La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
(Texte de la commission)
Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici donc rassemblés pour discuter d’un texte important, à savoir le projet de loi relatif à la garde à vue. À cet égard, je ne doute pas que, au cours des prochaines heures, l’assistance s’étoffera et que plusieurs sénatrices et sénateurs rejoindront leurs collègues qui nous font l’honneur d’être présents ce matin dans l’hémicycle.
Le présent projet de loi doit être apprécié à l’aune des réformes conduites ces dernières années en faveur de la défense des droits et des libertés constitutionnellement garantis.
En effet, c’est en vertu de la réforme constitutionnelle de 2008, qui a mis en œuvre le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception, dont nous avons fêté hier le premier anniversaire, que nous débattons ici ce matin. Saisi sur ce fondement, le Conseil constitutionnel a en effet déclaré non conformes à notre constitution un certain nombre de dispositions relatives à la garde à vue.
À celles et à ceux qui ont voté cette réforme constitutionnelle, je veux dire qu’ils doivent aujourd’hui s’engager dans la réforme de la garde à vue de façon claire, avec enthousiasme, sans avoir à craindre quoi que ce soit.
La garde à vue fait partie intégrante de l’enquête. De fait, notre système d’enquête doit établir un équilibre entre deux objectifs d’égale valeur constitutionnelle : d’une part, l’objectif de sécurité et de sûreté, garanti par la déclaration universelle des droits de l’homme ; d’autre part, l’objectif de respect des garanties et des libertés constitutionnellement protégées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ainsi que l’a déclaré le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010, il vous appartient d’établir ce nouvel équilibre.
À l’Assemblée nationale, le présent texte a recueilli un assentiment assez large puisque seuls trente-deux députés se sont prononcés contre celui-ci, leurs autres collègues votant pour ou s’abstenant. Connaissant l’attachement du Sénat à la défense des libertés, je suis certain, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous aurez à cœur d’apporter votre pierre à l’édifice et de construire l’équilibre nouveau auquel vous appelle le Conseil constitutionnel. Comme le déclarait celui-ci, « il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties [...] ».
Le Gouvernement a bâti ce projet de loi sur le fondement à la fois de cette décision du Conseil constitutionnel, mais aussi de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, à plusieurs reprises au cours de ces dernières années, a condamné la France en raison de certaines règles déterminant le régime de la garde à vue.
Par ailleurs, le Gouvernement s’est appuyé sur les arrêts rendus en octobre et en décembre 2010 par la chambre criminelle de la Cour de cassation.
Ce nouvel équilibre doit donc reposer sur l’observation de règles constitutionnelles et de règles conventionnelles.
Le présent projet de loi s’articule autour de deux idées : d’une part, il convient d’inscrire la garde à vue dans un cadre nouveau, rénové : celle-ci doit davantage respecter les libertés individuelles et la dignité des personnes qui y sont soumises ; d’autre part, la garde à vue doit faire l’objet d’un contrôle, question très importante autour de laquelle se sont naturellement focalisés un certain nombre de débats : qui doit contrôler la garde à vue ? quelle autorité judiciaire est chargée de son contrôle ?
S’agissant du point liminaire, une première exigence est pour moi fondamentale, celle d’un encadrement plus strict de la garde à vue : celle-ci doit être limitée à la seule nécessité de la manifestation de la vérité. Ensuite, et c’est la seconde exigence, les droits du gardé à vue doivent être accrus.
Tout d’abord, donc, la garde à vue doit être plus strictement encadrée et il convient d’éviter la banalisation dont elle a fait l’objet ces dernières années.
Deux raisons expliquent cette banalisation : l’une de droit, l’autre factuelle.
D’une part, les personnes gardées à vue bénéficiant de garanties, la Cour de cassation a, à travers plusieurs arrêts, été amenée à rendre plus facile, en quelque sorte, le recours à cette pratique ; d’autre part, la garde à vue est devenue – il faut bien le reconnaître – un procédé habituel d’enquête.
Le Gouvernement entend véritablement limiter l’usage de la garde à vue. En 2009, nous avons enregistré près de 800 000 gardes à vue ; l’année dernière, toutes catégories confondues, leur nombre a sensiblement diminué, sans qu’il puisse encore être précisément établi – probablement 100 000 de moins. Il s’agit là d’un fait notable, et j’espère bien que cette tendance se poursuivra.
Désormais, la garde à vue n’est justifiée que si elle répond à des critères précis. C’est, du moins, ce que nous proposons.
Ces critères sont les suivants.
L’enquêteur doit établir que le placement en garde à vue est l’unique moyen de permettre l’exécution des investigations, ou encore l’unique moyen d’empêcher la personne de modifier les preuves, de faire pression sur les témoins et les victimes ou de se concerter avec ses complices.
Ce dispositif permet donc de concentrer la garde à vue sur son objectif essentiel : être un outil au service de l’enquête.
Le texte qui vous est soumis rappelle également qu’une garde à vue n’est justifiée que lorsqu’une mesure de contrainte est indispensable à l’enquête. En l’absence de cette nécessité de coercition, la garde à vue n’est pas obligatoire, quand bien même certains des critères évoqués seraient réunis.
S’il est très difficile aujourd’hui de quantifier les effets de ces règles nouvelles, nous souhaitons que l’encadrement plus strict des critères de garde à vue ait des conséquences importantes sur leur nombre.
Nous attendons une diminution de l’ordre de 300 000 gardes à vue par an. Il en resterait néanmoins près de 500 000, ce qui est loin d’être négligeable, comme nous devons en avoir conscience. D’ailleurs, faire fonctionner le nouveau système avec plus de gardes à vue paraît naturellement impossible. Il s’agit donc d’encadrer leur nombre.
Le projet de loi vise aussi – c’est plus fondamental – à introduire des mesures essentielles pour la protection des droits en garde à vue.
La première avancée, la plus symbolique mais aussi celle qui nous manquait probablement le plus, est l’assistance effective de l’avocat dès la première minute de la garde à vue, disposition qui est au cœur du projet.
En renforçant la présence et les moyens d’intervention de l’avocat, le texte apportera de nouvelles garanties aux droits de la défense. Je voudrais rappeler les mesures essentielles de ce point de vue.
D’abord, la personne gardée à vue pourra bénéficier de l’assistance de son avocat tout au long de la procédure.
Ensuite, les moyens d’intervention de l’avocat sont renforcés : il aura accès au procès-verbal de notification et aux procès-verbaux d’audition.
Enfin, l’avocat pourra poser des questions et présenter des observations.
Votre commission a, par ailleurs, réécrit les dispositions relatives à la résolution des difficultés d’organisation de cette intervention, notamment en cas de conflit d’intérêt, et lorsqu’une pluralité d’auditions rend nécessaire la présence de plusieurs avocats.
Au cours des débats à l’Assemblée nationale, ce dispositif a été enrichi, par un amendement du Gouvernement reprenant explicitement la jurisprudence Salduz de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, qui précise qu’aucune condamnation ne peut être prononcée sur le seul fondement des déclarations faites sans avocat. Il s’agit donc ici d’une garantie essentielle. Aucun propos auto-incriminant ne pourra être retenu sans qu’un avocat puisse assister ou conseiller la personne gardée à vue.
Cela s’inscrit dans le droit-fil de la philosophie qui sous-tend le projet de loi. Nous passons très clairement d’une culture de l’aveu à une culture de la preuve. Cela nécessite forcément des efforts culturels importants. Si le Gouvernement a souhaité que l’arrêt Salduz figure à l’article 1er du texte, c’est pour souligner ce changement fondamental.
Ces garanties sont extrêmement importantes.
Le projet de loi pose également le principe selon lequel la personne placée en garde à vue doit être informée de son droit à conserver le silence. Il s’agit aussi d’une mesure essentielle.
Certes, cela remet en cause un certain nombre de nos pratiques. Ce matin, en préparant mon intervention, je relisais dans la revue L’Observatoire de Bruxelles, un article sur la jurisprudence européenne concernant un arrêt de la Cour de Strasbourg qui remet en cause les pratiques procédurales. Ainsi, demander au gardé à vue de dire toute la vérité et rien que la vérité est tout à fait contraire au droit que l’on a de se taire.
Cela démontre les changements profonds que ce texte introduit dans notre procédure pénale, ainsi que les bouleversements culturels impliqués par cette réforme de la garde à vue.
L’exigence d’être informé du droit à conserver le silence est tout à fait essentielle. Le Conseil constitutionnel l’a d’ailleurs rappelé en juillet dernier, et cette norme est reconnue dans la plupart des pays occidentaux. Notre législation se devait, en conséquence, de prévoir expressément cette disposition.
Votre commission a, de plus, utilement précisé que, outre le droit de faire prévenir un proche, le gardé à vue majeur incapable pouvait faire prévenir son tuteur ou son curateur, et que le gardé à vue de nationalité étrangère pouvait faire prévenir les autorités consulaires de son pays d’origine.
Enfin, l’Assemblée nationale a souhaité prévoir un délai de deux heures avant toute audition, à compter de l’avis donné à l’avocat, une fois que celui-ci a été choisi et appelé. Le principe d’un délai de route n’est pas illégitime, mais celui-ci devrait, à mon avis, être concilié avec les impératifs de l’enquête. En effet, il conduit en pratique – l’avocat ne pourra en effet pas être avisé au moment de l’interpellation ; il ne pourra l’être qu’une fois notifié formellement le placement en garde à vue au commissariat ou à la brigade de gendarmerie – à devoir attendre trois heures avant toute audition, au préjudice de l’enquête, et ce alors même que le gardé à vue pourra toujours, s’il le souhaite, garder le silence et qu’il bénéficiera de la jurisprudence Salduz que je viens de rappeler.
C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement de compromis, réduisant ce délai à une heure. Mais j’ai constaté la position de la commission des lois du Sénat et j’aurai beaucoup à faire pour vous convaincre !
Sourires
Un autre apport essentiel de la réforme tient au respect de la dignité des personnes
Le projet de loi prohibe les fouilles intégrales menées pour des raisons de sécurité. Ces fouilles constituaient une atteinte profonde à la dignité et l’une des critiques récurrentes faites à la garde à vue actuelle : humiliantes, elles étaient vécues plus durement que la privation de liberté.
Les cadres d’enquête doivent aussi être adaptés aux différentes formes de criminalité. L’équilibre entre l’efficacité de l’enquête et la protection des droits doit être soigneusement établi.
Nous devons garder à l’esprit que, face à la diversité des formes de criminalité, il faut des cadres d’investigation souples et adaptés. Sans régime dérogatoire, comment lutter, en effet, contre la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants ou le terrorisme ? Le Parlement ne s’y était pas trompé lorsqu’il avait donné, en 2002 et en 2004, les outils efficaces pour lutter à armes égales dans ce combat toujours renouvelé. Remettre en cause sans distinction ces régimes nous fragiliserait considérablement.
Une telle nécessité n’a jamais été contestée, ni par le juge constitutionnel, ni par la Cour de cassation, ni par la Cour européenne des droits de l’homme. En cette matière également, tout est affaire de pragmatisme et de proportionnalité.
Le texte qui vous est présenté prévoit la possibilité d’une participation différée de douze heures de l’avocat aux auditions, sur autorisation d’un magistrat, afin de permettre le bon déroulement d’investigations urgentes ou de prévenir une atteinte imminente aux personnes.
Le Conseil constitutionnel a jugé que le régime actuel de garde à vue apportait une restriction aux droits de la défense de portée générale, sans considération des circonstances particulières de l’espèce. Toutefois, une dérogation est envisageable dès lors que peuvent être dûment motivées lesdites circonstances particulières.
Dans trois arrêts du 19 octobre 2010, la Cour de cassation a également jugé que des « raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’espèce » pouvaient justifier le report de l’assistance de l’avocat.
Cette jurisprudence, postérieure au dépôt du projet de loi, a été prise en compte par des amendements du Gouvernement, votés par l’Assemblée nationale : pour ces régimes dérogatoires, la présence de l’avocat pourra être différée, sur autorisation du procureur de la République durant les vingt-quatre premières heures, et sur autorisation du juge des libertés et de la détention jusqu’à la quarante-huitième, voire la soixante-douzième heure, en matière de trafic de stupéfiants et de terrorisme.
En droit commun, un report de l’intervention de l’avocat de douze heures pourra être décidé sur autorisation du procureur de la République, puis à nouveau de douze heures sur décision du juge des libertés. Le report est strictement encadré : il doit être motivé dans tous les cas et répondre à des raisons impérieuses, telles que la nécessité de procéder immédiatement à des décisions urgentes ou la nécessité d’obtenir très rapidement des informations, par exemple en cas d’enlèvement d’enfant.
Un alignement de la retenue douanière sur le nouveau régime de la garde à vue a été adopté, afin de suivre les exigences fixées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 22 septembre 2010. Votre commission a précisé que cette prolongation devait être justifiée par le procureur, pour les nécessités de l’enquête.
Enfin, a été adoptée une disposition tirant les conséquences du récent arrêt Moulin c. France de la Cour européenne des droits de l’homme. Le contrôle de la mise à exécution des mandats d’arrêt et d’amener est ainsi dorénavant confié au juge de la liberté et de la détention. Je vous proposerai d’ailleurs un amendement de coordination, afin que les mêmes règles soient également applicables aux mandats d’arrêt européens.
Il faut le souligner aussi, les victimes n’ont pas été oubliées, avec le vote d’une disposition prévoyant, lors d’une confrontation entre un auteur présumé et sa victime, la possibilité pour cette dernière d’être également assistée d’un avocat. Il s’agit là de garantir l’égalité des armes dans une phase essentielle de la procédure.
Au-delà du contenu de la garde à vue, le débat s’est largement focalisé sur le contrôle de la mise en œuvre de la garde à vue. Je reviendrai sur ce point essentiel qui a largement fait débat.
À cette occasion, ont été posées des questions essentielles concernant notamment le parquet à la française, sur lequel je souhaite très clairement indiquer la position du Gouvernement.
Les changements dans le contenu de la garde à vue tels que je viens de les présenter constituent une avancée notable en matière de respect des libertés et des droits fondamentaux. La question du contrôle de la garde à vue est, elle aussi, tout à fait essentielle.
Je rappellerai tout d’abord la position de la Cour de Strasbourg et celle du Conseil constitutionnel.
La Cour de Strasbourg est chargée d’appliquer la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Celle-ci, comme vous le savez, existe en deux versions qui font également foi, une version anglaise et une version française. Ces deux versions ne sont pas écrites tout à fait de la même façon.
La Cour a indiqué que sa première tâche était de concilier ces deux versions, de façon que le but du traité soit bien atteint par les décisions prises sur la base de ces deux textes différents.
