Intervention de Denis Detcheverry

Réunion du 31 mai 2011 à 14h30
Fonctionnement des institutions de la polynésie française — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Denis DetcheverryDenis Detcheverry :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, hier, ce fut la départementalisation de Mayotte et l’évolution statutaire de la Guyane et de la Martinique ; dans quelques semaines, ce seront les institutions néo-calédoniennes et dans un futur plus lointain celles de la Guadeloupe ; aujourd’hui, c’est le fonctionnement des institutions de la Polynésie française : le Sénat est ainsi amené une nouvelle fois à se pencher sur la question cruciale de la gouvernance politique d’une collectivité ultramarine.

La multiplication de ces débats institutionnels peut être appréciée sous deux angles différents. Le premier consiste à proclamer le dynamisme démocratique en vigueur dans ces différents territoires au nom de la nécessaire adaptation des institutions aux spécificités locales. Le second, auquel je me rallie, voit plutôt dans ces débats incessants la démonstration que la France ne parvient toujours pas à mettre en place un réel modèle de développement pour les outre-mers, les errements des modes de gouvernance n’étant que la face la plus visible des difficultés qui frappent sans distinction les départements d’outre-mer et les collectivités d’outre-mer.

Le projet de loi organique qui nous est aujourd’hui soumis illustre particulièrement ce propos. Depuis l’instauration de la Polynésie en territoire d'outre-mer en 1946, l’évolution institutionnelle de ce territoire s’est caractérisée, au travers des lois de 1977, de 1984 et de 1996, par un transfert progressif de l’exercice des principales compétences aux assemblées élues par la population. La loi organique du 27 février 2004 portant statut d’autonomie de la Polynésie française, taillée sur mesure, on le sait, a marqué une profonde rupture institutionnelle destinée à apporter à la Polynésie française l’autonomie à même de la mettre sur le chemin du développement.

Cependant, comme M. le rapporteur l’a rappelé, ce nouveau statut n’a pas permis de mettre en place la stabilité escomptée. Malgré la réforme de la loi électorale opérée par la loi organique du 7 décembre 2007, les crises de gouvernement ont prospéré et se sont succédé au gré des retournements d’alliances électorales, entraînant la formation de onze gouvernements en sept ans. Le présent texte entend remédier à ces dysfonctionnements chroniques en empruntant deux voies : la réforme du mode de scrutin et la rationalisation du fonctionnement des institutions.

S’agissant de la réforme du mode de scrutin, je ne suis pas sûr que la redéfinition des circonscriptions électorales ainsi que le relèvement du seuil d’accès au second tour et de la prime majoritaire suffisent, en eux-mêmes, à garantir un meilleur fonctionnement de l’assemblée de la Polynésie française. Pour tout dire, même si je conviens de l’immensité du territoire polynésien, de l’hétérogénéité de ses îles et du fait que le scrutin proportionnel permet l’expression du pluralisme, je pense que ces mesures introduiront surtout un nouveau facteur de complexité qui alourdira un processus électoral déjà particulièrement pesant dans une collectivité de 2, 5 millions de kilomètres carrés.

En vue de la rationalisation du fonctionnement des institutions, le projet de loi organique entend mettre fin, à juste titre, à des pratiques peu compatibles avec la transparence que requiert l’exercice d’un mandat. Je pense au cumul dans le temps des fonctions ou au recrutement de cabinets pléthoriques qui fait naître le soupçon du népotisme. La rationalisation de la motion de défiance constructive et de la motion de renvoi budgétaire devrait également favoriser l’apaisement des relations entre l’assemblée et le gouvernement de la Polynésie française.

Néanmoins, je demeure perplexe quant à la pertinence de l’ensemble de ces modifications au regard de la finalité des institutions et du développement économique et social.

Comme de nombreuses collectivités ultramarines, pour ne pas dire comme toutes les collectivités ultramarines, la Polynésie française est confrontée à de graves problèmes qui affectent non seulement son économie, mais aussi sa cohésion sociale.

Entre 2008 et 2009, le PIB a reculé de 3 %, l’emploi a chuté de 7 %, la dette a bondi de 13 milliards de francs Pacifique et représente 76 % des recettes de fonctionnement du « pays ». L’agence Standard & Poor’s a abaissé sa note financière de BBB+ à BBB–. La Polynésie française n’a pu emprunter que 12, 8 milliards de francs Pacifique sur les 19, 5 milliards nécessaires au budget en 2010 : un scénario à la grecque, en somme, malgré les transferts financiers de l’État.

Comme le relevait en 2010 la mission conjointe de l’inspection générale des finances, de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale de l’administration, il est aujourd’hui urgent de casser la spirale négative des finances publiques, de réduire le périmètre et le coût des structures publiques et de redresser les comptes sociaux. On le voit bien, la priorité n’est donc absolument pas la mise en place d’une réforme institutionnelle, si nécessaire soit-elle.

La profonde crise qui frappe la Polynésie française nécessite des réponses rapides et efficaces auxquelles le délitement du débat institutionnel n’apporte, assurément, que des solutions indirectes. La question du mode de gouvernance n’est, en réalité, qu’un outil dont la seule finalité doit être la mise en place de conditions propices à un véritable développement endogène. J’en parle aujourd’hui d’autant plus volontiers que, en tant que représentant de Saint-Pierre-et-Miquelon, je porte naturellement un regard particulier sur les effets que le mode de gouvernance a sur le développement d’une collectivité ultramarine située à des milliers de kilomètres de la métropole. Pour un territoire de 6 000 habitants, mon archipel a la particularité de voir se superposer deux niveaux de collectivité, en sus des relations que chacun de ces niveaux doit entretenir avec le représentant de l’État.

Cette organisation assez lourde pour un si petit territoire ne nous permet cependant pas d’utiliser toutes les possibilités d’autonomie prévues à l’article 74 de la Constitution. Je songe, en particulier, à la coopération régionale avec nos voisins canadiens. En effet, les accords de coopération régionale signés avec eux en 1994 n’ont toujours rien apporté en matière économique, notamment en raison des lourdeurs administratives. Or le potentiel de dynamisme et d’échanges commerciaux apporterait une bouffée d’oxygène à Saint-Pierre-et-Miquelon et à l’État.

On constate donc bien que l’organisation institutionnelle ne saurait être une finalité si elle ne s’accompagne pas d’une vision de long terme adaptée à la collectivité.

Madame la ministre, les collectivités ultramarines des trois océans pâtissent aujourd’hui de graves retards. Ne cédons pas à l’illusion totale de la gouvernance ! Ce qu’elles veulent véritablement, ce sont les moyens de sortir d’un assistanat sclérosant pour pouvoir tenir demain toute leur place au sein de la République.

Malgré les incertitudes que je viens d’évoquer, le groupe RDSE dans son ensemble votera ce projet de loi.

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