Intervention de François Zocchetto

Réunion du 3 mars 2011 à 9h30
Garde à vue — Discussion d'un projet de loi

Photo de François ZocchettoFrançois Zocchetto, rapporteur :

… puis le 24 mars et le 29 avril 2010, lors de l’examen des propositions de loi présentées respectivement par M. Jacques Mézard, et par Mme Alima Boumediene-Thiery et M. Jean-Pierre Bel, notre assemblée s’est accordée sur l’impossibilité de maintenir le statu quo.

Par ailleurs, nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel ont été chargés par la commission des lois de prolonger cette réflexion dans le cadre du groupe de travail sur l’enquête et l’instruction.

L’autre élément déterminant de la réforme repose sur nos obligations conventionnelles et constitutionnelles. Comme M. le garde des sceaux vient de le rappeler de manière très docte et précise, les dispositions actuelles du code de procédure pénale, qui prévoient seulement un entretien de la personne gardée à vue avec son avocat préalablement à l’interrogatoire de police, ne sont pas conformes au droit à l’assistance effective de l’avocat, reconnu par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi que par la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010.

Le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution cinq articles du code de procédure pénale relatifs à la garde à vue de droit commun et a fixé au 1er juillet 2011 la date butoir de leur abrogation. Si nous ne le faisions pas, nous entrerions dans une période d’insécurité juridique aux conséquences dramatiques.

Par ailleurs, la Cour de cassation, dans deux arrêts rendus le 19 octobre et le 15 décembre 2010, a jugé contraire à l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme les dispositions du code de procédure pénale relatives aux régimes dérogatoires en matière de garde à vue. Elle s’est alignée sur le calendrier du Conseil constitutionnel en fixant au 1er juillet 2011 la date limite pour modifier la loi sur les régimes dérogatoires.

Il est dès lors très clair que le texte déposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale marquait une avancée considérable par rapport à l’état du droit en vigueur. Mais les modifications introduites par cette dernière sur l’initiative de sa commission des lois et en particulier de son rapporteur, M. Philippe Gosselin, ont permis d’aboutir à un équilibre encore plus satisfaisant entre les différents objectifs que doit conjuguer le régime de la garde à vue.

Parmi les avancées contenues dans le projet de loi initialement déposé par le Gouvernement, je citerai en particulier six points.

Tout d’abord, la garde à vue ne sera désormais possible que pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement, tandis que, aujourd’hui, tous les délits et même la moindre contravention peuvent conduire à une garde à vue.

Ensuite, la garde à vue ne pourra être prolongée au-delà de vingt-quatre heures que pour les crimes et les délits passibles d’une peine d’un an d’emprisonnement.

En outre, la personne sera de surcroît avisée de son droit à garder le silence. Monsieur le garde des sceaux, on peut certes présenter cela comme une grande avancée. Il faut toutefois rappeler qu’une telle disposition existait déjà voilà quelques années. Puis, le législateur avait jugé judicieux de supprimer cette disposition. Celle-là avait d’ailleurs peu de sens puisque, de toute façon, il était bien évident que la personne gardée à vue, comme dans n’importe quelle circonstance, peut toujours garder le silence. Sauf à imaginer un recours à la torture, on ne peut pas obliger quelqu’un à parler !

L’avocat aura accès aux procès-verbaux d’audition.

Par ailleurs – et c’est sans doute l’avancée la plus importante de la réforme –, la personne gardée à vue pourra demander que l’avocat assiste aux auditions.

Enfin les fouilles à corps intégrales, menées pour des raisons de sécurité, seront désormais proscrites.

Telles sont les principales avancées du texte déposé par le Gouvernement.

L’Assemblée nationale a, pour sa part, supprimé l’ « audition libre », qui soulevait de nombreuses interrogations. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet lorsque nous examinerons l’article 11 bis du texte.

Elle a introduit un « délai de carence » en interdisant l’audition de la personne hors la présence d’un avocat pendant les deux heures qui suivent son placement en garde à vue. Monsieur le garde des sceaux, puisque vous voulez tenter de nous persuader qu’il faudrait réduire ce délai à une heure, je souhaite préciser qu’il correspond à la durée qui permet d’arriver dans la totalité des brigades de gendarmerie de France.