Pour avoir une analyse la plus exacte et la plus complète possible de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, je ne peux mieux faire que de renvoyer celles et ceux d’entre vous qui sont intéressés par cette question aux conclusions présentées par l’avocat général Marc Robert devant la chambre criminelle de la Cour de cassation à propos d’un arrêt rendu le 15 décembre 2010.
Ces conclusions sont passionnantes parce qu’elles montrent bien l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
La convention européenne des droits de l’homme prévoit des mesures relatives aux peines privatives de liberté et à la sûreté, visées à l’article 5, paragraphe 3, et des mesures relatives au droit à un procès équitable, visées à l’article 6, paragraphes 1 et 3.
L’article 5, qui traite des mesures privatives de liberté et de sûreté, exige, dans son paragraphe 3, que la personne arrêtée ou détenue soit présentée rapidement à une autorité judiciaire ou à un juge pour décider du maintien de la privation de liberté.
L’article 6, qui concerne le droit à un procès équitable, dispose, dans son paragraphe 1, que c’est le juge, au sens de juge du siège, qui est compétent pour statuer sur la vérification et le contrôle de la mesure privative de liberté.
La Cour européenne des droits de l’homme souhaite donc que ce soit un juge, au sens de juge du siège, qui soit compétent pour contrôler les mesures privatives de liberté non seulement dans le procès, mais également dans la procédure d’enquête. Or, sa jurisprudence a évolué vers une assimilation du magistrat au juge. Il en résulte que le magistrat du parquet français est disqualifié pour contrôler la mesure privative de liberté.
La Cour de Strasbourg s’appuie sur deux arguments. Le premier, secondaire, tient aux conditions de nomination des magistrats du parquet. Le second, essentiel, est que le parquet étant partie poursuivante, il n’est pas impartial. C’est là qu’apparaît la confusion entre les articles 5 et 6 de la convention européenne des droits de l’homme.
L’évolution de la jurisprudence a donc conduit la Cour à exclure tout contrôle fait par quelque autre autorité judiciaire qu’un juge, au sens de juge du siège selon le droit français.
Dès lors, la question qui se pose est de savoir quand doit intervenir le juge dans le contrôle de la garde à vue.
Dans le projet de loi qui vous est soumis, le Gouvernement se plie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et admet que, si les membres du parquet sont des magistrats, ils ne sont pas des juges. D’ailleurs, si les parquetiers se reconnaissent comme des magistrats – j’y reviendrai dans quelques instants –, aucun n’a jamais revendiqué la qualité de juge.
Si l’on reprend toute la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, dont je vous ferai volontiers grâce en cet instant, l’on constate que la Cour, compte tenu de l’existence de deux versions différentes du traité faisant également foi, a créé un concept nouveau, le concept de promptitude, …
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je me doutais bien que quelqu’un le dirait !
Sourires
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je vous en remercie.
Nouveaux sourires.
En fait, l’origine de ce concept remonte déjà à quelques années. Il s’agit pour la Cour de définir le moment à partir duquel le juge doit intervenir pour contrôler la garde à vue. Il n’y a pas de règle générale et l’appréciation se fait cas par cas. Toutefois, l’analyse de la jurisprudence montre que le délai d’intervention du juge n’est jamais inférieur à trois ou quatre jours.
Il en résulte – et la Cour le mentionne d’ailleurs dans trois arrêts –, que, en deçà de ce délai de trois à quatre jours, il appartient à chaque État d’organiser la garde à vue suivant son droit interne.
Le présent projet de loi respecte la jurisprudence européenne puisque la garde à vue sera contrôlée par un juge des libertés et de la détention dès la quarante-huitième heure. Il s’agit d’une garantie conventionnelle tirée de la mise en œuvre à la fois de la convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
Une fois ce délai de quarante-huit heures posé, la question est de savoir ce que l’on fait pendant les deux premières journées de la garde à vue. Le contrôle de la garde à vue doit-il être confié à un officier de police ou de gendarmerie ou bien à un magistrat ? Dans notre pays, la tradition veut que l’on confie le contrôle de la garde à vue à un magistrat, et ce pour une raison simple. Ainsi que le rappelle avec force le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010, dans notre pays, c’est l’autorité judiciaire – composée des magistrats du siège et du parquet – qui est la gardienne de la liberté individuelle, comme le prévoit d’ailleurs l’article 66 de la Constitution.
Pour le Gouvernement, en application de la Constitution et de la décision du Conseil constitutionnel, les membres du parquet sont des magistrats. Ils appartiennent à l’autorité judiciaire. En cette qualité, ils sont notamment chargés de veiller au respect de la liberté individuelle et, à ce titre, de contrôler la garde à vue dans les quarante-huit premières heures. Il appartient au procureur de la République de contrôler la mise en œuvre de la garde à vue et son exécution, et de décider d’une éventuelle première prolongation. Au-delà de la quarante-huitième heure, c’est le juge des libertés et de la détention qui prend le contrôle de la garde à vue.
Ce système offre à nos concitoyens une double garantie : une garantie conventionnelle tirée de la convention européenne des droits de l’homme et une garantie constitutionnelle issue de l’article 66 de la Constitution.
Nous sommes un des rares pays à offrir cette double garantie. La Grande-Bretagne, que l’on cite souvent en exemple, n’offre pas cette double garantie puisque c’est l’officier de police, haut gradé de la police, qui mène, dirige la garde à vue, laquelle peut d’ailleurs durer jusqu’à vingt-six jours.
Avec le présent projet de loi, nous opérons une réforme en profondeur de la garde à vue. Nous établissons un contrôle qui me paraît particulièrement efficace et qui tient compte de nos engagements internationaux. Ce contrôle allie le respect de la Constitution à celui de la convention européenne des droits de l’homme, et cette double garantie est essentielle.
Si le Sénat veut bien apporter sa pierre à la construction de ce texte – et je tiens en cet instant à remercier le président de la commission des lois, son rapporteur et tous ses membres pour la qualité du travail qu’ils ont accompli –, notre nouveau droit de la garde à vue deviendra, dans le concert des États qui ont signé la convention européenne des droits de l’homme, un des plus protecteurs des libertés constitutionnellement garanties. C’est en tout cas le travail auquel je vous invite.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.
Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous nous réjouissons de pouvoir enfin engager, avec l’examen de ce projet de loi, la réforme de la garde à vue.
Cette réforme était très attendue, notamment par le Sénat et en particulier par sa commission des lois. Dès le début de l’année 2010, nous avions indiqué à plusieurs reprises au Gouvernement que, s’il ne présentait pas un texte rapidement, le Sénat prendrait l’initiative de déposer une proposition de loi.
À l’origine de cette réforme importante, se trouve la conjonction d’une prise de conscience et d’une double obligation, conventionnelle et constitutionnelle.
La prise de conscience a été favorisée par la forte mobilisation d’acteurs du monde judiciaire, des magistrats mais aussi et surtout des avocats. Elle a largement dépassé le cercle habituel des acteurs de la chaîne pénale puisque l’opinion publique et la presse se sont emparées de ce sujet depuis maintenant deux ans.
Cette prise de conscience a porté sur deux phénomènes.
Le premier est la très forte augmentation des gardes à vue. Comme l’a rappelé M. le garde des sceaux, le nombre des gardes à vue est passé de 276 000 en 1994 à près de 800 000 en 2010, si l’on tient compte des 170 000 gardes à vue pour infraction au code de la route.
Le second phénomène tient aux conditions, souvent qualifiées de déplorables, de la garde à vue. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a mis en évidence de très nombreux motifs d’insatisfaction.
Le Sénat, attentif, par vocation, au respect des libertés individuelles, a tout naturellement contribué à cette prise de conscience. Le 9 février 2010, lors de la discussion, au demeurant assez animée, de la question orale avec débat de notre collègue Jacques Mézard, …
… puis le 24 mars et le 29 avril 2010, lors de l’examen des propositions de loi présentées respectivement par M. Jacques Mézard, et par Mme Alima Boumediene-Thiery et M. Jean-Pierre Bel, notre assemblée s’est accordée sur l’impossibilité de maintenir le statu quo.
Par ailleurs, nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel ont été chargés par la commission des lois de prolonger cette réflexion dans le cadre du groupe de travail sur l’enquête et l’instruction.
L’autre élément déterminant de la réforme repose sur nos obligations conventionnelles et constitutionnelles. Comme M. le garde des sceaux vient de le rappeler de manière très docte et précise, les dispositions actuelles du code de procédure pénale, qui prévoient seulement un entretien de la personne gardée à vue avec son avocat préalablement à l’interrogatoire de police, ne sont pas conformes au droit à l’assistance effective de l’avocat, reconnu par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que par la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010.
Le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution cinq articles du code de procédure pénale relatifs à la garde à vue de droit commun et a fixé au 1er juillet 2011 la date butoir de leur abrogation. Si nous ne le faisions pas, nous entrerions dans une période d’insécurité juridique aux conséquences dramatiques.
Par ailleurs, la Cour de cassation, dans deux arrêts rendus le 19 octobre et le 15 décembre 2010, a jugé contraire à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme les dispositions du code de procédure pénale relatives aux régimes dérogatoires en matière de garde à vue. Elle s’est alignée sur le calendrier du Conseil constitutionnel en fixant au 1er juillet 2011 la date limite pour modifier la loi sur les régimes dérogatoires.
Il est dès lors très clair que le texte déposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale marquait une avancée considérable par rapport à l’état du droit en vigueur. Mais les modifications introduites par cette dernière sur l’initiative de sa commission des lois et en particulier de son rapporteur, M. Philippe Gosselin, ont permis d’aboutir à un équilibre encore plus satisfaisant entre les différents objectifs que doit conjuguer le régime de la garde à vue.
Parmi les avancées contenues dans le projet de loi initialement déposé par le Gouvernement, je citerai en particulier six points.
Tout d’abord, la garde à vue ne sera désormais possible que pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement, tandis que, aujourd’hui, tous les délits et même la moindre contravention peuvent conduire à une garde à vue.
Ensuite, la garde à vue ne pourra être prolongée au-delà de vingt-quatre heures que pour les crimes et les délits passibles d’une peine d’un an d’emprisonnement.
En outre, la personne sera de surcroît avisée de son droit à garder le silence. Monsieur le garde des sceaux, on peut certes présenter cela comme une grande avancée. Il faut toutefois rappeler qu’une telle disposition existait déjà voilà quelques années. Puis, le législateur avait jugé judicieux de supprimer cette disposition. Celle-là avait d’ailleurs peu de sens puisque, de toute façon, il était bien évident que la personne gardée à vue, comme dans n’importe quelle circonstance, peut toujours garder le silence. Sauf à imaginer un recours à la torture, on ne peut pas obliger quelqu’un à parler !
L’avocat aura accès aux procès-verbaux d’audition.
Par ailleurs – et c’est sans doute l’avancée la plus importante de la réforme –, la personne gardée à vue pourra demander que l’avocat assiste aux auditions.
Enfin les fouilles à corps intégrales, menées pour des raisons de sécurité, seront désormais proscrites.
Telles sont les principales avancées du texte déposé par le Gouvernement.
L’Assemblée nationale a, pour sa part, supprimé l’ « audition libre », qui soulevait de nombreuses interrogations. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet lorsque nous examinerons l’article 11 bis du texte.
Elle a introduit un « délai de carence » en interdisant l’audition de la personne hors la présence d’un avocat pendant les deux heures qui suivent son placement en garde à vue. Monsieur le garde des sceaux, puisque vous voulez tenter de nous persuader qu’il faudrait réduire ce délai à une heure, je souhaite préciser qu’il correspond à la durée qui permet d’arriver dans la totalité des brigades de gendarmerie de France.
Or, dans la mesure où les gardes à vue peuvent avoir lieu dans n’importe laquelle de ces brigades, il est nécessaire de prévoir le temps pour que l’avocat puisse rejoindre la brigade. Dans nos départements respectifs, chacun a pu constater l’éloignement de certaines brigades. L’idée de revenir à un délai d’une heure conduirait nécessairement à regrouper les lieux de gardes à vue sur deux ou trois points du département. Nous ne le souhaitons pas, dans la mesure où cela engendrerait deux catégories de brigades de gendarmerie : celles dans lesquelles des officiers de police judiciaire pourraient mener des gardes à vue et les autres, dont on imagine assez facilement la progressive disparition.
L’Assemblée nationale a également indiqué que, sur la base du principe de l’égalité des armes, la victime aura désormais la possibilité d’être assistée par un avocat dans les confrontations. Cela paraît normal : dès lors que le gardé à vue a un avocat, il serait infondé que la victime ne soit pas accompagnée d’un avocat durant les confrontations.
Elle a enfin étendu au régime dérogatoire et à la retenue douanière les droits de la défense reconnus à la personne gardée à vue dans le cadre du régime de droit commun.
La commission des lois du Sénat approuve le texte initial, presque dans son ensemble, ainsi que toutes les modifications apportées par l’Assemblée nationale. Elle propose en outre un certain nombre de modifications pour conforter le texte, qui s’articulent autour de trois thèmes.
Le premier d’entre eux est le renforcement des droits de la personne gardée à vue. Notre commission a souhaité préciser que la valeur probante des déclarations de la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction implique qu’elle a pu s’entretenir avec son conseil et être assistée par lui tandis que l’article 1er du projet de loi présentait ces deux conditions comme alternatives.
La commission des lois a par ailleurs souhaité améliorer les droits pour la personne gardée à vue de faire informer un tiers. Elle permet ainsi qu’un incapable majeur puisse aviser son curateur ou son tuteur et que la personne de nationalité étrangère soit en mesure de faire avertir les autorités consulaires.
Elle donne en outre un caractère obligatoire à la disposition selon laquelle la personne gardée à vue dispose pendant son audition des effets personnels nécessaires au respect de sa dignité. Je reviendrai plus spécifiquement sur les détails de cette proposition.
Enfin, sur l’initiative de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, nous prévoyons que la fouille intégrale ne sera désormais possible que si la fouille par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique ne peut pas être réalisée.
Le deuxième axe des modifications apportées par la commission concerne l’exercice des droits de la défense. Nous avons à ce propos souhaité clarifier deux points touchant, d’une part, au conflit d’intérêts et, d’autre part, à la police des auditions.
La commission a prévu que, en présence d’un conflit d’intérêts, il appartiendra d’abord à l’avocat de faire demander la désignation d’un autre avocat. En cas de divergence d’appréciation entre l’avocat et l’officier de police judiciaire ou le procureur de la République, celui-ci saisirait le bâtonnier aux fins de désignation d’un autre défenseur.
