Intervention de Gérard Bailly

Réunion du 25 juin 2009 à 9h00
Débat sur la crise de la filière laitière

Photo de Gérard BaillyGérard Bailly :

Pensez-vous, monsieur le ministre, que nos partenaires européens sont susceptibles d’évoluer sur ce sujet et que cette décision, prise dans un contexte aujourd’hui caduc, pourra être révisée un jour ?

La commission des affaires économiques, pour sa part, a travaillé sur ce thème, plus particulièrement au sein du groupe d’études de l’élevage que j’anime et qui a mis en place un mini-groupe de suivi du dossier laitier. Dans ce cadre, nous avons procédé à un certain nombre d’auditions. Ainsi, nous avons reçu, voilà quelques mois, à leur demande, les Jeunes Agriculteurs, très inquiets. Nous avons également entendu M. Jérôme Bédier, président de la Fédération du commerce et de la distribution, les entreprises Entremont et Danone, la Fédération nationale des producteurs de lait, ainsi que, hier matin, le CNIEL.

En outre, la commission des affaires économiques a auditionné, la semaine dernière, M. Luc Chatel, alors secrétaire d’État chargé de l’industrie et de la consommation.

Nous poursuivrons nos auditions dans les semaines à venir, et ce jusqu’à la rentrée, puisque nous devrions encore recevoir la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, l’Observatoire des prix et des marges, les médiateurs nommés par le Gouvernement et le président de l’Autorité de la concurrence.

Il me semble que nous pouvons tous nous accorder, aujourd’hui, pour dire qu’il est nécessaire d’aboutir non pas à une baisse du prix des produits laitiers à la consommation, car les producteurs seraient une nouvelle fois les premiers à en pâtir, mais à une répartition de la valeur ajoutée plus équilibrée et plus équitable tout au long de la filière.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, est-il normal et juste qu’un producteur ayant vendu son litre de lait un peu plus de 20 centimes d’euros le voie commercialisé sous une grande marque nationale dans la grande surface proche de chez lui à 1 euro le litre ?

Je le répète, il faut mettre fin à l’opacité entourant la formation de ce prix final. L’Observatoire des prix et des marges, créé par la loi de modernisation de l’économie, doit maintenant travailler sur les moyens de faire prévaloir la transparence en la matière.

Sur un plan plus opérationnel, il faudra que producteurs, transformateurs et distributeurs se retrouvent à nouveau à la même table pour discuter ouvertement de la répartition de la valeur ajoutée entre les différents maillons de la filière. Cela exige que transformateurs et distributeurs prennent leurs responsabilités devant l’opinion et les pouvoirs publics, communiquent leurs chiffres et assument les prix d’achat et de revente, ainsi que les marges qu’ils pratiquent.

M. Bédier nous a fait part de son accord pour participer aux travaux de l’Observatoire des marges sur ce sujet, à condition toutefois, selon ses propres termes, « de ne pas être sur un strapontin ».

La réunion du 17 juin dernier qui s’est tenue au ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi entre tous les acteurs de la filière ne semble pas avoir apporté d’évolution notable. En effet, d’abord, les grandes enseignes de la distribution n’étaient pas toutes directement présentes. Pourquoi ? Ensuite, les positions n’ont guère semblé prêtes à évoluer, jusqu’à paraître définitivement inconciliables, même si chacun a appelé à plus de sérénité au sein de la filière.

Si les GMS, ont aussi peu de marges qu’elles le prétendent, ce ne doit pas être si difficile à prouver… Et, dans un souci d’apaisement, pourquoi ne baisseraient-elles pas leurs marges de quelques centimes compte tenu de l’acuité de la crise actuelle ?

Il reste que les producteurs doivent mieux s’organiser en amont, afin de renforcer leur pouvoir de négociation face aux transformateurs et aux distributeurs. Il convient également de protéger les éleveurs dans leurs relations commerciales avec leurs acheteurs, au moyen d’une contractualisation équilibrée.

Nous sommes tous conscients des pressions pesant sur les éleveurs depuis l’aval de la filière et, à cet égard, la mise en place dans chaque département des brigades de contrôle me paraît être une très bonne initiative. Elle devrait être très utile aux producteurs et aux PME qui hésitent toujours à dénoncer les pratiques illégales de commercialisation.

De plus, l’élaboration d’un cadre interprofessionnel permettant d’instituer une contractualisation à partir de 2010 constitue l’un des trois points issus de l’accord du 3 juin, et il faut aller rapidement dans ce sens.

