En effet, le statut d'une collectivité d'outre-mer ne peut fonctionner de manière satisfaisante que s'il est adapté à ses particularités et, surtout, s'il suscite l'adhésion des populations intéressées.
La commission, dans cet esprit, approuve les grandes lignes du projet de loi organique et du projet de loi ordinaire.
Les quelque 360 amendements qu'elle vous soumet visent en premier lieu à procéder à la nécessaire amélioration rédactionnelle d'un texte imposant et complexe, rédigeant en particulier une nouvelle partie du code général des collectivités territoriales rassemblant plus de 600 nouveaux articles.
Ils tendent en outre à améliorer la hiérarchisation des dispositions statutaires entre la loi organique et la loi ordinaire, conformément à l'article 74 de la Constitution.
L'essentiel des amendements traduisent enfin l'approche suivie par la commission depuis le dépôt de ces textes, c'est-à-dire la recherche d'un équilibre conjuguant la proximité des institutions et la responsabilité des élus.
Dans cet esprit, afin de sécuriser juridiquement la mise en oeuvre par les conseils généraux et régionaux des départements et régions d'outre-mer des nouveaux pouvoirs normatifs qui leur sont reconnus, la commission vous propose de modifier l'article 1er du projet de loi organique. Pour en faciliter la compréhension, elle a préféré le réécrire entièrement plutôt que de déposer de nombreux amendements.
Ces modifications ont pour but de prévoir que la demande d'habilitation expose les spécificités locales qui la justifient et précise la finalité des mesures envisagées.
Elles prévoient aussi de retirer au préfet la possibilité de demander une nouvelle lecture de la demande d'habilitation ou de la délibération mettant en oeuvre l'habilitation accordée par la loi, car il appartient au Parlement d'apprécier.
Il s'agit également d'attribuer au Conseil d'État la compétence contentieuse directe en la matière, tout en prévoyant un effet suspensif limité dans le temps au recours exercé, le cas échéant, par le préfet.
Enfin, la commission estime qu'il convient de limiter à deux ans la durée de l'habilitation.
Par ailleurs, la commission vous propose, à l'article 10 du projet de loi, un amendement tendant à supprimer le pouvoir d'habilitation du Gouvernement à habiliter par ordonnance les départements et régions d'outre-mer. En effet, cette « habilitation à habiliter », si vous me pardonnez l'expression, porterait atteinte aux pouvoirs du Parlement ; seule la loi doit pouvoir agir en ce domaine.
La commission vous propose, à l'article 3 du projet de loi organique, de rappeler que Mayotte fait partie de la République. Si cette appartenance est déjà inscrite à l'article 72-3 de la Constitution, son rappel au sein du statut de Mayotte est toutefois souhaitable.
En effet, cette précision figurant actuellement à l'article 1er de la loi de 2001 relative à Mayotte, sa disparition serait de nature à susciter de sérieuses inquiétudes, certes non fondées, mais réelles, d'autant plus que Mayotte relève désormais de l'article 74 de la Constitution. Les auditions conduites par le rapporteur de votre commission, mes chers collègues, ont illustré la nécessité de cette réaffirmation.
La commission propose également de conforter la proposition de la résolution relative à la départementalisation que pourra adopter le conseil général de Mayotte à partir de 2011 en élargissant sa transmission aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat - et non plus seulement au Premier ministre - et en prévoyant que celle-ci pourra faire l'objet d'un débat dans chaque chambre. Ce débat ne constituerait cependant qu'une simple faculté, afin de respecter les prérogatives du Gouvernement en matière de fixation de l'ordre du jour des assemblées et la jurisprudence en la matière du Conseil constitutionnel.
La commission propose en outre de prévoir l'application du code général des impôts à Mayotte au plus tard le 31 décembre 2013. Une demande de départementalisation sous forme de résolution peut être présentée à partir de 2011 ; le temps de la mettre en place, il faut impérativement que le code général des impôts soit opérationnel, c'est-à-dire en 2013. En effet, le projet de loi organique ne fixe plus de date précise alors que, dans la loi de 2001, l'entrée en vigueur était initialement prévue en 2007.
La commission souhaite permettre au conseil général de Mayotte de demander à être habilité à adapter les lois et règlements en vigueur, comme les autres collectivités d'outre-mer, les départements d'outre-mer et les régions d'outre-mer.
