Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j'imagine que vous avez, comme moi, écouté avec intérêt la déposition en bonne et due forme que vient de faire notre collègue, non pas seulement contre l'objet de notre débat, mais contre les méthodes qui auraient été utilisées pour le conduire.
Étant donné la longueur relative du propos de notre collègue et du travail qu'il nous reste à accomplir ensemble, je me bornerai à vous faire part de trois observations.
Comment pouvez-vous dire, madame, que nous avons « bâclé » l'examen d'un sujet aussi important, aussi difficile et aussi essentiel pour notre avenir que celui dont nous traitons aujourd'hui ?
Vous évoquez les débats concernant l'avenir de la recherche française qui ont eu lieu en 2004, et auxquels nous avons été tout à fait attentifs. Nous avons retenu ces débats amples, largement repris par les médias, pour ce qu'ils valaient, c'est-à-dire une leçon, des suggestions qui méritaient d'être écoutées. Ces propositions ne sont pas restées lettre morte, nous en avons fait notre profit, et le Gouvernement a pratiqué la plus large écoute à l'égard de tout ce qui a pu se dire aux états généraux de Grenoble et depuis.
Vous n'ignorez sans doute pas qu'un forum Internet a été organisé par le Sénat, donnant lieu à près de 400 interventions, toutes intéressantes.
Soyez assurée, chère madame, que nous sommes animés par la conviction que l'on ne peut réformer la recherche sans les chercheurs, a fortiori contre les chercheurs. Cela n'aurait aucun sens !
Le problème est autre ; il est peut-être plus difficile. Il faut que nous parvenions à nous convaincre nous-mêmes et à convaincre la communauté de la recherche que nous entrons dans un siècle nouveau et que nous allons devoir pratiquer autrement l'art de la recherche, comme le font bon nombre de nos voisins qui ont, en ces matières, de meilleurs résultats que nous.
Le débat a donc été conduit comme il convenait, et non pas dans la clandestinité, dans l'à-peu-près ou dans la hâte. La rue s'est exprimée ; les chercheurs se sont exprimés ; la commission spéciale en a auditionné une cinquantaine. La démocratie part de la base pour aller vers le haut ; eh bien, au Sénat, elle s'exprime comme il convient et selon les meilleures règles !
Ma deuxième observation portera sur le fameux débat concernant la recherche fondamentale et la recherche appliquée ; nous n'avons pas fini d'en entendre parler au cours des semaines qui viennent. Je ne vous ferai pas un cours d'histoire, chère madame, cela me paraîtrait inutile et vain ; néanmoins, je voudrais vous rappeler un point.
En France, plus qu'ailleurs, l'écart s'est creusé entre la recherche dite fondamentale et la recherche appliquée. Il est vrai que la première, qui n'est pas sans mérite - et nous avons obtenu des résultats remarquables - n'a pas toujours porté les fruits qu'elle aurait pu espérer quand il s'est agi d'application. C'est l'une des faiblesses de la culture française, que je crois connaître un peu, et que l'on retrouve partout.
Nous sommes en effet de brillants manieurs d'idées, mais nous sommes quelquefois plus rebelles à la leçon des faits. Or la recherche appliquée est la fille légitime, ou naturelle, comme vous voudrez, de la recherche fondamentale : il est essentiel que celle-ci se porte bien pour que celle-là puisse prospérer.
Il n'a jamais été question pour nous d'opposer la recherche appliquée à la recherche fondamentale, et tous ceux qui, un jour ou l'autre, viendraient à le faire commettraient une erreur de culture extrêmement grave.
Vous parlez, et vous n'êtes pas la seule, hélas ! de recherche à finalité utilitaire. Je vous poserai une seule question : avec quel argent voulez-vous que soit financée la recherche fondamentale si ce n'est à travers le profit que génère la recherche appliquée ?
Les crédits ne tombent pas du ciel : ils doivent provenir de quelque part ! En d'autres termes, et c'est le propre de l'économie de certains pays voisins, c'est parce que la recherche finalisée naissant de la recherche fondamentale génère une économie, et donc des profits, qu'une importante recherche fondamentale peut être engagée.
Comment expliqueriez-vous qu'un pays considéré comme prisonnier du souci majeur de la recherche appliquée, et donc du profit, soit capable d'investir des sommes considérables dans la recherche fondamentale, ce qui leur vaut de grands succès ?
J'en viens à ma dernière observation. M. le président de la commission spéciale a conduit le débat dans la plus grande transparence. Nous avons eu toutes occasions d'écouter, de répondre, comme nous le faisons ce soir, et vous avez raison de nous interpeller. Aussi, ne nous dites pas que ce débat est bâclé, sans lendemain, usurpé et qu'il ne reflète pas l'opinion de la société française ! L'écho que vous en avez peut différer du nôtre, mais il est certain que la recherche est devenue, et doit rester, l'une des priorités fondamentales de la société française, et nous sommes ici pour la servir.
La démocratie, c'est aussi cela. Ce n'est pas seulement espérer devenir un porte-parole de qualité, c'est aussi mettre le meilleur de soi-même au service d'une société qui nous attend. C'est ce que nous essayons de faire, ce soir, au Sénat, et nous continuerons !
Pour toutes ces raisons, j'émets, bien sûr, un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.