Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les négociations du cycle de Doha à l’OMC achoppent depuis quelques années sur la question agricole. Cet état de fait, qui peut sembler quelque peu paradoxal pour des produits représentant seulement 10 % de l’ensemble des échanges mondiaux, souligne à quel point le secteur agricole reste stratégique et constitue une composante forte de la souveraineté alimentaire de nombreux pays.
Les rapports entre la PAC et l’OMC ont été souvent conflictuels et révélateurs de toutes les tensions qui opposent les trois grands partenaires mondiaux : les États-Unis, l’Union européenne et l’OMC, cette dernière apparaissant à la fois comme juge et partie. L’agriculture est à la fois un thème central de conflit et un enjeu pour ces partenaires.
Le président du groupe de négociations sur l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce, David Walker, a annoncé, le 18 juin dernier, que les négociations sur l’agriculture reprendraient dans un cadre multilatéral, c’est-à-dire avec la participation de tous les membres et sous leur contrôle, ce qui reflète le souhait de ces derniers de voir les négociations reprendre de l’élan.
M. Walker a confirmé qu’il était important désormais de faire avancer le processus, de réduire les divergences qui subsistent et de régler les questions techniques.
II faut tout d’abord se réjouir que le climat politique des négociations se soit amélioré depuis l’échec de juillet 2008, et ce malgré l’aggravation de la crise économique. Cet échec n’a rien à voir avec la France ou l’Union européenne. Les négociations n’ont pas abouti parce qu’il n’y a pas eu d’entente entre les États-Unis, l’Inde et la Chine sur les importations agricoles, plus spécialement sur l’établissement d’un mécanisme de sauvegarde spécifique qui aurait permis aux pays en développement de relever le montant de leurs droits de douane sur certains produits agricoles, comme le riz, en cas d’afflux soudain d’importations.
L’Union européenne a été d’autant moins partie prenante de cet échec qu’elle avait proposé une diminution de ses droits de douane agricoles de 60 % et un démantèlement de ses subventions à l’exportation d’ici à 2013, concessions que je qualifierais d’audacieuses de l’Union européenne et de son commissaire européen au commerce extérieur de l’époque, M. Mandelson.
En fait, l’échec du cycle de Doha traduit une évolution profonde de la donne économique et politique mondiale.
Le rapport des forces en présence à l’OMC a changé. Un accord entre les États-Unis et l’Europe suffit de moins en moins à construire les bases du consensus multilatéral. Il faut désormais compter avec les puissances émergentes, tout en se mettant à l’écoute des pays les plus pauvres, comme l’a fait l’Union européenne, notamment la France.
Cet échec a fait surtout apparaître que le cycle de Doha, qui a commencé en 2001, est peut-être aujourd’hui déconnecté des réalités. Il est donc plus que temps de le conclure pour repartir sur un cycle ouvert aux nouvelles réalités de ce XXIe siècle.
L’OMC reste incontestablement un concept d’une grande pertinence. Elle ne doit pas être remise en cause, mais, au contraire, consolidée, parce qu’elle a des règles et un organisme de règlement des différends. Elle constitue l’un des meilleurs exemples de la régulation des affaires économiques mondiales, que la mondialisation rend toujours plus nécessaire.
De même, le développement, c’est-à-dire le progrès des pays les plus pauvres, doit rester l’objectif majeur de toute future négociation.
La défense d’un modèle européen fondé sur un équilibre entre ouverture et protection, qui ne signifie en rien protectionnisme, doit continuer à inspirer notre action politique au sein de l’Union européenne.
En mai dernier, la Commission européenne est arrivée à un accord préliminaire avec les États-Unis afin de régler le contentieux qui les oppose à l’Union européenne en ce qui concerne l’interdiction d’importations de viande aux hormones.
Par cet accord, les États-Unis s’engagent à supprimer l’ensemble des sanctions appliquées actuellement à de nombreux produits européens, notamment sur ce produit emblématique qu’est le roquefort. En échange, l’Union européenne autorise l’importation de quantités supplémentaires de viande américaine sans hormones ; elle suspend également pour dix-huit mois la procédure contentieuse engagée à l’OMC contre les États-Unis pour faire reconnaître l’illégalité des sanctions subies.
La France a obtenu un résultat satisfaisant, préservant la sécurité alimentaire et permettant le maintien de nos préférences communautaires. Il faut saluer une telle évolution.
L’Europe doit promouvoir sa conception de la politique agricole au niveau mondial, que ce soit en faisant entendre sa voix à l’OMC ou en contribuant à l’émergence d’une nouvelle gouvernance mondiale de l’agriculture.
Il n’est pas concevable que l’OMC, à laquelle nous avons fait de nombreuses concessions, continue de militer en faveur d’un dumping général en matière agricole, que ce soit sur le plan sanitaire, écologique ou social.
Il n’est pas concevable non plus que nous tournions le dos à notre agriculture quand, parallèlement, les États-Unis, avec leur Farm bill, soutiennent massivement leurs producteurs. Je le dis très clairement, je souhaite que l’agriculture européenne et, à travers elle, l’agriculture française, utilise comme moyen de défense non pas la préférence communautaire, mais ce que j’appellerais la spécificité communautaire. Je suis contre une conception de type « ligne Maginot » de l’Union européenne.