Intervention de Jacques Gillot

Réunion du 30 octobre 2006 à 15h00
Dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

Photo de Jacques GillotJacques Gillot :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les textes qui nous sont présentés mettent en oeuvre deux dispositions issues de la révision constitutionnelle de 2003 qui nous offrent l'occasion historique de réformer la vision jacobine dont les départements d'outre-mer ont trop souvent pâti.

Ces territoires ont régulièrement été conduits à réclamer une organisation administrative mieux adaptée à leurs caractéristiques et contraintes.

Cette revendication n'est pas nouvelle, nous le savons.

Déjà en 1946, à l'occasion du débat parlementaire qui donna naissance à l'assimilation législative des départements d'outre-mer, un de nos prédécesseurs estimait que les représentants locaux, « sur certaines questions, disposent d'une information plus complète que l'administration centrale » et qu'il serait « conforme à la nature des choses de leur réserver le pouvoir de décider en ces matières ».

C'est d'ailleurs l'inadaptation du droit aux réalités locales qui justifie pour une large part l'aspiration à un changement de statut de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.

S'agissant de l'article 1er du projet de loi organique, j'émets des réserves quant à la traduction effective du pouvoir d'adaptation.

Je crains en effet que les demandes d'habilitation ne connaissent, dans le cadre de cette nouvelle procédure, le même sort que celui qui fut réservé au décret du 26 avril 1960 offrant aux départements d'outre-mer la possibilité de saisir le Gouvernement de toutes propositions d'adaptation du droit motivées par la situation particulière de leur département.

En dépit de la réécriture de l'article 1er par la commission des lois, qui vient combler de nombreux hiatus, notamment en matière d'entrée en vigueur des délibérations, il faudra compter sur la volonté du Gouvernement pour que ces demandes soient effectivement examinées par le Parlement, dont nous connaissons l'agenda bien chargé.

L'essentiel ayant été dit sur l'article 1er par mon collègue Claude Lise, je consacrerai le temps qui m'est imparti aux dispositions statutaires relatives à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin.

Consultées le 7 décembre 2003, les populations des îles du nord de la Guadeloupe se sont déterminées en toute responsabilité sur la base du projet proposé par leurs représentants, à plus de 95 % pour Saint-Barthélemy et à 76 % pour Saint-Martin.

Ainsi donc, le texte que vous nous soumettez se doit d'être la traduction législative fidèle d'une profonde aspiration populaire, exprimée aussi massivement que démocratiquement.

En premier lieu, je tiens à remercier M. le rapporteur, qui a conforté le caractère démocratique de cette évolution statutaire en entendant les élus locaux de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, ainsi que les parlementaires, et en prenant très largement en compte, par le biais de ses amendements, les positions dont on lui a fait part.

Ici ou là, certains ont remis en cause ces projets de loi, mais à ceux-là, je dois rappeler que ces textes nous arrivent au terme d'un long processus démocratique, dont nous ne saurions dénaturer ni le sens ni la portée, processus porté par un consensus historique de l'ensemble des forces politiques en Guadeloupe, par-delà les clivages, et que nous espérons également trouver sur les travées de cette noble assemblée.

Mes chers collègues, ces deux projets de statuts ont été élaborés en étroite concertation avec les représentants d'une population qui aspire tout simplement à trouver sa véritable place dans une France ouverte à la diversité de ses composantes. C'est pourquoi j'invite encore ceux d'entre nous que je sais réticents, pour des raisons parfaitement respectables, à un examen dénué de tout préjugé et de tout dogmatisme.

Dès l'origine, le conseil général de la Guadeloupe a accompagné le projet de changement statutaire de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Je me fais aujourd'hui le porte-parole de cet engagement. Je reste persuadé que mes collègues de la Guadeloupe adhèrent aujourd'hui à cette démarche.

En faisant des îles du Nord deux collectivités régies par l'article 74 de la Constitution, la République franchit un pas de plus vers la réconciliation de son unité et de sa diversité, en offrant à chacune l'occasion de bénéficier d'un statut à la carte, car la réalité de Saint-Martin n'est pas celle de Saint-Barthélemy, et inversement.

Chaque réalité justifiant un traitement adapté, il n'y a pas lieu, à mon sens, de rechercher de parallélisme entre les statuts, ni dans les amendements que je présenterai.

Historiquement néanmoins, les deux îles ont toutes deux souffert d'une sous-administration de l'État, qui a abouti à l'application d'une réglementation faite de dérogations, de tolérance et de flous juridiques. Aujourd'hui, ces deux projets de statuts offriront un fondement juridique stable à l'une comme à l'autre.

J'évoquerai maintenant les deux problèmes, communs à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, que soulève le présent texte.

D'abord, la représentation parlementaire telle qu'elle nous est proposée ne correspond pas à celle d'une collectivité à part entière.

On s'explique mal en effet que ces deux îles ne soient pas représentées, chacune, aussi bien au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, alors même que leur régime comporte une dose de spécialité législative. À cet égard, j'ai pris acte de l'amendement déposé par M. le rapporteur, au nom de la commission des lois, visant à instaurer leur représentation au Sénat, mais je regrette vivement que la question de leur représentation à l'Assemblée nationale ne soit pas également traitée. Ainsi, ces collectivités pourraient être les seules de la République dont le sénateur serait élu par un collège électoral ne comprenant pas de député !

De plus, au-delà de la représentation des îles du Nord, c'est, bien sûr, l'équilibre institutionnel qui s'en trouverait modifié. À la faveur de ce texte, et alors que ce n'est pas son objet aujourd'hui, le caractère territorial du Sénat pourrait ainsi être renforcé.

