Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, pour avoir consacré plus de trente années de ma vie professionnelle d’abord à l’ANPE, puis à l’AFPA, je suis viscéralement attaché au service public de l’emploi.
Dans ce contexte de crise, malgré les dysfonctionnements décrits par mes collègues de tous horizons politiques et les incertitudes actuelles, Pôle emploi joue une fonction irremplaçable d’amortisseur social. C’est pourquoi je veux rendre un hommage appuyé à ses 45 000 agents, tous animés de la volonté d’offrir le meilleur service au public. Ils ne sauraient évidemment être tenus responsables des graves difficultés observées. Premiers témoins de la détresse des demandeurs d’emploi qu’ils accueillent jour après jour, ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour atténuer les conséquences d’une réorganisation dévastatrice. D’ailleurs, appelés à cesser le travail au cours de la semaine dernière par les organisations syndicales, ils ont fait preuve d’un grand sens des responsabilités. J’ai le sentiment qu’ils n’ont pas voulu ajouter, par un mouvement social fort justifié néanmoins, des désagréments supplémentaires à la détresse des demandeurs d’emploi.
C’est une évidence, la mission dévolue à Pôle emploi est d’une importance majeure, particulièrement dans le présent contexte de forte dégradation de la situation de l’emploi. Le fonctionnement de ce service public devrait être optimal, Pôle emploi devrait notamment pouvoir se consacrer totalement à un accueil et à un suivi personnalisés du demandeur d’emploi, le système d’indemnisation devrait être le plus réactif possible. Or c’est loin d’être le cas ! Aujourd’hui, d’une certaine manière, le service public de l’emploi est en chantier. Les conséquences de cette situation sont évidemment fortement préjudiciables tant aux demandeurs d’emploi qu’aux entreprises, que je n’entends pas oublier, monsieur le secrétaire d’État.
Les demandeurs d’emploi sont soumis à une double peine. Lorsqu’ils se présentent à Pôle emploi à la suite de la perte de leur travail, dans un état d’inquiétude et de désordre psychologique aggravé par l’acuité de la crise, ils se retrouvent prisonniers de démarches qui prennent souvent l’allure d’un parcours kafkaïen – ce constat est unanime – et accroissent encore leur angoisse et leurs incertitudes. Les retards et les embouteillages sont manifestes.
Afin de rendre mon propos plus concret, je prendrai l’exemple de ma région : un agent de Pôle emploi y suit en moyenne 200 dossiers individuels. Nous sommes loin de l’objectif visé par l’institution, à savoir 60 dossiers par agent ! Que dire en outre de l’accueil téléphonique au 3949, onéreux et totalement impersonnel ? Mes collègues ayant évoqué ce point, je n’y insisterai pas. Par ailleurs, la mise en place du RSA au moment même où Pôle emploi est en pleine restructuration m’inquiète beaucoup en tant que président de conseil général. Pour les départements, en effet, l’enjeu est non seulement social, mais aussi financier.
Pour ce qui concerne les entreprises, chaque jour apporte son lot de mauvaises nouvelles. Dans mon département, à quarante-huit heures d’intervalle, deux entreprises industrielles ont disparu, à savoir la Papeterie du Doubs, à Novillars, et l’entreprise GFD, à l’Isle-sur-le-Doubs. Une sorte de fatalisme devant le spectacle permanent de la destruction industrielle semble s’installer. Dans ce climat, nous devrions pouvoir compter sur un service public de l’emploi offensif, à la recherche de tous les emplois disponibles, capable de promouvoir des dispositifs d’accompagnement vers l’emploi et d’orienter vers les parcours de formation. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez besoin d’un tel service pour mener votre politique de l’emploi, et nous-mêmes en avons besoin dans nos territoires.
À Versailles, le Président de la République a affirmé la nécessité de promouvoir les parcours de transition professionnelle. Mais ne risque-t-on pas d’en rester aux incantations ? Comment Pôle emploi pourrait-il remplir cette double mission essentielle de prospection et de conseil à l’entreprise, alors qu’il ne peut plus assurer sa fonction élémentaire d’accueil des demandeurs d’emploi ? Monsieur le secrétaire d’État, les statistiques émanant de vos services indiquent que Pôle emploi a collecté au mois d’avril dernier 25, 7 % d’offres d’emploi de moins, toutes catégories confondues, qu’au mois d’avril 2008. Cette baisse traduit, à l’évidence, la détérioration de la situation de l’emploi, mais je suis convaincu que ce chiffre témoigne aussi de l’incapacité de Pôle emploi à mobiliser l’ensemble des potentialités du marché du travail.
Quelles sont les causes de ces dysfonctionnements ?
