Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en montant à cette tribune, je veux m'exprimer au nom de la Guyane internationale, jadis française.
Grâce à l'outre-mer, la France dépasse le cadre européen pour s'étirer aux quatre coins du monde et, au-delà du périmètre de l'Hexagone, ses limites vont se mêler aux remous des océans Indien, Atlantique et Pacifique pour se prolonger dans la grande forêt amazonienne et guyanaise, celle-là même qui m'est si chère.
Et la grande singularité de l'outre-mer français réside, sans nul doute, en sa foisonnante pluralité : aux contrastes des climats, des paysages, des espèces animales comme végétales, s'ajoute une mosaïque de cultures et d'identités qui sont venues enrichir la République citoyenne et fraternelle.
Mais, sans conteste, l'outre-mer s'affirme également comme le laboratoire de la diversité institutionnelle de la République française. La Réunion, la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane bénéficient de la même égalité de droits et de la même identité législative que chaque département de l'Hexagone, avec en plus des possibilités d'adaptation tenant compte de leurs situations spécifiques.
En outre, depuis la révision de 2003, la Constitution leur permet, sur la base de ses articles 73 et 74, de s'acheminer vers des statuts à la carte, sur le modèle des évolutions dans lesquelles se sont déjà engagées la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française ou Mayotte.
En reconnaissant ainsi à l'outre-mer le droit à une évolution différenciée et choisie, la République tente de répondre aujourd'hui aux aspirations à la responsabilité des populations d'outre-mer et cherche à leur offrir les outils législatifs leur permettant d'être les promoteurs de leur destin.
Cela resterait conforme à l'idée des rédacteurs du préambule de la Constitution de 1946 : « Fidèle à sa mission traditionnelle, la France entend conduire les peuples dont elle a pris la charge à la liberté de s'administrer eux-mêmes et de gérer démocratiquement leurs propres affaires ».
Selon moi, c'est encore en deçà du nécessaire, et il faut prolonger cette logique d'une évolution institutionnelle différenciée dans le cadre républicain.
En effet, si les ultramarins revendiquent une plus grande prise en compte de leurs spécificités propres, ils n'en demeurent pas moins très attachés à la République. L'histoire qui lie la République française à l'outre-mer est une histoire en marche avec laquelle personne ne souhaite rompre.
Bien au contraire, la nécessaire évolution à laquelle aspirent les différentes populations d'outre-mer doit se comprendre comme une volonté farouche de bénéficier des moyens de rester ancrés dans la République. Et qui oserait douter de la fidélité de l'outre-mer à la République ?
L'enjeu véritable du chantier institutionnel entamé depuis 2003 se situe bien dans notre capacité à redéfinir en profondeur la relation entre la République, d'une part, et la diversité de ses territoires périphériques, d'autre part.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, la République française doit repenser son rôle auprès de l'outre-mer. Trop longtemps homogénéisante, uniformisante et assimilatrice, elle doit tenter désormais d'agir juste selon un principe d'équité. La République doit prendre en compte ses diversités et les richesses identitaires et s'en servir pour se moderniser et se réinventer sans cesse. C'est ainsi, par exemple, que la négritude, l'antillanité, la créolité, doivent trouver toute leur place au sein du creuset républicain et de l'identité plurielle de la France.
Quant à la Guyane, mes chers collègues, elle constitue une composante indéfectible de la République. Les Guyanais sont Français et ils affirment une certaine fierté, parce qu'ils ont aussi versé leur sang pour la France en 1914-1918, et pour la libérer du joug nazi entre 1940 et 1945. Ils ont défendu les principes républicains et se sont battus à de nombreuses reprises pour eux.
Faut-il rappeler que nous sommes Français depuis plus longtemps que ne le sont les habitants de Nice, de la Savoie ou de la Corse ? La confiance et la foi que nous avons placées en elle obligent la République.
Pourtant, la plus ancienne des terres françaises d'outre-mer est aussi l'une de celles que la France, malgré de multiples tentatives, n'est jamais parvenue à mettre réellement en valeur.
Pendant près de quatre siècles, la Guyane a gardé pour beaucoup de métropolitains l'image d'un « enfer vert ». Lorsqu'est venue l'heure de la décolonisation, coïncidant, à quelques années près, avec la fin de la transportation et la fermeture du bagne, le statut de département français d'outre-mer a apporté une première réponse, salutaire, à notre terre, qui restait partie intégrante de la France.
Mais la départementalisation, si opportune qu'elle ait été, devait se heurter à un obstacle majeur : la singularité de cette terre française. Nous y voilà ! Le souci louable d'instaurer et de garantir l'égalité au sein de la République a conduit à ne pas suffisamment prendre en compte l'identité culturelle - si particulière - de la Guyane, qui est certes une terre française depuis quatre cents ans, mais aussi un pays américain, le pays des Amérindiens, des Créoles, des Noirs marrons et de bien d'autres populations issues de diverses vagues d'immigration.
Aujourd'hui, la situation de la Guyane est très critique. Vous ne pouvez l'ignorer, monsieur le ministre, elle est très grave et une explosion de violence est à craindre, de celles qui expriment un cri d'alarme, un véritable appel à l'aide.
Il y a tout juste neuf ans, le Président de la République était de passage à Cayenne et le diagnostic qu'il dressait le 27 novembre 1997 est toujours d'actualité. Voici en quels termes il s'adressait à des Guyanais heureux de l'accueillir : « Je suis venu parce que la Guyane souffre. Parce que la Guyane connaît de grandes difficultés. Parce que beaucoup de Guyanais sont, c'est vrai, au bord de la détresse. Je sais tout cela. Je sais que vous êtes inquiets, que vous êtes troublés, que vous êtes impatients. Je sais que les plus jeunes d'entre vous bercent au fond d'eux-mêmes une révolte qui se nourrit de leur désarroi, de leur attente, peut-être de leur désespoir. » C'était, je le répète il y a neuf ans, à l'occasion de la dernière visite présidentielle en Guyane.
La situation est désormais tellement intenable et explosive sur place que je ne m'étonne même plus que les rares ministres qui se rendent en Guyane n'y restent que très rarement plus de vingt-quatre heures, hormis bien sûr M. le ministre délégué au tourisme.