La recherche d’une certaine autosuffisance agricole à l’échelle de grandes régions du globe se justifie tout à fait : non que le marché n’ait plus aucun rôle à jouer, mais ce rôle, s’il n’est pas marginal, ne saurait être essentiel. Le commerce agricole ne représente, d’ailleurs, que moins du dixième du commerce mondial. C’est dire que l’exception libre-échangiste britannique, telle qu’elle a existé depuis 1846, ne peut se comprendre que dans le cadre d’un monde organisé pour le plus grand profit de la puissance impériale dominante qu’était alors le Royaume-Uni.
Deuxièmement, l’intervention sur les marchés, et donc par les prix, est la façon la moins coûteuse et la plus efficace de soutenir le revenu des agriculteurs et d’orienter les productions. Il faudrait donc rompre avec le système qui privilégie les aides directes. Or, c’est justement pour se conformer aux exigences de l’OMC qu’on remplit des « boîtes vertes » de mesures budgétaires coûteuses et à l’efficacité problématique. Or, selon une étude récente de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, l’évolution probable des prix agricoles tend vers une hausse modérée, qui nous offre une chance exceptionnelle de revenir aux concepts raisonnables qui fondaient la première politique agricole commune.
Troisièmement, l’action en matière agricole doit être conçue en termes de régularisation plutôt que de soutien, en fonction d’une grille de prix ne s’écartant pas trop, par souci d’économie, des prix internationaux observés sur le long terme, et tenant compte de multiples paramètres régionaux – hommes, terroirs, ressources en eau, débouchés, etc.
Quatrièmement, les mécanismes de régularisation doivent, autant que possible, associer les producteurs d’une manière décentralisée et converger avec les actions de conversion et d’orientation nécessaires.
Bref, il faut trouver un équilibre, à travers des prix modérés, entre les exigences de la cohésion à l’intérieur de l’Union européenne et le souci de nos relations avec les pays tiers, sans oublier le cas spécifique de l’Afrique.
Pour élaborer un concept cohérent, à même de fonder une PAC renouvelée et viable, il faut donc partir d’une idée simple : le monde de demain ne sera pas celui des marchés agricoles unifiés sur lesquels s’effectuerait l’essentiel des transactions en fonction de prix internationaux variables et difficilement prévisibles. L’agriculture ne peut s’accommoder de tels aléas.
Le monde de demain sera composé de quelques grands espaces agricoles dont il faudra organiser les relations commerciales. Chacun d’eux cherchera, autant qu’il le pourra, à atteindre une certaine autosuffisance. Mais la dépendance par rapport aux marchés et donc aux prix internationaux ne s’exercera qu’à la marge. Une telle orientation permettrait de sauver les paysanneries européennes ou plutôt ce qu’il en reste. Cela éviterait un immense gaspillage, car il sera coûteux et difficile de rebâtir des systèmes agricoles après qu’on les aura laissé péricliter, voire disparaître. Une telle orientation doit commander notre attitude dans les négociations à l’OMC.
Disons les choses clairement : ces négociations ont été mal engagées sur des bases faussées dès l’origine.
Je ne reviens pas sur les trois orientations qui figurent dans le projet de l’OMC concernant l’agriculture de juillet 2008.
Comme chacun le sait, ce projet n’a pas abouti à ce jour et le directeur général de l’OMC l’a remis en chantier, sans pour autant s’écarter des principes qui le fondent, à savoir, pour l’essentiel, la théorie libérale des avantages comparatifs, que j’ai tout à l'heure critiquée.
C’est ainsi que la mesure globale de soutien, censée fausser les échanges, devrait être réduite de 80 % pour l’Union européenne, 70 % pour les États-Unis et le Japon, 55 % pour le reste. Ces réductions seraient mises en œuvre sur cinq ans pour les pays développés, huit ans pour les pays dits sous-développés.
Trois observations s’imposent à ce stade.
D’abord, l’Union européenne est pénalisée.
Ensuite, les pays en voie de développement constituent une catégorie fourre-tout : on y trouve aussi bien certains pays du groupe de Cairns que les pays les moins avancés.
Enfin, les réductions s’appliquent pour l’essentiel à la catégorie « orange » et épargnent la catégorie dite « verte », c’est-à-dire les aides découplées du revenu. Conclure sur ces bases la négociation engagée à l’OMC, ce serait figer la politique agricole commune - qui repose déjà, pour l’essentiel, sur le découplage entre les aides et la production - et la fragiliser gravement pour l’avenir.
L’Union européenne ne devrait pas accepter de conclure à l’OMC un accord qui l’empêcherait de revenir à un système d’aides plus raisonnable, fondé principalement sur des prix garantis modérés à la production. Un tel système éviterait le gaspillage et permettrait de réduire le coût de la PAC, dans des conditions qui seraient à la fois conformes aux intérêts de la France et à celui des paysanneries européennes, et acceptables pour nos partenaires européens, …