Intervention de Alain Anziani

Réunion du 3 mars 2011 à 9h30
Garde à vue — Discussion d'un projet de loi

Photo de Alain AnzianiAlain Anziani :

Il faudra bien sûr trouver des moyens. Vous avez évoqué 80 millions d’euros de dotations supplémentaires. Or je constate que, dans le projet de loi de finances, seulement 15 millions d’euros sont prévus pour l’instant. J’espère que vous pourrez nous confirmer tout à l’heure qu’un collectif budgétaire nous apportera le solde.

J’en viens à nos trois divergences.

La première porte sur les personnes pouvant être mises en garde à vue.

On voit bien le but visé : trouver un équilibre entre les nécessités de l’enquête et la protection des libertés.

J’ai consulté une remarquable étude de législation comparée du Sénat sur les gardes à vue en Europe. Au fond, il existe deux cultures : la nôtre et celle des autres, même si ces dernières ne sont pas toutes identiques, je le reconnais. Quoi qu’il en soit, nombre de pays européens, sinon la quasi-totalité d’entre eux, retiennent le principe que l’on pourrait qualifier de principe de proportionnalité.

La garde à vue est une mesure de privation de liberté qui doit se justifier par sa proportionnalité à la gravité des faits. Ce principe a même été inscrit dans la Constitution en Allemagne, pays qui ne prévoit pourtant aucun traitement particulier pour la garde à vue.

Certains États comme l’Italie ont considéré que le principe de proportionnalité devait conduire à exclure de la garde à vue toutes les personnes ayant commis des infractions sanctionnées par des peines inférieures à deux ans, quand d’autres, comme l’Espagne, ont estimé que le seuil devait être fixé à cinq ans.

Il existe donc un vrai débat. Pourquoi refuser chez nous les dispositifs des autres pays, qui ne sont sans doute pas moins sûrs que le nôtre mais qui admettent des seuils de privation de liberté ?

Je rappelle que, pour nous, le seuil est de trois ans pour la détention provisoire. Aussi, il nous a semblé logique de l’appliquer en l’espèce et de considérer qu’une personne ne peut être mise en garde à vue que si elle a commis une infraction pour laquelle elle encourt une peine supérieure à trois ans, ou à un an en cas de flagrant délit – M. Zocchetto n’a pas évoqué ce point tout à l’heure.

Ce système me paraît assez équilibré.

J’ai entendu les exemples que vous avez cités tout à l’heure. Il est vrai que nous éliminons un délit auquel nos policiers sont très sensibles : le délit d’outrage ou de rébellion.

Je comprends la réaction de la police sur ce point, car nous avons besoin que les forces de l’ordre soient confortées, peut-être encore plus dans le désordre actuel que par le passé. C’est tout à fait exact ! Mais on peut tout de même se demander s’il n’existe pas d’autres moyens que de recourir à la garde à vue pour sanctionner, ou pour prévenir – c’est l’esprit du texte – ces rébellions ou ces outrages.

Dans notre cas, le flagrant délit suffira. Le harcèlement sexuel, que vous citiez tout à l’heure, est puni d’une peine supérieure à un an, mais il est vraisemblable – pas toujours – que cela relève du flagrant délit, et la garde à vue sera alors possible. Par exemple, toutes les violences familiales pourront donner lieu, si nécessaire, à une garde à vue.

Mais au-delà, posons une autre question. Il y a, bien sûr, une difficulté, mais il y aura toujours des difficultés de cette nature. Pourquoi ? Vous l’avez dit vous-même en commission hier, c’est la question de l’échelle des peines. Quand allons-nous prendre le temps – il manque – de réexaminer l’échelle des peines en fonction de la gravité de l’infraction ? Aujourd’hui, on accumule les lois pénales, plusieurs chaque année, et à la fin, c’est un véritable désordre, une sorte de maquis : il n’y a plus de hiérarchie entre la gravité des infractions et la gravité des peines.

La deuxième divergence porte sur l’autorité qui place en garde à vue.

Là aussi, il y a deux écoles. L’école française confie la garde à vue à l’officier de police judiciaire, avec l’autorisation du procureur de la République en cas de prolongation. D’autres pays distinguent, quant à eux, d’une part, les poursuites qui sont réservées au ministère public ou à son équivalent et, d’autre part, les décisions relatives à la liberté qui relèvent du seul juge judiciaire.

L’article 66 de notre Constitution, c’est vrai, précise que l’autorité judiciaire est gardienne des libertés individuelles. Il est vrai aussi – je n’entrerai pas dans de faux débats – que la jurisprudence de la Cour européenne est complexe sur ce point, mais nous pouvons considérer, en effet, qu’un procureur fait partie de l’autorité judiciaire. Ce n’est pas, me semble-t-il, le lieu de le remettre en question. Mais la question n’était peut-être pas celle-là : oui, un procureur est un magistrat, mais il n’est pas indépendant. Voilà la vraie difficulté : d’une part, il est soumis à une autorité et, d’autre part, il est une partie poursuivante.

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