Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la garde à vue nous est présenté comme découlant de la décision du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010, selon laquelle les dispositions actuelles de la loi concernant les conditions de placement en garde à vue sont inconstitutionnelles.
Permettez-moi cependant d’indiquer que ce texte arrive bien tardivement. En effet, il y a des années que la Cour européenne des droits de l’homme confronte les exigences conventionnelles aux pratiques et à la procédure en matière de garde à vue et rappelle le respect dû aux droits des personnes gardées à vue et à leur défense effective.
Dès l’arrêt Murray c. Royaume-Uni du 8 février 1996, la France aurait notamment dû réagir en rendant « effectif et concret » le droit pour le gardé à vue de bénéficier de l’assistance d’un avocat.
Plus récemment, dans une série d’arrêts rendus contre la Turquie et contre l’Ukraine, en 2009, la Cour européenne des droits de l’homme est à nouveau venue préciser le champ d’application de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit à un procès équitable dans la phase antérieure au procès pénal. C’est ainsi que la Cour de Strasbourg a défini de manière précise les principes directeurs applicables au régime de la garde à vue.
Dans la continuité de ces arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme datant de la fin de 2009, j’ai moi-même déposé une proposition de loi portant réforme de la garde à vue, et ce dès janvier 2010, tirant ainsi les conséquences de ces exigences conventionnelles. Ce texte n’a malheureusement pas abouti, car il a été renvoyé à la commission à la fin d’avril 2010.
Il aura donc fallu attendre que le Conseil constitutionnel rende sa décision de juillet 2010 pour que vous daigniez enfin vous intéresser à la question. Il était temps !
Vous avez déposé le présent projet de loi le 13 octobre 2010 à l’Assemblée nationale, et la France était condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme le lendemain, le 14 octobre, avec l’arrêt Brusco, puis le 23 novembre, avec l’arrêt Moulin c. France…
Cette réforme de la garde à vue, qui nous est soumise aujourd’hui, ou devrais-je dire cette « réformette » – pardonnez-moi d’employer ce terme, mais c’est la vérité –, outre qu’elle est tardive, est largement insuffisante.
En effet, si les sénatrices et sénateurs d’Europe écologie-Les Verts se réjouissent des quelques avancées relatives au rôle de l’avocat lors de la garde à vue et à la possibilité pour lui d’assister son client lors des auditions ou des confrontations, ce projet de loi présente de nombreuses lacunes, des insuffisances et des incohérences.
Il semblerait que vous n’ayez absolument pas tenu compte in fine de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, qui pointe pourtant du doigt les modalités de placement en garde à vue, aussi bien celles de son contrôle que celles de son déroulement.
Tout d’abord, j’aborderai ce qui me semble essentiel, à savoir le rôle controversé accordé au procureur de la République dans ce projet de loi.
Le parquet intervient à la fois au stade du contrôle de la garde à vue et de son renouvellement.
Il s’agit dans ce projet de loi de reproduire une anomalie procédurale pourtant dénoncée par tous. Les magistrats eux-mêmes, dans le rapport rendu par le Conseil national de la magistrature en 2008, considéraient à 64 % que les membres du parquet n’étaient pas indépendants. Il en va de même pour les avocats, les juristes et les universitaires et, surtout, pour la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans l’arrêt Moulin c. France du 23 novembre 2010, pose clairement le principe selon lequel les membres du ministère public français ne sont pas indépendants et ne peuvent pas être assimilés, en matière de garde à vue, à une « autorité judiciaire » au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Seul le Conseil constitutionnel est resté frileux sur cette question de l’indépendance du procureur de la République. C’est sans doute pour cette raison que le Gouvernement s’est abstenu de résoudre cette question pourtant essentielle.
Dès 1979, pourtant, la Cour de Strasbourg indiquait que le procureur n’était pas une autorité judiciaire indépendante. Ce principe fut rappelé récemment à la France avec les arrêts Medvedyev du 10 juillet 2008 et du 29 mars 2010, pour la Grande Chambre.