Concernant la police de l’audition, qui inquiète beaucoup les services d’enquêtes – policiers et gendarmes –, et afin d’éviter toute ambiguïté et tout comportement marginal ou audacieux, il ne nous a pas semblé opportun de faire état dans la loi d’éventuelles perturbations des auditions par l’avocat, sauf à faire apparaître ce type de comportements comme une modalité possible de défense, ce que nous refusons – et nous le signifions ici clairement à la profession d’avocat. Il est selon nous préférable de rappeler que l’officier de police judiciaire ou l’agent de police judicaire a seul la direction de l’audition à laquelle il peut mettre un terme en cas de difficulté. Dans cette hypothèse, le procureur de la République pourra informer, s’il y a lieu, le bâtonnier, qui désignerait alors un autre avocat.
Enfin, s’agissant des dispositions de l’article 12, permettant au juge des libertés et de la détention ou au juge d’instruction, en matière de terrorisme, de décider que la personne gardée à vue sera assistée par un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d’avocats habilités, la commission a prévu que les avocats inscrits sur cette liste seraient désignés, plutôt qu’élus, par chaque ordre, dans chaque barreau, selon des modalités éventuellement définies par les règlements intérieurs.
Le troisième axe de modification a trait à la clarification des conditions dans lesquelles intervient la mesure privative de libertés.
L’article 11 bis du projet de loi tend à inscrire dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation, qui considère que le placement en garde à vue d’une personne suspectée d’une infraction n’est obligatoire que lorsqu’il paraît nécessaire de la maintenir sous la contrainte à la disposition des enquêteurs. Corrélativement, dès lors que l’officier de police judiciaire n’estime pas nécessaire de maintenir l’intéressé à sa disposition, la garde à vue ne saurait se justifier.
La commission a toutefois souhaité expliciter cette jurisprudence, en précisant que la personne qui n’est pas placée en garde à vue, alors même qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, doit être informée de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie avant son éventuelle audition.
J’évoquerai maintenant les trois questions qui ont suscité le plus de débats au sein de notre commission.
La première d’entre elles tient à l’interdiction de prononcer une condamnation sur la base des seules déclarations faites par une personne qui n’a pu s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui.
Cette disposition a été introduite par l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement – le garde des sceaux a ainsi expliqué plus tôt qu’il s’agissait de reprendre une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle complète l’article préliminaire du code de procédure pénale qui fixe les principes essentiels de cette dernière. Elle a de ce fait une grande valeur. Je souhaite préciser la portée de cette disposition.
En premier lieu, la règle ne vaut pas dès lors que la personne, comme l’a indiqué la Cour de Strasbourg dans un arrêt Yoldas c. Turquie du 23 février 2010, a renoncé de son plein gré, « de manière expresse ou tacite », aux garanties d’un procès équitable, à la condition, du moins, que cette renonciation soit entourée d’un minimum de garanties.
Ensuite, il résulte de la rédaction adoptée par les députés et de la mention du mot « seul » – nous y reviendrons, car des amendements visent à supprimer ce mot – que, si des déclarations faites sans que la personne ait pu préalablement s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui ne peuvent suffire à fonder une condamnation, elles peuvent néanmoins être prises en compte si d’autres preuves existent. C’est un élément important. Des effets similaires s’attachent d’ailleurs dans notre droit aux déclarations d’un témoin anonyme, conformément à l’article 706-62 du code de procédure pénale, qui ne peuvent « seules » fonder une condamnation.
Cette rédaction paraît conforme aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme.
À mon sens, l’article 1er A du projet de loi institue une garantie très appréciable dans l’hypothèse où l’assistance d’un avocat peut être reportée.
Le principe ainsi posé ne renforce pas seulement les droits de la défense mais s’inscrit également dans une évolution générale qui tend à privilégier un régime de preuves scientifiques et techniques plutôt que l’aveu. Cette évolution de notre société, comme l’a dit M. le garde des sceaux, est considérable. En effet, il était auparavant demandé à la personne de dire la vérité alors que, désormais, cette dernière est libre de tenir les propos qu’elle souhaite, et peut donc choisir de ne pas parler.
Le second débat qui a animé notre commission concerne le contrôle par l’autorité judiciaire.
Il s’agit de savoir si c’est le procureur de la République ou le juge, au sens rappelé par M. le garde des sceaux tout à l’heure, qui doit contrôler la garde à vue.
Faut-il prévoir l’intervention d’un juge du siège, et à quel moment ? Je ne vais pas à ce propos répéter ce que vient d’énoncer excellemment M. le garde des sceaux. Toutefois, il est intéressant de donner la position de la commission : nous avons cherché à savoir quelles étaient les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme dans cette matière.
La jurisprudence de la Cour européenne implique que la personne gardée à vue soit présentée rapidement – j’ai ici traduit les termes de l’anglais au français, et peut-être est-ce quelque peu réducteur, la « promptitude » n’existant pas dans notre dictionnaire. Il est de notre avis que la personne doit être présentée rapidement devant un magistrat du siège.
Mais cette jurisprudence de la Cour européenne n’impose pas – c’est très clair – une présentation immédiate, et la Cour n’a pas déterminé de délai maximal pour la présentation devant le juge. Elle l’a uniquement précisé pour certaines formes exceptionnelles de retenues, les actes de criminalité les plus graves, pour lesquels le délai ne saurait dépasser quatre jours.
Au demeurant, comme cela a déjà été dit, dans les autres pays européens, l’intervention d’un juge au cours de la garde à vue n’intervient jamais dès la privation de liberté, et la mesure de contrôle est le plus souvent confiée à la police.
Les dispositions actuelles du code de procédure pénale ont été validées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010. Elles ont été confirmées par la Cour de cassation dans l’arrêt du 15 décembre 2010.
Je ne reviendrai pas sur le fait de savoir si le ministère public peut ou non être considéré comme une autorité judiciaire. La Cour de cassation, si elle a admis pour la première fois que le ministère public ne pourrait être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l’homme, estime que la libération d’une personne placée en garde à vue pour une durée de vingt-cinq heures est « compatible avec l’exigence de brièveté imposée » par la convention.
Par conséquent, d’un point de vue conventionnel et constitutionnel, rien ne s’oppose à ce que le parquet assure le contrôle de la garde à vue jusqu’à la quarante-huitième heure, cette durée étant inférieure aux quatre jours fixés par la Cour européenne. §
D’un point de vue pratique, en s’écartant des problématiques purement juridiques, il me semble que le procureur de la République est, au début de la procédure, le mieux à même, comme directeur de l’enquête, d’apprécier la pertinence de la mesure et d’intervenir à tout moment auprès de l’officier de police judiciaire pour mettre un terme à la garde à vue ou, au contraire, pour autoriser la prolongation de cette dernière jusqu’à quarante-huit heures.
Le troisième débat au sein de notre commission – c’est le dernier que j’évoquerai – porte sur le quantum de peines encourues autorisant l’application de la garde à vue. Cette question est récurrente, notamment en raison de la volonté de diminuer le nombre de gardes à vue. Plusieurs amendements que nous examinerons au cours des débats viseront à porter le seuil d’application de la garde à vue à des infractions passibles d’un emprisonnement de trois ans au lieu d’une simple peine d’emprisonnement.
Notre commission, majoritairement, n’a pas souhaité suivre cette voie, pour deux raisons principales.
D’une part, le relèvement du quantum à trois ans aurait pour effet d’interdire l’application de la garde à vue pour des infractions qui présentent une réelle gravité. À titre d’exemple, je citerai les atteintes sexuelles sur un mineur de plus de quinze ans commises par un ascendant ou une personne ayant autorité, les atteintes à la vie privée, le harcèlement sexuel ou moral ou encore la mise en danger d’autrui : tous ces délits sont punis de peines d’emprisonnement inférieures à trois ans.
D’autre part, je crains que des conditions plus restrictives de mise en œuvre de la garde à vue ne conduisent à une multiplication des auditions libres, ce que nous voulons précisément éviter, puisqu’elles ne présentent aucune des garanties qui sont reconnues dans le cadre d’un placement en garde à vue, notamment l’assistance de l’avocat.
Donc, nous souhaitons en rester à la notion d’emprisonnement pour déterminer si la garde à vue est possible ou pas.
Je souhaiterais néanmoins, sur ce dernier point, formuler deux observations.
En premier lieu, le projet de loi aurait pu aller plus loin, j’en suis convaincu, s’il s’était inscrit dans le cadre d’une réforme d’ensemble de la procédure pénale, réforme qui est déjà bien avancée, un certain nombre de documents très précis ayant circulé.
Quasiment tout le code de procédure pénale a déjà été réécrit.
Sans aucun doute, l’obligation de légiférer avant le 1er juillet 2011 – pour ne pas évoquer d’autres dates dans les mois qui suivent – nous conduit à intégrer la réforme dans les mécanismes actuels de notre procédure pénale. Nous sommes nombreux à le regretter, mais c’est l’exigence du calendrier ; c’est la dure réalité. Je fais partie de ceux qui saluent les avancées nombreuses du texte, mais sans s’interdire d’aller plus loin dans un avenir qu’on ne peut qu’espérer proche
Mmes Anne-Marie Escoffier et Muguette Dini sourient.
En second lieu, il est indispensable de trouver un point d’équilibre satisfaisant entre le respect de la liberté individuelle et les exigences de la sécurité publique. Cet équilibre n’est pas aisé à établir, mais il me semble exister dans ce projet de loi.
En conclusion, je dirai que cette réforme ne portera ses fruits que si chacun des acteurs de la chaîne pénale fait de son mieux pour l’appliquer.
Je pense, au premier chef, aux services de police et de gendarmerie, dont le rôle est parfois caricaturé, il faut bien le dire. Dans leur immense majorité, ils conduisent leur mission avec beaucoup de professionnalisme, et aussi, je le crois, dans le respect de la dignité des personnes. Leur adhésion est fondamentale pour la réussite du projet.
Je ne saurai terminer sans évoquer le défi que représente cette réforme pour la profession d’avocat.
Cette profession, notamment dans les barreaux de province, va devoir se réorganiser et consacrer une approche totalement différente de la garde à vue, et ce dans un délai extrêmement bref. Ce défi est entre ses mains.
Enfin, monsieur le garde des sceaux, nous ne manquerons pas de vous poser la question des moyens, et en premier lieu de l’aide juridictionnelle dont il ne fait aucun doute qu’il faudra augmenter les crédits.
Sous le bénéfice de toutes ces observations, la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d’adopter le texte qui vous est soumis.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP. – Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.
M. Alain Anziani. Monsieur le garde des sceaux, vous avez commencé votre propos en disant que nous étions ici par la force du Conseil constitutionnel.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.
Depuis quand êtes-vous au pouvoir, monsieur le garde des sceaux ? C’est une mauvaise polémique, qui n’est pas au niveau du débat que nous souhaitons tous et que vous devriez vous-même être le premier à souhaiter !
Cette réforme est donc urgente, parce que, nous le savons tous – du moins presque tous –, la garde à vue « à la française » est un scandale ! C’est un scandale par le nombre, par les abus, et par le déni du droit qu’elle représente.
Tout d’abord, le nombre de gardes à vue s’élève précisément, selon le rapport de M. Zocchetto, à 792 293 en 2009, c’est-à-dire presque 800 000. Or, toujours selon les estimations de la commission, il n’était que de 336 718 en 2001, huit ans avant.
Par conséquent, le nombre de gardes à vue a été multiplié par deux et demi
M. le garde des sceaux opine.
Les abus, ensuite, ont eux été dénoncés régulièrement par la Commission nationale de déontologie de la sécurité, la CNDS, qui, malheureusement, va sinon disparaître du moins être absorbée.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.
Le droit, enfin, est malmené. Vous nous parlez du Conseil constitutionnel. Il faut rappeler qu’il a tout de même fallu une décision du Conseil constitutionnel, trois arrêts rendus le même jour par la Cour de cassation, et de multiples jugements de la Cour européenne des droits de l’homme pour que cette question soit enfin débattue aujourd’hui et puisse faire l’objet d’une réforme.
La réforme que vous nous proposez comporte des avancées, chacun d’entre nous le reconnaîtra, dont l’une est essentielle et concerne la présence de l’avocat.
Désormais, l’avocat sera présent à la fois pendant les auditions et durant les confrontations, et, pour reprendre l’expression du barreau de Paris, il ne se contentera plus d’ « une visite de courtoisie » à son client : il pourra accéder à quelques pièces du dossier qui lui donneront une information sur les faits dont celui-ci est suspecté.
En outre, – et c’est une très bonne chose – la victime aura droit à un avocat. À mon sens, nous devrions toujours avoir cet esprit de balance entre le suspect et la victime.
Enfin, vous rétablissez le droit à conserver le silence. Vous avez affirmé avec beaucoup de force qu’il s’agissait d’un élément essentiel du texte. Aussi, vous me permettrez de vous signaler que la justice européenne nous le dit depuis longtemps, et que ce droit a été reconnu par une loi du gouvernement Jospin.
M. Robert Badinter s’exclame.
Devant cette réforme, nous avons une interrogation et trois divergences de fond.
L’interrogation – je regrette que vous n’en ayez pas dit un mot, monsieur le garde des sceaux, contrairement à M. le rapporteur à la fin de son propos – est la suivante : cette réforme n’existera-t-elle que sur le papier, ou sera-t-elle effective dans les faits ? Cela pose évidemment le problème du financement.
Le financement sera important, on s’en doute, pour la garde à vue elle-même, ainsi que pour l’ensemble des dispositifs qui l’accompagneront, y compris, par exemple, la retransmission de la garde à vue quand l’avocat ne pourra pas être présent.
En outre, cela pose évidemment le problème des lieux.
J’ai toujours en tête cette phrase du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui souligne que les lieux de garde à vue sont les plus misérables des lieux de détention les plus misérables.
Il faudra bien sûr trouver des moyens. Vous avez évoqué 80 millions d’euros de dotations supplémentaires. Or je constate que, dans le projet de loi de finances, seulement 15 millions d’euros sont prévus pour l’instant. J’espère que vous pourrez nous confirmer tout à l’heure qu’un collectif budgétaire nous apportera le solde.
J’en viens à nos trois divergences.
La première porte sur les personnes pouvant être mises en garde à vue.
On voit bien le but visé : trouver un équilibre entre les nécessités de l’enquête et la protection des libertés.
J’ai consulté une remarquable étude de législation comparée du Sénat sur les gardes à vue en Europe. Au fond, il existe deux cultures : la nôtre et celle des autres, même si ces dernières ne sont pas toutes identiques, je le reconnais. Quoi qu’il en soit, nombre de pays européens, sinon la quasi-totalité d’entre eux, retiennent le principe que l’on pourrait qualifier de principe de proportionnalité.
