Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité a permis à la France d’entrer dans la modernité et en démocratie. Elle marque la séparation du civil et du religieux dans l’État. L’adjectif « laïc » s’oppose au mot « clérical » pour désigner l’indépendance par rapport à toute autorité religieuse, ce qui, pour les républicains de la IIIe République, renvoyait à la prétention du personnel religieux à régir un État au nom de Dieu.
Le concept de laïcité, au sens de laos, « du peuple », est ancien. Il est apparu au XIIIe siècle mais surtout au XVIe siècle, par opposition aux institutions proprement religieuses.
Il trouve ses racines dans les écrits des philosophes grecs et romains tels que Marc-Aurèle et Épicure, ceux des penseurs des Lumières comme Diderot et Voltaire, ou Thomas Jefferson et Thomas Paine aux États-Unis, et en France à travers les lois de Jules Ferry ainsi que les écrits des libres penseurs modernes, agnostiques ou athées. Pour eux, le triomphe du théologico-politique, c’est l’étouffement de la liberté de conscience et le retour des procès d’intention avec la traque du passé non conforme.
Le principe de laïcité affirme donc que le politique et le religieux n’ont rien de commun. Les tables de la loi religieuse ne doivent pas peser sur l’organisation de la vie de la cité qui correspond à une certaine conception du « vivre ensemble » – la chose a déjà été dite –, dans le respect des droits humains auxquels chacun peut prétendre. Selon ce principe, la croyance religieuse relève de l’intimité de l’individu.
La laïcité permet la sanctuarisation de l’espace public. Elle est soucieuse que les croyants puissent se faire entendre dans un esprit de tolérance et d’humanité.
Pour reprendre la formule de Jean Baubérot, la laïcité se définit par la sécularisation de l’État, la liberté des cultes et l’égalité des croyances entre elles.
Ce principe est simple. Il n’a pas pour objet de concevoir un discours spécifiquement pensé pour, ou plutôt à l’encontre de telle ou telle catégorie de population, de telle ou telle religion. Il rejette tout processus qui menace ou séduit les pouvoirs temporels ou spirituels sans pour autant organiser une déshumanisation qui aboutirait au refus de laisser les croyants et leurs institutions s’exprimer sereinement.
Radicale dans son principe, la conception française n’est pas totale. Le système éducatif français, construit autour de l’école laïque, gratuite et obligatoire, souligne que la formation religieuse ne fait pas partie du cursus des élèves, mais que les établissements peuvent disposer d’aumôneries et que des groupes de pratiquants actifs peuvent être créés – ils le sont d’ailleurs dans certaines écoles.
Aujourd’hui, cette loi acquiert une nouvelle actualité et invite à ouvrir un débat qui serait pour le moins surprenant si, monsieur le ministre, l’objectif électoral n’était pas évident. On parle de laïcité comme si on venait de la découvrir ! On évoque les difficultés rencontrées par les pratiques religieuses islamiques, comme les prières dans la rue, alors que la construction de mosquées est passée en dix ans de 1 000 à 2 000 ! Le débat sur les signes ostentatoires religieux portés dans les lieux publics, l’habillement, l’alimentation, la date des examens adaptée au calendrier des fêtes juives ou islamiques, ont ou vont trouver solution.
En vérité, la question tient à la place réservée à l’islam au sein de la société française. Le débat ne doit pas être prétexte à créer une tension qui, en filigrane, aurait pour objet de récupérer les thèmes sécuritaires et identitaires, alors qu’il pourrait être engagé, s’il doit l’être, dans des perspectives de réflexion, de proposition et de confiance.
Il semble que cet objectif soit oublié pour se résumer à une opposition à la montée de l’islamisme.
Par principe, la laïcité est un concept étroitement lié à celui de la liberté d’expression et d’opinion où l’État s’affirme areligieux et non pas antireligieux. Y voir une sorte d’hostilité de principe à la religion serait le plus grand contresens que l’on puisse faire à propos de la laïcité.
Que chercher de plus ? La laïcité est un principe intangible. C’est le socle de la République et de la démocratie, c’est un bien commun. Le mouvement de laïcisation et de sécularisation engagé en 1789 a connu, le 9 décembre 1905, sa dernière étape.
C’est donc une date capitale qui met fin au concordat napoléonien et à l’union entre l’Église catholique et le pouvoir politique. Les écoles doivent en faire un enseignement prioritaire dès l’école primaire.
Instituer une journée de la laïcité, ni fériée ni chômée, affichant la cohésion républicaine et affirmant que la préservation et l’approfondissement de notre démocratie doivent nous soucier quotidiennement n’est donc pas inutile.
Ce n’est pas commémorer dans le vide un reliquat poussiéreux des antiques luttes pour construire notre démocratie. C’est dire que l’on mesure le danger de l’emprise du religieux sur le politique et du politique sur le religieux, emprise qui peut s’imposer aux esprits et violer l’intimité des individus. Telle est la raison de notre demande quelque peu insistante quant à cette journée de la laïcité.