Intervention de François Pillet

Réunion du 3 mars 2011 à 14h30
Garde à vue — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de François PilletFrançois Pillet :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pour la première fois depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, notre assemblée est saisie d’un projet de loi visant à tirer les conséquences d’une décision rendue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel.

En abrogeant le support légal de la garde à vue, tout en renvoyant les effets de sa décision au 1er juillet prochain, le Conseil constitutionnel a plus largement mis le législateur en demeure de définir un nouvel équilibre entre les droits de la défense et la protection de l’ordre public, au cours d’une mesure progressivement devenue un symbole de l’enquête policière.

Le 1er juillet prochain, nous serons donc dans l’obligation d’avoir réformé la garde à vue en préservant l’équilibre fragile entre le respect des droits individuels, du gardé à vue mais aussi des victimes, et le respect des droits de la société, que nous sommes chargés de protéger face au crime et à la délinquance.

La clef de la réussite de cet équilibre réside dans des règles procédurales claires, excluant tout risque d’arbitraire ou de laxisme. L’exercice qui nous incombe aujourd’hui est donc très délicat.

Au surplus, la navette parlementaire entre nos deux assemblées devra être un véritable marathon, afin de permettre au Conseil constitutionnel, le cas échéant, d’effectuer son contrôle dans les délais impartis.

En réalité, ce calendrier pose une question de fond. Nous devons faire évoluer notre garde à vue en dehors de la réforme globale de la procédure pénale, et préalablement à celle-ci, c’est-à-dire avant même que nous ayons mis en chantier la nécessaire refondation de notre code de procédure pénale.

La réforme que nous examinons doit ainsi se frayer un étroit chemin entre divers intérêts, souvent contradictoires.

Elle doit reconnaître que la personne mise en cause puisse exercer les droits légitimes à sa défense. À cet égard, la possibilité pour le suspect d’être accompagné d’un avocat dès le début de la garde à vue est actée. En posant ce principe dans la loi, nous allons tourner une page de l’histoire de la procédure pénale de notre pays.

La réforme doit donner les moyens de mener l’enquête sans entrave, afin de permettre la manifestation de la vérité, malgré les difficultés de la tâche des services chargés de mener l’enquête, en particulier dans un contexte où la criminalité évolue, où elle est sans doute plus complexe, mieux organisée, souvent de dimension internationale. Nous devons donc éviter que le déroulement de la garde à vue ne gêne ou n’entrave la mission de l’enquêteur.

Elle doit aussi accorder à la victime les moyens d’être respectée et protégée, et éviter que celle-ci n’ait dans les faits, comme c’est hélas ! le cas, le sentiment que les rôles sont inversés, en d’autres termes qu’elle est mise en accusation tandis que l’auteur du délit apparaîtrait comme une victime du système qu’il faudrait protéger à tout prix.

C’est sans doute sur ce point qu’il existe un défi très important à relever.

Nous devons donc veiller à ce que nos concitoyens s’approprient cette réforme et qu’ils y adhèrent en ayant acquis la certitude qu’elle ne se fera pas au détriment de la vérité – celle des faits, celle des préjudices –, en somme qu’elle n’empêchera pas la justice de passer.

Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, est un progrès. Le renforcement du rôle tenu par l’avocat lors de la garde à vue constitue désormais un point consensuel du débat.

Le Président de la République lui-même déclarait devant la Cour de cassation, le 7 janvier 2009 : « Parce que [les avocats] sont auxiliaires de justice et qu’ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Il ne le faut pas parce qu’elle est, bien sûr, une garantie pour leurs clients, mais elle est aussi une garantie pour les enquêteurs, qui ont tout à gagner d’un processus consacré par le principe du contradictoire. »

C’est là, monsieur le garde des sceaux, une vision partagée : le progrès qui n’est perçu aujourd’hui que pour le gardé à vue est également un progrès pour les policiers et les forces de gendarmerie. Il n’y a pas de contradiction dans le texte, il ne me semble pas inutile de le réaffirmer.

Avant d’aborder plusieurs points essentiels, je veux rappeler un aspect doublement fondamental de ce projet de loi.

