Intervention de Daniel Marsin

Réunion du 30 octobre 2006 à 15h00
Dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

Photo de Daniel MarsinDaniel Marsin :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec la discussion de ces projets de loi, nous vivons des instants décisifs de la vie des populations des communes de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.

En effet, après la départementalisation, en 1946, après la décentralisation, en 1982, c'est un grand moment pour la démocratie française, puisque nous allons légiférer sous la dictée de la volonté populaire exprimée en 2003.

Les projets de loi, organique et ordinaire, que nous examinons, sont les suites logiques de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003. Ils matérialisent l'entrée en vigueur de l'article 73 de la Constitution, dont la nouvelle rédaction dispose que les lois et règlements peuvent « faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières » des collectivités d'outre-mer. J'aurais tellement aimé que cette discussion concernât également la Guadeloupe. Malheureusement, nous devrons encore attendre notre tour, mais, je l'espère, pas trop longtemps !

Nous connaissons tous bien les spécificités historiques, géographiques et culturelles des territoires de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, intégrés au département de la Guadeloupe.

Je ne peux que me réjouir, et vivement, de l'intérêt que l'État porte au devenir des collectivités françaises d'Amérique, et j'accueille favorablement cette réforme.

Ces projets de loi concrétisent en effet le voeu des populations de ces territoires, qui se sont exprimées à une écrasante majorité lors de la consultation du 7 décembre 2003, dans un sens favorable à une évolution statutaire conforme aux dispositions du nouvel article 74 de la Constitution, fondé sur le principe de spécialité législative. L'État reconnaît ainsi solennellement cette volonté des Saint-Barths et des Saint-Martinois d'accéder à davantage de responsabilités, afin qu'ils soient mieux à même de prendre en main leur développement, leur devenir, en somme leur destinée.

Pour Saint-Barthélemy, il s'agit de consolider l'essor économique et la maîtrise du patrimoine, dans ses deux dimensions foncière et culturelle, et ainsi de mieux optimiser son indéniable potentiel touristique.

Les enjeux pour Saint-Martin sont de la même nature. Toutefois, cette commune connaît au moins trois singularités.

La première, c'est que Saint-Martin partage une centaine de kilomètres carrés avec une autre collectivité, un autre État, pourrais-je dire. Sint Maarten est en effet une terre néerlandaise.

La deuxième spécificité est démographique : la population a en effet triplé en dix ans, quadruplé en vingt ans, passant de 8 000 habitants en 1982 à 35 000 environ aujourd'hui, soit une évolution comparable à celle d'une ville nouvelle d'Ile-de-France, mais, à Saint-Martin, ce fut sans planification ni moyens d'accompagnement étatiques, moyens qui auraient été pourtant justifiés.

Enfin, troisième spécificité, cette croissance démographique à tendance exponentielle est pour une bonne part due à l'immigration étrangère illégale. En 1990, il y avait plus d'étrangers que de nationaux. Aujourd'hui, un résident sur trois est étranger, souvent en situation irrégulière et précaire. Cela engendre, mécaniquement, des dépenses publiques considérables.

On comprend donc l'exigence de réforme ressentie localement, et c'est tout à l'honneur de l'État que d'y répondre en adaptant les institutions, dans le cadre d'une évolution pacifique.

Ce projet répond plus ou moins aux attentes de la population de Saint-Barthélemy. En revanche, force est de constater que ce n'est pas le cas pour Saint-Martin, alors que la situation, notamment en matière d'immigration, y est bien plus alarmante.

La différence de traitement entre les deux îles est très nette.

En l'état actuel des projets respectifs, la compétence normative propre de Saint-Martin est bien moins étendue que celle qui sera dévolue à Saint-Barthélemy. Ainsi, la nouvelle collectivité de Saint-Barthélemy sera en mesure de fixer les règles applicables pour le logement, la circulation routière, les intérêts maritimes territoriaux, l'environnement et l'énergie.

Ce n'est pas le cas dans le statut proposé pour Saint-Martin. Selon la rédaction de l'article 5 du projet de loi organique, la collectivité ne pourra bénéficier du régime d'autonomie prévu par l'article 74 qu'en 2012 seulement.

S'il m'a été facile de relever la différence de traitement, il m'est beaucoup plus difficile de la comprendre, a fortiori de l'accepter. Est-ce en raison des problèmes financiers de Saint-Martin ? Mais nous savons tous que ces difficultés trouvent, pour une très large part, leur explication dans la pression migratoire et ses conséquences sociales. Elles sont justifiées par une démographie subie, dont l'évolution, non naturelle, n'a pas été maîtrisée par les différents responsables, y compris l'État.