La garde à vue est une mesure de privation de liberté qui doit se justifier par sa proportionnalité à la gravité des faits. Ce principe a même été inscrit dans la Constitution en Allemagne, pays qui ne prévoit pourtant aucun traitement particulier pour la garde à vue.
Certains États comme l’Italie ont considéré que le principe de proportionnalité devait conduire à exclure de la garde à vue toutes les personnes ayant commis des infractions sanctionnées par des peines inférieures à deux ans, quand d’autres, comme l’Espagne, ont estimé que le seuil devait être fixé à cinq ans.
Il existe donc un vrai débat. Pourquoi refuser chez nous les dispositifs des autres pays, qui ne sont sans doute pas moins sûrs que le nôtre mais qui admettent des seuils de privation de liberté ?
Je rappelle que, pour nous, le seuil est de trois ans pour la détention provisoire. Aussi, il nous a semblé logique de l’appliquer en l’espèce et de considérer qu’une personne ne peut être mise en garde à vue que si elle a commis une infraction pour laquelle elle encourt une peine supérieure à trois ans, ou à un an en cas de flagrant délit – M. Zocchetto n’a pas évoqué ce point tout à l’heure.
Ce système me paraît assez équilibré.
J’ai entendu les exemples que vous avez cités tout à l’heure. Il est vrai que nous éliminons un délit auquel nos policiers sont très sensibles : le délit d’outrage ou de rébellion.
Je comprends la réaction de la police sur ce point, car nous avons besoin que les forces de l’ordre soient confortées, peut-être encore plus dans le désordre actuel que par le passé. C’est tout à fait exact ! Mais on peut tout de même se demander s’il n’existe pas d’autres moyens que de recourir à la garde à vue pour sanctionner, ou pour prévenir – c’est l’esprit du texte – ces rébellions ou ces outrages.
Dans notre cas, le flagrant délit suffira. Le harcèlement sexuel, que vous citiez tout à l’heure, est puni d’une peine supérieure à un an, mais il est vraisemblable – pas toujours – que cela relève du flagrant délit, et la garde à vue sera alors possible. Par exemple, toutes les violences familiales pourront donner lieu, si nécessaire, à une garde à vue.
Mais au-delà, posons une autre question. Il y a, bien sûr, une difficulté, mais il y aura toujours des difficultés de cette nature. Pourquoi ? Vous l’avez dit vous-même en commission hier, c’est la question de l’échelle des peines. Quand allons-nous prendre le temps – il manque – de réexaminer l’échelle des peines en fonction de la gravité de l’infraction ? Aujourd’hui, on accumule les lois pénales, plusieurs chaque année, et à la fin, c’est un véritable désordre, une sorte de maquis : il n’y a plus de hiérarchie entre la gravité des infractions et la gravité des peines.
La deuxième divergence porte sur l’autorité qui place en garde à vue.
Là aussi, il y a deux écoles. L’école française confie la garde à vue à l’officier de police judiciaire, avec l’autorisation du procureur de la République en cas de prolongation. D’autres pays distinguent, quant à eux, d’une part, les poursuites qui sont réservées au ministère public ou à son équivalent et, d’autre part, les décisions relatives à la liberté qui relèvent du seul juge judiciaire.
L’article 66 de notre Constitution, c’est vrai, précise que l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles. Il est vrai aussi – je n’entrerai pas dans de faux débats – que la jurisprudence de la Cour européenne est complexe sur ce point, mais nous pouvons considérer, en effet, qu’un procureur fait partie de l’autorité judiciaire. Ce n’est pas, me semble-t-il, le lieu de le remettre en question. Mais la question n’était peut-être pas celle-là : oui, un procureur est un magistrat, mais il n’est pas indépendant. Voilà la vraie difficulté : d’une part, il est soumis à une autorité et, d’autre part, il est une partie poursuivante.
Voilà bien le paradoxe de cette affaire : vous allez confier à une partie qui va décider de la garde à vue les droits dont dispose l’autre partie. Par conséquent, la partie poursuivante fixera les droits de la partie qu’elle poursuit. Il y a là, à notre sens, un déséquilibre, que nous aurions souhaité voir corrigé.
Mais nous vivons aussi dans un monde réel et la vérité un peu triviale est que nous n’avons pas nécessairement les moyens de nos ambitions.
Nous proposons une solution de transition : un placement par l’officier de police judiciaire, validé par le procureur, mais une prolongation par le juge judiciaire. Nous confions également à ce dernier le contrôle de la légalité de la garde à vue, y compris dans ses conditions matérielles. De même, toute dérogation aux droits de la défense – report de la présence de l’avocat, report de l’accès au dossier –, puisque c’est une dérogation au droit commun, doit être soumise au juge judiciaire, et non pas à la partie poursuivante qu’est le procureur de la République.
Troisième divergence, – il s’agit d’une incompréhension forte entre nous – j’affirme que l’article 11 bis réintroduit l’audition libre sous la forme d’une comparution libre.
Nos collègues députés ont eu la sagesse de supprimer l’audition libre, avec beaucoup de critiques, en soulignant que la personne entendue librement avait moins de droits que la personne mise en garde à vue et ils avaient raison. Pourtant, ils admettent quelques articles plus loin, à l’article 11 bis, de voir resurgir l’audition libre dans une tenue camouflée : la comparution libre.
Monsieur le ministre, je vous avais interrogé sur cette question en commission. Vous m’avez répondu d’aller voir ailleurs, …
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Ce n’est pas « ailleurs » !
Sourires.
J’ai relu les propos de Mme Guigou et je trouve que votre interprétation des propos de notre ancienne ministre de la justice est quelque peu rapide. Elle ne dit pas exactement que la comparution libre n’a rien à voir avec l’audition libre. Relisez ses propos, je l’ai fait, …
… mon interprétation est différente.
Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi, par ailleurs, de dire que l’on ne peut pas répondre sur un tel sujet par une boutade.
Si vous avez des précisions à apporter sur la différence entre comparution libre et audition libre, donnez-les, mais ne me renvoyez pas à quelqu’un d’autre dans une autre assemblée.
Je remarque que M. le rapporteur a examiné ces objections avec beaucoup de sérieux.
Pour ma part, je ne suis pas convaincu. Je ne comprends toujours pas – mais c’est peut-être moi qui aie un défaut de compréhension – en quoi la comparution libre est différente de l’audition libre, qui a fait l’objet d’une censure. Dans les deux cas, la personne est entendue librement ; dans les deux cas, elle peut faire cesser l’audition lorsqu’elle le souhaite ; dans les deux cas, si elle demande à se retrouver libre, elle peut se retrouver en garde à vue et, dans les deux cas, elle est privée de tous les droits reconnus aujourd’hui à la personne gardée à vue… Il n’y a pas plus de différence entre les deux qu’entre bonnet blanc et blanc bonnet.
La cohérence voudrait, me semble-t-il, que nous rejetions la comparution libre comme nous avons rejeté l’audition libre. Mais si tel n’est pas le cas je propose, en raison des nécessités de l’enquête, d’accorder un minimum de droits à la personne qui comparaîtrait librement : le droit à une durée maximale de la comparution ; en effet, elle doit savoir – c’était une forte critique contre l’audition libre – combien de temps sa comparution libre va durer ; le droit de téléphoner à un avocat pour lui dire de quoi on la suspecte ; le droit d’avertir son employeur et sa famille.
Nous demandons ce minimum de droits, nous avons donc déposé des amendements sur ces différents points. Mais en l’état, franchement, la personne qui comparaît librement est suspecte. Si elle est suspecte, elle doit avoir un certain nombre de droits reconnus par la Cour européenne, et là vous allez de nouveau directement vers une censure de la part de la Cour.
Constatant que mon temps de parole est quasiment épuisé, j’évoquerai en conclusion la réforme de la procédure pénale. Voilà un an, la Chancellerie avait publié un document de plus de deux cents pages sur la réforme de la procédure pénale. Elles se sont évaporées.
En tout cas, aujourd’hui, on a redécoupé une sous-partie sur la garde à vue. Il faut avoir, me semble-t-il, une vision générale de cette réforme.
Monsieur le garde des sceaux, nous savons que cette réforme n’est pas la vôtre. C’est vrai, elle a été engagée nettement avant votre nomination. Nous savons qu’elle inquiète les forces de l’ordre et nous avons besoin de satisfaire aussi aux exigences de sécurité. §
Nous savons aussi que la pression sécuritaire dans laquelle nous vivons constamment chaque jour, et encore hier avec vos déclarations sur les jurys populaires, ne va pas dans le sens du renforcement des droits de la défense.
Nous savons également que cette réforme n’est pas la plus payante sur le plan électoral, mais comme la loi pénitentiaire, elle fait partie de ces réformes incontournables dans une République moderne.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Josiane Mathon-Poinat applaudit également.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, le texte qui nous est soumis constitue un progrès par rapport à la situation antérieure et nous vous en donnons acte. Nous avons, en effet, apprécié positivement le travail accompli tant par l’Assemblée nationale que par la commission des lois du Sénat, avec un certain sens de la mesure qui ne nous étonne pas de la part de notre collègue François Zocchetto, avec une présence affirmée de l’avocat, qui est une réelle avancée. En vous écoutant s’agissant de l’interprétation de la jurisprudence européenne, monsieur le garde des sceaux, je me rappelais la circulaire du 17 novembre 2009
L’orateur brandit un exemplaire de cette circulaire.
Cela étant, il fallait faire vite pour répondre aux injonctions du Conseil constitutionnel, mais ce texte ne va pas au bout du chemin. Il nécessitera rapidement à l’usage des modifications de forme et de fond et n’aura guère de sens s’il n’est accompagné des moyens financiers indispensables à sa mise en application.
Comment faire abstraction du contexte général auquel la nation est confrontée en matière de justice et de sécurité ?
Presque quatre ans de rupture : vous avez atteint l’objectif, il y a effectivement rupture entre le Gouvernement et les magistrats, entre les forces de l’ordre et les magistrats, entre l’opinion publique et la justice. Le programme est réalisé.
Aujourd’hui, l’urgence est de donner de vraies orientations politiques, de rassurer tant les citoyens – qui aspirent à sortir tant de l’insécurité dans certains territoires que du climat d’insécurité souvent largement entretenu – que les forces de l’ordre, saturées de textes et n’ayant souvent pas les moyens de les appliquer. Et il s’agit également de rassurer les magistrats dont l’exaspération fut portée à son comble par des déclarations excessives dont chacun se souvient.
Le 9 février 2010, par une question orale avec débat, et le 24 mars 2010, par la discussion en séance publique de la proposition de loi portée par le groupe RDSE, j’avais décrit la nécessité d’une réforme rapide et profonde de la garde à vue. En effet, dès mon arrivée au sein de notre Haute Assemblée, j’avais attiré l’attention de mon groupe sur ce dossier, convaincu par l’expérience de terrain, les contradictions de plus en plus évidentes avec l’évolution de la jurisprudence de la Cour européenne et, surtout, le caractère surréaliste et intolérable d’une mesure privative de liberté imposée à 800 000 de nos concitoyens dans des conditions souvent inadmissibles et rappelées d’ailleurs sur toutes les travées.
J’ai exposé précisément dans ces deux débats les raisons de cette dérive et les dégâts causés dans l’opinion de nos concitoyens sur l’institution judiciaire et les services de sécurité.
Dans ce débat, mes chers collègues, il ne convient pas – et nous ne l’avons jamais fait – de faire le procès des forces de l’ordre. Elles ont appliqué une politique – la vôtre, avec les moyens que votre gouvernement leur a donnés.
Dénoncer le scandale de la garde à vue, ce n’est pas s’en prendre à ceux qui sont chargés de la sécurité, ce n’est pas promouvoir un laxisme sécuritaire et judiciaire. Nous sommes tout autant que vous attachés au respect de la loi, à ce que nos concitoyens puissent vivre en sécurité, à ce que les délinquants soient retrouvés et justement sanctionnés. La gendarmerie et la police sont des piliers de la République. Ces institutions, nous le savons, sont lasses de l’insécurité juridique dans laquelle vous les plongez par l’inflation législative sécuritaire, …
… lasses de la mise en place de la révision générale des politiques publiques, lasses de l’insuffisance des moyens matériels, lasses de constater – vous avez raison sur ce point, monsieur le garde des sceaux – la non-exécution des peines, lasses du fossé que vous contribuez à créer avec la magistrature.
Monsieur le garde des sceaux, devant l’Assemblée nationale, vous déclariez le 18 janvier 2011 – je me réfère au Journal officiel – que, « en quelque dix ans, on est passé de 200 000 à près de 800 000 gardes à vue. Or on ne peut pas utiliser la garde à vue comme un moyen banal d’enquête. »
Vous avez raison, mais pourquoi avez-vous tenu de tels propos ? Pourquoi, voilà encore quelques semaines, était relatée dans le rapport sur le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI 2, une augmentation de plus de 50 % du nombre de gardes à vue comme un succès ?
Monsieur le garde des sceaux, je salue une fois de plus votre habileté, votre dialectique
M. le garde des sceaux et M. Roland Courteau sourient.
… « que le contrôle de constitutionnalité par voie d’exception […] a été institué en 2008 et que nous avons aujourd’hui à délibérer sur la garde à vue » !
C’est sans doute également grâce à la révision constitutionnelle que nous sommes aussi peu nombreux aujourd'hui dans cet hémicycle.
Sourires sur plusieurs travées.
– et celle de la Cour de cassation en continuant à renvoyer à la commission nos propositions de loi et à annoncer pour demain un nouveau code de procédure pénale.
Ce n’est quand même pas le simple effet du hasard si le nombre de gardes à vue fut, selon vos chiffres, multiplié par quatre en dix ans. En réalité, vous vous êtes vanté de cette explosion jusqu’à l’année dernière, quand le taux de 1, 5 % des Français fréquentant la garde à vue chaque année est devenu intolérable. Encore plus, quand des centaines de milliers d’entre eux en sortaient sans poursuite judiciaire ou au moins sans comparution devant un tribunal.
Qu’est-ce qui vous empêchait d’arrêter, de votre propre chef, ce scandale, tant par des instructions réglementaires que, surtout, par le dépôt d’un projet de loi en procédure accélérée ?
