Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici donc rassemblés pour discuter d’un texte important, à savoir le projet de loi relatif à la garde à vue. À cet égard, je ne doute pas que, au cours des prochaines heures, l’assistance s’étoffera et que plusieurs sénatrices et sénateurs rejoindront leurs collègues qui nous font l’honneur d’être présents ce matin dans l’hémicycle.
Le présent projet de loi doit être apprécié à l’aune des réformes conduites ces dernières années en faveur de la défense des droits et des libertés constitutionnellement garantis.
En effet, c’est en vertu de la réforme constitutionnelle de 2008, qui a mis en œuvre le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, dont nous avons fêté hier le premier anniversaire, que nous débattons ici ce matin. Saisi sur ce fondement, le Conseil constitutionnel a en effet déclaré non conformes à notre constitution un certain nombre de dispositions relatives à la garde à vue.
À celles et à ceux qui ont voté cette réforme constitutionnelle, je veux dire qu’ils doivent aujourd’hui s’engager dans la réforme de la garde à vue de façon claire, avec enthousiasme, sans avoir à craindre quoi que ce soit.
La garde à vue fait partie intégrante de l’enquête. De fait, notre système d’enquête doit établir un équilibre entre deux objectifs d’égale valeur constitutionnelle : d’une part, l’objectif de sécurité et de sûreté, garanti par la déclaration universelle des droits de l’homme ; d’autre part, l’objectif de respect des garanties et des libertés constitutionnellement protégées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que l’a déclaré le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010, il vous appartient d’établir ce nouvel équilibre.
À l’Assemblée nationale, le présent texte a recueilli un assentiment assez large puisque seuls trente-deux députés se sont prononcés contre celui-ci, leurs autres collègues votant pour ou s’abstenant. Connaissant l’attachement du Sénat à la défense des libertés, je suis certain, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous aurez à cœur d’apporter votre pierre à l’édifice et de construire l’équilibre nouveau auquel vous appelle le Conseil constitutionnel. Comme le déclarait celui-ci, « il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties [...] ».
Le Gouvernement a bâti ce projet de loi sur le fondement à la fois de cette décision du Conseil constitutionnel, mais aussi de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, à plusieurs reprises au cours de ces dernières années, a condamné la France en raison de certaines règles déterminant le régime de la garde à vue.
Par ailleurs, le Gouvernement s’est appuyé sur les arrêts rendus en octobre et en décembre 2010 par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Ce nouvel équilibre doit donc reposer sur l’observation de règles constitutionnelles et de règles conventionnelles.
Le présent projet de loi s’articule autour de deux idées : d’une part, il convient d’inscrire la garde à vue dans un cadre nouveau, rénové : celle-ci doit davantage respecter les libertés individuelles et la dignité des personnes qui y sont soumises ; d’autre part, la garde à vue doit faire l’objet d’un contrôle, question très importante autour de laquelle se sont naturellement focalisés un certain nombre de débats : qui doit contrôler la garde à vue ? quelle autorité judiciaire est chargée de son contrôle ?
S’agissant du point liminaire, une première exigence est pour moi fondamentale, celle d’un encadrement plus strict de la garde à vue : celle-ci doit être limitée à la seule nécessité de la manifestation de la vérité. Ensuite, et c’est la seconde exigence, les droits du gardé à vue doivent être accrus.
Tout d’abord, donc, la garde à vue doit être plus strictement encadrée et il convient d’éviter la banalisation dont elle a fait l’objet ces dernières années.
Deux raisons expliquent cette banalisation : l’une de droit, l’autre factuelle.
D’une part, les personnes gardées à vue bénéficiant de garanties, la Cour de cassation a, à travers plusieurs arrêts, été amenée à rendre plus facile, en quelque sorte, le recours à cette pratique ; d’autre part, la garde à vue est devenue – il faut bien le reconnaître – un procédé habituel d’enquête.
Le Gouvernement entend véritablement limiter l’usage de la garde à vue. En 2009, nous avons enregistré près de 800 000 gardes à vue ; l’année dernière, toutes catégories confondues, leur nombre a sensiblement diminué, sans qu’il puisse encore être précisément établi – probablement 100 000 de moins. Il s’agit là d’un fait notable, et j’espère bien que cette tendance se poursuivra.
Désormais, la garde à vue n’est justifiée que si elle répond à des critères précis. C’est, du moins, ce que nous proposons.
Ces critères sont les suivants.
L’enquêteur doit établir que le placement en garde à vue est l’unique moyen de permettre l’exécution des investigations, ou encore l’unique moyen d’empêcher la personne de modifier les preuves, de faire pression sur les témoins et les victimes ou de se concerter avec ses complices.
Ce dispositif permet donc de concentrer la garde à vue sur son objectif essentiel : être un outil au service de l’enquête.
