Intervention de Jean-Léonce Dupont

Réunion du 16 décembre 2005 à 15h00
Loi de programme pour la recherche — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Jean-Léonce DupontJean-Léonce Dupont :

À ma connaissance, la France est le seul pays à maintenir un système de « chercheur à vie ». Il faudra bien un jour avoir le courage de remettre cette situation en cause.

De même, le système d'évaluation français est trop complexe. Certes, la recherche est évaluée, mais il y a des dizaines de structures d'évaluation qui suivent des procédures différentes, peu transparentes et non conformes aux standards internationaux. Comme le soulignait un ancien président de l'Académie des sciences devant la commission spéciale, l'évaluation est mal faite, « en particulier, parce que les influences syndicales, géographiques et amicales prédominent ».

En outre, les conséquences des évaluations doivent être réelles, en termes tant de moyens que de projets ou de personnels. Accorder plus de moyens à des projets et des équipes qui le méritent doit devenir la norme, ce qui implique que l'on puisse décider de l'inverse aussi, le cas échéant.

Aujourd'hui, le véritable défi à relever est celui de l'attractivité des carrières des chercheurs et des enseignants-chercheurs dans notre pays. Il est urgent d'y répondre et de faire face à la faiblesse des rémunérations, à l'insuffisance de la mobilité et de la synergie entre la recherche, l'enseignement et l'industrie, à l'évolution des carrières, lente et limitée, à un système d'obligations de services d'enseignement trop rigide et à une récompense insuffisante des projets d'excellence. Le projet de loi prévoit quelques avancées en la matière. J'y reviendrai.

La troisième orientation est une flexibilité du financement, accompagnée d'une culture de la sélection, du résultat et de sa valorisation industrielle.

Une nouvelle fois, le cas de la Suède, qui, je le rappelle investissait 4, 3 % de son PIB dans la recherche et le développement en 2002, est à cet égard très intéressant. J'ai effectué en juin dernier une mission d'étude dans ce pays.

Une des caractéristiques de la politique suédoise de recherche est que les moyens publics consacrés comportent une partie fixe de crédits alloués aux établissements d'enseignement supérieur et, surtout, une part variable de financements alloués sur la base de projets présentés en concurrence aux agences gouvernementales, qui décident de la pertinence des projets et de ceux retenus. En outre, 80 % des fonds distribués par une université à ses propres équipes le sont sur la base de projets.

Un tel dispositif s'accompagne de partenariats très forts entre les universités et les entreprises, qui valorisent concrètement les travaux. Je précise que, chez nous, la mobilité des chercheurs publics vers les entreprises privées est très réduite : moins de 1 chercheur sur 200 passe chaque année d'une structure publique à une entreprise privée !

Le cas de la Suède n'est pas isolé. Des politiques plus ou moins similaires ont été décidées chez nos autres partenaires ou concurrents. On le sait, la conjonction « financement flexible et diversifié, sélection par projets et non par organismes et utilisation des travaux de recherche par l'entreprise » caractérise les pays qui ont investi dans la recherche et connaissent les meilleurs taux de croissance. Pourquoi pas nous ?

La quatrième orientation est un financement plus fort de la recherche par le secteur privé.

En effet, la recherche-développement des entreprises privées représente 63 % de la recherche-développement totale aux États-Unis et 74, 5 % au Japon. En 2003, en France, l'effort de recherche et développement du secteur privé se situait à un peu plus de la moitié des dépenses de recherche.

En la matière, le projet de loi avance un certain nombre de pistes.

Avant d'en venir aux dispositions du présent projet de loi, examinons la situation actuelle : où en est la recherche ?

Mes chers collègues, la recherche française est malade.

En effet, si la France bénéficie d'une réelle tradition d'excellence scientifique, comme en témoigne l'attribution cette année du prix Nobel de chimie à Yves Chauvin, force est de constater que notre recherche va mal. Depuis dix ou quinze ans, face à une concurrence internationale accrue, la France est moins compétitive, en nombre de publications dans les grandes revues scientifiques comme en nombre de dépôts de brevets. Par ailleurs, les jeunes se détournent des études scientifiques et les meilleurs éléments s'expatrient.

Pour couronner ce constat pessimiste, deux classements mondiaux ont fait parler d'eux ces derniers mois. Dans le classement de l'université de Shanghai, seuls quatre établissements français figurent parmi les cent premières universités mondiales, Paris-VI figurant au meilleur rang français, et en quarante-sixième position seulement ! Dans le rapport annuel de l'OCDE, la France n'est classée, en termes de recherche, que dix-neuvième sur vingt-six pays étudiés.