La vérité, c’est que vous avez joué la montre, au nom du discours sécuritaire. La vérité, c’est que vous avez fini par aller à Canossa
M. le garde des sceaux sourit.
La vérité, c’est que vous envisagiez une mini-réforme sur ce point à l’aune du rapport de la commission Léger, dont il convient de se souvenir qu’elle avait proposé la création d’une « retenue judiciaire » de 6 heures de la même veine que l’audition libre à laquelle vous avez sagement renoncé partiellement.
Quelles sont les contraintes techniques et financières d’un tel projet ?
La réforme de la garde à vue impose, pour être efficace, des solutions, dans les plus brefs délais, sur la question des locaux et celle de la rémunération de l’avocat.
Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez indiqué en commission que les travaux à réaliser dans les locaux de garde à vue représentaient 48 millions d’euros. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 30 juillet 2010, a déclaré que « la dignité de la personne contre toute forme […] de dégradation est [une exigence] constitutionnelle ». Ma question est simple : quelle est la programmation budgétaire des travaux à réaliser ?
Quant au problème de l’indemnité de l’avocat, de sa rémunération et donc de l’aide juridictionnelle, il est fondamental parce qu’il y a un risque évident, et presque inévitable de voir s’aggraver, à défaut d’une volonté politique forte que je ne ressens pas, la mise en place d’une justice pénale à deux vitesses, voire à trois, selon les territoires, et, vous le savez bien, monsieur le garde des sceaux, une non-application de fait de la réforme de la garde à vue dans la plupart des départements sans métropole régionale.
Il est clair que les barreaux des grandes villes, à commencer par Paris, vont pouvoir faire face au moins aux contraintes techniques par des systèmes de permanence adaptés à la réforme. Dans la moitié des départements français, ce ne sera pas le cas : les contraintes géographiques, démographiques et financières se superposant rendront, de fait, impossible l’application de la loi. La conséquence grave en sera l’absence très fréquente de l’avocat dans ces départements, et ce sont les justiciables les plus démunis qui ne seront pas défendus, …
… et cela, je ne l’accepte pas, monsieur le garde des sceaux !
Je sais que vous êtes opposé au regroupement des lieux de garde à vue pour préserver l’existence des gendarmeries en zone rurale, dont acte ! Mais disons les choses clairement : il n’y aura pas en France d’accès équitable à la justice, pas de défense pénale digne de ce nom si l’aide juridictionnelle n’est pas réformée dans les meilleurs délais !
À cet égard, je vous renvoie, mes chers collègues, à la lecture du rapport d’information rédigé, voilà trois ans, par notre collègue Roland du Luart, et je suis de ceux qui pensent qu’il convient de ponctionner fortement les recettes des compagnies d’assurances en matière de protection juridique.
En tout cas, cette réforme est vouée à l’échec sur une grande partie du territoire national, si ce problème n’est pas résolu, et il ne l’est pas par les dispositions décrites dans l’étude d’impact, de la page 27 à la page 31, qui sont un chef-d’œuvre de la haute technocratie !
M. le garde des sceaux sourit.
Mais revenons aux questions basiques.
Rappelons que la garde à vue était absente du code d’instruction criminelle. Apparue dans le décret du 20 mai 1903, elle fut réglementée par l’État français dans sa circulaire du 23 septembre 1943. J’ai rappelé, dans le cadre de la discussion de la question orale avec débat que j’avais posée sur ce sujet, la déclaration de Maurice Schumann, le 25 juin 1957, à l'Assemblée nationale : « Il me paraît inconcevable que nous introduisions dans notre code de procédure pénale cet élément de répression […], à savoir que le délai de garde à vue n’est pas le délai nécessaire pour conduire au juge mais le délai pendant lequel on commence en fait et sans garantie l’instruction du procès. »
Cette question est toujours au cœur du débat, et vous ne pourrez durablement, monsieur le garde des sceaux, différer l’examen de la question du statut du parquet et la recherche d’une solution qui soit en conformité avec l’article 5 de la Convention européenne, ce qui a clairement été posé, en dépit de toutes les interprétations que vous nous avez données, …
… et encore davantage dans l’arrêt du 15 décembre 2010 de la Cour de cassation : « C’est à tort que la chambre de l’instruction a retenu que le ministère public est une autorité judiciaire au sens de l’article 5 […] de la Convention européenne des droits de l’homme, …
Je vous l’accorde !
… alors qu’il ne présente pas les garanties d’indépendance et d’impartialité requises par ce texte et qu’il est partie poursuivante. »
Allez-vous encore longtemps faire de la résistance, jouer la montre, utiliser les jurés populaires comme écran de fumée ?
M. le garde des sceaux s’esclaffe.
Vous n’échapperez pas à l’application du principe acquis selon lequel les atteintes d’une importance minimale aux libertés fondamentales doivent être autorisées ou contrôlées par un juge du siège indépendant du pouvoir politique. Or le ministère public est statutairement soumis au ministère de la justice. Il ne peut être chargé de contrôler les gardes à vue, d’autant qu’il a la qualité de partie poursuivante. En outre, vous le savez comme moi, depuis des années, il ne contrôle aucunement les gardes à vue
M. le garde des sceaux s’exclame.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Dès lors que vous croyez au diable, c’est un vrai progrès !
Sourires.
M. Jacques Mézard. Ne pas accepter nos amendements relatifs à l’intervention et au contrôle du juge des libertés et de la détention, c’est continuer à créer de l’insécurité juridique, et ce ne sera encore que reculer pour mieux sauter !
M. le garde des sceaux sourit.
La deuxième question de fond au niveau procédural, c’est le moment de l’intervention du juge pendant la garde à vue. Là encore, il y a un risque d’insécurité juridique eu égard à l’article 5 de la Convention européenne, la Cour européenne des droits de l’homme ayant sanctionné des présentations au juge plus de quatre jours après l’arrestation. À un moment donné, il faudra bien fixer des délais incontestables.
La troisième question porte sur la nouvelle rédaction de l’article 62 du code de procédure pénale. En la matière, je ne suis aucunement convaincu que vous ayez respecté la décision du Conseil constitutionnel.
M. le garde des sceaux est dubitatif.
Concernant la volonté affichée du Gouvernement de faire diminuer de plus de 300 000 le nombre de gardes à vue, une volonté que nous saluons, il est étrange que vous ne vous en donniez pas le moyen le plus efficace, le plus cartésien par l’alinéa 3 de l’article 1er du texte : en maintenant la possibilité de garde à vue pour toute infraction punie d’une peine d’emprisonnement, vous réduisez, en pratique, à néant un aspect fondamental de la réforme.
Discrètement, vous avez retiré nombre de gardes à vue des critères de performance de la police, avec déjà des résultats – c’est bien ! –, mais vous savez que cela ne suffit pas. Faites enfin confiance à tous les professionnels : les magistrats, la police, la gendarmerie, les avocats ! Donnez-leur les moyens de travailler, alors même que le budget consacré par la France à la justice se situe au 30e rang européen !
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, en restaurant le travail de proximité, en cessant d’utiliser sécurité et justice à des fins électorales, en renonçant aux lois « réactives aux faits divers », vous ferez l’essentiel du chemin. Mais savez-vous où vous voulez aller en la matière ? Ou convient-il de vous rappeler cette phrase de Pierre Dac : « Ceux qui ne savent pas où ils vont sont surpris d’arriver ailleurs ! »
Sourires. – Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, nous sommes ici parce que le Gouvernement y a été contraint. Il aura d’ailleurs résisté jusqu’au dernier moment
M. le garde des sceaux fait un signe de dénégation.
Les débats sur la garde à vue que nous avons eus ici même à trois reprises sur l’initiative de parlementaires ont montré combien le Gouvernement était résistant à toute réforme, alors que toutes les données étaient pourtant sur la table.
En effet, la France a été condamnée et, eu égard au nombre important de gardes à vue, l’opinion publique a fini par s’émouvoir, car elles peuvent toucher tout un chacun ; elle ne le faisait guère quand elle considérait que seuls les criminels étaient concernés !
En réalité, il y a matière à aller plus loin que ce qui est proposé tant par le Gouvernement que par la commission, d’ailleurs. Mais nous avons bien l’impression que vous n’y êtes pas décidés.
À l’origine, la garde à vue avait pour objet de garder les personnes interpellées en flagrant délit ou sur la base de charges résultant d’investigations le temps de leur déferrement devant le juge. Il est vrai que c’était une autre époque, durant laquelle les droits de la défense étaient moindres. Toutefois, force est de le constater, au fur et à mesure que les droits de la défense se sont accrus dans l’instruction, la garde à vue a été utilisée comme un élément de l’enquête à part entière sans défense. Elle était en quelque sorte la compensation imaginée par le pouvoir pour avoir, par l’intermédiaire du procureur et de la police, une procédure de nature à aboutir à l’aveu, qui était la pierre angulaire de toute la durée de l’instruction.
Il faut bien le dire, la garde à vue est employée comme un moyen d’intimidation. Au fil du temps, elle est devenue un indicateur de la performance en matière policière. Nous respectons la police républicaine, à telle enseigne que nous la défendons contre toute tentative de la dessaisir de ses prérogatives au profit de polices privées. Cela dit, on ne peut pas considérer que la performance qui vient de la hiérarchie et non pas de la police elle-même aboutit à la politique du chiffre que nous connaissons, et qui est d’ailleurs dénoncée non seulement par les professionnels de la justice, mais également par les services de police. En effet, nul n’ignore que les commissaires de police touchent des primes en fonction du nombre de gardes à vue réalisées dans leur commissariat !
Cette inflation répressive inscrite dans la politique pénale du Gouvernement explique en partie l’augmentation exponentielle du nombre de gardes à vue. Les chiffres ont déjà été communiqués, je n’y reviendrai pas. Cela étant, il est étonnant que certains, dont vous n’êtes pas, essaient par tous les moyens de les contester.
Quoi qu’il en soit, on a largement dépassé, en 2009, les 800 000 gardes à vue. À cela s’ajoute l’augmentation de la durée des gardes à vue : plus de 74 % d’entre elles durent plus de vingt-quatre heures. Avant d’être juridique, la banalisation de la garde à vue est donc politique.
Cette réforme contrainte présentée par le Gouvernement, qui se limite à une adaptation obligée a minima, sans dénoncer les orientations de la politique pénale, sera sans doute, de fait, d’une portée limitée sur les droits réels des gardés à vue.
Vous l’avez certainement lu comme moi, mes chers collègues, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde daté du 2 mars 2011, des juges, des avocats et des policiers – ce qui prouve qu’ils ne sont pas si opposés les uns aux autres ! –, les professionnels ont exprimé leur crainte que ce projet de loi ne soit une « rustine de plus sur un code de procédure pénale à bout de souffle, usé par des années d’incohérence au gré des amendements de circonstance votés dans l’émotion d’un dramatique fait divers ».
Ces représentants des différentes professions de la justice illustrent le ras-le-bol à l’égard des politiques pénales et de la pression sécuritaire permanente, une pression d’affichage qui ne diminue d’ailleurs en rien les chiffres de la délinquance.
Nous partageons leur crainte.
Certains l’ont déjà souligné, nous avons déjà débattu il y a un an de la nécessité de réformer la garde à vue, ainsi que l’ensemble de la procédure pénale. Le garde des sceaux de l’époque avait renvoyé à plus tard une réforme plus globale de la procédure pénale, comme vous le faites vous-même aujourd'hui.
Depuis, l’architecture du système pénal français a été, à diverses reprises, remise en cause. La Chancellerie a ignoré l’arrêt Medvedyev relatif à l’indépendance du parquet, mais l’arrêt Moulin c. France en a confirmé les griefs, ainsi que mon collègue Jacques Mézard l’a souligné. Or le projet de loi ne tient pas compte de cette jurisprudence et le Gouvernement préfère gagner du temps en renvoyant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme devant la Grande chambre. Toutefois, l’Hexagone ne pourra pas indéfiniment se mettre en infraction avec les principes européens.
Dans le même temps, le report des effets de la décision du Conseil Constitutionnel, comme de celles de la Cour de cassation, qui gèlent les droits de la défense, ne permettra pas d’éviter les recours devant la Cour européenne des droits de l’homme, au titre du paragraphe 3. de l’article 5, et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi qu’au titre de l’article 13 qui garantit le droit à un recours effectif.
De plus, la réforme proposée est largement compromise par le manque de moyens financiers. Le budget consacré à l’accès au droit, et plus généralement au ministère de la justice, par l’État français apparaît comme l’un des plus bas d’Europe, ce qui n’est certainement pas compatible avec ce que doivent être les standards d’un État européen souhaitant permettre et garantir l’égalité en droits de tous ses citoyens, ainsi que l’édicte l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
La nouvelle place de l’avocat impose bien évidemment une réforme d’ampleur de l’aide juridictionnelle, ne se limitant pas forcément à la question de la rémunération de l’intervention en garde à vue, et ce afin de garantir à tous les justiciables l’accès effectif aux droits de la défense. Celui-ci implique donc nécessairement un accroissement important de l’enveloppe budgétaire consacrée aux interventions de l’avocat en garde à vue.
Ces remarques étant faites, je voudrais aborder plus en détails six questions essentielles de la réforme, mais que le projet de loi ne prend pas suffisamment en compte. Il s’agit des conditions permettant le déclenchement de la garde à vue et sa prolongation, des rôles du parquet et du juge des libertés et de la détention, de l’assistance effective de l’avocat, des régimes dérogatoires, du respect de la dignité humaine et, enfin, de la nullité de la procédure en cas de violation de droits reconnus.
L’article 1er du projet de loi n’impose aucun seuil minimal de la peine encourue pour conditionner le placement en garde à vue, puisque la rédaction de l’article 62-3 du code de procédure pénale qu’il propose définit la garde à vue comme concernant « un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ». Ainsi, ce texte ne permettrait pas de limiter le nombre de gardes à vue, car seules 7 % des condamnations délictuelles prononcées le sont pour des infractions qui ne sont pas punies d’une peine d’emprisonnement. Nous vous proposerons un amendement sur ce point.
Au-delà de la décision de placement, c’est la durée même de la mesure qui doit être strictement proportionnée aux nécessités de l’enquête. En effet, selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme, les actes d’enquête sont trop souvent soit diligentés dans les premières heures de la garde à vue sans pour autant impliquer une remise en liberté, soit espacés par des intervalles de temps très longs. Nous devons absolument proscrire ces gardes à vue « de confort », ce que le projet de loi ne garantit pas.
Le Gouvernement ignore également le problème majeur tiré de l’incompatibilité avec les exigences européennes du contrôle du parquet sur les mesures privatives de liberté. Cela a déjà été largement évoqué, mais le problème est que nous ne sommes pas en conformité avec la garantie des droits effectifs de la défense.
