Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi relatif au fonctionnement des institutions de la Polynésie française comme aux prérogatives de son gouvernement et de son assemblée et aux modalités de gestion des affaires locales ne peut nous faire oublier que les plus récents textes de loi trouvant application sur ces archipels, à la fois proches et lointains, ont manifestement échoué à répondre aux enjeux du développement des sociétés locales et aux attentes des populations.
On peut même se demander si les mesures préconisées dans ce projet de loi suffiront à placer le fenua sur la voie du progrès économique et social, un progrès s’appuyant sur les potentiels et les capacités de la population locale, sur l’environnement et sur les ressources disponibles, et fondé sur l’activation de valeurs démocratiques essentielles.
Le projet de loi, portant à la fois sur les conditions d’élection de l’assemblée de la Polynésie française et sur la manière dont les affaires locales peuvent être gérées par modification de la loi organique, pourrait ne pas suffire à atteindre ces objectifs généraux.
En ce qui concerne les conditions d’élection de l’assemblée de la Polynésie française, nous avons à peu près tout connu.
Dans la loi de 1952, premier texte sur l’organisation des pouvoirs publics, l’assemblée de la Polynésie française, à l’époque assemblée territoriale des Établissements français d’Océanie, comptait vingt-cinq membres répartis en dix-neuf circonscriptions, dont douze membres pour six circonscriptions pour les îles du Vent, cinq élus dans autant de circonscriptions pour les îles Sous-le-Vent, deux pour les Marquises, les Australes, les Tuamotu et Gambier.
Dans le texte de 2004, si le nombre des élus était passé à cinquante-sept, le législateur, à la demande notamment de notre collègue Gaston Flosse, avait institué cinq circonscriptions avec une prime majoritaire égale au tiers des élus dans chaque circonscription, tiers évidemment arrondi à l’entier supérieur au besoin. Mais voilà, le résultat du premier scrutin fut plutôt inattendu...
En effet, la plus importante des circonscriptions, celle des îles du Vent, avait voté en faveur de l’UPLD – l’Union pour la démocratie – d’Oscar Temaru, qui s’était retrouvé avec une majorité réelle, quoique faible, au sein de l’assemblée...
La réforme de 2007 a retiré la prime majoritaire aux listes arrivées en tête et a conduit à la désignation d’une assemblée contrôlée a priori par les partis proches de l’UMP, mais la suite a largement prouvé que les choses n’étaient pas aussi simples.
Il serait sans doute trop long d’épiloguer sur les mouvements les plus divers, d’alliances, de séparations et de mésalliances parfois, qui ont rythmé la vie politique locale depuis 2004. Toujours est-il que l’un, qui avait les faveurs du temps, a fini par les perdre, et que d’autres, censés prendre sa place, n’ont pas réussi à rassembler leur camp.
Au fil de péripéties diverses, Oscar Temaru est aujourd’hui président de la Polynésie française et Jacqui Drollet président de l’assemblée de la Polynésie française. Le leader du Tavini et son allié historique du Mana occupent les deux fonctions essentielles de la vie politique locale : voilà où nous en sommes.
L’instabilité politique n’est cependant, selon nous, qu’un élément du dossier et traduit plutôt, à notre sens, la prégnance de bien des questions dépassant les seuls problèmes de stratégie politique et de combinaisons électorales des uns et des autres. Que le projet de loi que nous examinons aujourd'hui ait pour ambition de répondre à ces difficultés est, évidemment, une bonne chose. Mais encore faut-il tenir compte de ce que disent les élus locaux et tirer les leçons d’expériences pour le moins difficiles. De ce point de vue, le texte de la commission des lois, qui prévoit que la Polynésie française ne constitue qu’une seule et même circonscription électorale, divisée en sections électorales représentatives de tout ou partie des archipels, nous semble autrement plus pertinent que le projet de loi initial, qui prévoyait un maintien du découpage actuel et, accessoirement, le retour de la prime majoritaire dans des proportions importantes.
Le résultat auquel est parvenue la commission des lois peut constituer une meilleure base de débat. Il nous semble toutefois perfectible et les amendements déposés sur l’article 1er montrent que c’est effectivement le cas.
Nous pouvons d’ailleurs noter que, comme nous l’avons vu récemment pour le texte relatif à la Guyane et à la Martinique, le Gouvernement maintient l’option d’un mode de scrutin proportionnel avec prime – fortement inspirée du mode de scrutin des élections régionales en métropole – pour ce qui concerne l’élection de l’assemblée unique du territoire.
On peut s’en féliciter, chercher à améliorer le dispositif – nous sommes pour notre part partisans d’une proportionnelle intégrale –, mais on peut aussi constater qu’en métropole, en lieu et place d’un mode de scrutin proportionnel, les électeurs et électrices pourraient être amenés à voter en 2014 pour des conseillers territoriaux à double casquette – conseiller régional et général – élus au scrutin majoritaire à deux tours...
Pourquoi ce qui serait bon et juste pour l’outre-mer n’aurait pas vocation à trouver application en métropole ? Cela étant, on peut quand même se demander quel est le bien-fondé du sectionnement électoral si ce n’est à tout le moins de faciliter l’ancrage des élus – le texte de la commission prévoit que chaque parti devra présenter des candidats domiciliés dans la section – et s’il y a forcément lieu de multiplier les sections.
L’examen des articles devrait nous permettre d’aller plus loin sur l’ensemble de ces questions, qui ne sont, de toute manière, pas encore tranchées et qui s’accommodent d’ailleurs assez mal de la procédure accélérée voulue par le Gouvernement.
Comme nous ne voulons pas croire que cette procédure va de pair avec l’octroi d’un prêt de 41, 9 millions d’euros par l’Agence française de développement au gouvernement de Polynésie et l’affirmation par le ministère d’une exigence de « rationalisation » des dépenses des institutions polynésiennes, je dirai quelques mots des autres dispositions du texte.
Non content de rétablir la prime majoritaire, outil de la stabilité de son point de vue – peut-être faudrait-il aller jusqu’au bout et découper les archipels en cantons ? –, le Gouvernement a proposé de limiter de fait les pouvoirs de contrôle de l’assemblée territoriale sur le président et le gouvernement de Polynésie Française.
Les choix opérés dans le texte initial ne risquaient-ils pas de créer les conditions de la prolongation d’un gouvernement désavoué, sans qu’il soit possible de définir une alternative claire et nette à celui-ci ? Mettre en minorité un gouvernement était possible, mais comme proposer une politique alternative demandait une majorité plus importante, on ne pouvait laisser les Polynésiens face au choix entre rien et le chaos, ce qui aurait pu amener de fait une instabilité encore plus grande, résolue dans les faits par la seule intervention de l’État, c’est-à-dire du haut-commissaire.
En effet, les enjeux polynésiens sont tels – chômage plus élevé qu’en métropole, situation préoccupante des activités économiques et de la jeunesse, problèmes de logement, enjeux de l’éducation et de la formation – que les choix budgétaires à venir s’annoncent délicats et qu’il conviendra sans doute de créer les conditions d’une large mobilisation des forces vives de la société pour qu’ils trouvent une traduction à la hauteur des attentes.
Le développement économique et social harmonieux du fenua passe par le dialogue, la confrontation démocratique et équilibrée des idées ; nous devons faire en sorte que ce texte y contribue. La discussion qui commence montre qu’il y a encore à faire. C’est évidemment en fonction de ce que sera le texte de la « petite loi » que nous nous déterminerons.