Elle propose aussi d'introduire un nouveau chapitre relatif aux compétences de la collectivité départementale, par coordination avec les dispositions du projet de loi organique relatives aux collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
La collectivité départementale de Mayotte exercerait ainsi les compétences dévolues aux départements et aux régions, ainsi qu'aux départements et régions d'outre-mer, à l'exception de quelques matières pour lesquelles l'État demeurerait compétent en raison du contexte local : les routes nationales, la lutte contre les maladies vectorielles comme le paludisme et le chikungunya, ainsi que la construction et l'entretien des collèges et des lycées.
L'exclusion de la compétence en matière scolaire paraît particulièrement nécessaire, mes chers collègues, du fait du dynamisme démographique dans cette île - 53 % de la population a moins de vingt ans - et des retards en matière de constructions existantes. Elle répond en outre à une demande exprimée formellement par le conseil général.
La commission propose de proroger jusqu'à l'accession de Mayotte au statut de département d'outre-mer la dotation de rattrapage et de premier équipement, le fonds intercommunal de péréquation ainsi que le versement de centimes additionnels à l'impôt sur le revenu au profit des communes de Mayotte. En effet, ce versement devait cesser en 2007 lors de l'entrée en vigueur du code général des impôts. Mais celle-ci étant repoussée sine die, et les communes ne disposant d'aucune perspective à court terme d'avoir une fiscalité locale, une telle prorogation paraît indispensable, monsieur le ministre.
La commission propose également d'harmoniser à certains égards les dispositions des statuts de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.
Tout d'abord, la dénomination de conseil général serait remplacée par celle de conseil territorial. La commission la juge en effet inadaptée pour les assemblées délibérantes de ces trois collectivités, dont la durée du mandat, le mode d'élection et les compétences différeront sensiblement de celles des conseils généraux des départements.
Ensuite, s'agissant de l'élection du conseil territorial de ces collectivités, la commission, à la lecture de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, estime par trop restrictif de limiter l'accès au deuxième tour de scrutin aux deux seules listes arrivées en tête compte tenu de la prime majoritaire prévue d'un tiers des sièges. Elle propose donc de permettre l'accès au deuxième tour à toutes les listes ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés en conservant la possibilité de fusion pour les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés.
La commission estime par ailleurs opportun de permettre aux collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon mais aussi à Mayotte de conclure des conventions avec des autorités locales étrangères afin de mener des actions de coopération et d'aide au développement, voire d'aide humanitaire en cas d'urgence selon le dispositif adopté par le Sénat le 27 octobre 2005 sur proposition de notre collègue Michel Thiollière et du rapport fait au nom de la commission des lois par notre collègue Charles Guené.
Enfin, la commission a jugé utile d'harmoniser le régime indemnitaire des élus de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon avec celui qui est applicable aux conseillers généraux des départements.
Afin de parfaire le statut de la future collectivité d'outre-mer de Saint-Barthélemy, la commission soumettra au Sénat à l'article 4 du projet de loi organique des amendements tendant à donner à la collectivité la compétence pour fixer les règles applicables au régime des espaces boisés. Elle pourra ainsi définir en matière de défrichement des règles assurant la préservation d'espaces boisés rares sur une île sèche.
En outre, il s'agira de permettre à la collectivité de participer dans le cadre de l'autonomie qui lui est reconnue, aux côtés de l'État et sous son contrôle, à l'exercice des compétences qu'il conserve en matière de sécurité et de police maritimes. La collectivité pourra ainsi participer au contrôle des activités nautiques.
La commission propose également de préciser au sein du statut de Saint-Barthélemy, mais aussi dans celui de Saint-Martin, les modalités de transfert des services de l'État, de la région et du département de la Guadeloupe vers ces deux collectivités pour l'exercice des compétences qui leur sont attribuées.
En ce qui concerne Saint-Martin, la commission a été conduite, à la suite des positions concordantes exprimées lors des auditions par les élus de toutes sensibilités - et j'y insiste -, à revoir l'ensemble du dispositif et à proposer une nouvelle approche, bien entendu après une concertation approfondie avec le ministère de l'outre-mer, et en particulier avec vous-même, monsieur le ministre.
