Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, de la colonie à la départementalisation de 1946, de l'indépendance réclamée par certains en 1960 à la décentralisation de 1982, la nouvelle organisation institutionnelle de l'outre-mer a raté à trois reprises un tournant historique.
Hors de tout climat passionnel généralement entretenu sur ce débat, en 1972, l'intéressant projet de Pierre Messmer pour un fonctionnement plus rationnel de ces terres françaises si lointaines et celui, en 1982, de Henri Emmanuelli sur l'assemblée unique vont se briser sur les questions fluctuantes attachées à la loi.
La déclaration de Basse-Terre, préparée après plusieurs consultations des forces vives, présentée par les trois exécutifs régionaux de l'époque - ceux de Guadeloupe, Martinique et Guyane -, conçue à partir de l'expérience régionale des îles espagnoles et portugaises des Açores, des Canaries et de Madère et élaborée sur la maxime « le courage politique au service du développement », lançait un nouveau souffle d'espoir.
En dehors de tout sectarisme, ce projet provoqua une modification intéressante de la Constitution française, par la reconnaissance de la stabilité du maintien de l'outre-mer au sein de la République.
Conçue par les élus pour répondre à un consensus en vue de la paix sociale et de plus de participation, cette évolution de l'outre-mer vers davantage de responsabilité dans la prise de décision dans leur région allait être confortée par deux déclarations de M. le Président de la République.
Il a reconnu d'abord en Martinique puis à la Réunion la légitimité de la revendication de l'outre-mer pour une modernisation de ses institutions en conformité avec son environnement, dans le cadre la Constitution et dans le respect de celle-ci.
Le Président de la République avait, d'ailleurs, à l'époque fait preuve d'un grand esprit d'ouverture - je tiens à le rappeler -, d'une part, en soutenant la création des régions ultrapériphériques donnant à l'Europe sa dimension maritime avec les îles françaises, espagnoles et portugaises et, d'autre part, en oeuvrant fortement pour la mise en place d'un dispositif novateur d'échange entre l'outre-mer et son environnement géographique.
Ainsi, a été signée à Carthagène la convention des États de la Caraïbe, intégrant la représentation effective des Antilles et de la Guyane dans leurs relations avec la zone. Cette convention a d'ailleurs été ratifiée par le Parlement et donnait un souffle nouveau à l'outre-mer.
Hélas ! les vieux démons des corporatismes, la réaction de certains ministres habitués à penser et à décider pour l'outre-mer, ont mis à mal des propositions qui avaient été, à l'époque, traitées directement par le Président de la République, sans passer par le canal habituel.
Le vote du 7 décembre 2003 a été, pour la Guadeloupe, un choc profond, car il fut le résultat d'une campagne médiatique faite de contrevérités. On a même entendu en Guadeloupe un parlementaire de la métropole, qui avait voté la Constitution, affirmer sur les ondes que ce projet ouvrait la porte à l'indépendance !
Le grand silence, je suis désolée de le dire, monsieur le ministre, du ministre de l'outre-mer de l'époque n'a pas été compris par les populations, d'autant que, sans aucune explication, la Guyane a été exclue de la consultation !
Pour les partisans du « oui », ce vote constituait une sorte de libération de la notion de mère patrie superpuissante, d'État-providence, la fin d'un assistanat qui avait porté atteinte à une valeur forte en outre-mer : la dignité. C'était également la voie ouverte à notre responsabilité locale, à notre capacité enfin reconnue à prendre en main notre destin et la reconnaissance de la diversité de nos identités culturelles au sein de la République française.
Heureusement, les îles du Nord ont donné à la Guadeloupe proprement dite la leçon de courage que nous méritions. En effet, depuis plusieurs décennies, sous l'impulsion déterminante des élus, les îles du Nord, qui ont toujours proposé des modifications, ont su résister au déballage de mensonges et affirmer leur sens de la responsabilité. Je veux saluer ici leur courage !
Permettez-moi, en premier lieu, de remercier les sénateurs qui, à la demande des parlementaires de la Guadeloupe, se sont rendus tout de suite après leur élection au Sénat dans ces îles du Nord. Messieurs les sénateurs, vous avez rédigé un rapport remarquable sur nos particularismes et sur notre sens des responsabilités.