Tout d’abord, la garde à vue fait, pour la première fois dans notre procédure pénale, l’objet d’une définition. Ensuite, elle ne peut être mise en œuvre que pour atteindre six objectifs clairement définis. Ces objectifs sont d’autant plus protecteurs que, s’agissant de textes pénaux, ils doivent recevoir une interprétation restrictive.

La garde à vue ne peut désormais trouver application que pour des délits et crimes passibles d’une peine d’emprisonnement.

Le déroulement de la garde à vue présente en outre des droits nouveaux ou plus étendus.

Parmi ceux-ci, je souhaite relever la consécration du droit de se taire, le droit de faire prévenir un proche, son représentant légal et son employeur, la garantie immédiate d’un interprète pour la notification des droits, la limitation de la force probante des déclarations faites hors l’intervention de l’avocat et l’extension de l’assistance de l’avocat.

Ce dernier point est sans doute celui qui fit l’objet des plus larges commentaires.

Le débat sur la présence d’un avocat en garde à vue est ancien. Il achoppait jusqu’alors à l’une de nos traditions juridiques, celle d’une conception de la procédure pénale selon laquelle le caractère contradictoire des phases d’instruction puis de jugement permettait de poser certaines restrictions aux droits de la défense lors de la phase policière, sans remettre en cause pour autant ni la présomption d’innocence ni l’équilibre du procès pénal lui-même.

Incontestablement, l’année écoulée a fait voler en éclats les lignes de fracture qui marquaient traditionnellement ce débat.

Le droit à l’assistance effective d’un avocat durant toute la durée de la mesure est affirmé et organisé.

De même, et ce parallélisme est important, la victime pourra aussi être assistée d’un avocat lors des éventuelles confrontations.

Ces dispositions s’accompagnent d’un point important : la résolution de la question de l’accès au dossier.

L’avocat peut ainsi consulter dès le début de l’instruction non seulement le procès-verbal de notification du placement en garde à vue et le procès-verbal de notification des droits, mais aussi les procès-verbaux des auditions qui ont déjà été réalisées, y compris le certificat médical si un examen de ce type a eu lieu.

L’avocat pourra assister la personne en garde à vue dès le début de la mesure, il pourra même poser des questions à la fin de l’audition et le texte va plus loin dans la définition des possibilités qu’il aura dans ce domaine.

Ce dispositif novateur est, pour moi, fondamental et équilibré dès lors qu’il trouve uniquement sa limite dans les hypothèses où il serait illégitimement porté atteinte au bon déroulement de l’enquête ou à la dignité de la personne.

C’est à mon sens avec sagesse que l’Assemblée nationale a prévu un délai de carence de deux heures pour tenir compte de la situation concrète des barreaux et donner à l’avocat le temps de se rendre sur les lieux où s’exerce la garde à vue.

Ici encore, l’idée est de sécuriser le processus, et non de gêner ou de favoriser les uns ou les autres. Il s’agit de faire en sorte qu’il n’y ait pas de contestation ultérieure du processus de la garde à vue. Ainsi, l’effectivité du droit accordé à la personne gardée à vue est renforcée, tout en tenant compte de certains obstacles susceptibles de retarder l’arrivée de l’avocat sans que, parallèlement, l’indisponibilité de celui-ci soit de nature à retarder une enquête qui souvent réclame des diligences et des constatations rapides.

Nous notons enfin, avec satisfaction, que la création d’un régime d’auditions libres sans recours nécessaire à un avocat, bien que tentée, a été définitivement écartée.

Je souhaiterais m’arrêter un instant sur la place du juge et du parquet.

Tout d’abord, je veux rendre hommage à la qualité du travail accompli par les procureurs de la République et à la manière dont, avec les services de police et de gendarmerie, ils assument leurs responsabilités.

Au besoin, je conseille à mes collègues qui n’ont pas eu l’occasion de le faire de visiter un tribunal de grande instance et d’y observer la permanence du parquet, le jour et la nuit, et le travail effectué par les magistrats de ces unités. C’est une tâche extrêmement difficile, remplie de pièges pouvant ensuite avoir des conséquences redoutables dans les procédures et effectuée avec un dévouement remarquable. Cela aussi me paraît devoir être rappelé.