Certes, ces classements doivent être relativisés, monsieur le ministre délégué, car la manière dont les universités françaises sont présentées nous dessert, me semble-t-il. Notre positionnement international est un handicap, dont nous sommes seuls responsables. Ces classements traduisent toutefois une perception assez médiocre de la recherche de notre pays à l'échelon international. Pour quelles raisons ? Quelles sont les faiblesses du système de recherche français ?

Ces faiblesses résultent d'abord d'une histoire typiquement française : à chaque insuffisance du système, on a créé des institutions, qui, aujourd'hui, se superposent et se dispersent. Les universités devant relever le défi du nombre des élèves - accueillis sans aucune sélection -, elles ont laissé leur part dans la recherche se dégrader.

Ensuite, l'enracinement territorial de l'enseignement supérieur a conduit à un maillage fin du territoire. Mais ce maillage a une contrepartie : une dispersion du potentiel, qui handicape l'émergence de pôles d'excellence.

La diversification transparente des établissements n'est pas acceptée en France et il n'est pas dans notre culture d'accepter qu'il existe de très bons établissements et d'autres plus standard. Or, on ne peut pas avoir que des établissements de standing international.

Par ailleurs, les structures internes sont trop complexes, ce qui constitue une entrave à la décision. Réagir à une perturbation relève en effet de l'exploit !

Enfin, au nombre des faiblesses du système de recherche français il faut citer également la fragmentation et le cloisonnement entre les grandes écoles, les universités et les grands établissements tels que le CNRS, ainsi qu'une trop grande dépendance des universités à l'égard du pouvoir central.

Je ne reviendrai pas sur le mode d'évaluation, le statut des chercheurs, la question de l'autonomie et de la gouvernance des universités, sur les modes de financement et l'absence de culture du résultat. Je me suis déjà exprimé sur ces sujets, mais, à mes yeux, ils participent aux faiblesses de notre système de recherche.

Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis constitue donc une évolution, non une révolution, monsieur le ministre délégué.

C'est pour répondre à ces problèmes que vous nous proposez ce Pacte pour la recherche, qui matérialise à la fois un engagement en termes de moyens pour l'État, malgré - il faut le souligner - un contexte budgétaire difficile, mais également, en retour, celui de toute la communauté scientifique.

Le projet de loi prévoit une programmation des moyens d'ici à 2010, avec un certain flou pour la période comprise entre 2007 et 2010. Les amendements de la commission spéciale visent à pallier cette lacune. Ils tendent en effet à prévoir une évolution en euros courants des moyens financiers prévus. J'espère donc qu'ils seront adoptés.

J'insisterai maintenant sur trois avancées intéressantes du projet de loi.

En premier lieu, j'évoquerai l'émergence d'une logique de projets autour desquels les moyens pourront être regroupés. Je veux parler de la création des pôles de recherche et d'enseignement supérieur et des fondations de coopération scientifique tendant à renforcer la synergie entre les acteurs de la recherche et de l'enseignement supérieur.

Je forme le voeu que ces nouvelles structures, qui pourront se constituer sous des formes juridiques variées et associer à leurs projets des entreprises et des collectivités territoriales, donnent naissance à des projets d'envergure mondiale et à des partenariats renforcés entre les universités et les entreprises.

En deuxième lieu, le système d'évaluation devrait être amélioré grâce, d'une part, à la mise en place de l'Agence d'évaluation de la recherche, autorité indépendante chargée d'unifier les procédures d'évaluation, et grâce, d'autre part, à l'affirmation du principe selon lequel toute activité de recherche financée, en tout ou partie, sur fonds publics fera l'objet d'une évaluation systématique. La transparence du système devrait être assurée par la publication des procédures et du résultat de ces évaluations.

En troisième et dernier lieu, la valorisation des résultats de la recherche sera encouragée. À cet effet, des crédits d'impôts sur les sociétés seront accordés. Les établissements d'enseignement supérieur et de recherche auront la possibilité de créer des structures partenariales pour gérer leurs activités de valorisation de la recherche. De même, les conditions dans lesquelles les chercheurs peuvent créer ou participer à la création d'une entreprise de valorisation de leurs recherches seront assouplies.

J'espère que ces trois orientations - logique de projets, évaluation et valorisation des résultats - constitueront des moteurs pour notre recherche et seront, à l'avenir, les principes de base de l'ensemble de notre système.

Pour conclure, comme l'a dit Maurice Blin, il faut faire évoluer la culture française.

Au début de mon intervention, je vous ai fait part de ma vision de la recherche française et expliqué vers quoi, selon moi, cette recherche devait tendre : elle est en effet un défi majeur pour notre avenir et pour notre position sur la scène internationale.

La France connaît un déficit public record et devra faire face dans les années à venir à un « papy-boom », avec toutes les conséquences en termes de paiement des retraites et de dépenses de santé.

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