On me permettra, avant d’entrer dans le vif du sujet, de relever un « couac » gouvernemental quant à la détermination du destinataire de ma question.
Celle-ci concerne en effet les enfants recueillis en France au titre d’une procédure non reconnue dans le droit français, la kafala, et porte plus précisément sur les conditions d’entrée en France d’enfants étrangers recueillis par des familles françaises. Je m’attendais donc à ce que Mme la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales ou M. le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire réponde à ma question. Or les services de Matignon m’ont fait savoir que, en raison de son sujet, elle devait être transmise à Mme la garde des sceaux – ce qui m’a d’ailleurs étonnée, puisque le thème ne relève pas de son domaine.
Cela étant, aujourd’hui se produit exactement ce que je craignais : l’interlocuteur que j’attendais en premier lieu est absent, l’interlocuteur qui m’a été attribué d’office également ! J’ose espérer, monsieur le secrétaire d’État, que vous serez en mesure de répondre à ma question, au nom du Gouvernement bien entendu. Je déplore néanmoins que ce sujet, si sérieux pour de nombreuses familles françaises, ne fasse pas l’objet de l’attention qu’il mérite de la part du ministre compétent aux sens juridique et politique du terme.
Je souhaite donc aujourd’hui interpeller le Gouvernement sur un sujet qui préoccupe de nombreuses familles françaises ayant choisi de recueillir dans leur foyer un enfant abandonné par la voie de la kafala judiciaire, une procédure qui concerne exclusivement le Maroc et l’Algérie et se substitue, dans le droit interne de ces pays, à la procédure de l’adoption, institution qu’ils ne reconnaissent pas.
La kafala judiciaire est un parcours sécurisé, encadré et structuré qui permet le placement d’un enfant abandonné dans un foyer, sous le contrôle strict d’un juge. Il s’agit en réalité d’une mesure proche, quant à ses effets, de l’adoption simple.
Je n’entrerai pas ici dans le débat sur la reconnaissance de cette institution dans le droit interne français : le deuxième alinéa de l’article 370-3 du code civil la prohibe.
Je souhaite néanmoins attirer votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur les obstacles auxquels se heurtent les parents ayant obtenu un jugement de kafala au Maroc ou en Algérie lorsqu’ils veulent faire venir sur le territoire français les enfants recueillis.
Alors même qu’ils bénéficient d’un agrément de leur département de résidence, ces parents éprouvent de très grandes difficultés à obtenir les visas nécessaires. Les représentants français au Maroc et en Algérie ne délivrent ceux-ci qu’au compte-gouttes, allant même jusqu’à effectuer, avant de se prononcer, un contrôle d’opportunité sur le bien-fondé de la mesure de placement prise par le juge compétent.
Les délais d’octroi des visas sont extrêmement longs, de trois à six mois au minimum. Ces délais trop longs ne sont pas sans conséquences pour les parents, qui doivent endurer un véritable parcours du combattant : difficultés professionnelles, séparation très longue d’avec l’enfant recueilli, aller-retour souvent extrêmement coûteux. Il faut ajouter à cela l’absence de droits sociaux, tels que le congé d’adoption ou l’inscription à la sécurité sociale.
Cette situation est liée à un problème très simple : l’absence de consignes et de circulaires des services compétents concernant le traitement spécifique des demandes de visas de parents recourant à la procédure de la kafala.
Ces familles aspirent à une reconnaissance légitime du lien qui se crée par la voie de la kafala judiciaire, et souhaitent que l’arrivée en France de l’enfant recueilli, qui est inévitable et a lieu dans l’intérêt de ce dernier, soit mieux encadrée juridiquement.
C’est pourquoi je fais appel à vous, monsieur le secrétaire d’État : il me semble qu’il est aussi de votre devoir de garantir à ces personnes le droit de vivre en famille en prescrivant un traitement uniforme et diligent des demandes de visas pour les enfants recueillis par kafala.
Il est devenu nécessaire d’élaborer à l’intention des postes consulaires une circulaire qui rappellerait les règles applicables en matière de délivrance des visas pour les enfants recueillis par kafala et définirait de manière précise les documents devant être produits, tels que l’acte de naissance de l’enfant, la décision de justice et l’autorisation de sortie du territoire délivrée par le juge des tutelles.
Permettez-moi de préciser que le Conseil d’État a développé depuis plusieurs années une jurisprudence constante concernant l’octroi de visas aux enfants recueillis par kafala : l’entrée en France d’un enfant recueilli par cette voie relève de la procédure de regroupement familial pour les enfants algériens, et d’un visa classique pour les enfants marocains. Le Conseil d’État a clairement défini le cadre du pouvoir d’appréciation des autorités consulaires en la matière et sanctionne systématiquement les refus d’octroi de visa, sur la base d’une atteinte disproportionnée au droit des requérants au respect de leur vie privée.
En se fondant sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que sur l’alinéa 1 de l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant, qui reconnaît que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale », la haute juridiction garantit l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi qu’une meilleure prise en compte des obstacles administratifs et financiers rencontrés par les parents dans l’accomplissement de leur démarche. Dans ces affaires, le juge a systématiquement condamné l’autorité administrative à délivrer sous un mois le visa de l’enfant.
Ma question est donc simple, monsieur le secrétaire d’État : vous engagez-vous ici à permettre un meilleur traitement des demandes de visa pour les enfants recueillis par kafala et entendez-vous rendre la délivrance de ces visas conforme aux engagements internationaux de la France en clarifiant par une circulaire les règles applicables ?