Intervention de Marie-Luce Penchard

Réunion du 31 mai 2011 à 14h30
Fonctionnement des institutions de la polynésie française — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Marie-Luce Penchard, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargée de l'outre-mer :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, grâce aux réformes statutaires qui se sont succédé depuis le début des années quatre-vingt, la Polynésie française a acquis une autonomie sans équivalence au sein de la République. C’était la réponse à une profonde aspiration des élus et de la population polynésienne, pour mener à bien un processus d’émancipation progressif vis-à-vis de la métropole et surtout assurer le développement économique, social et culturel du fenua.

Force est de constater que cet objectif n’est pas atteint. La collectivité polynésienne n’a cessé d’affronter depuis 2004 des crises politiques qui ont empêché d’ancrer toute action publique dans la durée. Onze gouvernements se sont succédé en l’espace de quelques années, sans que jamais l’un d’entre eux parvienne à disposer d’une continuité suffisante à l’exercice de ses responsabilités. Ni la loi organique du 27 février 2004 ni la réforme du 7 décembre 2007 n’ont permis de mettre un terme à l’instabilité politique locale.

De très nombreux Polynésiens et Polynésiennes pensent que cette situation ne peut plus durer.

Cette instabilité chronique mine la Polynésie française, la ronge et finit par distendre les liens du « vouloir vivre ensemble » qui sont au cœur de son projet de société et de sa tradition ancestrale.

Le Président de la République a donc souhaité la réforme institutionnelle que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd'hui, au nom du Gouvernement, afin de tenter de rétablir la stabilité politique et de redonner du sens, de la cohérence et de la durée à l’action politique.

Avec un tel objectif, vous comprendrez que l’état d’esprit qui m’a animée tout au long de l’élaboration de ce projet de loi organique a toujours été positif. Je sais que ce territoire, et surtout ses habitants ont en eux une véritable capacité à aller de l’avant. Je suis persuadée qu’un sursaut collectif est possible, à condition de rétablir la confiance dans les institutions.

Mesdames, messieurs les sénateurs, autant le dire d’emblée, il n’y a pas de solution miracle, de formule magique capable, par l’alchimie de nouvelles dispositions électorales et institutionnelles, de ramener la sérénité et de pacifier dans l’instant le champ politique polynésien.

Chacun le sait, permettre de dégager une majorité dans les urnes ne sert à rien si celle-ci se délite au gré d’alliances opportunistes, qui servent des intérêts personnels et contredisent le vote des Polynésiens.

Sur ce point, j’ai bien conscience que, en 2004 comme en 2007, mes prédécesseurs poursuivaient le même but et que les aléas et les renversements d’alliances ont eu raison de leurs bonnes intentions.

Nous avons une obligation de résultat pour rétablir la stabilité politique.

Garant des institutions polynésiennes, l’État se doit d’agir en dehors de toute querelle partisane. C’est pour cette raison que je me suis imposé un strict devoir de neutralité pendant les mois qui ont conduit à l’élaboration du projet de loi organique du Gouvernement. Ce projet est, il faut le souligner, le fruit d’une large concertation avec les élus polynésiens.

Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de vous présenter le contenu de ce projet de loi, permettez-moi de souligner les principes qui ont guidé ma démarche.

Le premier est le respect de l’autonomie de la Polynésie française. Il n’est pas question ici de remettre en cause le statut particulier qui est garanti par l’article 74 de la Constitution, mais l’autonomie ne peut servir de prétexte pour refuser l’intervention de l’État quand il s’agit de mettre un terme aux dérives !

Ce n’est un secret pour personne : la situation économique de la Polynésie française est mauvaise. Le produit intérieur brut a reculé, le tourisme a lui aussi régressé et la commande publique ne parvient plus à soutenir la croissance du territoire. En affectant la confiance des investisseurs, l’instabilité politique récurrente en Polynésie apparaît comme un facteur supplémentaire de dégradation de l’économie des archipels.

Dans ces conditions, comment ne pas comprendre les doléances de la société civile polynésienne, qui appelle de ses vœux un véritable effort de remise en ordre budgétaire ? La prise de conscience que la collectivité de Polynésie française et ses satellites ne peuvent continuer à vivre au-dessus de leurs moyens est en train de progresser dans les esprits, et je m’en félicite.

Cette prise de conscience progresse aussi, il faut le reconnaître, dans l’esprit de certains responsables politiques. Ainsi, c’est en accord avec deux gouvernements successifs qu’a pu se dérouler sur place, tout au long de l’année 2010, une mission lourde. Conduite par trois corps d’inspection, son rôle a été de diagnostiquer les causes de la crise et surtout de formuler des préconisations afin de limiter l’hémorragie des finances publiques.

Plusieurs de ces préconisations sont reprises dans le projet de loi du Gouvernement et ont une forte charge symbolique. Je pense notamment à la limitation à sept du nombre des ministres, hors président et vice-président. Je pense au nombre de collaborateurs de cabinet, qui est lui aussi contingenté. Je pense, enfin, à la réduction du nombre de membres du Conseil économique, social et culturel.

