Intervention de Jean Bizet

Réunion du 25 juin 2009 à 9h00
Débat sur la crise de la filière laitière

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le ministre, comme beaucoup de mes collègues présents aujourd’hui, je vis au quotidien la crise du secteur laitier. Je vois la colère et les attentes des éleveurs.

Cependant, en dépit de la résonance locale de cette crise, il me semble qu’il nous faut aussi raisonner au niveau européen, car la crise est précisément européenne.

C’est d’ailleurs la mission que m’a confiée récemment la commission des affaires européennes du Sénat, et ce tour d’Europe me semble instructif pour comprendre nos similitudes et nos différences.

Dans les débats actuels et, surtout, à venir autour de la PAC, il faut s’inscrire dans une stratégie d’alliance et commencer par écouter les autres.

Votre nomination à ce poste, monsieur le ministre, est une preuve parfaite de ces ponts entre l’agriculture et les affaires européennes.

Le rapport d’information sort aujourd’hui et mes collègues comme vous-même, monsieur le ministre, pourrez en prendre connaissance si vous le souhaitez. Ce tour d’Europe que j’ai mené par internet me conduit à formuler quelques observations.

D’abord, tous les États acceptent les nouvelles règles du jeu du marché. Même si la révolution du secteur n’a qu’à peine dix ans, le régime de prix indicatifs est totalement oublié, enterré. Il n’y a plus que le marché et son produit, inconnu du consommateur, mais essentiel pour l’industriel, à savoir la poudre de lait, qui détermine aujourd’hui une sorte de prix directeur.

Tous les États sont également très attachés à la liberté contractuelle entre les producteurs et les acheteurs. D’ailleurs, dans plusieurs pays, les acheteurs sont des coopératives, codétenues par les éleveurs, ce qui facilite ces ponts. Le poids de l’industrie de transformation dans les achats de lait est une spécificité française.

Tous les États ont connu des variations de prix considérables. Je dis « variation » et non pas « baisse », car l’année 2007-2008 avait été marquée par une flambée des prix. La période 2008-2009 est frappée par une baisse aussi brutale.

Inutile de passer en revue les situations particulières des États, je retiendrai seulement le cas des nouveaux États membres dont la situation est très préoccupante. Ils ont moins profité de la hausse et ont plus souffert de la baisse que les autres États de l’Union européenne. Cela crée une sorte d’amertume sinon de rancœur dont il faut être conscient. Votre expérience européenne, monsieur le ministre, permet de bien mesurer ces écarts et cette sensibilité.

Quelles leçons pouvons-nous tirer pour la crise française ? Il y a deux problèmes à régler : les revenus des éleveurs et les variations de prix.

Je commencerai par évacuer une piste chère aux éleveurs français et pourtant bien mal engagée, je veux bien sûr parler des quotas laitiers.

La crise a-t-elle changé la position de nos partenaires sur ce sujet ? La réponse est clairement non. À aucun moment, les États n’ont changé d’avis, et ce pour deux raisons très simples.

D’abord, tous les analystes considèrent que la crise actuelle est liée à l’insuffisance de la demande et non à un excès de l’offre.

L’augmentation des quotas ne change rien. La preuve en est que beaucoup de pays n’ont pas atteint leurs quotas. Ils pouvaient produire plus et ils ne l’ont pas fait. En ce qui concerne la France, je me permets de vous rappeler qu’elle est en sous-réalisation pour cette année, de près de 1 milliard de litres de lait, preuve que la crise est liée à la demande et non à l’offre.

La production s’est adaptée, parfois avec lenteur ou avec retard, mais l’ajustement s’opère. On annonce déjà que la collecte de lait à l’automne sera l’une des plus faibles des dix dernières années.

Ensuite, plusieurs pays ont intérêt à l’augmentation des quotas, soit tout simplement pour valoriser leur potentiel qui semble entravé par ce qu’ils considèrent comme un carcan réglementaire, soit pour éviter une baisse brutale des prix avant l’abandon des quotas, considéré comme acquis.

Sur ce sujet, nous avions un allié de poids : l’Allemagne, pays que vous connaissez bien, monsieur le ministre. Mais il faut se rendre à l’évidence, c’était plutôt un allié de circonstance, que j’analyse dans mon rapport. L’Allemagne accepte la fin des quotas. L’abandon des quotas a été décidé en 2005 et programmé en 2008. D’ailleurs, il n’est pas dans l’habitude allemande de remettre en cause les décisions collectives du Conseil européen. La France me paraît plutôt isolée sur ce point. Même notre plus grand allié sur la PAC, l’Irlande, ne nous suit pas au sujet des quotas.

