Mais revenons à l’origine de cette crise, c'est-à-dire la baisse soudaine et brutale du prix du lait. Ce prix, qui avait connu une flambée entre 2006 et 2008, après n’avoir cessé de baisser entre 2001 et 2006, est retombé à un niveau historiquement bas.
Si l’on se reporte au graphique retraçant les prix à la production en moyenne annuelle depuis dix ans, que constate-t-on ? Le prix payé au producteur pour un litre de lait, qui était de 31 centimes d’euro en 2001, est progressivement tombé à 26, 7 centimes d’euro en 2006 avant de remonter à 33, 6 centimes d’euro l’année dernière. Depuis, ce prix est brutalement retombé à 21, 22 ou 23 centimes d’euro – cela varie selon les régions et les productions –, c'est-à-dire à un niveau très inférieur aux coûts de production.
Au mois d’avril, lors de la dernière livraison, les producteurs ont ainsi dû accepter une baisse des prix de 30 %, décidée unilatéralement par les entreprises de transformation qui assurent la collecte de leur lait. Cette baisse est d’autant plus choquante qu’elle ne s’accompagne pas d’une baisse similaire des prix de vente des produits laitiers acquittés par les consommateurs : au premier trimestre, ces prix-là n’ont reculé que d’environ 2, 2 %.
Comment expliquer un tel écart ? Pas par une diminution brutale de la consommation de ces produits, qui stagne ou qui décroît seulement très légèrement sur le long terme.
Mes chers collègues, j’ai moi-même pu constater l’évolution des prix et je vous invite à vous rendre dans les GMS, les grandes et moyennes surfaces, en province comme à Paris. Chez moi, le litre de lait entier est vendu entre 0, 84 et 0, 99 euro et le litre de lait demi-écrémé, entre 0, 70 et 0, 80 euro. Certes, après m’être renseigné auprès des vendeurs d’un supermarché supposé offrir les meilleurs prix et à l’issue d’un véritable jeu de piste, j’ai pu trouver des briques de lait demi-écrémé à 0, 59 euro, mais elles étaient du côté des eaux minérales, à l’autre bout du magasin ! Bien sûr, c’est ce prix-là qui est annoncé dans les publicités, mais les articles concernés ne sont pas à la vue des consommateurs…
Les GMS devraient nous expliquer quelles sont les charges qui justifient de telles plus-values. Et les transformateurs doivent renoncer à leurs pratiques opaques que personne n’ose dénoncer par crainte d’être déréférencé.
Comme nous le savons, la filière laitière représente un poids économique et social non négligeable. Elle rassemble 95 000 producteurs, contre 151 000 en 1988, 700 entreprises privées et coopératives, pour un total de près de 200 000 emplois. Son chiffre d’affaires était de 23, 5 milliards d’euros en 2007, dégageant un excédent commercial de 2, 9 milliards d’euros.
Outre l’aspect économique et les questions d’emploi, n’oublions pas le rôle des éleveurs dans l’environnement et l’aménagement de nos territoires. Si nous n’y prenions pas garde, la friche prendrait vite le relais de nos verts pâturages dans les zones d’élevage à l’herbe.
Permettez-moi de vous citer quelques chiffres sur la baisse du nombre de vaches laitières. On en dénombre aujourd'hui environ 3, 8 millions, contre 7, 166 millions en 1983, soit une diminution de plus de 3 millions de têtes ! Et je rappelle que, comme François Fortassin et moi-même l’avons souligné dans un rapport, le cheptel français d’ovins est passé de 11 millions à 8, 2 millions de bêtes en quelques années. Cette baisse du nombre d’herbivores domestiques observée sur notre territoire depuis une vingtaine d’années n’est évidemment pas sans conséquences dommageables pour notre environnement.
Bien sûr, à l’instar de nombre de mes collègues, je me félicite que les dernières réformes de la PAC, la politique agricole commune, aient rétabli des primes à l’herbe, afin d’aider les éleveurs des zones difficiles, notamment en montagne. Malheureusement, je crois que ce dispositif n’entrera pas en vigueur avant 2010. Espérons que le découragement ne frappe pas trop d’éleveurs d’ici là !
N’oublions pas non plus le rôle stratégique de notre filière laitière française, qui contribue à la préservation de l’indépendance alimentaire de notre pays, comme cela a été rappelé lors du débat précédent. Qu’adviendrait-il si nous ne maîtrisions plus l’approvisionnement de notre pays ? Comment garantir la qualité et la sécurité sanitaire de produits provenant de pays qui n’ont pas forcément des exigences aussi strictes que nous à cet égard ?
Par ailleurs, je ne pense pas que le dépérissement de notre filière laitière soit compatible avec les objectifs du Grenelle de l’environnement.
Chacun le sait, la production de lait obéit à des contraintes très particulières. Il s’agit d’un produit lourd, volumineux et fragile, qui ne peut pas être stocké longuement. Le métier est particulièrement difficile, avec deux traites quotidiennes et peu de temps libre pour la vie privée. D’ailleurs, on remarque que les producteurs laitiers qui ont quitté la profession n’y reviennent jamais. En outre, les investissements sont très lourds, ce qui rend l’installation délicate, et ils ne sont rentabilisés qu’au bout de nombreuses années. Enfin, les producteurs ne connaissent le prix qui leur sera payé qu’un mois et demi après avoir livré leur lait.
Il faut avoir ces considérations bien présentes à l’esprit lorsqu’on parle de lait. Le lait n’est pas un bien industriel comme un autre ; c’est un produit vivant, étroitement lié à l’animal dont il est issu et à l’homme qui lui a consacré son travail.
Ces dernières années, les prix du lait faisaient l’objet d’une recommandation nationale trimestrielle de l’interprofession, le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière, le CNIEL, fondée sur la combinaison de différents indicateurs et à caractère non obligatoire. Les structures régionales interprofessionnelles, les CRIEL, étaient les enceintes de discussion au niveau local entre producteurs et transformateurs, où les prix de base du lait étaient discutés à partir de la recommandation nationale. À ce titre, la filière laitière était souvent citée en exemple non seulement pour son organisation, mais également pour son sens de la responsabilité.
Or une lettre de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, demandant à l’interprofession laitière de cesser ses recommandations en matière d’évolution de prix, a été adressée au président du CNIEL au mois d’avril 2008. Elle y assimilait l’accord interprofessionnel sur le prix du lait à une « entente », interdite par la réglementation communautaire, dont un secteur comme la viande bovine avait déjà fait les frais en France, lors de la crise de la vache folle. Conformément à l’injonction de la DGCCRF, le CNIEL a cessé d’émettre des recommandations dès le 1er juillet 2008.
Depuis cette remise en cause du cadre interprofessionnel, le système a volé en éclats et les acteurs ne s’entendent plus. En effet, les transformateurs et les distributeurs n’ont pas joué le jeu et en ont profité pour ne pas venir à la table de négociations, soit en en ne présentant aucun chiffre, soit en proposant des prix d’achat du lait manifestement trop faibles.
Cependant, le Gouvernement, et plus particulièrement votre prédécesseur, Michel Barnier, auquel je rends hommage, n’est pas resté inactif.