Les conditions faites au Sénat pour la discussion de ce texte ne sont dignes ni d'un travail parlementaire sérieux, ni de l'enjeu fondamental que constitue pour notre pays la rénovation de notre système national de recherche et d'innovation.
Néanmoins, permettez-moi de rendre hommage au travail remarquable de notre président de commission, M. Valade, qui a utilisé au mieux le temps dont nous disposions pour organiser de nombreuses auditions, avant même que le Gouvernement ne dépose, au dernier moment, son projet de loi. Je remercie nos rapporteurs, MM. Revol et Blin, ainsi que tous leurs collaborateurs, tous conscients de l'enjeu de ce débat pour notre pays.
Une loi de programmation et d'orientation a été promise à la communauté des chercheurs par le Président de la République avant la fin de l'année 2004. Le Gouvernement n'a eu de cesse d'en reporter l'élaboration, parce qu'il a transformé la préparation de ce texte en une épreuve de force avec les chercheurs, alors même qu'il disposait des conclusions des états généraux de la recherche, qui permettaient une véritable concertation.
Finalement, un texte vient en discussion plus d'un an après la date prévue, à la veille de Noël, de surcroît de manière hachée par toute une série d'autres projets de loi. Et, comme si cela ne suffisait pas, le Gouvernement n'a absolument aucun scrupule à déclarer l'urgence la veille de son examen : c'est faire bien peu de cas du pouvoir législatif !
Non seulement votre projet de loi se limite à une « boîte à outils » minimaliste, mais vous renvoyez, à l'issue de la discussion parlementaire, nombre de dispositions à la prise de décrets.
Discussion hachée, en catimini, urgence déclarée, renvoi au pouvoir réglementaire : vous organisez l'entrave manifeste du Parlement. Ajoutons à cela l'irrecevabilité financière qui nous interdit toute création de dépenses supplémentaires pour l'État et donc toute proposition relative à l'emploi scientifique ; nous voilà donc pieds et poings liés.
Les sénateurs socialistes ont déjà demandé le report de cette discussion à la reprise des travaux parlementaires, au début du mois de janvier 2006 ; en vain. Maintenant, nous demandons le renvoi en commission pour sortir de ce carcan imposé par le Gouvernement, la simple discussion des articles ne nous permettant pas de combler les lacunes de ce texte.
Lorsque vous reprenez les idées des états généraux de la recherche, vous en détournez tellement l'esprit qu'il n'en reste plus, au mieux, que le nom. J'en veux pour preuve le Haut conseil de la science et de la technologie. Les chercheurs le voulaient capable d'autosaisine et à majorité composée de scientifiques et de représentants de la société civile. Telles ne sont pas les orientations du Gouvernement. Or nous n'avons aucune prise sur ce Haut conseil, qui constitue pourtant la pierre angulaire de votre réforme organisationnelle, puisqu'il sera créé par décret.
On peut en dire autant sur l'organisation et le fonctionnement de l'Agence d'évaluation de la recherche. Sur bien des aspects, le Gouvernement demande tout simplement aux parlementaires de lui accorder un blanc-seing.
Notre assemblée ne dispose pas non plus des éléments d'information indispensables à une appréciation éclairée de certains aspects du dispositif gouvernemental. Nous aimerions ainsi connaître le bilan du crédit d'impôt recherche, afin d'apprécier les effets de la réforme introduite par la loi de finances pour 2004, ainsi que celui de l'instauration du statut de jeune entreprise innovante, avant de nous prononcer sur la montée en puissance des incitations fiscales, tout en étant bien conscients que celle-ci est proprement irréalisable. Elle supposerait que les entreprises augmentent leur effort de recherche de 70 % !
Vous vous montrez très exigeants, messieurs les ministres, quant à l'évaluation de la recherche publique. Si nous partageons l'objectif du développement de l'évaluation, nous sommes en désaccord sur les modalités, et nous considérons qu'à tout le moins la même exigence doit s'appliquer à la recherche privée, à laquelle d'ailleurs vous ne demandez aucun compte.
Nous estimons que la commission spéciale n'a eu ni le temps ni les moyens de reconsidérer l'ensemble des travaux menés par le groupe de réflexion sur l'avenir de la recherche, afin de reprendre les propositions d'alors sous forme d'amendements.
Je pense notamment à celles qui ont été avancées pour valoriser la mobilité et favoriser le retour des chercheurs expatriés, développer le nombre des postes d'accueil d'enseignant-chercheur dans les EPST et les EPIC et, en sens inverse, les contrats d'interface permettant aux chercheurs d'enseigner. De même, pour alléger les procédures de recrutement, il convenait de prévoir des contrats de mission avec des conditions de rémunération et de travail réellement attractives.
Il est tout à fait dommageable que la majorité sénatoriale se voit limitée dans sa capacité d'initiative parlementaire. Mais peut-être était-ce là une condition habilement négociée par le Gouvernement au dépôt du projet de loi devant notre assemblée ? Nous refusons que le Sénat se saborde lui-même et estimons que la commission spéciale doit se remettre à l'ouvrage, d'autant que le Gouvernement nous prive d'une deuxième lecture.
Dans cette perspective, nous demandons le renvoi à la commission : pour que la commission spéciale travaille à l'adjonction d'un programme pluriannuel de gestion des emplois en coordination avec le Gouvernement de telle sorte que celui-ci accepte de lever l'irrecevabilité financière opposable à un tel dispositif d'initiative parlementaire ; pour rendre les carrières plus attractives ; pour faire évoluer de manière systématique l'allocation de recherche ; pour garantir un équilibre entre le financement récurrent de la recherche de base et le financement par projet, afin de ne pas affaiblir les structures existantes ; pour que soit intégrée la recherche duale afin de sortir du cloisonnement entre recherche civile et militaire ; pour que les rapporteurs mettent en accord leurs propositions d'amendements avec les critiques énoncées dans leur rapport à l'encontre du projet de loi, en particulier concernant la coordination des différentes structures, l'articulation avec la politique européenne et la diffusion de la culture scientifique et technologique.
La communauté scientifique a su transformer sa mobilisation, dans un contexte de crise sans précédent, en un grand débat national pour l'avenir de notre recherche, lequel a abouti à une analyse globale de l'état de la recherche publique en France et à un ensemble cohérent de propositions de réforme afin de poser les bases d'un nouveau pacte entre le monde de la recherche et la société française.
La discussion parlementaire aurait dû être le point d'orgue de ce dialogue entre science et société civile, alors que celle-ci est absente du présent dispositif législatif, tout comme ses attentes en matière de recherche. De surcroît, le Gouvernement tronque purement et simplement le débat parlementaire, montrant une fois de plus le peu de crédit qu'il accorde au pouvoir législatif : il faut dire que le coup de force est devenu un moyen habituel de gestion politique depuis 2002.
Nous en appelons une fois de plus à la raison du Gouvernement, afin que le Sénat puisse délibérer dans des conditions normales et dignes de son rôle de législateur.
Comme nous avons peu de chances d'être entendus, je tiens à préciser que le groupe socialiste du Sénat surveillera avec une vigilance toute particulière l'application de cette loi et emploiera tous les moyens à sa disposition pour que le Sénat exerce son légitime rôle de contrôle.
J'en appelle également à la vigilance de la communauté scientifique : elle doit rester un aiguillon à l'égard du Gouvernement et une force de proposition pour l'avenir. Elle peut compter sur la détermination du groupe socialiste, qui sera toujours à son écoute.