Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 30 mai dernier, le Sénat a adopté la résolution n° 84 sur la proposition de décision-cadre relative à l’utilisation de données des dossiers « passagers », dites PNR, à des fins répressives.
Cette résolution est le fruit d’une initiative de notre collègue Simon Sutour - il ne peut malheureusement être présent aujourd’hui -, au nom de la commission des affaires européennes.
Étant le premier orateur, je rappellerai que les données dites PNR, pour Passenger Name Record, sont celles qui sont recueillies par les compagnies aériennes et les agences de voyage auprès des passagers à l’occasion de la réservation d’un vol.
Le projet européen de collecte des données PNR à des fins de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée fait naturellement écho au système mis en place par les États-Unis à la suite des attentats de 2001. La création de ce système a d’ailleurs donné lieu à d’âpres négociations entre l’Union européenne et les États-Unis pour définir les conditions dans lesquelles les compagnies opérant des vols transatlantiques pouvaient transmettre ces données.
Cette négociation et ses rebondissements ont eu un double effet.
Tout d’abord, les pouvoirs publics et les opinions ont été à cette occasion alertés sur les risques liés à une utilisation extensive de données recueillies initialement dans un but commercial. L’Union européenne s’est efforcée, avec un succès très mitigé, de faire valoir la conception européenne de la protection des données personnelles.
Dans le même temps, cette négociation a éveillé l’intérêt des services de sécurité européens pour ces données dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, voire dans la lutte contre la criminalité organisée.
Du point de vue du respect des droits fondamentaux, les risques sont, à nos yeux, de plusieurs ordres.
Les systèmes PNR peuvent être comparés à des filets dérivants, capturant de nombreuses données relatives à des citoyens ordinaires afin, d’une part, de détecter des activités terroristes ou criminelles et, d’autre part, de pouvoir « réveiller » ces données au bout de plusieurs années en cas de besoin. Cette démarche est distincte de celle des fichiers de police traditionnels, qui ont pour objet d’accumuler des données sur des personnes déjà connues des services.
Le principal reproche fait à cette collecte indifférenciée est que chaque utilisateur est considéré comme un suspect a priori : les données personnelles le concernant sont conservées au cas où elles se révéleraient intéressantes ultérieurement.
En conséquence, le principe de proportionnalité requiert de mettre en balance les sacrifices consentis au détriment du respect des droits fondamentaux et les gains pour la sécurité. Or, de ce point de vue, force est de constater que les éléments précis et chiffrés manquent. Pour des raisons compréhensibles, mais dommageables pour le débat public, les services de sécurité restent discrets sur les résultats obtenus…
En outre, par nature, il est très difficile d’isoler la plus-value qu’apportent ces données. Comme l’a précisé le directeur de la DCRI, la Direction centrale du renseignement intérieur, en matière de renseignement, il est très rare qu’une donnée soit à elle seule décisive. Les données PNR ne dérogent pas à cette règle : venant compléter une panoplie documentaire, elles fournissent une multitude de petites informations qui, agrégées à d’autres, peuvent constituer autant de signaux d’alarme.
Dans ces conditions, que penser du projet de PNR européen ?
La résolution du Sénat en prend acte, sans l’approuver ni le dénoncer.
À titre personnel, et compte tenu des auditions que j’ai menées et des premiers retours d’expérience, j’estime que ces données ne sont pas redondantes par rapport à d’autres systèmes d’information en vigueur. Elles m’apparaissent également comme une aide précieuse pour les services de sécurité.
Toutefois, une limite me semble ne pas devoir être franchie : l’extension de la collecte des données PNR à des vols nationaux ou intracommunautaires. Si tel devait être le cas, l’équilibre entre liberté et sécurité serait rompu.
Si donc la résolution du Sénat ne rejette pas le principe d’un PNR européen, elle pose plusieurs conditions nécessaires au respect du principe de proportionnalité. Compte tenu du temps qui m’est imparti, et qui sera vite atteint, je n’insisterai que sur quelques points.
Premièrement, les finalités du système doivent être précisées. La référence à des infractions graves ou à la criminalité organisée est trop floue.
La piste dégagée par les travaux du Conseil est intéressante ; il s'agit de se référer aux trente-deux catégories d’infractions permettant de recourir au mandat d’arrêt européen. Toutefois, elle ne saurait exonérer d’un examen de chacune de ces catégories afin de s’assurer de leur pertinence par rapport à l’exploitation des données PNR.
Deuxièmement, si la plupart des données PNR collectées apparaissent utiles, un point délicat demeure, celui des données sensibles, c’est-à-dire celles qui révèlent « la race ou l’origine ethnique, les convictions religieuses, les opinions politiques, l’appartenance à un syndicat, la santé ou l’orientation sexuelle ».
Ces informations ne constituent pas à proprement parler l’une des catégories de données PNR et, lorsqu’elles figurent parmi les données PNR transmises, elles se trouvent en réalité dans la rubrique « 12) Remarques générales ». Cette rubrique est un champ libre dans lequel les compagnies aériennes peuvent inscrire des informations relatives au handicap d’une personne ou à ses préférences alimentaires, par exemple.
La résolution du Sénat préconise une solution simple et claire : exclure purement et simplement cette rubrique de la liste des données PNR qui seraient transmises, ce qui présenterait plusieurs avantages.
Ainsi, la question technique du filtrage des données sensibles au sein de la rubrique « Remarques générales » ne se poserait plus. En outre, cette solution répondrait à la fois aux critiques formulées contre l’utilisation des données sensibles et aux réticences plus générales de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, quant à l’utilisation de ces « champs libres ».
Surtout, cette exclusion permettrait d’apaiser le débat sur le PNR européen sans que les capacités opérationnelles des services de sécurité en soient pour autant véritablement affectées. En effet, les auditions des responsables de ces services ont fait apparaître que cette rubrique était en définitive la moins utile.
Troisièmement, s’agissant de la conservation des données par les services de sécurité, qui est un point important, la durée initialement envisagée de treize ans était inacceptable. Si les durées actuellement discutées sont plus raisonnables - entre six et dix ans -, elles semblent encore excessives compte tenu des besoins exprimés par les services de sécurité. Pour ces derniers, une durée de cinq ans serait suffisante, les comportements des terroristes et des filières étant très mouvants.
Pour ces raisons, la résolution du Sénat préconise de distinguer une première phase de conservation de trois ans, à laquelle succéderait une phase de préservation de trois ans des seules données ayant présenté un intérêt particulier au cours de la première phase. Le fichier des données PNR se rapprocherait ainsi, au cours de cette seconde phase, du format habituel d’un fichier de police.
La résolution du Sénat soulève bien d’autres problèmes que je ne ferai que citer : la désignation précise des destinataires des données, le renforcement des droits des personnes concernées ou l’encadrement strict des transmissions de données à des États tiers.
Pour résumer la résolution du Sénat, on peut la qualifier d’exigeante au nom du respect de la vie privée et de la liberté d’aller et venir.
Nous n’ignorons pas que les négociations européennes ont déjà permis de faire évoluer le projet dans le bon sens sur plusieurs points. Il reste néanmoins en retrait par rapport à la position de la Haute Assemblée.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser le stade d’avancement des négociations ainsi que la position du Gouvernement par rapport à la résolution dans son ensemble mais aussi par rapport aux points particuliers que j’ai soulevés, à savoir les données sensibles, la durée de conservation et l’exclusion des vols intracommunautaires ?