Si, dans sa décision du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a réaffirmé que l’autorité judiciaire comprenait à la fois les magistrats du siège et du parquet, comme le note le professeur Frédéric Sudre : « C’est vrai en droit interne, mais non au regard de la Convention européenne ». En effet, selon l’arrêt Medvedyev c. France, confirmé par l’arrêt Moulin c. France, le procureur français n’est pas un magistrat au sens de la Convention européenne des droits de l’homme car « il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié ». C’est tout à fait clair !
La Cour européenne des droits de l’homme a confirmé que le « juge […] habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » devant lequel « toute personne arrêtée ou détenue […] doit être aussitôt traduite » selon le paragraphe 3. de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, « doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif et des parties ». Le procureur de la République ne répond ni à l’un, ni à l’autre !
Rappelons que, dans son arrêt Huber c. Suisse, la Cour avait examiné sans équivoque possible la question sous l’angle de l’impartialité et avait conclu : « sans doute la Convention n’exclut-elle pas que le magistrat qui décide de la détention ait aussi d’autres fonctions, mais son impartialité peut paraître sujette à caution s’il peut intervenir dans la procédure pénale ultérieure en qualité de partie poursuivante ». Selon le professeur Frédéric Sudre, « d’une part, le magistrat, au sens de la Convention européenne, doit être indépendant de l’exécutif, ce qui n’est pas le cas du procureur de la République, placé dans une situation de subordination hiérarchique. D’autre part, ce magistrat doit pouvoir se prévaloir d’une impartialité fonctionnelle, c’est-à-dire ne pas être susceptible d’exercer ensuite des poursuites contre la personne qu’il aura lui-même placée en garde à vue, ce qui n’est pas non plus le cas du procureur de la République. »
Pour notre part, nous sommes favorables à ce que le procureur conserve son rôle de direction de l’enquête, mais ne jouons pas sur les mots : contrôler, ce n’est pas gérer ! Yves Gaudemet le résume très bien : « La jurisprudence européenne impose aujourd’hui un tel contrôle, ce qui ne signifie pas que le parquet est dessaisi de la conduite de la garde à vue. Mais un magistrat du siège, disposant seul de la qualité de magistrat au sens de cette jurisprudence, doit intervenir, non pour en surveiller les modalités, notamment la conduite des interrogatoires, mais pour vérifier que l’atteinte ainsi portée à la liberté de l’individu est bien proportionnée à ce que requièrent l’ordre public et la politique pénale. »
Il est temps que le Gouvernement accepte le fait que le procureur n’est pas un magistrat au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, et qu’il en prenne la mesure pour réformer la procédure pénale, l’instruction et le statut du parquet.
Enfin, l’argument avancé par la majorité parlementaire et le Gouvernement selon lequel l’intervention différée du juge du siège serait suffisante ne nous paraît pas recevable. Il est vrai que la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais fixé à quel délai correspond l’exigence de traduire « aussitôt » devant un juge une personne privée de liberté. Pour le moment, la juridiction européenne a condamné des délais supérieurs à trois jours, mais elle porte une appréciation au cas par cas.
Par ailleurs, les jurisprudences européennes, constitutionnelles et de cassation sont unanimes pour reconnaître le droit à l’assistance effective de l’avocat dès le début de la garde à vue. Nous ne reviendrons pas sur les moyens substantiels qui sont nécessaires pour y parvenir.
Nous critiquons aussi le fait que le texte permet de nombreuses dérogations, nous y reviendrons au cours de la discussion des articles.
Selon la Cour européenne des droits de l’homme, pour que le droit à un procès équitable consacré par le paragraphe 1. de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme demeure suffisamment concret et effectif, il faut en règle générale que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l’espèce, qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Et même lorsque de telles raisons peuvent exceptionnellement justifier le refus de l’accès à un avocat, pareille restriction, quelle que soit sa justification, ne doit pas indûment préjudicier au droit découlant pour l’accusé de l’article 6 de la Convention. Je citerai l’arrêt Salduz c. Turquie en la matière.
Tout cela m’incite à aborder de nouveau la présence de l’avocat dans le cadre des procédures dérogatoires. Nous y reviendrons également pendant la discussion. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes, je le sais, totalement opposé à la suppression des procédures dérogatoires mais, pour ma part, je suis favorable à ce que ces procédures soient assorties des mêmes droits que les autres. En effet, à mon sens, plus on est gravement « présumé coupable », plus on a le droit de se défendre et d’être défendu dès les premières heures de sa mise en garde à vue. Nous aborderons ce point plus longuement au cours de la discussion.
J’ajoute que nous sommes défavorables à ce que les mineurs soient placés en garde à vue. Là encore, nous aurons l’occasion d’en discuter mais je crois que ce point mérite réflexion et que nos propositions sont peut-être acceptables.
Enfin, je suis particulièrement attachée à la question des conditions de garde à vue. La Commission nationale de déontologie et de sécurité que j’ai saisie à plusieurs reprises au sujet de gardes à vue humiliantes et abusives a souvent donné raison à ces requêtes et la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France le 20 janvier 2011 à indemniser un détenu pour violation de son droit à la dignité en raison de fouilles intégrales répétées, …
… ce qui est tout de même significatif, parce que, en réalité, les fouilles sont souvent pratiquées sans nécessité.
Nous aurons aussi l’occasion de revenir sur ce point durant le débat, mais là encore la question des moyens est tout à fait importante pour qu’on puisse réellement mettre les lieux et les pratiques de garde à vue à l’aune du respect de la dignité des personnes.
Pour finir, nous regrettons que le projet de loi reste silencieux sur les nullités de procédure et notamment sur leurs conséquences sur le déferrement. Nous proposerons des amendements sur ce sujet.
En conclusion, monsieur le garde des sceaux, si vous faites quelques avancées sous la contrainte, soyons clairs : ce projet de loi ne permettra pas de garantir une garde à vue digne de notre époque ! §
Mes chers collègues, avant d’aborder les questions cribles thématiques sur la situation en Afghanistan, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à onze heures vingt-cinq, est reprise à onze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.
L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la situation en Afghanistan.
Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé le mardi 8 mars 2011 sur France 3, après l’émission Ce soir (ou jamais !) de M. Frédéric Taddéï.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. À cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été placés à la vue de tous.
Avant de donner la parole au premier orateur inscrit, je voudrais saluer le ministre de la défense et des anciens combattants, notre collègue Gérard Longuet
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.
Dans l’exercice de la fonction qui est la sienne, nous formulons pour lui nos souhaits les meilleurs.
Monsieur le ministre, c’est avec un très grand plaisir que nous vous accueillons dans cette fonction pour la première fois, dans une maison qui est aussi la vôtre !
La parole est à M. Jacques Gautier, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme les quarante-neuf pays membres de la Force internationale d’assistance à la sécurité – FIAS –, la France est présente en Afghanistan dans le cadre de la résolution 1386 du Conseil de sécurité des Nations unies avec, pour mandat, de stabiliser le pays et de créer les conditions d’une paix durable.
Comme le rappelait le Premier ministre, François Fillon, « Nous poursuivrons notre stratégie de sécurisation, de reconstruction et de responsabilisation des autorités afghanes ».
Cet effort de la communauté internationale pour sécuriser le pays, former et encadrer l’armée afghane, la police et l’administration commence à porter ses fruits.
Pourtant, les médias occidentaux ne parlent que d’attentats, de dommages collatéraux et de soldats tués.
Les médias ne parlent jamais de cette reconstruction qui se fait, vallée par vallée, avec les 2 300 ONG présentes, dont 300 internationales et 35 françaises.
Les médias ne parlent pas non plus de la coopération civilo-militaire française ou des PRT américaines, les Provincial Reconstruction Teams, qui font un énorme travail : réhabilitation d’écoles, construction d’infrastructures, de bâtiments administratifs, d’un terrain de sport à Tagab, au sud de la Kapisa, d’un tribunal à Nijrab – c’est le symbole de l’État afghan qui est de retour ! –, ni de l’aide à l’agriculture, secteur clé de l’Afghanistan, où nous multiplions non seulement la réalisation d’infrastructures hydrauliques, mais aussi la fourniture d’engrais et de semences, ainsi que de silos de stockage sans lesquels les Afghans doivent brader leurs récoltes, faute de pouvoir les conserver.
M. le ministre de la défense et des anciens combattants opine.
On ne parle pas non plus des MEDCAP, les Medical Civic Assistance Program, ces cliniques temporaires qui permettent d’assurer le suivi médical des populations.
Alors, monsieur le ministre, quand et comment allons-nous enfin réussir à présenter aux médias ce volet positif et essentiel de notre action, sans lequel il n’y aura pas d’avenir pour l’Afghanistan ?
L’observation légitime et forte de M. Jacques Gautier recoupe le point de vue de tous les observateurs qui, sur le terrain, constatent le formidable travail des forces mobilisées au titre de la résolution 1386 de l’ONU, car il s’agit bien d’une action internationale.
S’agissant de la France et du ministère de la défense, puisque vous interrogez le ministre, le chef d’état-major des armées, CEMA, et ses services de communication organisent le plus systématiquement possible la présence des journalistes qui le souhaitent en Afghanistan en général et naturellement dans les secteurs dont nous avons la charge : Obi et Kapisa.
Pour vous donner des indications quantitatives, deux ou trois journalistes français en moyenne sont présents sur le terrain de façon constante. L’année précédente, ce sont soixante-quatre médias français différents qui, grâce aux services de communication du CEMA, ont pu être présents sur le site et non seulement partager la vie de nos soldats, mais également accéder à chacun des interlocuteurs afghans qu’ils souhaitaient rencontrer. Au total, ce sont plus de deux cents journalistes qui ont été présents sur le terrain. C’est à eux qu’il appartient ensuite d’opérer un choix.
Cette séance de questions cribles thématiques est particulièrement pertinente, car elle va permettre de montrer que, au-delà de l’aspect tragique et malheureusement inéluctable de la présence de nos forces en Afghanistan, un formidable travail de reconstruction est accompli, travail que parfois la presse omet de faire connaître à ses lecteurs !
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Je remercie M. le ministre de sa réponse.
Moi aussi, je fais un rêve : celui que les journalistes parlent des points positifs et de ce qui fonctionne, même si, c’est vrai, cela ne fait pas la une des journaux en général.
Moi, je souhaite que les journalistes fassent leur métier, tout simplement !
Avec ce débat, on entre dans le vif du sujet : le domaine réservé, peut-être même exclusif, du Président de la République !
Monsieur le ministre, le retour dans l’OTAN, la très grave surdité face aux évolutions du Maghreb, la faillite de la politique africaine et, surtout, la docilité face aux impératifs de la politique extérieure des États-Unis, notamment en Afghanistan, voilà ce que personnellement je relève !
Face au délitement de la politique extérieure de la France, je n’irai pas par quatre chemins. Je l’ai déjà indiqué ici le 26 novembre 2010 et encore le 18 janvier 2011 : il nous faut aller vers un retrait progressif, négocié et planifié d’Afghanistan. Cela constitue notre position constante depuis plusieurs années.
Sous sa forme actuelle, notre engagement militaire dans le bourbier afghan ne peut pas réussir, malgré le courage et l’esprit de sacrifice de nos soldats. D’ailleurs, quoi qu’on en dise, nous ne sommes pas associés à l’élaboration de notre stratégie !
La solution, si solution il y a, monsieur le ministre, est politique, et non pas militaire ! Il faut sortir de cette logique infernale avant que nous ne soyons obligés, comme tant d’autres naguère, d’abandonner piteusement l’Afghanistan à son sort, les enfants et les femmes afghanes qui vivent sous le joug de l’obscurantisme.
Mais, puisque je connais aussi le goût de certains pour la polémique politicienne, je signale tout de suite que, dans la mesure où nous sommes des gens responsables, nous n’ambitionnons pas un retrait brutal du jour au lendemain de toutes nos forces.
Nous souhaitons que s’opère une négociation, une planification avec nos alliés et avec les autorités afghanes. L’idéal serait d’ailleurs…
M. Alain Gournac approuve.
Monsieur le ministre, ma question sera directe et j’espère qu’il en sera de même de votre réponse : le Gouvernement français…
M. Jean-Louis Carrère. … indiqueront-ils que le retrait militaire d’Afghanistan débutera en 2011 ? Pour nous, il faut non seulement le dire, mais aussi le faire !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le sénateur, vous avez évoqué de très nombreux sujets, mais je me limiterai à votre seule question extrêmement précise.
Dans le cadre de la résolution 1386, les troupes françaises de l’Alliance ont vocation à rétablir la sécurité et à transférer les responsabilités au gouvernement afghan.
Deux élections présidentielles et des élections législatives ont eu lieu. C’est la lente et difficile reconstruction d’un État. Cela me permet, entre parenthèses, de dire tout le bonheur que l’on a d’avoir un État qui tienne la route !
Notre mission se traduit donc par une politique de transfert de responsabilités et une « afghanisation » de la sécurité, secteur par secteur. Le Joint Afghan Nato Inteqal Board, ou JANIB, pour employer l’un des nombreux acronymes utilisés en matière de politique de défense, en France comme à l’étranger, évalue chaque situation.
Pour répondre précisément à votre question, ce comité dont nous faisons partie – ce qui signifie très clairement que nous sommes associés aux décisions les plus importantes de la conduite des opérations de paix et de reconstruction de l’État en Afghanistan – examinera, nous l’espérons profondément et nous le proposerons, la situation du district de Surobi en 2011.
Mais le transfert des responsabilités dans ce district ne s’effectuera qu’en accord avec le comité, la décision définitive appartenant au Président Karzaï. Je vous confirme que nous avons la volonté de l’afghanisation et que, à la fin de l’année 2011, ce comité sera saisi.
Toutefois, il serait bien imprudent de tirer aujourd’hui une conséquence définitive, car nous sommes dans un système dialectique, au sein duquel nos actions sont naturellement contrebattues. C’est la raison pour laquelle je ne puis, en cet instant, être plus catégorique sur cette date, même si, en effet, elle correspond au calendrier souhaité et au résultat obtenu sur le terrain par notre armée.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour la réplique.
Je vous prie d’être bref !
Je le serai, monsieur le président !
Monsieur le ministre, je crois surtout qu’il faut imiter les Américains lorsqu’ils font des choses justes.
Nous, socialistes, ne partageons pas l’attitude du Gouvernement français à propos de l’Afghanistan et du commandement intégré de l’OTAN. En revanche, s’agissant du débat à l’intérieur du pays, nous partageons l’opinion américaine et l’attitude du Président Obama.
