Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quinze mois, j’ai déposé sur le bureau de notre Haute Assemblée une proposition de résolution instituant une journée nationale de la laïcité et de la cohésion républicaine le 9 décembre, date anniversaire de l’adoption de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État.
Si cette proposition a été déposée dans un contexte particulier, sa justification n’était malheureusement pas conjoncturelle. Notre société souffre de l’effritement et de la remise en cause progressive de ses valeurs, du cloisonnement plus concret chaque jour entre les communautés ethniques, religieuses, mais également entre les différents niveaux sociaux.
Égalité des chances, ascenseur social sont des notions en perte de sens. La laïcité est au premier rang des acquis de la Révolution française. C’est l’un des rouages qui permettent l’égalité de chacun face à ses droits et à ses devoirs, un rouage essentiel à la définition d’un espace du « vivre ensemble » où les différences sont symboliquement abolies.
Née de violents conflits anticléricaux, la laïcité, comme la République, toutes deux baignées du sang révolutionnaire, sont aujourd'hui devenues les gardiennes sages et vigilantes des droits et des devoirs fondamentaux de tous et de chacun.
Le principe de l’égalité des droits de l’homme et de ceux de la femme est la problématique majeure, le débat fondamental, qui a ramené la laïcité au cœur de la scène publique. Le port de vêtements vus, vécus, à tort ou à raison, comme des symboles religieux marquant une infériorité de la femme par rapport à son homologue masculin ne pouvait qu’inquiéter nos consciences républicaines.
Liberté religieuse, vestimentaire, d’opinion, égalité des droits et des statuts, le chemin menant à la vérité est difficile à trouver. La laïcité doit être présente pour limiter les excès et imposer un corpus de règles communes à tous.
Une laïcité de fermeté, mais également une laïcité de tolérance, qui soit le bannissement de tous les intégrismes religieux ou laïques, qui permette l’identité jusqu’à la limite du respect de l’autre, de la loi et des principes républicains les plus fondamentaux.
La proposition de résolution qui vous est présentée ce soir, mes chers collègues, a été retravaillée par Claude Domeizel et par moi-même dans un objectif d’épure républicaine. Ce n’est pas habituel : ce texte n’est ni de droite ni de gauche. Nous ne partageons pas les mêmes options politiques, mais nos familles de pensée respectives reposent sur une grande idée qui nous est commune à tous : celle de la France et de la République. C’est de cela qu’il s’agit ici.
Le texte ne prévoit pas d’instituer une journée commémorative, il n’y en a que trop, mais il met en place un symbole républicain vivant qui, l’espace d’une journée, ni fériée ni chômée, au sein des écoles, des ministères, du monde associatif, interroge enfants, professeurs, chercheurs, politiques sur ce qu’est la laïcité, sur ce que doit être et devenir cet espace particulier de respect, de partage, de curiosité, de « vivre ensemble ».
Cette proposition de résolution est un symbole, mais elle se veut aussi une amorce. D’autres mesures d’intérêt général, issues du même esprit de cohésion, concernant tant l’éducation que le service civique, devront prendre place dans notre édifice républicain, pour nos enfants, pour l’avenir de la France, pour son rayonnement philosophique, dans un monde où une mondialisation aveugle et tendant à l’uniformisation se développe. Une mondialisation difficilement évitable et face à laquelle nous devons, en confiance, imposer et défendre un des systèmes les plus beaux qui soit au monde.
Ce système, cette philosophie, mélange de liberté et de fraternité qui a fait le siècle des Lumières, a permis à chacun d’exister en tant que citoyen, de bénéficier de soins et des vertus de l’enseignement en dehors de toutes considérations financières.
Je ne connais pas, je me répète, de plus beau système au monde. Cet esprit frondeur, humaniste, généreux et libre-penseur pourrait, demain, disparaître. Le souvenir doit rester vivant. L’histoire s’efface de la mémoire de nos enfants, et c’est alors le sens des choses qui s’enfuit. Pourquoi la fraternité ? Pourquoi l’égalité, la liberté, la laïcité ? À quoi correspondent-elles si en soi rien ne résonne ?
La laïcité est un principe dont le fondement législatif doit, à mon sens, rester inchangé. Toucher à un symbole comporte toujours le risque de l’altérer. C’est dangereux, trop dangereux…
Ce principe doit pénétrer la conscience de nos enfants et la nôtre. Cette journée, sans être une panacée, doit et peut donner du sens à ce qui est, dans notre République, le fondement du « vivre ensemble ». Laïcité ne signifie plus haine du religieux, laïcité ne signifie pas reniement de notre histoire, de notre culture ou négation de notre patrimoine historique. Laïcité signifie, aujourd'hui, transmuer le choc des cultures en richesse des civilisations.
Portons haut cette valeur, ce ciment de la République, et donnons-lui toute sa place dans la reconstitution de notre grand socle républicain.