Or, dans la mesure où les gardes à vue peuvent avoir lieu dans n’importe laquelle de ces brigades, il est nécessaire de prévoir le temps pour que l’avocat puisse rejoindre la brigade. Dans nos départements respectifs, chacun a pu constater l’éloignement de certaines brigades. L’idée de revenir à un délai d’une heure conduirait nécessairement à regrouper les lieux de gardes à vue sur deux ou trois points du département. Nous ne le souhaitons pas, dans la mesure où cela engendrerait deux catégories de brigades de gendarmerie : celles dans lesquelles des officiers de police judiciaire pourraient mener des gardes à vue et les autres, dont on imagine assez facilement la progressive disparition.

L’Assemblée nationale a également indiqué que, sur la base du principe de l’égalité des armes, la victime aura désormais la possibilité d’être assistée par un avocat dans les confrontations. Cela paraît normal : dès lors que le gardé à vue a un avocat, il serait infondé que la victime ne soit pas accompagnée d’un avocat durant les confrontations.

Elle a enfin étendu au régime dérogatoire et à la retenue douanière les droits de la défense reconnus à la personne gardée à vue dans le cadre du régime de droit commun.

La commission des lois du Sénat approuve le texte initial, presque dans son ensemble, ainsi que toutes les modifications apportées par l’Assemblée nationale. Elle propose en outre un certain nombre de modifications pour conforter le texte, qui s’articulent autour de trois thèmes.

Le premier d’entre eux est le renforcement des droits de la personne gardée à vue. Notre commission a souhaité préciser que la valeur probante des déclarations de la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction implique qu’elle a pu s’entretenir avec son conseil et être assistée par lui tandis que l’article 1er du projet de loi présentait ces deux conditions comme alternatives.

La commission des lois a par ailleurs souhaité améliorer les droits pour la personne gardée à vue de faire informer un tiers. Elle permet ainsi qu’un incapable majeur puisse aviser son curateur ou son tuteur et que la personne de nationalité étrangère soit en mesure de faire avertir les autorités consulaires.

Elle donne en outre un caractère obligatoire à la disposition selon laquelle la personne gardée à vue dispose pendant son audition des effets personnels nécessaires au respect de sa dignité. Je reviendrai plus spécifiquement sur les détails de cette proposition.

Enfin, sur l’initiative de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, nous prévoyons que la fouille intégrale ne sera désormais possible que si la fouille par palpation ou l’utilisation des moyens de détection électronique ne peut pas être réalisée.

Le deuxième axe des modifications apportées par la commission concerne l’exercice des droits de la défense. Nous avons à ce propos souhaité clarifier deux points touchant, d’une part, au conflit d’intérêts et, d’autre part, à la police des auditions.

La commission a prévu que, en présence d’un conflit d’intérêts, il appartiendra d’abord à l’avocat de faire demander la désignation d’un autre avocat. En cas de divergence d’appréciation entre l’avocat et l’officier de police judiciaire ou le procureur de la République, celui-ci saisirait le bâtonnier aux fins de désignation d’un autre défenseur.

Concernant la police de l’audition, qui inquiète beaucoup les services d’enquêtes – policiers et gendarmes –, et afin d’éviter toute ambiguïté et tout comportement marginal ou audacieux, il ne nous a pas semblé opportun de faire état dans la loi d’éventuelles perturbations des auditions par l’avocat, sauf à faire apparaître ce type de comportements comme une modalité possible de défense, ce que nous refusons – et nous le signifions ici clairement à la profession d’avocat. Il est selon nous préférable de rappeler que l’officier de police judiciaire ou l’agent de police judicaire a seul la direction de l’audition à laquelle il peut mettre un terme en cas de difficulté. Dans cette hypothèse, le procureur de la République pourra informer, s’il y a lieu, le bâtonnier, qui désignerait alors un autre avocat.

