Intervention de François Baroin

Réunion du 30 octobre 2006 à 15h00
Dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

François Baroin, ministre :

En effet, elles ont joué un rôle tout à fait déterminant dans son écriture, en particulier pour sa partie relative à l'outre-mer, qui apporte à nos collectivités deux garanties essentielles : d'abord, celle de leur appartenance à la République, consacrée de manière solennelle par la désignation nominative de chacune d'elles dans notre Constitution ; ensuite, celle de la garantie démocratique fondamentale selon laquelle chaque évolution importante ne pourra se faire sans le consentement des populations concernées.

Ces garanties étant posées, la Constitution révisée a, par ailleurs, notablement assoupli le cadre institutionnel et juridique de l'outre-mer, en créant des marges de manoeuvre et d'adaptation jamais atteintes auparavant.

C'est d'abord le cas des départements et des régions d'outre-mer : si le principe d'identité législative est réaffirmé avec force dans l'article 73 de la Constitution, il est toutefois prévu que les lois et règlements puissent faire « l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités » ; nous sommes d'ailleurs, les uns et les autres, des familiers de l'application de cet article. C'est ainsi que ces collectivités peuvent, sur habilitation législative préalable, adapter les lois et règlements dans les matières relevant de leur compétence, ou encore fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières. Dans ces deux cas, l'habilitation préalable du Parlement ne peut intervenir qu'à la demande des assemblées locales. Le Parlement demeure en tout état de cause libre de sa décision.

Compte tenu de l'importance des nouveaux pouvoirs, de nature quasi législative, donnés aux assemblées départementales et régionales, il était bien naturel que quelques règles viennent en assurer l'encadrement.

L'article 1er du projet de loi organique y pourvoit, et votre commission des lois a fort opportunément proposé de compléter le dispositif initial. Les propositions qu'elle a formulées recueillent, je le dis dès à présent, mon approbation. Elles préservent tout à la fois le nécessaire encadrement juridique des habilitations, les prérogatives du Parlement et un contrôle de légalité renforcé, ainsi que les modalités de la combinaison des normes adaptées localement avec les normes nationales.

Toujours dans le cadre de la mise en application de la Constitution, les dispositions relatives à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon et aux Terres australes et antarctiques françaises ont pour objet de mettre en harmonie les statuts existants avec la révision de 2003, sans altérer en aucune façon les grands équilibres institutionnels de ces collectivités.

Pour Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, qui sont des collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 de la Constitution, il s'agit surtout de reclasser en loi organique les règles statutaires - adoptées sous le régime de la loi ordinaire - et, à cette occasion, d'apporter quelques précisions utiles.

Je profite de l'occasion qui m'est ici donnée d'évoquer le statut de Mayotte pour rappeler que toute évolution institutionnelle de l'île suppose que les électeurs - consultés sur décision du chef de l'État - donnent leur consentement préalable à cette évolution. Le législateur, même par le biais d'une loi organique, ne peut y procéder unilatéralement.

À ce jour, la seule possibilité est de réécrire le statut de Mayotte dans le cadre des collectivités d'outre-mer de l'article 74, catégorie à laquelle l'article 72-3 de la Constitution la rattache.

Le présent projet de loi organique ne préjuge donc en rien une éventuelle évolution vers le régime de l'article 73 ; il ne l'empêche pas ; je dirais même qu'il la favorise, en permettant à Mayotte de marquer un nouveau pas vers le droit commun en faisant évoluer son régime législatif de celui de la spécialité vers celui de l'identité assorti de quelques exceptions. Celles-ci se justifient évidemment par la situation de l'île, que chacun connaît bien ici : fiscalité, droit social, régime foncier, droit des étrangers.

Il s'agit là, je le répète, d'une disposition essentielle pour favoriser le rapprochement de Mayotte avec le droit commun, dans la logique de la démarche entreprise par des élus de l'île en faveur d'une évolution progressive vers le statut de département d'outre-mer, une évolution à laquelle je suis, en ma qualité de ministre de l'outre-mer, favorable.

