Autre exemple édifiant de l'art d'avancer à reculons - je cite encore le texte : « Les délibérations des conseils généraux et régionaux demandant une habilitation deviennent caduques avec le terme du mandat de l'assemblée qui les a votées ».
Disons les choses simplement : il faut compter deux années pour que soit accordée une habilitation à une collectivité - délibération de l'assemblée, transmission au préfet, puis au Gouvernement, présentation au Parlement par le Gouvernement, vote du Parlement. Tout ce parcours du combattant sera donc à refaire au plus proche renouvellement de cette assemblée ! Cette disposition manifeste clairement le souhait du Gouvernement de faire de l'adaptation un droit quasiment impraticable, ou, au mieux, un droit praticable à « mi-temps » !
Les procédures prévues par le dispositif permettant ces habilitations sont alourdies, alors qu'on les attendait allégées. En effet, il m'était apparu que l'intention affichée du Gouvernement était d'aller vers une plus grande reconnaissance des spécificités des populations des départements et régions d'outre-mer.
En réalité, le Gouvernement refuse, de fait, un approfondissement de la décentralisation dans les DROM. S'il existe une matière éminemment politique, c'est bien la décentralisation : elle est purement affaire de volonté politique ! Or, le projet que nous examinons ne traduit en rien une telle volonté, ce qui nous fait craindre que l'article 1er du titre Ier du projet de loi organique ne s'applique jamais, réduisant ainsi l'article 73 de la Constitution au rang de faux-semblant.
Ainsi, doucement mais sûrement, le Gouvernement, à travers ce texte, revient sur les avancées de la décentralisation de 1982.
En 1982, l'Acte I de la décentralisation a constitué une véritable révolution dans le système administratif et politique de la France, car le rôle de l'État et ses relations avec les autres collectivités ont été véritablement redéfinis.
En 2003 et 2004, l'Acte II n'a manifesté guère plus que la volonté d'un État exsangue de transférer un certain nombre de charges vers les collectivités territoriales, telles que la gestion du RMI-RMA, ou encore le recrutement et la gestion des personnels techniciens et ouvriers de services des lycées et collèges, les fameux TOS.
En 2006, je crains que le Gouvernement ne tente d'expérimenter en outre-mer un Acte III des plus sombres. Ce ne serait alors qu'un contrat de dupes et, sous prétexte de contrôler les quelques libertés locales péniblement octroyées, l'État se transformerait en « super-gendarme ».
Ce texte constitue, s'il en était besoin, une nouvelle illustration de ce que le jacobinisme n'est pas mort, loin s'en faut ! De ce projet, monsieur le ministre, transpire la peur, toute française, d'une montée en puissance des régions au sein de l'ensemble européen. En effet, si les collectivités ultramarines tirent demain profit de leur faculté d'adaptation, comment l'État pourra-t-il sérieusement s'opposer après-demain à l'élargissement de cette faculté aux régions de l'Hexagone ?
Pour ne pas prendre ce risque, le Gouvernement nous propose aujourd'hui un dispositif que son caractère éminemment procédurier rend de fait inapplicable, ou pour le moins inefficace.
Chers collègues, les questions auxquelles renvoie ce débat ne concernent donc pas les seules collectivités d'outre-mer. Elles doivent intéresser et interpeller l'ensemble de la représentation nationale. Car nous débattons, non pas de l'ultrapériphéricité, mais de la périphéricité tout court ! Car nous débattons du modèle administratif français. Car nous débattons de l'incapacité de l'État à se réformer réellement. Car nous débattons du refus du pouvoir central, qu'il soit politique ou technocratique, de reconnaître que la France peut demeurer un grand État et une grande nation au sein de l'Europe tout en admettant que sa diversité, notamment sa diversité régionale, constitue une richesse, et en aucune façon une menace.
Voilà toutes les questions dont nous débattons !
Or l'absence de véritables mesures permettant la reconnaissance de l'identité de chacun des départements d'outre-mer dans les textes qui sont soumis à notre examen aujourd'hui prouve que ce gouvernement ne semble pas prêt à répondre à ces questions. Pourtant, nous sommes aujourd'hui liés par cette révision, qui risque finalement d'achever de convaincre nos populations que leurs besoins spécifiques ainsi que leurs aspirations ne peuvent être entendus et pris en compte.
Nous espérons donc, monsieur le ministre, qu'à l'occasion de ce débat vous allez nous donner des précisions et clarifier le dispositif proposé. Afin de parvenir à une rédaction qui rende le pouvoir d'adaptation opérationnel, nous espérons également que vous vous entendrez avec nous pour conclure que la décentralisation est affaire de partenariat entre l'État et les collectivités territoriales. Et aucun partenariat ne peut se construire dans la défiance !
Enfin, je ne saurais conclure sans évoquer le surprenant silence des rédacteurs des deux projets de loi en ce qui concerne la représentation au Parlement des îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Monsieur le ministre, à l'exception des terres australes, tous les territoires de la République sont représentés par au moins un député et un sénateur.
Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités. En effet, il ne peut pas prévoir la création de nouvelles collectivités sans que celles-ci soient dotées de représentants élus à l'échelon national.
En outre, je pense que les élections législatives dans ces nouveaux territoires doivent avoir lieu, dans un souci de cohérence et d'égalité démocratique, en même temps que celles qui se dérouleront l'année prochaine. Cela paraît aller de soi, mais il vaut toujours mieux le dire !