Ma principale divergence de fond avec le Gouvernement porte sur la motivation même de cette réforme. C'est précisément parce qu'il y a davantage de difficultés à Saint-Martin, et tout un chacun en assume sa part de responsabilité, qu'une réforme hardie s'impose. Le surcroît d'autonomie refusé jusque-là à Saint-Martin est en effet la condition sine qua non de la réussite de la réforme, dès lors que les objectifs sont les mêmes pour les deux collectivités.

Plutôt que de pénaliser une fois de plus Saint-Martin, il faut au contraire l'aider, même si c'est au prix d'un effort plus important. Je propose donc de prévoir dès maintenant que, dans un délai d'un an après la promulgation de la présente loi, un plan national d'accompagnement, généreux et ambitieux, sur dix ans, soit élaboré avec les Saint-Martinois. Il devra préciser les objectifs et les moyens financiers affectés en matière tant de développement économique, social et culturel que d'équipements publics, et être soumis au vote de notre Parlement, pour donner à Saint-Martin les raisons de croire en son avenir.

Ma proposition n'a rien d'extraordinaire puisque c'est ce que la République a fait au moins à deux reprises, pour la Nouvelle-Calédonie, où il y a eu un plan d'accompagnement considérable, et même pour la Corse.

Avec la responsabilité accrue, les Saint-Martinois doivent également pouvoir accéder à la connaissance, afin qu'ils soient véritablement en mesure de prendre efficacement en main leur destin. Il est de la responsabilité nationale d'y faire émerger des cadres, une élite, qui assumeront pleinement les compétences transférées, avec toute l'efficacité voulue.

Dans ce domaine, l'école publique doit jouer son rôle, fondamental, notamment pour ce qui a trait à l'apprentissage de la langue française, dans des conditions rendues plus difficiles qu'ailleurs, l'anglais étant la langue maternelle de la plupart des enfants. Un plan pédagogique, qui n'écarte pas la révision des méthodes nationales en usage, doit donc être envisagé.

Pour conclure, je dirai qu'il ne saurait y avoir de statut rabaissé, a fortiori de statut au rabais. Il serait pour le moins paradoxal qu'en ayant décidé de passer de l'article 73 à l'article 74 de la Constitution les élus de Saint-Martin et la population aient le sentiment étrange que leur futur est à bien des égards un retour aux années soixante-dix, à la situation d'avant la décentralisation.

Pour l'éviter, il faut donc amender ce texte. Saint-Martin et Saint-Barthélemy doivent notamment avoir la représentation nationale prévue pour les collectivités d'outre-mer. Il est donc essentiel de prévoir la création d'un siège de sénateur et d'un siège de député, dès que les deux territoires deviendront des collectivités à statut particulier.

Je rejoins sur ce point, comme sur bien d'autres, d'ailleurs, les propositions formulées par notre excellent rapporteur, dont je salue très volontiers tant l'expertise que la qualité du travail.

Enfin, je tiens à exprimer devant notre Haute Assemblée la fierté que j'éprouve à marcher dans les pas d'illustres prédécesseurs. Je pense à Césaire, de la Martinique, à Vergès, de la Réunion, et à Monnerville, de la Guyane, qui présida longtemps notre assemblée. Ils sont à l'initiative des projets qui ont porté la départementalisation sur les fonts baptismaux. Je veux rendre un hommage particulier au député socialiste de la Guadeloupe, Paul Valentino, dont la lucidité et l'étonnante clairvoyance, exprimée dans une douzaine d'amendements, ont amélioré la loi de départementalisation, il y a soixante ans.

Je forme le voeu que le Gouvernement fasse preuve d'une clairvoyance au moins égale à celle du gouvernement de l'époque, en 1946, donc sous la IVe République, et qu'il soit animé d'un esprit de solidarité nationale au moins équivalent.

Les élus, la population des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy attendent de nous, représentation nationale et Gouvernement réunis, que nous leur donnions les moyens de mieux embrasser leur avenir.

Pour nous sénateurs, ce ne sera peut-être qu'un petit pas législatif, mais pour les populations concernées - j'en ai la conviction profonde -, ce sera un pas de géant.

Face à une aspiration si légitime, exprimée si démocratiquement, devant l'Histoire en marche sous nos yeux, nous n'avons certainement pas le droit de décevoir.

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