Nous souhaitons que se tienne au Parlement un véritable débat sanctionné par un vote sur l’opportunité de maintenir nos troupes en Afghanistan et, surtout, que le Président de la République entende, non seulement en France, mais aussi en Europe, l’opinion publique ! Elle souhaite que nous quittions au plus vite le bourbier afghan et que nous substituions à l’action militaire une action plus politique.
La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
Monsieur le ministre, le 24 février, un soldat français a encore été tué en Afghanistan ; c’est le cinquante-quatrième.
Bien sûr, il faut rendre un hommage appuyé à nos militaires pour leur mission difficile sur le terrain. Il n’empêche que la douleur des familles est immense, car aucune réponse convaincante n’est apportée à la question cruelle qu’elles se posent : pourquoi sont-ils morts ?
Monsieur le ministre, sondage après sondage, une majorité de plus en plus écrasante de Français affirment leur opposition croissante à la présence de nos troupes en Afghanistan.
Le dernier en date, celui de l’IFOP pour l’Humanité, le 23 février, indique que 72 % d’entre eux n’approuvent pas l’intervention militaire, soit 2 % de plus qu’en juillet, mais 8 % de plus qu’en août 2009.
Même les sympathisants de votre majorité, l’UMP, affichent désormais à 55 % leur hostilité à cette guerre. La majorité des sondés ne voient dans cette aventure militaire ni perspective de rétablissement de la paix ni soutien réel à la population afghane, laquelle paie le prix fort, prise en otage entre les insurgés talibans et les forces occidentales.
Ils sont 88 % à considérer que la situation sur place est très difficile, que nos militaires y sont exposés et que le risque d’enlisement est réel. Le conflit est plus meurtrier que jamais : 10 000 morts sur la seule année dernière, dont 711 soldats de l’OTAN, 1 200 policiers et au moins 2 500 civils et 30 000 blessés dont on ne parle jamais.
C’est la guerre la plus longue de notre histoire ! Elle a, du reste, maintenant largement dépassé celle des Soviétiques. Aligné sur la position américaine, le Président de la République, drapé dans ses certitudes de pseudo-amélioration de la situation toujours démentie par les faits, n’a rien d’autre à nous offrir que le leitmotiv « on y restera le temps qu’il faudra ».
S’agissant de la stratégie des Américains, sur le plan politique, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est fluctuante et peu claire. Robert Gates n’a-t-il pas déclaré…
… que son ambition, aujourd’hui, se limiterait à laisser l’Afghanistan au moins dans l’état où les Soviétiques l’avaient laissé ?
Rien ne pourra se construire durablement dans ce pays où le peuple rejette l’occupation des troupes étrangères. La France, qui a un autre rôle à jouer, devrait commencer à retirer progressivement son contingent
… et augmenter son aide civile au développement.
Monsieur le ministre, les Français ne vous suivent plus ! On n’a pas le droit de conduire une guerre en silence ! C’est à la nation de confirmer ou d’infirmer la mise en jeu de la vie de nos soldats dans ce pays. Quand allez-vous enfin permettre aux Français de se prononcer, à commencer par la représentation nationale, en organisant un débat public au Parlement, sanctionné par un vote ?
Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – Mme Virginie Klès, MM. Jean-Louis Carrère et Daniel Reiner applaudissent également.
Madame Demessine, je vous remercie pour l’hommage que vous avez rendu à l’armée française et à son action.
Justement, parlons-en, des résultats globaux de l’Alliance ! Sans revenir sur les élections, je citerai la reconstruction d’un État dans lequel la liberté d’expression est désormais garantie par près de 700 journaux, 110 radios et 30 chaînes de télévision.
Je me tourne vers votre collègue Jean-Louis Carrère : cet État se reconstruit avec une prise en considération de la femme qui n’existait plus, nous le savons. En Afghanistan, près de 28 % des parlementaires sont des femmes et les jeunes filles, pour 35 % d’entre elles, sont désormais scolarisées.
Sur le plan de la santé, qui est un indicateur de paix sociale et de sérénité de vie, la mortalité infantile chute de façon particulièrement spectaculaire. Quant aux soins de première nécessité, 85 % de la population y ont maintenant accès, contre 8 % seulement en 2001
M. Jean-Louis Carrère fait un signe de dénégation.
Je vous épargne l’accès à l’éducation, les infrastructures réhabilitées, le triplement de la production de l’électricité et la diffusion des communications, qui est sûrement un bien. Quoi qu’il en soit, 30 % de la population sont couverts par le téléphone. Auparavant, cela n’existait en rien. La France prend naturellement une part toute particulière dans cette reconstruction.
Au sujet des cinquante-quatre morts que vous avez évoqués, madame le sénateur, leurs familles peuvent avoir la fierté de considérer qu’ils ont participé à une œuvre de paix, à la reconstruction d’un État. Il s’agit de permettre à près de 20 millions d’habitants d’espérer accéder, à un moment ou à un autre, au minimum de sérénité. Nous devons notamment faire en sorte que les droits de l’homme qui sont inscrits dans la Constitution afghane soient une réalité, déclinée sur le terrain.
Nous passons du Moyen Age au siècle actuel, en épousant progressivement des valeurs qui sont des valeurs de démocratie et de République. C’est une œuvre de longue haleine, à laquelle nous sommes associés, prenant notre part de responsabilité. Les résultats en termes de société sont suffisamment significatifs pour que chacun mesure que cet effort porte des fruits, même s’il ne porte pas tous les fruits.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.
La parole est à Mme Michelle Demessine, pour la réplique. Vous disposez de quelques secondes seulement. Je demande à chacun, y compris au Gouvernement, de respecter son temps de parole.
Monsieur le ministre, cela fait des années que l’on nous parle d’amélioration, chiffres à l’appui. Mais nous le savons aussi, derrière ces chiffres, il y a très peu de réalité, très peu de contenu !
S’agissant de la scolarisation des filles, nous avons lu, dans un récent rapport, que si elles sont bien présentes dans les écoles, aucun service éducatif ne leur est délivré, faute de moyens pour ces écoles !
La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour le groupe Union centriste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis des années, notre vision du monde arabo-musulman a été prise en étau entre le spectre des régimes autoritaires et celui du terrorisme. Al-Qaïda s’est ainsi imposée comme le dernier horizon d’une population opprimée.
Peut-être est-ce ce tropisme erroné qui a conduit à l’engagement des Occidentaux en Afghanistan sans perspective de retrait apparente, à l’intervention des États-Unis en Irak et à la diabolisation d’un Iran qui ne se limite pas à la personne de Mahmoud Ahmadinejad.
Ces derniers mois ont pourtant été marqués par le surgissement sur la scène internationale d’une véritable opinion publique arabe. De la Tunisie à l’Égypte, en passant par la Libye, et ailleurs, on retrouve une même jeunesse éduquée, mobilisée, connectée à internet. La démocratie naît d’un trait, cette démocratie que, peut-être par mépris, les Occidentaux ne croyaient pas possible !
Le terrorisme n’a plus l’initiative et le mouvement pour lui. Le soutien tardif de l’AQMI à la révolution libyenne semble confirmer une évolution de la position de l’organisation terroriste.
On ne saurait pour autant y voir un signe d’essoufflement du terrorisme comme réponse aux attentes de la jeunesse musulmane. Car les réseaux restent actifs partout dans le monde !
Cela pose plusieurs questions relatives à l’Afghanistan.
Peut-on espérer – monsieur le ministre, vous m’avez déjà apporté une réponse partielle en vous adressant à Mme Demessine – peut-on espérer, dis-je, voir l’émergence d’une véritable opinion publique afghane, qui devienne une alliée contre le terrorisme ? Comment la France peut-elle susciter et accompagner ce mouvement ? Si une opinion publique existait vraiment, serait-ce alors le signe de notre succès et, donc, l’annonce de notre retrait du théâtre afghan ?
Cher Yves Pozzo di Borgo, les questions que vous avez posées sont absolument fondamentales. Au cœur de la reconstruction d’un État, il y a ce qui répond à cet État, l’évolution d’une société.
J’ai eu le privilège, grâce à l’initiative du président Larcher, de me rendre sur place avec les présidents de groupe et en compagnie du sénateur Jacques Gautier.
Nous avons bien mesuré l’extraordinaire diversité de ce pays, son caractère compartimenté, qui facilite la poursuite d’organisations traditionnelles assez hermétiques, on peut bien le dire, aux valeurs et mécanismes d’une grande démocratie moderne que vous appelez de vos vœux et dont le caractère inéluctable est profondément souhaité par les uns et les autres mais à un rythme que nous ne maîtrisons pas.
Le préalable à la démocratie, c’est l’échange. Après avoir évoqué tout à l’heure la liberté de la presse, la communication et les télécommunications, je voudrais dire un mot des transports. Lorsqu’une population peut échanger, comparer, commercer, elle se libère de l’emprise de systèmes qu’il n’est pas complètement agressif de traiter de féodaux, de traditionnels ou de claniques. C’est l’idée de cette circulation de l’information, des biens, des services et des personnes – que seul le maintien de l’ordre peut d’ailleurs garantir – qui est en mesure de faire bouger sur le long terme cette société.
Tel est l’objectif de notre présence. C’est un but ambitieux. Je dois reconnaître qu’il est long à construire.
Applaudissements sur certaines travées de l ’ UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.
Je remercie M. le ministre pour l’intelligence de sa réponse et sa clarté.
Pour aller dans le sens de M. le ministre, je voudrais rappeler qu’on a pu observer, lors de l’élection présidentielle de 2009 et des élections législatives de septembre 2010, une participation de 30 % à 40 %.
M. le ministre opine.
Malgré les attaques commises contre 150 bureaux de vote et les 22 morts du 18 septembre 2010, on sent l’émergence d’une opinion publique afghane.
M. le ministre opine de nouveau.
Enfin, concernant l’Assemblée nationale afghane, sur 249 sièges, 68 sont détenus par des femmes.
Sourires.
Je rejoins ainsi M. le ministre et répète notre rêve de voir émerger une opinion publique forte en Afghanistan.
Monsieur le ministre, le Président afghan, M. Hamid Karzaï, va annoncer le 21 mars – dans trois semaines – quand et où l’armée afghane va prendre le relais des troupes internationales.
Il est souhaitable que soit concerné d’emblée le district de Surobi où, selon votre prédécesseur M. Alain Juppé, s’exprimant devant la commission des affaires étrangères et de la défense, la sécurité a été rétablie par les troupes françaises au courage et au stoïcisme desquelles je veux rendre hommage.
La Grande-Bretagne a annoncé son retrait au plus tard en 2014. Le Président Sarkozy a, quant à lui, déclaré que nous n’étions pas liés par ces délais et que nous serions là « dans la durée ». Une formulation aussi générale est-elle bien raisonnable, dès lors que le principe de retrait a été posé par la Conférence de Lisbonne ?
La décision dépend, vous l’avez rappelé, d’un organisme, le JANIB – Joint Afghan Nato Intiqual Board ; Intiqual signifie « transition » en pachtoun –, qui réunit les responsables afghans de la sécurité et le commandement de l’Alliance. En dernier ressort, c’est le Président Karzaï qui tranchera. Au sein de cet organisme, nous sommes représentés depuis peu par notre ambassadeur. Mais une prise de position officielle à votre niveau y contribuerait, monsieur le ministre, puisque, je le répète, les conditions de l’afghanisation dans le district de Surobi sont réunies et que l’afghanisation va commencer dans une vingtaine de jours. Or je crois comprendre de vos propos que la fin de l’année 2011 vous conviendrait tout aussi bien.
Vous vantez les réalisations sur le terrain. Mais, monsieur le ministre, je crois rêver : j’ai connu la fin de l’Algérie française et j’ai l’impression, en vous écoutant, que nous sommes en 1961-1962.
Ma question, la voici : puisque la transition est désormais irréversible, n’est-il pas préférable de définir avec l’ensemble de nos alliés un calendrier harmonisé de retrait pouvant, certes, comporter des flexibilités mais permettant de commencer à diminuer sans tarder nos effectifs engagés ?
Deuxième question : ne serait-il pas opportun d’associer la France au processus de la transition et, donc, aux contacts qui seront pris dans le cadre d’une éventuelle « réconciliation » ?
Qu’en est-il, à cet égard, de notre politique à l’égard du Pakistan, dont il serait utile de connaître les intentions en vue de faciliter la transition et de permettre la réconciliation des différentes factions pachtounes dès lors qu’elles se seraient clairement dissociées de l’entreprise du terrorisme international d’Al-Quaïda ?
M. Jean-Pierre Chevènement. J’attire votre attention sur le fait que nos troupes ne doivent pas être embarquées – embeded, comme disent les Américains – dans un processus sur lequel nous n’aurions aucun contrôle.
M. Yvon Collin applaudit.
Monsieur Chevènement, vous avez consommé en partie le temps qui vous était alloué pour une éventuelle réplique.
La parole est à M. le ministre.
Cher Jean-Pierre Chevènement, il y a un projet politique. Il consiste à transmettre à un État afghan, à une structure afghane, à une armée afghane, à une police afghane la responsabilité de gérer un grand pays, qui a une très longue histoire mais qui n’est assurément pas une société moderne au sens où le sont les démocraties d’aujourd’hui.
L’intervention de M. Yves Pozzo di Borgo nous le rappelait – bien qu’il s’agisse non du monde arabe mais, en l’occurrence, du monde musulman –, il se produit un immense changement. Il bouscule les idées communes, notamment le sentiment que c’était un monde à part, hermétique aux idées de liberté, de responsabilité individuelle et de démocratie, un monde qui, au fond, semblait condamné à choisir entre des régimes autoritaires plus ou moins laïcs ou laïcisants et, au contraire, des régimes islamiques.
Nous avons quelque chose de nouveau, dont nous ne savons pas ce qu’il sortira.
En Afghanistan, nous essayons de faire évoluer une société en créant une structure d’État.
Très concrètement, s’agissant du secteur de Surobi, nous pensons pouvoir saisir le JANIB afin d’obtenir une décision du président Karzaï et de pouvoir en effet passer la main.
En ce qui concerne la Kapisa, les efforts sont en cours, le calendrier ne sera absolument pas le même.
Il existe une différence profonde entre les deux situations : lorsque nous aurons transmis la responsabilité, nous redeviendrons libres de nos moyens. Et je n’imagine pas un seul instant que le Gouvernement ne propose pas, à un moment ou un autre, un débat public, et d’abord au Parlement, sur l’évolution de nos engagements quand nous aurons fait notre travail et passé la main aux responsables afghans. Car tel est bien le projet politique de l’alliance internationale : faire émerger un État.
Nous sommes loin des ambiguïtés que vous évoquiez voilà quelques instants et qui ont attristé des pages de notre histoire.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.