Or la commission des lois du Sénat a systématiquement rehaussé ces plafonds pour, indique-t-elle, offrir davantage de souplesse aux élus polynésiens.

Je dois pourtant vous préciser qu’aucune de nos propositions ne relevait du hasard. Je le répète, elles trouvaient directement leur source dans les conclusions du rapport Bolliet, puisque c’est de lui qu’il s’agit.

Par ailleurs, en ma qualité d’autorité de tutelle, j’ai obtenu que l’Agence française de développement, l’AFD, octroie à la collectivité un prêt de 42 millions d’euros, lequel sera débloqué en deux fois.

À cet égard, j’attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que le versement de la seconde tranche de ce prêt est conditionné au respect d’un plan de redressement des finances locales particulièrement strict, dont le projet de loi que nous examinons ensemble doit faciliter la concrétisation, et non la contrarier en envoyant des signaux contradictoires.

J’en viens maintenant au deuxième principe qui a guidé mon action : le respect du vote des Polynésiens, et donc de l’expression démocratique.

Il n’est pas normal que, dans les heures qui suivent un scrutin, les adversaires d’hier deviennent des alliés de circonstance en détournant le résultat des urnes au profit non de l’intérêt général, mais d’ambitions personnelles. Les nombreux contacts que j’ai eus avec les élus polynésiens m’ont permis de mesurer la véritable prise de conscience sur la nécessité de mettre un terme à ces pratiques. Elle explique que les objectifs poursuivis par le projet de loi recueillent un large consensus.

Le dernier principe que j’ai veillé à observer tient en un mot : la concertation. Le scénario n’était pas écrit à l’avance et j’ai écouté toutes les propositions constructives, quelle que soit leur provenance.

En mai 2010, j’ai confié au conseiller d’État Barthélemy une mission, dont les conclusions ont servi de base à la réflexion commune. En septembre 2010, j’ai provoqué des rencontres à Paris avec les représentants des principales formations politiques polynésiennes. Enfin, je me suis déplacée en Polynésie au mois d’octobre dernier pour entendre et recevoir les personnalités de la société civile et, de nouveau, les responsables politiques.

Bref, le projet du Gouvernement a été débattu dans la durée, avec tous les acteurs locaux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, venons-en maintenant au texte qui vous est aujourd'hui soumis.

C’est une exigence de stabilité politique, vous l’avez compris, qui est la ligne conductrice de ce projet de réforme. Or il me semble qu’assurer la stabilité des institutions passe de nouveau par un ajustement du régime électoral.

De ma phase de concertation, j’ai retenu deux enseignements.

En premier lieu, le nombre de circonscriptions, actuellement fixé à six, doit être revu en tenant compte du poids démographique très différent des archipels polynésiens.

Le projet du Gouvernement maintient les quatre circonscriptions actuelles des archipels éloignés, appelées à élire douze des cinquante-sept représentants à l’assemblée, mais procède à la fusion des circonscriptions actuelles des îles du Vent et des îles Sous-le-Vent. Concentrant 87 % de la population, cette nouvelle circonscription, dite des « îles de la Société » élit quarante-cinq représentants à l’assemblée. Elle est divisée en quatre sections électorales : trois pour les îles du Vent et une pour les îles Sous-le-Vent.

La commission des lois du Sénat a substitué au projet du Gouvernement un système que je pense pouvoir résumer ainsi : la Polynésie devient une circonscription unique, divisée en huit sections, dont le contour géographique et le nombre d’élus sont, en réalité, identiques à ma proposition.

Seule nous différencie aujourd’hui la qualification des quatre archipels éloignés qui, dans le projet du Gouvernement, constituent des circonscriptions tandis qu’ils correspondent à des sections dans le texte de la commission des lois.

Comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 12 février 2004, l’étendue de la Polynésie française, territoire vaste comme l’Europe, commande d’assurer une représentation correcte des archipels éloignés. En maintenant les quatre circonscriptions actuelles qui recouvrent ces archipels, le projet du Gouvernement permet de s’assurer que les candidats sont bien issus de ces territoires puisqu’ils sont inscrits sur les listes présentées localement.

En ne maintenant plus qu’une seule circonscription et en transformant les quatre circonscriptions des archipels en simples sections électorales, la commission des lois ne garantit plus la représentativité de la diversité géographique polynésienne et de ses populations.

Consciente de cet écueil, la commission des lois a introduit une condition de résidence afin de s’assurer que les candidats qui se présentent dans une section y résident.

Je ne peux me rallier à cette proposition pour deux raisons. D’une part, elle fragilise la loi en portant atteinte au principe de liberté de candidature ; d’autre part, elle va à l’encontre du pluralisme que le Gouvernement a entendu préserver puisqu’elle ne permet plus à des partis qui n’ont pas d’assise au niveau de l’ensemble de la Polynésie de présenter des candidats localement.

