Intervention de Jean-Pierre Chevènement

Réunion du 25 juin 2009 à 9h00
Débat sur le volet agricole de la négociation omc

Photo de Jean-Pierre ChevènementJean-Pierre Chevènement :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la décision relative à la conclusion du cycle de Doha a été reportée, à la demande de la nouvelle administration américaine.

Ce report constitue une relativement bonne nouvelle, car l’Europe protège son agriculture, comme les États-Unis qui, vous le savez, n’ont pas maintenu le découplage des aides qu’ils avaient introduit pendant deux ans. Ce report nous donne donc le temps nécessaire à la réflexion avant la révision de la politique agricole commune, qui devrait s’appliquer à partir de 2013.

Ce délai est particulièrement opportun parce que l’agriculture, comme les industries lourdes, exige des investissements à long terme. Les éleveurs qui quittent leurs exploitations ne se remplacent pas ; la population active agricole dans le monde représente encore plus de deux hommes sur cinq, elle est souvent majoritaire dans les pays du Sud, comme en Chine, en Inde, ou en Afrique. En Europe, la moyenne exploitation agricole façonne la plupart de nos paysages. L’alimentation, enfin, est une préoccupation qui s’impose prioritairement à tout gouvernement, aussi bien en termes quantitatifs que qualitatifs.

C’est pourquoi, madame le secrétaire d’État, nous ne pouvons qu’être inquiets en lisant les propos tenus par M. Pascal Lamy, directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, le 10 mai 2009 : « L’intégration mondiale en matière agricole nous permet d’envisager l’efficience au-delà des frontières nationales [...] en déplaçant la production agricole vers les lieux plus appropriés. » M. Lamy précise que les rendements sont généralement plus élevés sur les grandes propriétés foncières que sur les petites exploitations. « Nous devons nous rappeler, ajoute-t-il, que les frontières nationales n’ont été définies par rien d’autre qu’un long jeu historique de chaises musicales. »

Ce mépris des sociétés rurales et, plus encore, des communautés historiquement constituées que sont les nations est tout à fait caractéristique de la pensée libérale la plus dogmatique. Malheureusement, cette pensée qui domine les travaux de l’OMC appliqués à l’agriculture recèle des menaces considérables pour l’agriculture mondiale en général, et pour la nôtre en particulier.

Je ne reviens pas sur le fait que trois orientations dominent la négociation : l’amélioration de l’accès aux marchés, la réduction tendant vers l’élimination des subventions à l’exportation et, surtout, la réduction substantielle des mesures de soutien interne « ayant pour effet de distordre les échanges » – pour reprendre le vocabulaire en cours à l’OMC –, tout se passant comme si, d’une part, un libre-échangisme sans frontières et, d’autre part, des prix qui sont bien souvent des prix de braderie devaient servir d’étalon ou de paradigme aux politiques agricoles. Ainsi la négociation se déroule-t-elle dans un cadre libéral fixé à l’avance.

Si le projet de libéralisation des marchés agricoles s’était concrétisé avant 2006, la crise alimentaire de 2007-2008 aurait certainement été beaucoup plus grave. Monsieur le ministre – je saisis cette occasion pour vous féliciter de votre nomination à ce poste –, cette orientation « laissez-fairiste » pèse évidemment dès aujourd’hui sur l’adaptation de la politique agricole commune et pourrait déboucher à terme, en 2014, sur son démantèlement, s’il n’y était mis bon ordre d’ici là.

Vous n’étiez pas encore ministre à cette époque, mais il est regrettable que, lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, les 11 et 12 décembre 2008, dans le cadre d’un « bilan de santé » de la politique agricole commune, la PAC, la décision ait été prise de relever de 1 % chaque année les quotas laitiers, en attendant leur suppression définitive en 2014. Cette décision était particulièrement inopportune, compte tenu de la chute des prix du lait, d’environ 50 % depuis le pic enregistré à la fin de l’année 2007.

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