Je félicite ensuite la commission de son travail très approfondi. Monsieur le rapporteur, vous avez brodé très finement, dans les moindres détails, le contenu de ce projet de loi : pas une virgule ne vous a échappé ! Vous avez pris en compte la volonté exprimée par les populations d'assumer leur responsabilité dans un contexte très particulier et dans une zone géographique très sensible.
Avant d'aborder l'examen de ces projets de loi, je rappellerai tout de même que la Guadeloupe est un archipel aux multiples facettes. Chaque île le composant est une entité propre, avec des caractéristiques historiques particulières.
Je souligne, par ailleurs, ce que la commission des lois et M. le rapporteur ont mis en évidence : il existe des différences fondamentales importantes entre l'île de Saint-Barthélemy et l'île de Saint-Martin.
Si la reconnaissance du traité du 10 août 1877 a fortement marqué l'île de Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, l'absence de frontière avec la zone hollandaise a créé des difficultés liées à la présence sur le même territoire de populations d'origine extrêmement différente.
Si à Saint-Barthélemy les élus et la population ont pu protéger, difficilement, certes, et parfois au moyen d'affrontements, leur statut fiscal, leur droit de quai, à Saint-Martin, en revanche, le développement du port et de l'aéroport en zone hollandaise a affaibli la zone française qui, avec son hôpital, ses écoles, son RMI, s'engageait dans la voie d'une politique sociale dont nous mesurons aujourd'hui les effets dévastateurs.
Les projets de loi qui sont aujourd'hui soumis à notre Haute Assemblée comprennent une série de dispositifs relatifs au fonctionnement et aux prérogatives dévolues aux nouvelles collectivités qui, je le crois sincèrement, sont de nature à insuffler une nouvelle force aux îles du Nord.
Je n'évoquerai pas tout le dispositif puisque vous l'avez déjà fort remarquablement exposé, monsieur le rapporteur.
Je soulignerai simplement le fait que, sur le plan organisationnel, la création d'un conseil exécutif autour du président de la collectivité, placé sous le contrôle de l'assemblée - ce que nous avons voulu - est de nature à instaurer un pouvoir et un contre-pouvoir, donnant ainsi plus de transparence au fonctionnement des collectivités.
En outre, l'instauration du Conseil économique, social et culturel, la création des conseils de quartier prévus notamment pour Saint-Martin à l'article L.O. 6324-1 nouveau du code général des collectivités territoriales ainsi que la mise en oeuvre des droits à pétition et à consultation pour les deux îles permettent de conforter une véritable démocratie participative et de maintenir des relations régulières entre les élus et la population. À ce sujet, nous avons déposé des amendements.
De même, en ce qui concerne le droit d'habilitation, nous approuvons la procédure mise en place.
Ainsi, les institutions seront mieux connues de la population, mieux appréhendées par elle et le climat de méfiance générale à l'égard de la classe politique sera sérieusement amoindri par les informations régulières.
Par ailleurs, je souhaite évoquer les nouvelles compétences attribuées à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.
Il va de soi que les attributions délivrées et définies dans le cadre des articles L.O. 6214-3 pour Saint-Barthélemy et L.O. 6314-3 pour Saint-Martin ouvrent à ces deux collectivités un vaste champ de compétences dans un certain nombre de domaines.
Cependant, cette sorte de différence que l'on créé entre Saint-Martin et Saint-Barthélemy me choque.
Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, c'est grâce à des conventions novatrices que l'État sortira de plus en plus de sa mainmise sur ces zones.
Je citerai un exemple. En compagnie des élus de Saint-Martin, nous avions accepté de négocier avec la zone hollandaise, tous courants politiques confondus, le règlement des problèmes de l'eau. Quand il a fallu faire passer le résultat de ces négociations par le sous-préfet, le préfet, le ministère de l'outre-mer, le ministère des affaires étrangères et le ministère de la coopération, le projet est mort !
Tout continuera à fonctionner de la sorte si nous ne nous ouvrons pas vraiment à une vision différente de l'outre-mer et de la zone de la Caraïbe !
La question linguistique a été écartée. Vous pensez, monsieur le ministre, que nous sommes contre l'affirmation de la langue française. Vous vous trompez : nous sommes pour la souveraineté de la langue française.
Cependant, comment concevoir que la France, dans une convention passée avec l'Association des États de la Caraïbe, l'AEC, ait reconnu le principe de la multiplicité des langues - anglais, espagnol, portugais - dans la zone, qu'elle le fasse respecter dans le cadre de cette association et que maintenant, sans le dire, elle encadre l'apprentissage de l'anglais à Saint-Martin ? Monsieur le ministre, vous n'empêcherez jamais la zone française de parler anglais et de « toucher » aux dollars. Allons donc de l'avant : donnons force à la langue française, mais respectons les traditions !
