Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs semaines désormais, l’économie agricole, à travers la production laitière, fait débat dans notre pays. La situation des producteurs nous interpelle par les conséquences, qui se dessinent de plus en plus nettement, de l’effondrement du prix du lait qui leur est payé. Le constat des causes peut être dressé aisément et souffre d’ailleurs assez peu de controverses.
À quoi tiennent ces causes ? à quelles orientations stratégiques ? à quelles décisions politiques ? Elles tiennent à la volonté clairement affichée, et mise en application, de considérer cette activité économique comme identique aux autres, c’est-à-dire de la soumettre aux règles et à la loi sans limite du marché libéral…
C’est faire abstraction d’une réalité : la production laitière, par nature, est liée à des cycles de production longs, comme les investissements qu’elle nécessite. Elle ne peut donc s’adapter instantanément à une conjoncture économique variable ou volatile, et ce d’autant moins qu’elle ne maîtrise que partiellement ses coûts de production. Que ce soient le coût des mises aux normes ou le prix des matières premières ou de l’énergie, nombre de charges ne sont pas compressibles.
La production laitière est par ailleurs un facteur déterminant de la vie économique et de l’activité de bien des régions. Elle constitue par là un élément déterminant de l’aménagement des territoires, raison supplémentaire pour qu’elle soit organisée et régulée.
Or, les décisions arrêtées depuis plusieurs années en Europe, au terme de négociations entre les gouvernements, vont dans un sens absolument opposé : réduction des outils de régulation, abandon programmé des quotas laitiers montrent bien quelles orientations ont été choisies… À cet égard, se référer au marché mondial pour la détermination des prix, alors que celui-ci ne concerne que 5 % de la production globale des produits laitiers, est une aberration. C’est pourtant aujourd’hui la référence prise en compte, celle qui permet de tirer les prix vers le bas.
Peut-on dès lors attendre du marché qu’il se corrige de lui-même, par sa propre vertu ? On peut légitimement en douter. Sans la volonté du politique de remettre l’action publique au cœur du débat, des orientations et des décisions nécessaires, il est peu probable qu’une solution durable puisse émerger.
La situation actuelle exige donc le retour d’un projet, d’une vision européenne de l’agriculture, de l’implication forte de la France dans la recherche de solutions collectives.
Comme cela a été rappelé à propos d’une autre crise, l’Europe doit retrouver sa fonction protectrice. C’est là le premier objectif. Il faut donner à l’échelle de l’Europe un coup d’arrêt aux orientations appliquées par la Commission et Mme Fischer Boel.
Le démantèlement des quotas laitiers, qui ont depuis de nombreuses années démontré leur utilité et leur justification, doit être stoppé. Il faut même leur rendre toute leur portée à court terme en tant qu’instrument indispensable de la maîtrise de la production, et à moyen terme en tant que condition de la survie financière d’une majorité de producteurs.
Nous le savons bien, la chute des prix n’est pas proportionnelle à l’ampleur de la surproduction, elle est même disproportionnée par rapport à celle-ci dès lors que l’équilibre de la production et du marché est rompu. L’Europe doit donc s’engager dans une gestion des volumes, il est urgent de les réduire et de les compenser dans un contexte de surproduction.
Quant à la France, en ayant adopté la loi LME, elle ajoute à cette situation déjà difficile une incroyable asymétrie dans le rapport entre la production et la distribution, au détriment de la première, bien entendu, ce qui est même dénoncé, parfois, par des parlementaires de la majorité.
Enfin, au plus près de nous, les producteurs sont d’ores et déjà dans une situation préoccupante. Les études produites en Bretagne par les centres d’économie rurale montrent que l’équilibre de gestion moyen des exploitations se situe aux alentours d’un prix de 305 euros pour 1000 litres de lait payés aux agriculteurs. Or, aujourd’hui nous en sommes loin, très loin même dans certaines laiteries.
Interrogez à ce sujet les producteurs livrant à l’entreprise Entremont Alliance, citée par notre collègue Gérard Le Cam tout à l’heure, quatrième entreprise française du secteur avec 2, 3 milliards de litres collectés et qui compte 6000 livreurs en Bretagne.
Avec un prix payé actuellement de 205 euros pour 1000 litres, leur situation est intenable. À ce compte, la crise va éliminer d’abord les plus fragiles, c’est-à-dire bien souvent les investisseurs récents, autrement dit les plus jeunes. Lorsqu’on sait qu’aujourd’hui près de la moitié des 4 300 producteurs des Côtes-d’Armor, troisième département pour la production laitière, ont plus de cinquante ans, on mesure mieux de quelle hypothèque on gage l’avenir.
Il est donc urgent qu’après avoir tergiversé le Gouvernement se saisisse enfin de la situation. Il est à craindre sinon qu’à très court terme nombre de producteurs ne soient acculés à la cessation d’activité dans les pires conditions et, par conséquence, que l’économie agricole dans toutes ses composantes ne soit touchée. Il est vital d’intervenir dès maintenant comme il l’est aussi de réfléchir à l’avenir de la filière dans sa globalité.
Sur toutes ces questions, la parole et les actes du Gouvernement sont attendus dans l’urgence, monsieur le ministre.