans une phase de sortie de crise pendant laquelle l’accès au crédit est plus mesuré et la reprise de la consommation timide.
Sur la question du déverrouillage, un premier pas a d’ailleurs été fait par les opérateurs de réseaux. Le desimlockage est d’ores et déjà offert par les opérateurs de téléphonie mobile à tout consommateur qui le demande dès le troisième mois du contrat.
Vous proposez d’aller plus loin en cas de réengagement et posez ainsi une question importante. Je vous indique que Frédéric Lefèvre réunira prochainement les opérateurs de réseaux afin de régler ce point précis.
Je souhaite que nos discussions permettent de trouver une solution équilibrée qui préserve l’offre de financement du prix des terminaux par les opérateurs. Dans cet état d’esprit, le Gouvernement est très favorable aux discussions qui s’annoncent sur cette proposition de loi.