Dans la stratégie d’alliances que j’appelle de mes vœux, il nous faut choisir d’autres combats.

Face à la volatilité des prix, je crois notamment à la nécessité de maintenir une politique publique assise sur des instruments de régulation.

Certes, quelques pays éprouvent des réticences, mais l’instabilité a été excessive et il me semble qu’il est possible de dégager une majorité sur ce concept de régulation à condition que l’on veuille bien lui apporter quelques ajustements.

À Bruxelles, l’intervention est toujours actionnée à contrecœur, car elle évoque encore les « montagnes de beurre » dont on nous renvoie sans cesse l’image. Cette situation est révolue. Le concept doit donc être renouvelé. L’intervention doit être moins conçue comme un moyen de réduire des excédents que comme un moyen de lisser les évolutions de prix.

Les variations sont considérables. Le stockage régulateur est un moyen simple, facile à mettre en œuvre et à gérer, qui correspond parfaitement à cette situation – je profite de l’occasion pour le souligner, car il a souvent été caricaturé.

Le bilan de santé de la PAC n’a pas supprimé, tant s’en faut, les outils de régulation, que ce soient l’intervention ou même les restitutions. Aujourd’hui, celles-ci ne sont plus « OMC-compatibles », on le sait. Cependant, si l’intervention n’a pas eu la pertinence et la signature politique espérées, c’est, à mon avis, tout simplement parce qu’elle reste sous-dimensionnée.

Les droits à paiement unique, les DPU, pourraient aussi être modifiés. Ils sont indispensables pour assurer des revenus aux éleveurs en temps de crise, ne serait-ce que pour respecter les objectifs du traité de Rome ; le restent-ils lorsque les prix flambent ? Il faudra, sur ce point, mener une réflexion : peut-être pourrait-on imaginer des DPU modulables, variables en fonction des crises, notamment des crises laitières ?

Je crois enfin que la politique agricole commune doit être mieux évaluée. Toutes les politiques européennes sont évaluées, toutes sauf une : la PAC. L’élevage, en particulier, ne peut être évalué selon les seuls critères de prix et de coût. D’autres critères doivent être pris en compte, par exemple celui de la biodiversité.

Les politiques publiques peuvent concerner tous les États membres, mais cela ne doit pas nous exonérer d’une réflexion sur notre propre organisation.

La contractualisation est une piste certes semée d’embûches et de pièges – je les évoque dans mon rapport –, mais sans doute utile et nécessaire, voire, peut-être faut-il aujourd’hui y insister, incontournable, à condition qu’elle soit pertinemment encadrée.

Les éleveurs ont besoin de visibilité. Cette visibilité était, au moins en partie, assurée par les quotas, qui, bien que décidés par la puissance publique, étaient vécus comme une manière de contrat moral. Leur fin étant annoncée, il faut trouver d’autres formes de régulation et passer de cette sorte de contrat moral public à des contrats privés professionnels et régionaux, des contrats qui, éventuellement, associeraient la distribution au cœur de la bataille des prix, qu’elle le veuille ou non. J’apporte quelques précisions utiles pour éviter d’être trop manichéen, en faisant la distinction, par exemple, entre lait et produits laitiers. Aujourd’hui, trop de non-dits subsistent, qui laissent une détestable impression. Quelques correctifs à la loi LME, la loi de modernisation de l’économie, pourraient s’avérer utiles.

J’évoque aussi quelques pistes nationales. Ainsi, quels sont les moyens, acceptables sur le plan communautaire, dont dispose le ministère pour accompagner la restructuration des élevages, pour développer des formules de commercialisation nouvelles, pour favoriser le concept de proximité ? Cela est appliqué avec succès ici ou là dans quelques régions françaises.

En conclusion, je crois pouvoir affirmer que, si la crise est générale, les réactions sont diverses. Pour beaucoup de pays, la crise est un mauvais moment, en attendant le rebond, une forme de passage qui permet de faire émerger les plus compétitifs. Dans d’autres pays, la colère est vive. Mais un point fait l’unité : la profession ne peut vivre dans un chaos permanent. Les éleveurs ont besoin de visibilité et d’être remis en confiance.

Chacun doit jouer son rôle, en France et en Europe, et le Gouvernement doit assurer le sien. Nous avons confiance en vous, monsieur le ministre, et nous attendons des résultats.

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