Intervention de Annie David

Réunion du 16 décembre 2005 à 22h00
Loi de programme pour la recherche — Articles additionnels avant l'article 2 ou après l'article 21

Photo de Annie DavidAnnie David :

L'objet de cet amendement est de permettre aux femmes de prendre toute leur place dans tous les domaines de la recherche.

Le silence de votre texte sur ce sujet suscite pour le moins certaines interrogations, pour ne pas dire qu'il est « assourdissant », monsieur le ministre. Vous tentez de vous rattraper en déposant un amendement de dernière minute.

On ne peut considérer ce manque comme un « oubli » puisque, dès octobre 2005, les associations « Femmes et mathématiques » et « Femmes et sciences » vous avaient saisi sur ce point. Elles vous avaient également alerté sur le fait qu'une seule femme, sur vingt et un membres, siégeait dans le nouveau conseil d'administration du CNRS, malgré la loi sur l'égalité professionnelle, que je vous demande donc de faire appliquer pleinement.

L'article 24 de cette loi dispose en effet que « Afin de concourir à une représentation équilibrée entre les femmes et les hommes, les membres des organismes consultatifs représentant l'administration sont choisis compte tenu d'une proportion de représentants appartenant à chacun des sexes fixée par décret en Conseil d'État. »

A l'évidence, le non-respect de cette loi est le résultat d'une orientation politique qui se désintéresse de l'enjeu, pourtant essentiel, de l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs de la fonction publique de la recherche, et à leurs organismes consultatifs !

Ainsi, selon la note de novembre 2005 de la direction de l'évaluation et de la prospective du ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, en 2003, à l'université, si 38 % des maîtres de conférence sont des femmes, cette proportion n'est que de 16 % s'agissant des professeurs d'université. De même, dans les établissements de recherche, on compte 38 % de chargées de recherche et seulement 22 % de directrices de recherche.

Cette discrimination est d'autant plus inacceptable que le vivier de femmes scientifiques compétentes et susceptibles d'assumer des responsabilités au plus haut niveau dans les instances de décision et d'évaluation de la recherche existe bel et bien. Ainsi, toujours selon la direction de l'évaluation et de la prospective, en France, le nombre de femmes dans la recherche a presque doublé depuis 1992.

Force est de constater que les femmes se heurtent à des obstacles qui nuisent à la reconnaissance de leur travail scientifique pour la seule raison qu'elles sont des femmes.

À cet égard, permettez-moi de vous rappeler ce qu'avait dit Joseph de Maistre, philosophe, écrivain et homme politique français du XIXe siècle, à sa fille Constance, très intéressée par les sciences : « La science est une chose très dangereuse pour les femmes. On ne connaît presque pas de femmes savantes qui n'aient été ou malheureuses ou ridicules par la science. Les femmes qui veulent faire les hommes ne sont que des singes : or, c'est vouloir faire l'homme que de vouloir être savante. »

Si cette réflexion peut nous faire sourire aujourd'hui, elle permet néanmoins de bien illustrer l'ampleur des résistances auxquelles les femmes ont dû et doivent toujours faire face pour tenter de prendre leur place dans le domaine des sciences.

La question de la conciliation des responsabilités professionnelles et familiales est également centrale, de même que celle de la mobilité du conjoint en cas de séjour à l'étranger d'une scientifique.

Même si la situation tend à changer, on ne peut ignorer le fait que les femmes assurent toujours une plus grande part des responsabilités familiales. Cela reste vrai que l'on soit chercheuse, ingénieure ou ouvrière. Dans le meilleur des cas, les conjoints sont d'excellents « collaborateurs », mais c'est aux femmes que revient la responsabilité de l'organisation familiale.

C'est cette conception archaïque et persistante des rôles respectifs des femmes et des hommes que nous devons combattre.

Monsieur le ministre, votre texte aurait dû être l'occasion de s'attaquer à ce problème de société. Mais, comme je l'ai dit, vous devez recourir à un amendement pour réparer cet oubli, alors que les grandes instances internationales, telles que l'UNESCO ou l'Union européenne, tentent de mobiliser les pays membres pour qu'ils oeuvrent en vue de promouvoir un accès plus équitable des femmes à la science !

À cet égard, le groupe d'experts du réseau européen d'évaluation de la technologie, l'ETAN, a formulé, dans un rapport de 2001, des recommandations pour faciliter l'intégration des femmes dans le secteur scientifique : promotion auprès des filles et des jeunes femmes des carrières scientifiques ; examen des pratiques d'embauche selon le sexe dans les universités et les centres de recherche.

Il suggérait également qu'un objectif de 40 % de représentation minimale des femmes dans les instances de l'Union européenne soit fixé pour 2005.

Monsieur le ministre, vous le voyez, ce ne sont pas les propositions qui manquent ni la mobilisation des intéressées. Ce qui manque, en tout cas pour la France, c'est une volonté politique forte.

La ségrégation et la stigmatisation n'ont plus leur place dans notre société, qui se dit « moderne », et qui doit compter sur toutes ses composantes pour évoluer ! Selon l'ETAN, la sous-représentation des femmes est « injuste, constitue un gaspillage de compétences et, surtout, entrave la recherche de l'excellence scientifique ».

Nous ne pouvons qu'être en accord avec ce constat. C'est pourquoi je vous demande d'adopter cet amendement.

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