Fusionner les ANPE et les ASSEDIC pouvait sembler une idée séduisante, puisqu’il s’agissait de mettre en place un guichet unique et, par conséquent, de faciliter la vie des usagers. En 1967, lorsque Jacques Chirac, alors jeune secrétaire d’État aux affaires sociales, a créé l’ANPE par ordonnance, d’aucuns avaient appelé de leurs vœux la création d’un service unique. M. Chirac n’avait pas suivi cette voie, compte tenu des nombreux inconvénients qu’une telle fusion paraissait comporter. Le gouvernement actuel a estimé que cette fusion était possible et l’a réalisée. Hélas ! tous s’accordent à reconnaître que c’est un échec, tant pour les usagers que pour les personnels.
Vous avez réuni les ingrédients du désastre, même si, je vous l’accorde, toute la responsabilité de cette situation ne peut vous être imputée.
En premier lieu, cette réforme intervient au pire moment, eu égard à la dégradation actuelle du marché de l’emploi. Les statistiques font ainsi apparaître que l’on dénombrait 2, 5 millions de demandeurs d’emploi de catégorie A au mois d’avril, ce qui marque une progression de 24 % par rapport à avril 2008. Dans ma seule région, la Franche-Comté, qui, vous le savez, est frappée par le déclin industriel, cette augmentation atteint presque 40 %. Les travaux de restructuration d’un grand magasin doivent-ils avoir lieu au moment des plus fortes ventes ?
Une cause plus profonde de l’échec est d’ordre culturel et structurel. L’ANPE et les ASSEDIC sont de culture différente : la première est un organisme administratif, les secondes sont d’essence paritaire. Les agents des ASSEDIC ont un statut de droit privé et, à grade équivalent, leur salaire est de 30 % supérieur à celui de leurs homologues de l’ANPE.
Au-delà et surtout, les métiers sont différents. L’ANPE assure une fonction d’intermédiation sur le marché du travail, qui comporte deux missions complémentaires : d’une part, l’accompagnement du demandeur d’emploi, d’autre part, la prospection et le conseil à l’entreprise. Les ASSEDIC, quant à elles, procèdent à l’indemnisation des chômeurs et recueillent les cotisations auprès des entreprises : c’est tout autre chose.
Monsieur le secrétaire d’État, vos services ont probablement mal mesuré ces différences. De ce fait est apparu un troisième ingrédient de l’échec : l’effort de formation est insuffisant, avec seulement trois jours de formation pour acquérir les techniques d’indemnisation, sept pour apprendre à accompagner les demandeurs d’emploi ! L’ampleur de la réforme ayant sans doute été sous-estimée, les modalités de cette fusion n’ont pas fait l’objet d’un dialogue suffisant avec les organisations syndicales. Voulant aller vite dans l’intérêt du service public– je ne vous fais pas de procès d’intention –, vous avez agi à la hussarde, sans réfléchir suffisamment à l’organisation du travail.
Vous vous apprêtez, de surcroît, à intégrer les 900 psychologues de l’AFPA au sein de Pôle emploi. Dans le contexte actuel, est-il vraiment opportun d’ajouter une difficulté et de créer un désordre supplémentaire au sein de cette autre composante du service public de l’emploi ?
Monsieur le secrétaire d’État, comment permettre aujourd’hui au service public de sortir de cette situation, indigne pour les demandeurs d’emploi et que la représentation sénatoriale ne peut accepter de voir perdurer ? Elle entrave en outre la fluidité du marché du travail, précisément à un moment où il est plus que jamais nécessaire de faire preuve de réactivité.
J’attends que vous dressiez un état précis de la situation actuelle. Je souhaite, en particulier, que vous fassiez un inventaire exhaustif des conséquences de cette réforme pour les demandeurs d’emploi et pour les entreprises.
J’attends aussi que vous nous fassiez part des mesures correctrices que vous entendez prendre. Il faudra nécessairement, me semble-t-il, redéfinir les conditions du dialogue social au sein de Pôle emploi et revoir les dispositions relatives à l’organisation, en particulier la définition du contenu des différents postes de travail. La polyvalence doit-elle s’imposer immédiatement ? Du point de vue des ressources humaines, les exigences en matière de formation et de recrutement devront être revues.
Enfin, quelles seront les conséquences immobilières, informatiques et financières de la réforme ? Alors que celle-ci devait déboucher sur la mutualisation et l’optimisation des ressources des deux institutions, on peut craindre, monsieur le secrétaire d’État – mais j’espère me tromper –, qu’elle ne coûte très cher au contribuable au regard du gain de service enregistré, indépendamment des effets de la conjoncture.
N’en doutez pas, monsieur le secrétaire d’État, votre réponse sera examinée avec la plus grande attention par la représentation nationale, par l’ensemble des personnels et, j’en suis sûr, par les millions de demandeurs d’emploi qui, aujourd’hui, attendent du service public un accompagnement qu’ils ne trouvent plus.