Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour nous prononcer sur un projet de loi organique et un projet de loi ordinaire visant à faire évoluer les statuts de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, à créer deux nouvelles collectivités d'outre-mer, à savoir Saint-Barthélemy et Saint-Martin, mais aussi à permettre aux départements et aux régions d'outre-mer, lorsqu'ils sont habilités à le faire, d'adapter localement les lois et décrets.
Ces textes résultent de consultations populaires pour ce qui concerne les deux îles guadeloupéennes ; s'agissant de Saint-Pierre-et-Miquelon, ils reprennent pour partie une proposition de loi du député de l'archipel, Gérard Grignon.
Parfois mal comprises, ou mal interprétées, ces évolutions, que j'appellerai pour ma part des adaptations, sont le fruit de réflexions issues en majeure partie des difficultés rencontrées par les élus locaux dans l'application de certaines lois métropolitaines, inadaptées dans nos contextes ultramarins.
À cet instant, j'évoquerai l'exemple que je connais le mieux, celui de Saint-Pierre-et-Miquelon. La population et les élus de mon archipel ont la plupart du temps subi, sans être consultés, des évolutions successives dont les effets à court et à long terme leur échappaient.
Ainsi, 1936 a marqué la fin de la colonie et la création d'un territoire, avec suppression des trois communes de l'époque : Saint-Pierre, l'Île-aux-Marins et Miquelon.
En 1944-1945, sans aucun doute sensible à l'élan spontané de patriotisme manifesté, pendant la Seconde Guerre mondiale, par les Saint-Pierrais et les Miquelonnais, qui pourtant n'avaient pas été directement menacés du fait de la position géographique de l'archipel, le général de Gaulle a rétabli les deux communes actuelles, Saint-Pierre et Miquelon-Langlade, et créé un conseil général doté de la maîtrise de la fiscalité et des taxes douanières.
En 1974, sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing, la décision fut prise de faire de Saint-Pierre-et-Miquelon un département. Cela fut accepté par les élus de l'époque, mais ils se trouvaient en fait contraints et forcés.
À l'usage, ce statut se révéla très contraignant dans l'archipel, tant les spécificités engendrées par les réalités démographique, géographique et économique rendaient inapplicables beaucoup de lois et de règlements métropolitains.
L'application de certaines taxes douanières peut illustrer cette incompatibilité : quand on sait que Saint-Pierre-et-Miquelon doit tout importer directement par le Canada, notamment les produits de grande consommation, on imagine à quel point les mesures protectionnistes à l'encontre des produits étrangers, bien que tout à fait légitimes en ce qui concerne la plus grande part du territoire français, auraient engendré une pression inflationniste excessive dans l'archipel s'il n'y avait pas eu de dérogation.
La politique des pêches me fournira un autre exemple à cet égard. Au sein de l'Organisation des pêches de l'Atlantique du Nord-Ouest, en tant que département, Saint-Pierre-et-Miquelon serait aujourd'hui dans l'impossibilité de faire valoir ses droits dans la région, puisque l'archipel est intégré dans une politique européenne globale. Heureusement, la France siège au sein de cette organisation, précisément au titre de Saint-Pierre-et-Miquelon.
C'est donc en 1985 que le statut actuel de collectivité territoriale a été mis en place, fruit d'une mûre réflexion collective engagée à la suite de tous ces dysfonctionnements institutionnels.
Aujourd'hui, ce statut a vingt ans, et il n'est pas étonnant qu'il ait besoin d'un « toilettage », ne serait-ce tout d'abord que pour le mettre en conformité avec le droit national, qui a été modifié au fil des ans : je pense ici au droit de pétition, de consultation et de référendum. Il en est de même pour la publication des actes administratifs au Journal officiel, et non plus au seul recueil des actes administratifs propre à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui nous enfermait une fois de plus dans un système à part et réduisait notre « visibilité ».
En effet, autant notre statut doit tenir compte de nos spécificités, autant ces mêmes spécificités ne doivent pas être des facteurs d'isolement et faire de Saint-Pierre-et-Miquelon une collectivité si complexe, si différente des autres que quasiment personne, notamment ici à Paris, ne puisse nous comprendre et nous aider, par manque de connaissances spécifiques.
Il faut trouver le bon dosage entre spécificité, flexibilité, lisibilité et harmonie.
L'harmonie entre les statuts est un point qui vous tenait à coeur, monsieur le ministre, ainsi qu'à la commission des lois. Mais qu'est-ce qu'un statut ? Je dirais que c'est un contenant qui doit être à la fois solide et flexible, qui doit pouvoir convenir et s'adapter à divers contenus et utilisateurs, tout en excluant certaines dérives. Le statut doit durer dans le temps, et souvent c'est ce qui est le plus simple, le plus juste, qui dure. Les effets de mode ne durent pas, pas plus que les calculs électoraux de court terme. Ce qui résiste, ce sont les vraies valeurs, les valeurs républicaines et le souci de défendre l'intérêt général.
Certains aménagements de ce statut ont pour objet de donner plus d'autonomie décisionnaire aux élus locaux, leur permettant ainsi d'être les premiers acteurs du développement économique de leur collectivité. L'histoire nous a prouvé en effet qu'une vision parisienne ne donne pas obligatoirement un résultat positif outre-Atlantique, du fait des difficultés d'appréhension que j'ai évoquées plus haut. Les accords de coopération économique signés en 1994 entre le Gouvernement canadien et le Gouvernement français pour Saint-Pierre-et-Miquelon en sont un exemple flagrant.
En effet, ces accords, qui avaient pour objet de permettre dans notre archipel une diversification économique, à la suite de l'arrêt brutal de la pêche, se soldent aujourd'hui par un échec. Ces rencontres annuelles étaient en effet beaucoup trop institutionnelles et ne mettaient pas suffisamment les acteurs économiques et politiques régionaux en relation, tandis que l'État nous versait des subventions qui, pour partie, étaient inadaptées.
Après quelques années d'un assistanat que je qualifierai d'anesthésiant, notre collectivité est aujourd'hui plongée dans une crise économique, sans doute l'une des plus graves qu'elle ait jamais connues. Nous ne sommes que 6 500, l'équivalent d'un simple village de métropole, ...