Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 2 mars 2006 à 15h00
Égalité des chances — Article 5

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Cet excellent amendement vise à supprimer ce très mauvais article !

Nous l'avons déjà dit, pour le déplorer, et nous ne cesserons de le répéter jusqu'à la fin de l'examen du présent projet de loi, l'utilisation par le Gouvernement de l'article 49-3 de la Constitution a privé les députés d'un véritable débat sur les trois quarts de ses articles. Seule une poignée de députés aura donc l'occasion d'examiner les trois quarts de ce projet de loi. C'est tout de même phénoménal !

L'article 5, relatif au dispositif dit de « soutien à l'emploi des jeunes en entreprise », ou SEJE, fait partie de cette série de dispositions qui n'ont pas pu être examinées en séance publique à l'Assemblée nationale. Cela aurait dû contraindre le rapporteur de la commission des affaires sociales du Sénat à se montrer beaucoup plus exigeant s'agissant de la présentation du dispositif actuel, de son bilan et des raisons justifiant son extension. Or tel n'est pas le cas.

Une fois encore, l'objectif affiché du dispositif - l'accès à l'emploi des jeunes issus des zones urbaines sensibles, ou ZUS - devrait, à lui seul, rendre inutiles toutes les questions que nous sommes pourtant en droit de nous poser.

Initialement réservé aux jeunes âgés de seize à vingt-deux ans sans qualification, titulaires d'un CAP ou d'un BEP ou ayant le niveau bac, embauchés en contrat à durée indéterminée par les entreprises, ce dispositif, qui a valu aux employeurs de bénéficier d'une aide forfaitaire durant trois ans, a largement manqué sa cible. En effet, les entreprises, guère citoyennes, ont d'abord embauché des jeunes dont le niveau de formation était le plus élevé.

Pour inciter les entreprises à embaucher des jeunes sans qualification, la loi de programmation pour la cohésion sociale a aménagé ce dispositif. L'aide versée à l'employeur a été modulée en fonction du niveau de formation initiale des jeunes. Le public éligible a été élargi aux jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans, ayant le niveau collège ou première année de CAP ou de BEP et bénéficiant d'un accompagnement personnalisé dans le cadre d'un contrat d'insertion dans la vie sociale.

Nous avions alors douté de l'efficacité de ce dispositif en termes d'insertion durable des jeunes sans qualification dans l'emploi, dès lors que leur formation et leur accompagnement par l'employeur, clés d'une insertion réussie, restaient facultatifs.

Aujourd'hui, alors qu'aucun bilan préalable n'a été effectué, nous nous interrogeons sur les modifications envisagées pour ce dispositif, lesquelles en changent sensiblement l'orientation.

Qu'il s'agisse de l'éligibilité prioritaire des jeunes issus des territoires relevant de la politique de la ville ou de l'élargissement du champ des bénéficiaires à l'ensemble des jeunes au chômage depuis plus de six mois, dans l'un et l'autre cas, l'employeur se verra verser une prime, laquelle sera d'ailleurs cumulable avec les « allégements Fillon » de cotisations sociales accordés pendant trois ans, quel que soit le niveau d'études du jeune embauché.

Les employeurs sont donc fortement incités à recruter, pour pourvoir des postes sous-qualifiés et sous-rémunérés, des jeunes qui sont a priori plus à l'abri du chômage et de la précarité en raison de leurs diplômes. Ces jeunes peinent à trouver leur place sur le marché du travail, restent plus longtemps au chômage ou sont cantonnés à des emplois d'ouvrier ou d'employé. Alors que leurs compétences sont égales à celles des autres jeunes ne vivant pas dans des quartiers sensibles, ils sont victimes de discriminations à l'embauche, en raison du double effet « quartier » et « origine ».

Autant dire que vous favorisez les effets d'aubaine, de substitution et d'ethnicisation du travail, tout en laissant entiers les problèmes de lutte contre les inégalités liées à l'origine de la personne ou à son niveau d'études, voire à son adresse.

Si l'intitulé de l'article 5 est de prime abord séduisant, son contenu, nous venons de le voir, est, lui, tout à fait insatisfaisant. Nous vous proposons donc de supprimer cet article.

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