Plus généralement, la réduction des droits de douane qui résulterait d’un accord à l’OMC se traduirait par des importations massives de viande bovine, pénalisant ainsi un grand nombre de petites et moyennes exploitations françaises, en particulier dans des régions de moyenne montagne que je connais bien ; mais d’autres régions sont également concernées, je pense au Morvan ou au Massif central.
Certes, la politique agricole commune actuelle peut être critiquée. Observons qu’elle a été minée dès le départ par la fixation de prix irréalistes et mal hiérarchisés. En raison d’excédents imprévus à l’origine, il a été mis fin à la politique de soutien des marchés. Chacun se souvient que la politique agricole commune a été révisée en 1992, sur l’initiative du commissaire Mac Sharry : des paiements directs aux agriculteurs ont alors été instaurés, en contrepartie de baisses de prix drastiques.
Les réformes ultérieures, en 1999 et 2003, ont persévéré dans la même veine : celle du découplage des soutiens et des prix, en favorisant des rentes de situation rigides, au prorata des surfaces exploitées, sans aucune modulation liée à la conjoncture ou aux productions qu’il eût fallu – ou non – encourager. Il faut rompre avec la pensée libérale dogmatique qui gouverne une politique agricole commune inefficace, coûteuse et, par conséquent, fragile. Il faut, pour cela, fonder la future politique agricole commune qui entrera en vigueur après 2013, sur un concept cohérent, ayant pour objectif une relative autosuffisance alimentaire de l’Europe. Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, vous disposerez pour cela du temps de la réflexion, puisque nous ne sommes pas encore en 2013 ! Mais les conversations se donnent déjà libre cours.
Les grands pays d’Asie, dont la population dépasse le milliard d’habitants, chercheront à assurer leur sécurité alimentaire, sans qu’on puisse exclure qu’ils deviennent, au-delà de la crise économique actuelle et au fur et à mesure de leur industrialisation, des importateurs de produits agricoles, du fait de la rareté de leurs ressources en terres et en eau et de la montée de classes moyennes dont les habitudes alimentaires se modifieront profondément. Ces pays devront limiter leurs importations pour privilégier leurs propres producteurs, qui représentent encore plus de la moitié de leur population active : c’est une évidence, car ils doivent préserver leur équilibre social. On a déjà vu l’Inde refuser, l’an dernier, la conclusion du cycle de Doha plutôt que de sacrifier ses 700 millions de petits agriculteurs. D’ailleurs, si ces pays acceptaient que leurs paysans quittent leurs terres, l’exode rural ne se dirigerait pas seulement vers leurs villes, mais il contribuerait aussi à gonfler le nombre des migrants vers nos pays.
Comme l’a fort bien écrit M. Pierre Lelong, ancien directeur du Fonds d’orientation et de régularisation des marchés agricoles, prenant le contre-pied de M. Lamy, « la théorie des avantages comparatifs ignore le fait qu’à l’échelle planétaire les hommes et les sociétés ne sont guère délocalisables ». Tout est là !