Par ailleurs, nous n’éviterons pas de revenir, à l’échelon européen, sur le régime laitier et de rediscuter de la fin programmée des quotas laitiers. Les évolutions erratiques des marchés agricoles montrent, une fois de plus, qu’ils ne peuvent être abandonnés au libre jeu de la concurrence et qu’ils doivent faire l’objet d’une régulation par les pouvoirs publics. À cet égard, je vous remercie, monsieur le ministre, d’avoir déjà souligné tout à l'heure que ce point constituait une priorité à vos yeux. Les productions agricoles sont, en effet, très largement soumises aux aléas climatiques, sanitaires ou économiques.

Des mécanismes de stockage et de dégagement doivent être maintenus, voire amplifiés. D’ailleurs, nous aurions échappé à la crise que nous avons connue l’an dernier à la suite de l’augmentation considérable du prix du lait si des stocks avaient existé à ce moment-là. Le stockage représente une méthode efficace pour lisser les prix en cas de surproduction ou de sous-production.

C’est pourquoi on peut déplorer la politique menée depuis plusieurs années tant par l’Europe que par les États-Unis. Ces derniers, qui viennent d’ailleurs de se rendre compte de la situation, ont décidé d’appliquer un vaste programme d’abattage de vaches laitières.

L’Europe doit également soutenir les mécanismes d’assurance récolte pour la filière lait, puisque des possibilités ont été ouvertes en ce sens dans le bilan de santé de la PAC. Notre pays doit veiller à les concrétiser dans le droit national.

Plusieurs questions restent en suspens.

Tout d’abord, comment discuter publiquement de marges sans tomber dans l’entente condamnée par la loi et sans revenir au contrôle des prix ?

M. Jérôme Bédier a proposé d’instaurer « une sorte de prix directeur entre les producteurs et les industriels ». L’idée que le CNIEL établisse des « indices de prix » permettant « d’éclairer les acteurs de la filière », la négociation relevant ensuite des relations contractuelles entre producteurs et transformateurs, nous paraît bonne.

La commission des affaires économiques, sur l’initiative de son président, M. Jean-Paul Emorine, que je salue et remercie, a décidé, comme la LME lui en donne la possibilité, de saisir l’Autorité de la concurrence pour avis sur la question. Les conclusions de cette instance sont attendues pour la rentrée parlementaire d’octobre ; nous ne manquerons pas, alors, d’avoir de nouveau des échanges sur ce point.

Ne pourrait-on, par ailleurs, interdire la vente de lait en dessous de son coût de production, de la même façon que l’on interdit aujourd’hui la revente à perte ? Car c’est bien une vente à perte que subissent aujourd'hui de nombreux éleveurs, qui ont vu leurs charges s’envoler sans pouvoir les répercuter. De fait, l’énergie, la main-d’œuvre, le matériel, les transports, les engrais, les frais vétérinaires, l’alimentation du bétail, les cotisations à la Mutualité sociale agricole, notamment, ont fait grimper considérablement les charges dans les exploitations.

Tels sont, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques éléments et interrogations que je souhaitais vous livrer pour entamer notre débat d’aujourd’hui.

Nous devons faire preuve de détermination pour trouver des solutions à cette crise, quitte à légiférer si les partenaires de la filière ne parviennent pas à se mettre d’accord. Il est important de montrer, par le présent débat, à quel point notre assemblée est concernée par ce sujet. Il nous faut maintenant apporter des solutions concrètes, et je sais, monsieur le ministre, compte tenu des propos que vous avez tenu voilà quelques minutes, que vous aurez à cœur d’y travailler avec nous.

Ce ne sera sans doute pas facile, mais votre connaissance des problèmes européens, de l’Allemagne, principal pays producteur de lait en Europe, sont autant d’atouts sur lesquels nous comptons. De même, votre lucidité quant à l’importance des mécanismes de l’OMC devrait vous permettre d’exercer avec une grande efficacité vos nouvelles fonctions.

Il vous faudra aussi être convaincant au sein du Gouvernement français pour que se mette en place une bonne organisation des filières agricoles, plus particulièrement de la filière laitière, et donner un réel pouvoir aux interprofessions.

Enfin, nous attendons la réalisation très rapide du contrôle des marges, à laquelle MM. Michel Barnier et Luc Chatel se sont engagés, car le temps est compté.

En tout cas, nous espérons que vous saurez convaincre Mme le commissaire européen chargé de l’agriculture et du développement rural lors du déjeuner que vous prendrez avec elle tout à l'heure, et je vous souhaite bon appétit !

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