Il est très vite apparu que la démarche proposée par le projet de loi organique, selon laquelle Saint-Martin ne pourrait accéder au statut d'autonomie qu'en deux étapes - et seulement après l'ouverture d'une deuxième procédure législative à partir de 2012 -, était mal perçue. Cette option n'avait cependant rien de « vexatoire », pour reprendre des termes qui ont été prononcés. Elle se fondait uniquement sur les difficultés financières et techniques de la commune de Saint-Martin et elle reflétait la nécessité d'accompagner par ces deux étapes successives la nouvelle collectivité vers son autonomie.
Or l'évolution statutaire, dont l'objectif, ne l'oublions pas, est d'améliorer l'efficacité de la gestion locale et de répondre à l'attente des populations, serait contre-productive si elle se traduisait par le mécontentement de ceux à qui la réforme est destinée. C'est la raison pour laquelle la commission propose d'inverser la démarche afin de parvenir à la mise en place d'une nouvelle collectivité dynamique et prospère.
Au lieu de fixer deux étapes avec l'autonomie au bout du chemin, elle recommande d'accorder tout de suite à Saint-Martin l'autonomie prévue par l'article 74 de la Constitution, avec toutes ses conséquences, mais assortie d'un calendrier pour la mise en oeuvre progressive de certaines des compétences qui demandent une capacité d'expertise considérable. Il sera donc proposé au Sénat d'accorder progressivement à Saint-Martin la compétence pour fixer les règles applicables en matière d'urbanisme, de construction, d'habitation, de logement et d'énergie afin de donner aux responsables de la collectivité le temps nécessaire pour la mise en place et la formation des services techniques indispensables.
Comme le disait Winston Churchill, « le pessimiste voit dans toute opportunité une difficulté ; l'optimiste voit dans toute difficulté une opportunité ». En l'occurrence, il existe une opportunité !
Un contrôle de légalité efficace, tout en étant respectueux des prérogatives des élus, apportera toute garantie de la bonne évolution du dispositif. La commission propose d'ailleurs d'étendre à Saint-Barthélemy et à Saint-Pierre-et-Miquelon des dispositions relatives au contrôle de légalité et aux pouvoirs du représentant de l'État que le projet de loi organique ne prévoyait que pour Saint-Martin. Désormais cette mesure s'appliquera à toutes les collectivités, si tant est que le Sénat vote dans ce sens.
Ainsi, à l'exception de ce calendrier tendant à étendre progressivement les compétences normatives de la future collectivité et de dispositions liées aux spécificités locales, Saint-Martin disposera d'un statut analogue à celui de Saint-Barthélemy. Dès lors, la politique de proximité qui découle de la décentralisation, avec son corollaire de responsabilités, pourra prendre toute sa dimension. C'est d'autant plus nécessaire que Saint-Martin a besoin pour la maîtrise de son destin avec l'appui de l'État de disposer de compétences et de moyens suffisants afin d'établir de véritables partenariats avec la partie néerlandaise de l'île.
Le projet de loi organique ne précise pas les conditions de représentation des nouvelles collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin au Parlement. Or, conformément à l'article 24 de la Constitution, qui pose le principe de la représentation des collectivités territoriales de la République au Sénat, la commission constate que les deux nouvelles collectivités doivent pouvoir élire un sénateur les représentant. En conséquence, elle propose de créer un siège de sénateur pour chacune des deux nouvelles collectivités.
Compte tenu du « détachement » de ces deux nouvelles collectivités de la Guadeloupe, qui a élu ses sénateurs en 2004, il semble naturel que les futurs sénateurs de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin soient rattachés à la même série par le biais d'une élection partielle. Ils seraient donc élus pour la première fois lors d'une élection partielle en 2007, après l'élection des conseillers territoriaux de ces collectivités, et rattachés à l'actuelle série C jusqu'au renouvellement sénatorial partiel de septembre 2011.
À compter de cette date, leur mandat serait renouvelé normalement au sein de la future série 1 du Sénat. Sous réserve de la définition du corps électoral des sénateurs, qu'il nous appartient bien entendu de définir, la commission laisse à l'appréciation de l'Assemblée nationale le dispositif relatif à la création des sièges de députés.