Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, un peu plus d’un an après l’adoption de la loi organisant la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC, censée faciliter les démarches du demandeur d’emploi, qui devait bénéficier d’un guichet unique, la réalité est loin d’être celle que l’on nous annonçait. Plutôt que d’un guichet unique, je parlerais pour ma part d’une vitrine unique !
Considérant que cette fusion dissimulait en réalité un projet d’ampleur destiné à accroître la coercition sur les salariés privés d’emploi et à renforcer l’employabilité – notion chère au Gouvernement comme au patronat – tant des demandeurs d’emploi que des personnels de la nouvelle agence, mon groupe s’était opposé à ce texte. Nous dénoncions alors les risques de la gestion par une seule personne des missions de placement, d’indemnisation, de contrôle et de sanction. Nous déplorions que cette réforme, adoptée en urgence, ne tire aucune conséquence des expérimentations menées dans plusieurs départements, notamment avec les maisons de l’emploi. Il s’agissait pourtant là d’un exemple de dispositif de guichet unique évitant l’écueil de la concentration des missions, l’une des principales causes des difficultés de mise en place de Pôle emploi.
Ces difficultés sont tellement nombreuses que tous les acteurs concernés – les demandeurs d’emploi comme les organisations syndicales, y compris celles qui étaient pourtant initialement favorables à la fusion – dénoncent aujourd’hui des conditions de travail qui ne permettent de répondre ni aux besoins des usagers ni à l’attente légitime des salariés.
Le premier des problèmes est celui de la double compétence. En effet, la fusion exige des salariés qu’ils accomplissent deux missions, pourtant distinctes et radicalement différentes : l’aide au placement et l’indemnisation.
En janvier 2008, nous vous mettions déjà en garde, monsieur le secrétaire d’État, contre les risques d’une fusion précipitée, qui ne permettrait pas aux salariés de la nouvelle agence de maîtriser les spécificités de leurs nouveaux métiers. Notre mise en garde ne visait naturellement pas à stigmatiser les agents ; elle procédait des inquiétudes qu’ils exprimaient. On s’aperçoit aujourd’hui que nos critiques étaient fondées : la fusion se réalise dans la douleur et la souffrance pour bon nombre d’entre eux. D’après M. Charpy, directeur général de Pôle emploi, 4 500 salariés seraient d’ores et déjà formés à la double compétence. Cependant, de quelle formation parle-t-il ? Là où, par le passé, la formation était de six mois, elle dure aujourd’hui de trois à sept jours ! Et comment, en cinq mois à peine, 4 500 agents auraient-ils pu être formés pour être des « interlocuteurs uniques » ?
Dans le même temps, Pôle emploi a créé le 3949, numéro surtaxé destiné à informer les salariés privés d’emploi sur leurs droits et les démarches à entreprendre. Il est inacceptable que le service public de l’emploi ne soit pas accessible gratuitement, c’est pourquoi nous exigeons la gratuité de ce numéro, d’autant que, depuis l’adoption de cette réforme, les demandeurs d’emploi ne peuvent plus bénéficier d’un accueil immédiat et sans rendez-vous par un conseiller : ils sont obligés de passer par le 3949. Ce n’est pas tant la modernité de l’outil qui est importante que son utilité sociale ! Or ce service vous permet, dans les faits, d’éloigner les demandeurs d’emploi de l’agence et de minimiser la gravité de la situation.
Pourtant, durant les débats parlementaires, vous présentiez cette réforme comme le gage d’une plus grande proximité. Or, avant la fusion, il y avait 650 antennes des ASSEDIC et 900 ANPE, soit plus de 1 500 sites répartis sur l’ensemble du territoire national. M. Charpy, lors de son audition au Sénat, a annoncé que, en octobre 2009, Pôle emploi comprendrait 946 sites, chiffre à peine supérieur, par conséquent, à celui des implantations de l’ex-ANPE ! Nous sommes bien loin d’une présence au plus près des besoins ; il s’agit plutôt d’une vaste opération immobilière…
Cette réforme s’opère donc contre les intérêts des demandeurs d’emploi. C’est d’ailleurs l’avis de M. Franck Marlin, député-maire d’Étampes, en Essonne, qui, réagissant à la fermeture du point-relais Pôle emploi de La Ferté-Alais, dénonçait une remise en cause de la qualité de ce service public et des prestations offertes aux usagers et déclarait que « cela mettra un terme [au] suivi personnalisé ». Nous ne pouvons que souscrire à ces propos.