Enfin, s’agissant des dispositions de l’article 12, permettant au juge des libertés et de la détention ou au juge d’instruction, en matière de terrorisme, de décider que la personne gardée à vue sera assistée par un avocat désigné par le bâtonnier sur une liste d’avocats habilités, la commission a prévu que les avocats inscrits sur cette liste seraient désignés, plutôt qu’élus, par chaque ordre, dans chaque barreau, selon des modalités éventuellement définies par les règlements intérieurs.

Le troisième axe de modification a trait à la clarification des conditions dans lesquelles intervient la mesure privative de libertés.

L’article 11 bis du projet de loi tend à inscrire dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation, qui considère que le placement en garde à vue d’une personne suspectée d’une infraction n’est obligatoire que lorsqu’il paraît nécessaire de la maintenir sous la contrainte à la disposition des enquêteurs. Corrélativement, dès lors que l’officier de police judiciaire n’estime pas nécessaire de maintenir l’intéressé à sa disposition, la garde à vue ne saurait se justifier.

La commission a toutefois souhaité expliciter cette jurisprudence, en précisant que la personne qui n’est pas placée en garde à vue, alors même qu’il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, doit être informée de son droit de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie avant son éventuelle audition.

J’évoquerai maintenant les trois questions qui ont suscité le plus de débats au sein de notre commission.

La première d’entre elles tient à l’interdiction de prononcer une condamnation sur la base des seules déclarations faites par une personne qui n’a pu s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui.

Cette disposition a été introduite par l’Assemblée nationale sur l’initiative du Gouvernement – le garde des sceaux a ainsi expliqué plus tôt qu’il s’agissait de reprendre une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle complète l’article préliminaire du code de procédure pénale qui fixe les principes essentiels de cette dernière. Elle a de ce fait une grande valeur. Je souhaite préciser la portée de cette disposition.

En premier lieu, la règle ne vaut pas dès lors que la personne, comme l’a indiqué la Cour de Strasbourg dans un arrêt Yoldas c. Turquie du 23 février 2010, a renoncé de son plein gré, « de manière expresse ou tacite », aux garanties d’un procès équitable, à la condition, du moins, que cette renonciation soit entourée d’un minimum de garanties.

Ensuite, il résulte de la rédaction adoptée par les députés et de la mention du mot « seul » – nous y reviendrons, car des amendements visent à supprimer ce mot – que, si des déclarations faites sans que la personne ait pu préalablement s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui ne peuvent suffire à fonder une condamnation, elles peuvent néanmoins être prises en compte si d’autres preuves existent. C’est un élément important. Des effets similaires s’attachent d’ailleurs dans notre droit aux déclarations d’un témoin anonyme, conformément à l’article 706-62 du code de procédure pénale, qui ne peuvent « seules » fonder une condamnation.

Cette rédaction paraît conforme aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme.

À mon sens, l’article 1er A du projet de loi institue une garantie très appréciable dans l’hypothèse où l’assistance d’un avocat peut être reportée.

Le principe ainsi posé ne renforce pas seulement les droits de la défense mais s’inscrit également dans une évolution générale qui tend à privilégier un régime de preuves scientifiques et techniques plutôt que l’aveu. Cette évolution de notre société, comme l’a dit M. le garde des sceaux, est considérable. En effet, il était auparavant demandé à la personne de dire la vérité alors que, désormais, cette dernière est libre de tenir les propos qu’elle souhaite, et peut donc choisir de ne pas parler.

Le second débat qui a animé notre commission concerne le contrôle par l’autorité judiciaire.

Il s’agit de savoir si c’est le procureur de la République ou le juge, au sens rappelé par M. le garde des sceaux tout à l’heure, qui doit contrôler la garde à vue.

Faut-il prévoir l’intervention d’un juge du siège, et à quel moment ? Je ne vais pas à ce propos répéter ce que vient d’énoncer excellemment M. le garde des sceaux. Toutefois, il est intéressant de donner la position de la commission : nous avons cherché à savoir quelles étaient les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme dans cette matière.

