Intervention de Serge Larcher

Réunion du 30 octobre 2006 à 15h00
Dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer — Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi déclarés d'urgence

Photo de Serge LarcherSerge Larcher :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais, avant toute chose, saluer le débat qui s'ouvre enfin aujourd'hui dans notre hémicycle. Nous désespérions, nous, les élus ultramarins, de voir jamais les textes du projet de loi organique et du projet de loi ordinaire portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer inscrits à l'ordre du jour de notre Haute Assemblée.

En effet, faute de textes, au cours de ces trois dernières années, les dispositions des articles 73 et 74 de la Constitution, révisés par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, n'ont pas pu entrer en vigueur de façon effective outre-mer.

Or, permettez-moi de le rappeler ici à nouveau, pour la clarté de notre débat, l'article 73 dans sa nouvelle rédaction autorise les assemblées délibérantes des départements et régions d'outre-mer, lorsqu'elles y ont été habilitées par la loi, à adapter localement les lois et décrets, ou à fixer des règles dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi.

Je rappelle également que le nouvel article 74 doit permettre aux communes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin de changer de statut, les électeurs ayant approuvé massivement le principe d'une telle évolution lors des consultations organisées le 7 décembre 2003 - voilà déjà trois ans - en application de l'article 72-4 de la Constitution.

Le projet de loi organique fixe donc le nouveau statut de ces deux collectivités en faisant de chacune d'elles une collectivité d'outre-mer se substituant à la commune ainsi qu'au département et à la région de la Guadeloupe. Ces deux collectivités territoriales d'outre-mer sont donc les premières à expérimenter le changement de statut constitutionnel dans les formes prévues par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003.

En outre, ces deux projets de loi modifient diverses dispositions du code général des collectivités territoriales, du code des juridictions financières et du code électoral pour les adapter au nouveau contexte institutionnel de l'outre-mer.

Je m'attacherai plus particulièrement au titre Ier du projet de loi organique, titre relatif aux départements et régions d'outre-mer, ou DROM, mon collègue Gillot ayant très bien commenté les dispositions qui, dans le texte, visent à transformer en collectivités d'outre-mer, régies par l'article 74, les deux communes de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

Ces textes déterminent donc les modalités selon lesquelles les assemblées délibérantes des départements et des régions d'outre-mer peuvent exercer les nouveaux pouvoirs normatifs qui leur sont reconnus par les deuxième et troisième alinéas de l'article 73.

En ce qui concerne le projet de loi ordinaire, il complète le projet de loi organique pour ce qui relève du domaine de la loi ordinaire.

Qu'en est-il de ces nouveaux pouvoirs ?

Les mesures d'adaptation applicables aux collectivités régies par l'article 73, les départements et régions d'outre-mer, n'ont pas l'ampleur de la spécialité législative des collectivités relevant de l'article 74.

Jusqu'à la révision constitutionnelle de 2003, lesdites mesures d'adaptation pouvaient, au plus, « se traduire par un aménagement limité des compétences des régions et des départements d'outre-mer par rapport aux autres régions ou départements, sans pour autant méconnaître le principe d'égalité ».

Le premier alinéa de l'article 73 de la Constitution, dans sa nouvelle rédaction, est plus clair qu'auparavant puisqu'il pose l'affirmation selon laquelle « dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».

L'article 73 est ainsi, depuis 2003, « remis à l'endroit » par rapport à sa rédaction de 1958, et il rétablit la présentation de 1946 en affirmant fermement le principe de l'identité législative, et seulement ensuite la possibilité de l'aménager par des adaptations.

La Constitution précise désormais que la possibilité d'opérer ces simples adaptations relève, en tout état de cause, de la loi de l'État.

En effet, c'est uniquement « si elles ont été habilitées par la loi » que les collectivités de l'article 73 peuvent décider ces adaptations dans les matières où s'exercent leurs compétences.

Ainsi, au nom du principe d'adaptation, un certain nombre d'aménagements devraient désormais être possibles chaque fois que le Parlement y aura autorisé les collectivités concernées. Tantôt il s'agira d'adaptations locales de normes nationales applicables dans les domaines de compétence de ces collectivités, tantôt il s'agira, dans un nombre limité de compétences législatives, de normes que les collectivités concernées pourront être autorisées, par la loi, à établir.

Voici pour ce qui est de la théorie !

Mais permettez-moi maintenant d'exprimer de fortes réserves sur la portée réelle des nouveaux pouvoirs d'adaptation. Dès la lecture de l'exposé des motifs du projet de loi organique, on devine que les rédacteurs de ce texte sont guidés par un esprit de méfiance et de défiance à l'égard des élus locaux de l'outre-mer.

Mon ami Claude Lise a parlé de recentralisation. Mais c'est bien pire ! Voilà le préfet de la République à qui l'on redonne le costume de gouverneur, costume que nous pensions rangé au musée !

En effet, le représentant de l'État - je cite le projet de loi - « pourra demander une nouvelle lecture » des délibérations prises en application des habilitations. L'exposé des motifs précise qu'il peut le faire « pour des motifs de légalité », ce qui est tout à fait normal. Mais, là où le bât blesse, et vous en conviendrez, c'est qu'il peut également le faire « pour des motifs d'opportunité ».

Vous avez bien lu, comme moi-même, que le préfet pourra demander aux élus régionaux et départementaux de revoir leur copie lorsqu'il la jugera insatisfaisante ! Cette demande pourra se fonder sur des motifs d'opportunité. Autrement dit, nous voici revenus à l'âge de pierre de la décentralisation ! La commission des lois ne s'y est d'ailleurs pas trompée, elle qui a déposé un amendement visant à supprimer cette nouvelle lecture.

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