Par ailleurs, le délai de traitement des dossiers ne cesse de s’allonger. Cette situation est sans doute à mettre en relation avec l’important manque de personnel. Pôle emploi compte 42 000 salariés, alors que le rapport de notre collègue Serge Dassault estime à 18 000 le nombre d’agents supplémentaires nécessaires pour tenir l’engagement, pris par Mme Lagarde lors de nos débats, de limiter le nombre de personnes suivies par chaque conseiller à 60, voire 30 pour les cas jugés les plus difficiles. Aujourd’hui, les organisations syndicales dénoncent le fait que ce chiffre puisse s’élever jusqu’à 100 ou à 150.
Eu égard à ce constat, le recrutement en urgence de 1 840 salariés supplémentaires n’est pas satisfaisant : il s’agit davantage d’une mesure destinée à résorber une partie de la crise que d’une réponse durable aux besoins des demandeurs d’emploi. En outre, ces recrutements – 1 000 se feront sous CDI, 500 sous CDD – concerneront surtout la plateforme téléphonique du 3949. Cela permettra un renforcement des effectifs à hauteur d’à peine un salarié supplémentaire par agence, ce qui n’est qu’une goutte d’eau au regard des quelque 2 000 nouvelles inscriptions quotidiennes. Là encore, les interrogations sont grandes : de quelle formation bénéficieront ces nouveaux recrutés ? Quelle sera sa durée ? Quand ces salariés seront-ils effectivement en mesure d’être des « interlocuteurs uniques » pour les demandeurs d’emploi ? Quant au recrutement supplémentaire de salariés sous contrats aidés, il témoigne d’une méconnaissance de la situation actuelle de l’emploi de la part tant du directeur général de Pôle emploi que du Gouvernement : la crise sera malheureusement durable, et elle exige des pouvoirs publics une réponse tout aussi durable.
Dans ce flot de recrutements, de nombreuses interrogations se font également jour au sujet des personnels d’orientation de l’AFPA, l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, qui devraient intégrer l’agence. Où seront-ils affectés ? Ces salariés étant environ 960, en comptera-t-on un par agence ? Quel sera ensuite leur lien avec l’AFPA ? Quel sera leur statut professionnel ? Cette question se pose d’ailleurs aussi pour les agents de Pôle emploi, issus de deux structures bien différentes.
En lieu et place de la mobilisation de moyens à la hauteur des défis à relever, nous assistons plutôt à une privatisation toujours plus étendue des missions du service public de l’emploi, au bénéfice des opérateurs privés de placement, les OPP. Cette privatisation est d’autant plus incontournable que les salariés de Pôle emploi se voient aujourd’hui contraints de confier à ces sociétés les demandeurs d’emploi correspondant au profil attendu. Cela explique sans doute pourquoi le budget de Pôle emploi consacré aux OPP est passé de 88 millions d’euros en 2008 à 100 millions d’euros en 2009 et devrait atteindre 200 millions d’euros l’année prochaine.
Pourtant, de l’aveu même de M. Charpy, directeur de l’ANPE à l’époque où il tenait ces propos, « pour des populations comparables, les résultats sont identiques entre l’ANPE et le privé […], mais pour un coût trois fois plus faibles à l’ANPE. […] On peut être public et efficace. » Le discours a radicalement changé aujourd’hui, alors que le service public reste pourtant largement moins coûteux que le secteur privé. Le rapport du Centre de recherche en économie et en statistique, le CREST, et de l’École d’économie de Paris remis en juin 2008 au Gouvernement le confirme : l’effet positif du recours aux opérateurs privés de placement est « jugé trop faible pour être statistiquement significatif ». À l’horizon de neuf mois, le taux de placement est de 5, 7 % dans le privé alors qu’il est de 16, 9 % dans le secteur public, pour des prestations facturées en moyenne 3500 euros pour chaque demandeur d’emploi par le privé, alors que le coût du placement n’est que de 700 euros dans le secteur public.
Monsieur le secrétaire d’État, nous continuons de penser que cette réforme procédait non pas, contrairement à ce que vous affirmez, d’un souci d’efficacité, mais bien de motivations dogmatiques et idéologiques. Il s’agissait, pour le Gouvernement, de permettre au patronat de disposer d’une main-d’œuvre à moindre coût en recourant, notamment par le biais du projet personnalisé d’accès à l’emploi et de l’offre raisonnable d’emploi, à la coercition sociale.
Les salariés privés d’emploi subissent cette politique de rigueur. Cette situation est d’autant plus inacceptable qu’ils sont par ailleurs victimes d’une politique entrepreneuriale reposant principalement sur une exigence de rentabilité et considérant la masse salariale comme une variable d’ajustement. Là encore, monsieur le secrétaire d'État, en refusant de prendre les mesures nécessaires pour limiter le recours à ce qui s’apparente à de véritables licenciements boursiers, le Gouvernement engage sa responsabilité.