C’est pourquoi je considère que le projet du Gouvernement, élaboré en concertation avec les élus polynésiens, tant locaux que nationaux, toutes tendances confondues, concilie mieux que le texte de la commission objectif de stabilité, d’une part, et représentation adaptée des archipels, d’autre part. Plus équilibré, le texte du Gouvernement est aussi juridiquement plus fiable.

J’ai retenu un second enseignement de la phase de concertation que j’ai menée.

Il n’est pas nécessaire de revenir sur le mode de scrutin proportionnel à la plus forte moyenne à deux tours, utile pour donner une image de la diversité des opinions et les représenter.

En revanche, j’ai acquis la conviction qu’il convient d’instaurer une prime forte attribuée à la liste qui obtient la majorité pour limiter l’effet d’éparpillement de la représentation proportionnelle.

Sur ce point, la commission des lois partage mon analyse puisqu’elle maintient cette prime à un tiers des sièges et qu’elle les répartit à l’avance au sein des sections.

Je veux juste souligner que le principe de la circonscription unique qu’a retenu votre commission peut entraîner là encore une conséquence qui me paraît contestable. En effet, en préaffectant dans chaque section des archipels éloignés un siège sur trois à la liste arrivée en tête sur l’ensemble de la Polynésie, il existe un risque que l’élu qui bénéficie de cette prime n’ait recueilli aucune voix localement. Je ne pense pas concevable dans une démocratie que sur les trois représentants d’un archipel à l’assemblée de Polynésie, l’un d’entre eux ne représente aucune sensibilité politique locale.

Je voudrais maintenant évoquer les dispositions du projet de loi organique qui visent à améliorer le fonctionnement des institutions.

La Polynésie française mérite mieux que les blocages et les dérives actuels. Les mesures que propose le Gouvernement doivent permettre à la majorité issue des urnes d’inscrire son action dans la durée.

Ma priorité, vous l’avez compris, est de veiller au respect du verdict des urnes en mettant un terme aux comportements opportunistes.

Pour cela, j’ai proposé trois mesures principales.

Tout d’abord, limiter à deux mandats consécutifs la durée totale du mandat du président de la Polynésie française. Cette disposition peut aider au renouvellement de la classe politique polynésienne.

Ensuite, je propose de mettre fin à la possibilité de renouveler de façon anticipée ou annuelle le bureau de l’assemblée de la Polynésie française, qui a connu dix présidents en six ans, sauf en cas de démission de son président. Désormais, ce sera la démission du président qui entraînera celle du bureau et non l’inverse.

Enfin, j’entends rendre beaucoup plus efficace le dépôt et surtout le vote d’une motion de défiance.

La commission des lois semble partager cette analyse puisqu’elle limite le recours à cette procédure de deux manières. D’une part, chaque membre de l’assemblée ne pourra plus désormais déposer plus d’une motion par an. D’autre part, elle rehausse, comme je l’avais proposé, le seuil de recevabilité de la motion en le faisant passer du quart au tiers des membres de l’assemblée.

Je ne comprends pas, en revanche, que la commission des lois ne soit pas allée plus loin en retenant, comme le prévoit le projet du Gouvernement, que l’adoption de la motion soit acquise non plus à la majorité absolue des membres de l’assemblée, mais à une majorité qualifiée des trois cinquièmes. C’est parfaitement conforme à l’objet même du texte.

Lorsque l’on est conscient des conséquences lourdes des renversements incessants de majorité provoqués par cette motion de défiance, que ce soit pour la mise en œuvre des politiques publiques en Polynésie française, le lien de confiance entre les Polynésiens et leurs élus ou l’image de la Polynésie à l’extérieur, il n’est pas possible de dissocier le renforcement de la stabilité politique d’une réforme de la motion de défiance.

Je comprends d’autant moins la position de la commission sur ce point qu’elle a accepté ce seuil des trois cinquièmes pour l’adoption de la motion de défiance dans le domaine budgétaire.

J’ai donc déposé un amendement qui propose de relever le seuil de recevabilité de la motion pour garder à la réforme sa parfaite cohérence.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce qui va être au cœur de nos échanges aujourd’hui n’est ni plus ni moins que l’avenir d’un territoire de la République qui souhaite retrouver ses repères.

Alors je vous le demande : ne cédons pas à la facilité ! Choisissons ensemble les évolutions institutionnelles qui, au-delà des femmes et des hommes d’aujourd’hui, ouvrent des perspectives pour les Polynésiens de demain !

Pour cela, faisons ensemble le choix du courage et de la lucidité en tirant les leçons des dysfonctionnements récents !

Grâce à la contribution des uns et des autres et à celle de votre commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite fixer pour les années qui viennent une architecture institutionnelle qui permette à la démocratie locale de bien fonctionner et qui ramène la stabilité politique indispensable au renouveau du développement économique et social.

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