La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour la réplique, en quelques secondes.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, il faudrait redéployer nos moyens vers une présence civile, conformément à une belle et grande tradition de la France. Je pense aux lycées, aux centres culturels, aux hôpitaux
M. Jean-Louis Carrère applaudit.
Il faudrait que ce retrait rapide de nos forces débouche sur un retour de la France dans des domaines où elle était traditionnellement présente.
M. Jean-Pierre Chevènement. Nous voyons l’Inde et la Chine multiplier leurs investissements en Afghanistan ; ces pays se disputeront son territoire dès lors que les Occidentaux l’auront quitté. La France doit cependant y rester présente !
Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.
La parole est à M. André Dulait, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun de nous en est bien conscient, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a profondément modifié le fonctionnement du ministère de la défense, qui en est à sa deuxième réforme. Les restructurations ont été conduites avec un objectif principal : remettre l’homme au centre du dispositif. Cela est essentiel à un moment où nos troupes sont engagées dans un conflit qui n’est pas qualifié de « guerre ».
Avec notre présence en Afghanistan, la société redécouvre la notion de sacrifice suprême. Les blessés de l’hôpital Percy peuvent en témoigner.
Certes, ceux qui reviendront d’Afghanistan auront participé à des « opérations de sécurité », et non à une guerre. Toutefois, un certain nombre de nos concitoyens ont évoqué la possibilité d’une commémoration.
En tant que rapporteur du projet de loi relatif à la reconversion des militaires, je pense que celle-ci doit s’accompagner d’une nécessaire reconnaissance de la nation. Le « conflit » en Afghanistan et sa spécificité doivent être appréhendés sous un volet mémoriel, contribuant ainsi à resserrer le lien entre l’armée et la nation.
À l’heure du turn over queconnaît l’armée, il s’agit de la place qu’occupera le futur ex-soldat dans la société, après son passage au sein de l’institution de la défense. Mais il est également question des rapports de l’armée avec ceux qu’elle a formés et qui l’ont quittée transformés.
Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais connaître les réflexions qui sont menées sur ce sujet par vous-même et par votre ministère.
M. Gérard Longuet, ministre. Cher André Dulait, votre question est d’une pertinence totale.
Souriressur les travées du groupe CRC-SPG.
Depuis vingt ans, plus de 200 000 soldats français ont été engagés dans des OPEX de natures extrêmement différentes. Cela me conduit, sur ce point précis, à vous indiquer que le ministère s’est mobilisé et a envoyé un questionnaire à plus de 5 000 militaires de tous grades, afin de comprendre le ressenti de ceux qui ont participé à ces OPEX au cours des vingt dernières années, et de savoir comment ils souhaitent qu’une reconnaissance nationale leur soit accordée.
Avant même de connaître les résultats de cette étude d’opinion, qui débouchera sur des propositions, le Gouvernement a accepté d’accorder le bénéfice de la campagne double aux militaires actuellement engagés en Afghanistan.
MM. André Dulait et Jacques Gautier marquent leur satisfaction.
Je voudrais développer certains points, que vous avez implicitement évoqués.
Le premier concerne les familles de nos soldats disparus. Le soutien matériel qui leur est accordé est solide, mais les procédures sont complexes. Mon prédécesseur, avec l’aide de ses collaborateurs, avait préparé un plan facilitant ces procédures. Ainsi, les familles n’auront plus à se battre pour s’orienter au sein d’un dédale administratif qui peut revêtir, dans certains cas, un caractère kafkaïen.
Le deuxième point a trait au statut de nos soldats blessés. Vous avez évoqué ceux qui sont hospitalisés à Percy. En effet, il nous faut prévoir des reconversions et des réorientations, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’armée, pour les hommes qui ont été atteints par les mines, ces armes particulièrement meurtrières. Le ministère de la défense se mobilise pour leur apporter des solutions de bon sens et de suivi individualisé. Nous sommes en mesure de le faire. C’est le devoir, l’honneur et la tradition de notre armée.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.
M. André Dulait. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, pour tous les éléments de réponse que vous m’avez apportés. La nation doit reconnaissance, sous la forme d’une commémoration, à tous ces hommes, ceux qui sont diminués physiquement à l’issue des conflits, comme ceux qui ont perdu la vie. Je me réjouis que vous ayez engagé cette démarche et que vous soyez en bonne voie pour la mener à son terme.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais essayer de dire les choses simplement.
En Afghanistan, l’enjeu, c’est la guerre ou la paix. L’enjeu, c’est la stabilité d’une région traversée par des tensions de toute nature. L’enjeu, c’est le rôle de la France et de l’Europe dans les relations internationales.
C’est pourquoi nous devons bien sûr aborder ce dossier brûlant et sensible avec gravité et esprit de responsabilité.
Monsieur le ministre, nos collègues Jean-Louis Carrère, Michelle Demessine et Jean-Pierre Chevènement ont posé une question de fond sur le tragique conflit qui déchire l’Afghanistan et sur notre engagement dans ces combats.
Il faut, d’abord, éviter les malentendus et les mauvais procès. Un point, je crois, fait largement consensus : c’est la nécessité de nous donner les moyens – tous les moyens ! – de lutter contre le terrorisme international.
On a bien compris que l’objectif était de lutter contre les terroristes là où ils se trouvent, et avec des moyens appropriés.
Mais, ce matin, je tiens à apporter un éclairage sur ce qu’il faut bien appeler un angle mort de notre action : je veux parler de la prise en compte de la dimension régionale, et notamment du Pakistan, dans le cadre de la stratégie en cours.
Les informations recueillies lors d’un voyage que nous avions effectué ensemble, monsieur le ministre, dans le cadre de la mission sénatoriale diligentée par le président Larcher, et celles que nous détenons par ailleurs démontrent, d’une part, que les talibans recrutent localement et, d’autre part, qu’ils peuvent compter sur le soutien de forces venues du Pakistan. Ce flux-là semble loin de se tarir. Mais peut-être disposez-vous d’autres informations, monsieur le ministre, que vous souhaiteriez communiquer au Sénat ?
Dans ce contexte, les opérations menées par les États-Unis sur le territoire pakistanais soulèvent de nombreuses interrogations.
D’où mes questions, qui seront simples dans leur énoncé, mais ô combien complexes, bien sûr, dans leurs implications !
La France participe-t-elle, aux côtés des États-Unis, aux opérations menées dans les zones tribales qui servent de sanctuaires aux talibans afghans et à Al-Qaïda ?
Sommes-nous associés, et si oui, de quelle manière, aux décisions qui conduisent à des frappes militaires sur la zone frontalière pakistanaise ? Avons-nous des échanges diplomatiques avec le Pakistan sur cette question ?
Comment entendons-nous agir pour obtenir une clarification de la position du Pakistan, dont nous avions tous reconnu qu’elle était pour le moins ambiguë ?
MM. Jean-Louis Carrère, Daniel Reiner et Jacques Mézard applaudissent.
Je remercie M. Bel d’avoir évoqué le déplacement à Kaboul, organisé sur votre initiative, monsieur le président Larcher et que nous avons effectué il y a presque dix-huit mois. Ce déplacement m’a sans doute permis de connaître un peu plus rapidement ce dossier majeur du ministère que j’ai l’honneur de diriger.
Je vous le dis d’une façon catégorique, monsieur Bel : l’armée française, directement ou indirectement, n’intervient pas au Pakistan. Peut-être d’autres le font-ils – vous avez évoqué quelques hypothèses... –, mais pas l’armée française ! Sa mission se limite à l’Afghanistan et à l’application de la résolution 1386 du Conseil de sécurité des Nations unies. En aucun cas notre armée ne sort du mandat que nous tenons de cette résolution, et des territoires situés à l’est de Kaboul, mais très clairement à l’intérieur des frontières de l’Afghanistan.
En revanche, vous avez mille fois raison de dire que nous avons le devoir, sur le plan diplomatique, – mais ce dossier relève de la responsabilité de mon collègue Alain Juppé ! – d’aider le Pakistan à rétablir des relations apaisées avec la communauté internationale.
Je me garderai bien de porter un jugement sur les inquiétudes et les conflits qui traversent ce pays, mais nous savons bien que ceux-ci troublent la sérénité du sous-continent indien. Des conflits majeurs l’opposent en effet à son grand voisin, et l’on peut tout à fait supposer que les décisions prises par le Pakistan concernant son voisin de l’ouest sont conditionnées par les inquiétudes qu’il ressent à l’est. Le débat international est donc au cœur du sujet.
L’Afghanistan est l’un des éléments d’un système complexe, qui comprend la société afghane, dont j’ai parlé lors d’une réponse à un précédent orateur, et la situation particulière de ce pays, d’où sont parties les dynasties mogholes qui ont contrôlé l’Inde.
Vus de l’extérieur, il s’agit de pays différents. Lorsqu’on les connaît, la réalité s’avère être plus complexe. Vous avez donc raison, une réflexion diplomatique d’ensemble est nécessaire, mais celle-ci relève de la responsabilité du ministère des affaires étrangères, sous l’autorité du Président de la République. C’est donc M. Juppé que vous devriez interroger sur ce sujet.
Tout le monde, qu’il s’agisse des experts, des analystes, des diplomates ou des militaires, reconnaît qu’une victoire militaire en Afghanistan est désormais impossible.
La France se trouve dans une situation délicate du fait de sa stratégie au sein de l’OTAN, qui nous interdit de définir nos propres objectifs stratégiques. C’est pourquoi nous demandons une nouvelle fois un débat au Parlement, suivi d’un vote, sur l’engagement militaire en Afghanistan.
Le courage et le sens du devoir de nos soldats sur place ne changent rien à un constat de fait : notre stratégie est insuffisante et ne peut aboutir. Par conséquent, il faut nous engager sur un calendrier précis, comportant l’annonce d’un retrait progressif et planifié, concerté avec nos alliés, nos partenaires européens et les autorités afghanes. Tel est le sens de nos interventions d’aujourd’hui.
M. Jean-Louis Carrère applaudit.
Monsieur le ministre, ma question portera sur la communication publique de la mission française dans le cadre de la FIAS, la force internationale d’assistance et de sécurité, en Afghanistan.
Le sujet a été déjà évoqué par mon collègue Jacques Gautier, à qui vous avez apporté un certain nombre de réponses, mais celles-ci, malheureusement, ne nous ont pas convaincus.
Exclamations sur les travées de l ’ UMP.
Quand on veut communiquer, on trouve les moyens pour le faire.
Savez-vous, monsieur le ministre, que, tous les mois, le général français qui commande nos troupes en Afghanistan est invité ou, plus exactement, convoqué par le Pentagone pour rencontrer les journalistes américains et s’entretenir avec eux ?
Savez-vous, monsieur le ministre, que, tous les trois mois, le gouvernement canadien remet à tous les parlementaires un rapport public de plusieurs dizaines de pages, parfois même de plusieurs centaines de pages.
Il est trop facile, monsieur le ministre, de faire porter la responsabilité du problème de communication à la presse !
À ce sujet, j’adresse une pensée toute particulière aux deux journalistes français encore retenus en Afghanistan après 429 jours, et je leur rends hommage.
J’ai le sentiment que la communication sur la situation en Afghanistan est le reflet de l’attitude du Gouvernement et, surtout, du Président de la République à propos des événements qui ont lieu dans ce pays.
Nous n’avons pu que constater, au fil des mois puis des années, à quel point il était difficile d’obtenir qu’un débat soit organisé – quand bien même nous évoquons le sujet aujourd'hui – ou que nous puissions nous exprimer par un vote, à la différence de ce qui se passe dans les autres pays : aux États-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne
M. Jean-Louis Carrère opine.
Personnellement, je crois que, si la Grande Muette est aujourd'hui muette, c’est parce qu’elle en a reçu l’instruction.
Nous vous demandons, monsieur le ministre, de « libérer » les moyens d’information, en particulier ceux de la DICOD, la délégation à l’information et à la communication de la défense, en direction de la presse de manière que celle-ci puisse faire son travail dans de meilleures conditions.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je vais empiéter sur le temps de parole qui m’est alloué pour la réplique à votre réponse pour vous poser une dernière petite question, relative elle aussi, bien sûr, à l’Afghanistan.
Dans le cadre du plan de relance, cinq hélicoptères Caracal ont été financés. Or, nous avons appris qu’un de ces hélicoptères, au lieu d’être attribué à l’armée de l’air, était destiné à l’exportation.
Considérez-vous, monsieur le ministre, que c’est le moment d’exporter des hélicoptères dont nous avons le plus grand besoin sur les théâtres d’opération, en particulier en Afghanistan ?
Pouvez-vous d’ailleurs nous indiquer si cet hélicoptère Caracal a été vendu à l’export ou si sa destination est bien toujours l’Afghanistan ?
M. Jean-Louis Carrère applaudit.
D’abord, monsieur le sénateur, vous avez eu raison d’évoquer les deux journalistes de France 3 enlevés en décembre 2009 dans l’exercice de leur mission et bloqués depuis.
L’armée française avait tout fait pour qu’ils soient en mesure d’assurer leur mission en les faisant bénéficier de son soutien ; ils ont souhaité aller au-delà, avec un courage dont, très clairement, ils sont aujourd'hui les victimes.
Je m’incline devant ce courage qui est partagé par tous les journalistes qui font l’effort de venir en Afghanistan pour essayer de comprendre et d’expliquer.
J’ajoute que, toutes les semaines, un haut fonctionnaire permanent de la direction de la communication du ministère de la défense est à la disposition des journalistes dans un point de presse au cours duquel il expose très clairement la situation des opérations sur le terrain et répond à l’ensemble des questions qui lui sont posées.
Très honnêtement, j’estime donc que l’armée fait son travail d’information sur la mission qu’elle assume pour le compte de la FIAS et celui de la communauté internationale.
Ensuite, s’agissant des hélicoptères Caracal déployés en Afghanistan, je dois avouer que ce sujet très précis ne m’est pas encore parfaitement familier, mais, s’il y avait eu à un moment une perspective d’exportation d’un appareil, elle n’a manifestement pas été suivie d’effet. La priorité est effectivement que le matériel soit disponible sur le théâtre des opérations. Je me dois donc de dire très clairement que le risque que vous avez évoqué n’est pas confirmé.
Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.
M. le président. Monsieur le ministre, au nom de mes collègues, je vous remercie. Au cours de ces questions cribles, nous avons bien sûr tous eu en pensées nos troupes, mais aussi les deux journalistes retenus en Afghanistan ; à ces pensées, associons collectivement tous les otages retenus en Afrique et ailleurs.
M. Alain Gournac opine.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur la situation en Afghanistan.
L’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.