Le deuxième point que j'aborderai concerne le respect des engagements pris, car le respect de la parole donnée au nom de l'État joue un rôle important dans les relations que nous avons avec les départements et les collectivités d'outre-mer.

Les deux projets de loi tirent, pour les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, les conséquences très directes des résultats des consultations du 7 décembre 2003, les électeurs de ces deux îles ayant choisi le statut de collectivité d'outre-mer de l'article 74 et ayant ainsi donné leur « consentement » à cette évolution, comme l'exige la Constitution.

Le Gouvernement s'est fidèlement inspiré, dans la préparation de ce projet de loi organique, des demandes formulées par les élus. Ces documents ont été portés à la connaissance des électeurs avant la consultation et ont constitué la « feuille de route » pour l'élaboration de ces deux textes. C'est pourquoi je ne peux que réfuter l'idée selon laquelle les deux îles n'auraient pas été traitées également dans la préparation des projets de loi. J'ai toujours affirmé aux élus de Saint-Martin, comme l'avait d'ailleurs fait mon prédécesseur, que la rédaction du projet de statut devait, dans un premier temps, se limiter à respecter les orientations présentées aux électeurs, mais que des aménagements seraient envisageables, le moment venu, sur l'initiative du Parlement.

La création de ces deux collectivités d'outre-mer est justifiée sur le plan géographique - il n'est plus nécessaire d'en faire la démonstration - ainsi que sur le plan historique et sur le plan administratif, tant ces deux îles sont différentes de l'archipel guadeloupéen auquel elles ont été à l'époque rattachées pour des raisons administratives.

Les nouveaux statuts permettront de régler - enfin - la délicate et très ancienne question fiscale.

L'autonomie qui leur sera accordée sur ce point n'est pas exceptionnelle outre-mer : toutes les collectivités d'outre-mer de l'article 74 ainsi que la Nouvelle-Calédonie disposent en effet du droit de déterminer leur régime fiscal et douanier.

Le projet de loi organique mettra donc fin à la situation actuelle, marquée par l'incompréhension mutuelle et l'inapplication effective de la législation fiscale, au profit d'une autonomie fiscale pleinement responsable et encadrée par l'existence d'une convention entre chacune des deux futures nouvelles collectivités d'outre-mer et l'État.

Incompréhension mutuelle, car les habitants de Saint-Barthélemy ont pu légitimement croire que leur régime fiscal coutumier était garanti par le traité franco-suédois de rétrocession de 1877 - on en parle encore là-bas -, tandis que l'administration fiscale ne s'intéressait guère à l'île. À partir des années quatre-vingt, compte tenu des décisions du Conseil d'État, la situation juridique a changé, et la situation de fait devenait intenable. Il convenait donc, à l'évidence, de la clarifier et de l'assainir.

Le dispositif que le Gouvernement vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, est transparent, encadré et sécurisé. Considéré objectivement et sans parti pris, il répond à la nécessité tout à la fois de préserver les intérêts légitimes de l'État et de tenir compte des contraintes locales.

Il n'y aura donc - et j'insiste particulièrement sur ce point - à Saint-Barthélemy, pas plus qu'à Saint-Martin, ni « paradis fiscal » ni centre « offshore » : l'État conservera en effet ses compétences en matière de droit pénal et de procédure pénale, de droit monétaire, bancaire, de droit des sociétés et de droit des assurances ; tous les engagements internationaux en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux auxquels la France a adhéré continueront d'être applicables de plein droit dans les deux îles, comme la réglementation communautaire sur ce même sujet.