S'il est nécessaire de mettre en place un véritable plan de rattrapage afin de donner une impulsion à l'essor de ces deux collectivités - nous avons déposé un amendement qui va dans ce sens -, l'État doit, pour renforcer ces dispositions législatives, se doter d'une véritable stratégie de développement économique et social avec les îles environnantes.
Nous sommes à la veille de la régionalisation des accords de Cotonou dans la zone. Par conséquent, monsieur le ministre, l'État doit se moderniser et il ne doit plus imposer une vision administrative rigide, déphasée par rapport à cet espace géographique totalement différent de la métropole !
Q'avons-nous fait à Saint-Martin ? Nous avons laissé cette île jouer le rôle d' « aimant », ce qui a eu pour effet de polariser sur elle toute la misère de la Caraïbe qui a été attirée par le logement social, le RMI et diverses aides.
Savez-vous que vous attribuez - avec l'argent des contribuables - des logements sociaux à des étrangers en situation régulière, et que ces derniers sous-louent des pièces ou vendent leur adresse à des étrangers en situation irrégulière ?
Il faut mettre fin à de telles pratiques. Ce sont les élus sur le terrain qui ont la meilleure perception de ces réalités : vous devez leur faire confiance.
De même, nos écoles, nos collèges et nos lycées sont fréquentés en majeure partie par des élèves qui vivent dans la zone hollandaise de l'île.
Enfin, l'hôpital de Saint-Martin souffre d'un déficit chronique lié à une générosité qui est inacceptable dans certains domaines !
En revanche, la zone hollandaise de développe, avec son port, avec son aéroport. Ce dernier vient d'ailleurs d'être construit à la vitesse grand V, en quelques mois, alors qu'on parlait de dix ans pour la zone française !
Pendant ce temps, nous continuons à penser qu'il faut veiller à fermer nos frontières à la drogue ! Or la drogue, malgré notre politique sociale et notre politique en matière de santé, est un problème que nous n'avons pas réussi à résoudre.
Saint-Martin, zone française, malgré les aides importantes dont elle bénéficie à l'échelon local, national et européen, donne l'impression d'être devenue la périphérie de la zone hollandaise !
Nous devons en effet comprendre que l'application d'une politique efficace dans cette zone où il n'existe pas de frontière appelle une véritable révolution de nos comportements.
Je vous ai entendu tout à l'heure parler de « paradis fiscal » : ce sont des mots qui font peur. Mais le dispositif fiscal qui est appliqué à Saint-Martin n'a rien à voir avec celui qui prévaut dans la zone des Caraïbes.
Comment acceptons-nous en métropole que l'on puisse acheter dans la Caraïbe des produits français meilleur marché qu'à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, en Guadeloupe ?
Il nous faut évoluer et comprendre que dans cette zone où circulent les bateaux, des avions - il y a quatre à cinq avions par jour à Saint-Martin -, nous devons revoir notre dispositif fiscal sans pour autant enlever à l'État ses prérogatives.
Nous devons comprendre qu'il est nécessaire de passer des conventions et de permettre aux élus de les élaborer avec la zone hollandaise, pour l'harmonisation des procédures fiscales, sociales, etc. Il ne s'agit pas de chasser l'État, mais faites un peu confiance, monsieur le ministre, au pouvoir local !
Il faut également qu'il y ait une complémentarité dans les infrastructures de développement.
Nous payons des taxes très élevées à l'aéroport international Princess Juliana et nous laissons les étrangers se faire soigner gracieusement chez nous ! Nous devons tout de même être novateurs dans ce domaine.
Une coopération bilatérale beaucoup plus forte, beaucoup plus rationnelle, est nécessaire.
Ainsi, la France doit, au travers de ces deux projets de loi et pour ces deux îles qui sont des phares avancés du rayonnement de la France dans la Caraïbe, démontrer ses capacités à diversifier son fonctionnement afin de l'adapter à l'espace réel français.
Je citerai un exemple, monsieur le ministre. Bien que Sainte-Lucie, La Barbade, Trinité-et-Tobago ne soient pas européennes, c'est pourtant depuis ces îles que l'Europe gère le Fonds européen de développement régional, le FEDER, fonds auquel la France contribue.