Je vous proposerai donc de prévoir dès à présent la représentation à l'Assemblée nationale afin de lever toute incertitude. En effet, les aménagements proposés laissent à penser que Saint-Martin et Saint-Barthélemy seraient déjà représentées.

S'agissant de la dénomination des assemblées délibérantes, le bon sens et notre souci de clarification exigent que l'on rejette toute confusion avec le conseil général, car les nouvelles collectivités exerceront les compétences de la commune, du département et de la région. Sur ce sujet également, M. le rapporteur a fait un utile travail de clarification.

Mes chers collègues, à ce stade de mon propos, j'aborderai plus particulièrement le cas de Saint-Barthélemy. L'architecture du projet de statut répond assez fidèlement aux souhaits exprimés par la municipalité et aux orientations sur lesquelles la population s'est déterminée. De ce fait, elle suscite moins d'observations.

Toutefois, les questions de la protection de l'emploi local et des conditions d'accès à la domiciliation fiscale auraient mérité d'être mieux prises en compte.

Saint-Barthélemy a fait le choix d'un développement économique tourné vers le tourisme haut de gamme, choix qui lui a permis d'atteindre aujourd'hui le niveau de cohésion économique et sociale qu'elle connaît. Dès lors, la préservation de cet équilibre constitue indéniablement un enjeu vital pour l'avenir de l'île.

Cette stratégie économique ne doit pas être assimilée à une volonté de légitimer une forme d'évasion fiscale. À cet égard, je me félicite que ce projet de loi organique, conformément à la demande des élus de l'île, instaure les indispensables garde-fous en introduisant, notamment, une condition de résidence de cinq ans pour l'établissement de la domiciliation fiscale. Vous en conviendrez, mes chers collègues, cette revendication est de nature à battre en brèche les objections relatives au risque de développement d'un paradis fiscal.

Dans le même ordre d'idées, une première mouture du texte prévoyait la possibilité pour Saint-Barthélemy de prendre des mesures nécessaires afin de protéger l'emploi. Compte tenu de l'étroitesse du marché local et du caractère saisonnier des emplois du secteur touristique, cette mesure permettra de garantir la cohésion sociale à Saint-Barthélemy et de préserver l'emploi des résidents, et non - je le souligne - des autochtones.

Je forme là aussi le voeu que vous appréhendiez ces dispositions comme la marque d'une farouche volonté de faire émerger un statut fondé non sur l'exclusion, mais sur la détermination d'une communauté de vies et de destins à atteindre un objectif concerté.

Mes chers collègues, en ce qui concerne Saint-Martin, on a le sentiment, à la lecture du présent projet de loi, que la collectivité est mise à l'épreuve, voire mise sous tutelle, l'accession au statut d'autonomie ayant été expressément différée à 2012.

À cet égard, je me réjouis également que M. le rapporteur ait reconsidéré la position du Gouvernement, car le statut d'autonomie correspond en effet au contrat passé entre les élus et la population, conformément au document d'orientation sur lequel elle s'est déterminée le 7 décembre 2003.

Dès lors, le changement de statut doit être considéré moins comme un risque que comme une chance, l'une de ses finalités étant bien de servir le développement économique de Saint-Martin.

Saint-Martin ayant fait les frais du désintérêt de l'État pendant de longues années, la revendication d'un accompagnement financier de l'État me paraît non seulement légitime, mais surtout responsable. Alors, oui, Saint-Martin est responsable d'avoir demandé son évolution statutaire, mais la République en responsabilité l'ayant accepté, elle doit l'accompagner !

En tant que président du conseil général de la Guadeloupe, je connais bien les enjeux pour Saint-Martin et les difficultés qu'elle devra surmonter.

Ainsi, le calcul des dotations de la future collectivité devra notamment intégrer un impératif de rattrapage. En outre, compte tenu de sa particularité territoriale, les compétences transférées et le statut d'autonomie lui permettront de disposer d'une marge de manoeuvre suffisante pour équilibrer ses rapports avec la partie néerlandaise.

Sint Maarten et Saint-Martin, qu'aucune frontière matérialisée ne sépare, ne forment en réalité qu'une seule et même île. Les deux parties sont donc interdépendantes l'une de l'autre, ce qui fait de l'harmonisation de leurs politiques une nécessité vitale.

Par ailleurs, le statut de collectivité d'outre-mer doit non seulement reconnaître mais aussi autoriser l'expression de ce qui fonde l'identité de la population. En tant que projet démocratique, l'évolution statutaire s'appuie sur des hommes. La prise en compte de ce qui les identifie constitue donc une manière de créer un lien civique entre les hommes et les institutions.

Dès lors, l'anglais saint-martinois doit être vu comme un facteur de cohésion sociale, qu'il importe de reconnaître. Par cette démarche, l'unité linguistique de la République française, proclamée dans l'article 2 de la Constitution, n'est aucunement en cause parce que l'anglais saint-martinois s'écarte de l'anglais anglo-américain ou de l'anglais britannique.

L'anglais de Saint-Martin est le produit de l'histoire de ce territoire, qui a bien dû trouver une langue commune à toutes les nationalités qui s'y sont retrouvées durant la période coloniale et qui ne sont aujourd'hui pas moins de quatre-vingts !

Mes chers collègues, telles sont les quelques remarques générales qu'il m'apparaissait nécessaire de faire en préalable de l'examen des articles.

La tâche qui attend les populations des îles du Nord et les futurs représentants de ces collectivités est lourde, mais exaltante. Qu'ils ne doutent pas de mon soutien, et je l'espère, du vôtre !

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