Il n'y aura pas non plus de risque d'évasion fiscale au détriment de la métropole, puisque le droit fiscal de l'État continuera de s'appliquer aux personnes qui ne seront pas résidentes depuis au moins cinq ans à Saint-Barthélemy ou à Saint-Martin. Cette disposition préservera en outre du risque de l'arrivée massive de nouveaux habitants attirés par la réglementation locale des deux îles, surtout celle de Saint-Barthélemy. Elles ne pourraient d'ailleurs pas les accueillir, eu égard à l'exiguïté de leur surface, sans compromettre l'environnement immédiat, qui constitue l'un de leurs atouts majeurs.

Naturellement, l'autonomie fiscale conduira les deux collectivités à prendre en main le financement de leurs compétences nouvelles, dans un esprit de responsabilité.

Pour Saint-Martin, le nouveau statut constituera également l'occasion, pour l'État, de mieux jouer son rôle sur place : il faut reconnaître qu'il n'a pas toujours été exemplaire et que sa présence n'a pas encore pleinement répondu à tous les besoins qui s'expriment localement, notamment en matière de traitement de la délinquance ou des conséquences directes de l'immigration clandestine massive que connaît l'île.

Les ministères des finances et de la justice ont déjà beaucoup avancé, en étroite concertation avec mes propres services, pour renforcer localement leur future présence.

La réforme statutaire signifiera donc non pas un désengagement de l'État, je le réaffirme avec force, mais bien au contraire un renforcement du rôle de l'État sur place.

Pour les deux îles, la réforme statutaire constituera enfin un appel à davantage de responsabilités. Pour Saint-Martin, qui connaît des difficultés particulières, elle représente un véritable « challenge » - je reprends ici les propos tenus sur place par le président de la commission des lois lors de la mission qu'il a conduite en 2004 - pour des responsables locaux qui ont entretenu avec l'État et avec la Guadeloupe une relation ambivalente et qui n'ont pas toujours manifesté toute la rigueur nécessaire dans la gestion locale. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le projet de loi organique se présente de manière prudente et évolutive s'agissant du statut de cette île. Le Gouvernement est toutefois disposé à examiner avec bienveillance les amendements qui pourront, pour Saint-Martin, reprendre les suggestions de renforcement des compétences de la collectivité, y compris par l'affirmation de « l'autonomie » qu'autorise l'article 74 de la Constitution.

Le troisième point que je souhaitais aborder devant vous concerne le renforcement de l'État de droit et la démocratie locale.

Les deux projets de loi, en actualisant des statuts parfois anciens, renforcent évidemment les garanties de l'État de droit et la sécurité juridique, notamment quant à l'intelligibilité du droit applicable outre-mer. Nous sommes dans des matières complexes : il faut plus de clarté et de lisibilité pour tous.

Ainsi des règles modernes et claires d'application et de publication locale des textes nationaux, ou encore l'harmonisation des règles de consultation des autorités territoriales sur les projets de textes législatifs et réglementaires éviteront-elles de nombreux et inutiles contentieux.

De même, la démocratie locale est affermie par la mise au niveau de la métropole des garanties accordées aux élus minoritaires, ou encore par la fixation des conditions d'application des consultations et des référendums locaux, notamment du droit de pétition.

Par ailleurs, je tiens à le souligner, le rôle de l'État est réaffirmé, en particulier dans les attributions importantes qui sont reconnues à ses représentants locaux ; ces attributions sont légitimes au regard des larges compétences conférées aux autorités élues.

Voilà les quelques éléments de réflexion que je souhaitais évoquer en introduction, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d'examiner les nombreux amendements que vous avez déposés - et je m'en réjouis - pour compléter ou améliorer les deux projets de loi. Je puis d'ores et déjà vous faire part de l'accord du Gouvernement sur la quasi-totalité des amendements de votre commission des lois, qui a produit un travail considérable.

Je veux vous dire, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, combien il est précieux de pouvoir s'appuyer, dans la discussion légitime entre le Gouvernement et le Parlement, sur des gens de conviction qui portent un regard attentif et qui enrichissent considérablement les textes d'initiative gouvernementale.

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