Le texte qui vous est soumis rappelle également qu’une garde à vue n’est justifiée que lorsqu’une mesure de contrainte est indispensable à l’enquête. En l’absence de cette nécessité de coercition, la garde à vue n’est pas obligatoire, quand bien même certains des critères évoqués seraient réunis.
S’il est très difficile aujourd’hui de quantifier les effets de ces règles nouvelles, nous souhaitons que l’encadrement plus strict des critères de garde à vue ait des conséquences importantes sur leur nombre.
Nous attendons une diminution de l’ordre de 300 000 gardes à vue par an. Il en resterait néanmoins près de 500 000, ce qui est loin d’être négligeable, comme nous devons en avoir conscience. D’ailleurs, faire fonctionner le nouveau système avec plus de gardes à vue paraît naturellement impossible. Il s’agit donc d’encadrer leur nombre.
Le projet de loi vise aussi – c’est plus fondamental – à introduire des mesures essentielles pour la protection des droits en garde à vue.
La première avancée, la plus symbolique mais aussi celle qui nous manquait probablement le plus, est l’assistance effective de l’avocat dès la première minute de la garde à vue, disposition qui est au cœur du projet.
En renforçant la présence et les moyens d’intervention de l’avocat, le texte apportera de nouvelles garanties aux droits de la défense. Je voudrais rappeler les mesures essentielles de ce point de vue.
D’abord, la personne gardée à vue pourra bénéficier de l’assistance de son avocat tout au long de la procédure.
Ensuite, les moyens d’intervention de l’avocat sont renforcés : il aura accès au procès-verbal de notification et aux procès-verbaux d’audition.
Enfin, l’avocat pourra poser des questions et présenter des observations.
Votre commission a, par ailleurs, réécrit les dispositions relatives à la résolution des difficultés d’organisation de cette intervention, notamment en cas de conflit d’intérêt, et lorsqu’une pluralité d’auditions rend nécessaire la présence de plusieurs avocats.
Au cours des débats à l’Assemblée nationale, ce dispositif a été enrichi, par un amendement du Gouvernement reprenant explicitement la jurisprudence Salduz de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, qui précise qu’aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des déclarations faites sans avocat. Il s’agit donc ici d’une garantie essentielle. Aucun propos auto-incriminant ne pourra être retenu sans qu’un avocat puisse assister ou conseiller la personne gardée à vue.
Cela s’inscrit dans le droit-fil de la philosophie qui sous-tend le projet de loi. Nous passons très clairement d’une culture de l’aveu à une culture de la preuve. Cela nécessite forcément des efforts culturels importants. Si le Gouvernement a souhaité que l’arrêt Salduz figure à l’article 1er du texte, c’est pour souligner ce changement fondamental.
Ces garanties sont extrêmement importantes.
Le projet de loi pose également le principe selon lequel la personne placée en garde à vue doit être informée de son droit à conserver le silence. Il s’agit aussi d’une mesure essentielle.
Certes, cela remet en cause un certain nombre de nos pratiques. Ce matin, en préparant mon intervention, je relisais dans la revue L’Observatoire de Bruxelles, un article sur la jurisprudence européenne concernant un arrêt de la Cour de Strasbourg qui remet en cause les pratiques procédurales. Ainsi, demander au gardé à vue de dire toute la vérité et rien que la vérité est tout à fait contraire au droit que l’on a de se taire.
Cela démontre les changements profonds que ce texte introduit dans notre procédure pénale, ainsi que les bouleversements culturels impliqués par cette réforme de la garde à vue.
L’exigence d’être informé du droit à conserver le silence est tout à fait essentielle. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs rappelé en juillet dernier, et cette norme est reconnue dans la plupart des pays occidentaux. Notre législation se devait, en conséquence, de prévoir expressément cette disposition.
Votre commission a, de plus, utilement précisé que, outre le droit de faire prévenir un proche, le gardé à vue majeur incapable pouvait faire prévenir son tuteur ou son curateur, et que le gardé à vue de nationalité étrangère pouvait faire prévenir les autorités consulaires de son pays d’origine.
Enfin, l’Assemblée nationale a souhaité prévoir un délai de deux heures avant toute audition, à compter de l’avis donné à l’avocat, une fois que celui-ci a été choisi et appelé. Le principe d’un délai de route n’est pas illégitime, mais celui-ci devrait, à mon avis, être concilié avec les impératifs de l’enquête. En effet, il conduit en pratique – l’avocat ne pourra en effet pas être avisé au moment de l’interpellation ; il ne pourra l’être qu’une fois notifié formellement le placement en garde à vue au commissariat ou à la brigade de gendarmerie – à devoir attendre trois heures avant toute audition, au préjudice de l’enquête, et ce alors même que le gardé à vue pourra toujours, s’il le souhaite, garder le silence et qu’il bénéficiera de la jurisprudence Salduz que je viens de rappeler.
C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement de compromis, réduisant ce délai à une heure. Mais j’ai constaté la position de la commission des lois du Sénat et j’aurai beaucoup à faire pour vous convaincre !