Il nous faut ici, dans le respect des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, et de la Cour de cassation, trouver un dispositif qui définisse le plus précisément possible le rôle du procureur de la République ainsi que le rôle du juge.

Je ne m’engagerai pas dans un débat dogmatique sur ce point. Essayons d’être pratiques : nous devons mettre en place un dispositif juridique qui fonctionne.

La spécificité française a beaucoup été critiquée à cette tribune, mais le parquet à la française a aussi souvent démontré ses avantages. Il s’agit non pas uniquement de la garde à vue, mais du fonctionnement général de la justice.

Au surplus, le débat sur l’évolution du statut du parquet dans le cadre de l’étude du prochain code de procédure pénale sera ouvert.

Je tiens donc à rappeler que nous soutenons le processus d’intervention du procureur et du juge tel que notre rapporteur l’a évoqué, les responsabilités étant confiées au procureur de la République au début du processus et le juge intervenant le plus rapidement possible.

Je rappellerai aussi, comme cela a déjà été fait, que la CEDH n’a jamais imposé que la garde à vue soit contrôlée par un magistrat du siège. Elle exige seulement qu’au-delà d’un délai variant entre trois et quatre jours une personne privée de liberté soit présentée à un juge indépendant. Le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation n’ont d’ailleurs jamais dit autre chose.

En matière de police des gardes à vue, il faut éviter que le législateur ne stigmatise la profession d’avocat en préjugeant d’un mauvais comportement. Je soutiens donc ardemment le rapporteur dans son souhait de partir de l’assurance que l’avocat se comportera selon sa déontologie.

En tant qu’avocat et ancien bâtonnier, je peux vous assurer que cette réforme est un véritable défi pour la profession d’avocat. Cette dernière attend que, dans ce domaine, une juste rémunération lui soit reconnue et assurée.

Mais, au-delà de cette question, il ne faut pas se cacher les difficultés que rencontreront certains barreaux pour assurer, dans la pratique, l’application de cette loi et la satisfaction de ses exigences. Je ne doute pas néanmoins que la profession prendra très rapidement les dispositions et les initiatives nécessaires.

Mes chers collègues, nous ne pouvons pas prendre le risque de donner un coup de frein à la lutte contre la délinquance menée inlassablement par le Gouvernement.

Ce serait un mauvais signal pour les Français, qui nous disent tous les jours leur besoin de sécurité.

Ce serait un mauvais signal pour les délinquants, qui pourraient croire que tout est permis, en totale impunité.

Ce serait un mauvais signal, enfin, pour nos forces de l’ordre qui, voyant leur efficacité mise à mal pour des questions procédurales, nourriraient non seulement un sentiment de lassitude mais, pire, souffriraient d’une véritable démotivation dans leur lutte quotidienne contre la délinquance.

Ce serait également une injustice envers les victimes d’infraction.

Nous devons aussi éviter de faire une réforme pour rien. J’entends par là que nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en place un dispositif qui pourrait encourir dans les mois qui viennent de nouvelles sanctions, soit du Conseil constitutionnel, soit de la Cour européenne des droits de l’homme, soit encore de nos plus hautes juridictions.

Nous sommes aujourd’hui face à une réforme essentielle, très attendue par le Sénat pour les raisons qui ont été développées ce matin par notre rapporteur. Elle est cependant, en raison de ses objectifs, techniquement complexe.

Au nom du groupe dont je suis le porte-parole, je veux vous dire que la réforme que vous nous présentez, monsieur le ministre, nous convient. Elle permet de parvenir à un certain équilibre entre les différentes contraintes que j’ai évoquées. Quant aux dispositions qui nous semblaient initialement poser problème, elles ont été modifiées, voire supprimées.

Les apports dus à la qualité du travail et de l’écoute de notre rapporteur doivent être salués. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons avec satisfaction le texte qui nous est soumis.

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