La jurisprudence de la Cour européenne implique que la personne gardée à vue soit présentée rapidement – j’ai ici traduit les termes de l’anglais au français, et peut-être est-ce quelque peu réducteur, la « promptitude » n’existant pas dans notre dictionnaire. Il est de notre avis que la personne doit être présentée rapidement devant un magistrat du siège.

Mais cette jurisprudence de la Cour européenne n’impose pas – c’est très clair – une présentation immédiate, et la Cour n’a pas déterminé de délai maximal pour la présentation devant le juge. Elle l’a uniquement précisé pour certaines formes exceptionnelles de retenues, les actes de criminalité les plus graves, pour lesquels le délai ne saurait dépasser quatre jours.

Au demeurant, comme cela a déjà été dit, dans les autres pays européens, l’intervention d’un juge au cours de la garde à vue n’intervient jamais dès la privation de liberté, et la mesure de contrôle est le plus souvent confiée à la police.

Les dispositions actuelles du code de procédure pénale ont été validées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 30 juillet 2010. Elles ont été confirmées par la Cour de cassation dans l’arrêt du 15 décembre 2010.

Je ne reviendrai pas sur le fait de savoir si le ministère public peut ou non être considéré comme une autorité judiciaire. La Cour de cassation, si elle a admis pour la première fois que le ministère public ne pourrait être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l’homme, estime que la libération d’une personne placée en garde à vue pour une durée de vingt-cinq heures est « compatible avec l’exigence de brièveté imposée » par la convention.

Par conséquent, d’un point de vue conventionnel et constitutionnel, rien ne s’oppose à ce que le parquet assure le contrôle de la garde à vue jusqu’à la quarante-huitième heure, cette durée étant inférieure aux quatre jours fixés par la Cour européenne. §

D’un point de vue pratique, en s’écartant des problématiques purement juridiques, il me semble que le procureur de la République est, au début de la procédure, le mieux à même, comme directeur de l’enquête, d’apprécier la pertinence de la mesure et d’intervenir à tout moment auprès de l’officier de police judiciaire pour mettre un terme à la garde à vue ou, au contraire, pour autoriser la prolongation de cette dernière jusqu’à quarante-huit heures.

Le troisième débat au sein de notre commission – c’est le dernier que j’évoquerai – porte sur le quantum de peines encourues autorisant l’application de la garde à vue. Cette question est récurrente, notamment en raison de la volonté de diminuer le nombre de gardes à vue. Plusieurs amendements que nous examinerons au cours des débats viseront à porter le seuil d’application de la garde à vue à des infractions passibles d’un emprisonnement de trois ans au lieu d’une simple peine d’emprisonnement.

Notre commission, majoritairement, n’a pas souhaité suivre cette voie, pour deux raisons principales.

D’une part, le relèvement du quantum à trois ans aurait pour effet d’interdire l’application de la garde à vue pour des infractions qui présentent une réelle gravité. À titre d’exemple, je citerai les atteintes sexuelles sur un mineur de plus de quinze ans commises par un ascendant ou une personne ayant autorité, les atteintes à la vie privée, le harcèlement sexuel ou moral ou encore la mise en danger d’autrui : tous ces délits sont punis de peines d’emprisonnement inférieures à trois ans.

D’autre part, je crains que des conditions plus restrictives de mise en œuvre de la garde à vue ne conduisent à une multiplication des auditions libres, ce que nous voulons précisément éviter, puisqu’elles ne présentent aucune des garanties qui sont reconnues dans le cadre d’un placement en garde à vue, notamment l’assistance de l’avocat.

Donc, nous souhaitons en rester à la notion d’emprisonnement pour déterminer si la garde à vue est possible ou pas.

Je souhaiterais néanmoins, sur ce dernier point, formuler deux observations.

En premier lieu, le projet de loi aurait pu aller plus loin, j’en suis convaincu, s’il s’était inscrit dans le cadre d’une réforme d’ensemble de la procédure pénale, réforme qui est déjà bien avancée, un certain nombre de documents très précis ayant circulé.

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