Le ministère public français ne dispose pas d’une indépendance suffisante vis-à-vis de l’exécutif et ses membres ne sont donc pas des « magistrats » au sens des dispositions conventionnelles qui encadrent les privations de liberté.
Au vu de l’arrêt Moulin c. France, il est donc désormais difficile d’imaginer que le présent projet de loi puisse être adopté en l’état, sans une réforme du statut du parquet ou de ses compétences.
Permettez-moi, monsieur le garde des sceaux, de vous rappeler l’un des paragraphes de cet arrêt : « […], la Cour considère que, du fait de leur statut ainsi rappelé, les membres du ministère public, en France, ne remplissent pas l’exigence d’indépendance à l’égard de l’exécutif, qui, selon une jurisprudence constante, compte, au même titre que l’impartialité, parmi les garanties inhérentes à la notion autonome de “magistrat” au sens de l’article 5, alinéa 3 ».
Il me semble que les choses sont claires ! Cet arrêt confirme la nécessité d’une modification profonde de l’organisation judiciaire française.
Pourtant, votre projet de loi prévoit dès son article 1er l’insertion d’un nouvel article 62-5 dans le code pénal, qui dispose de manière ostentatoire que « la garde à vue s’exécute sous le contrôle du procureur de la République, […] ».
Alors, excusez-moi, mais je ne vois pas où est l’avancée en termes d’indépendance !
Les sénatrices et sénateur écologistes ont donc cosigné une série d’amendements consistant à supprimer toute référence au procureur de la République dans ce projet de loi et à tirer les conséquences de cette jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
Il est essentiel en effet que la garde à vue puisse bénéficier des garanties légales nécessaires, et que son contrôle ainsi que son renouvellement puissent ainsi être confiés au juge judiciaire. Ce devrait être le juge des libertés et de la détention qui assume, dans ce texte, le rôle que vous vous obstinez à octroyer au procureur de la République.
Mais pourquoi faites-vous à ce point « la sourde oreille », monsieur le ministre ? Pourquoi votre gouvernement souhaite-t-il s’affranchir des exigences conventionnelles et jurisprudentielles en matière de droits et de libertés fondamentales ? Autant proclamer ici, haut et fort, que vous aspirez à ce que la France se retire du Conseil de l’Europe ! Ce serait ridicule ! Vous ne faites, ainsi, que vous attirer les foudres des professionnels du droit, des associations, des universitaires et des instances de Strasbourg !
Un autre élément est tout aussi choquant dans ce projet de loi : le seuil de déclenchement de la garde à vue. Dans la définition que l’article 1er du présent texte donne de la garde à vue, il est prévu que le placement puisse intervenir dès que l’on soupçonne que la personne a commis ou tenté de commettre « un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ».
Il me semblait, monsieur le ministre, vous avoir entendu arguer du fait que ce projet de loi avait également pour objet de diminuer le nombre des gardés à vue. Or, vous le savez, près de 800 000 gardes à vue ont été décidées en 2009. Pensez-vous que ce seuil, outre qu’il porte atteinte aux droits des personnes concernées, notamment de la présomption d’innocence, permette de faire diminuer ces chiffres ? Évidemment non, bien au contraire !
C’est pourquoi les sénatrices et sénateur écologistes refusent le placement en garde à vue de personnes soupçonnées d’infractions mineures, et donc les gardes à vue abusives ou excessives !
Nous sommes donc favorables à ce que le seuil de placement en garde à vue soit porté à trois ans d’emprisonnement, et nous nous associons également aux amendements présentés par le groupe auquel nous sommes rattachés.
Je tiens enfin à indiquer que je regrette le caractère bien trop limité qu’accorde ce texte à l’intervention de l’avocat.
Je prendrai ici l’exemple de la durée insuffisante accordée par l’article 6 du projet de loi à l’avocat pour s’entretenir avec la personne gardée à vue. Cela présuppose qu’en trente minutes maximum, et ce quelle que soit la complexité de l’affaire, un avocat ait le temps d’échanger avec son client, de l’écouter exposer sa situation, de prendre connaissance du procès-verbal ou des autres pièces du dossier…
Or vous n’êtes pas sans savoir, monsieur le ministre, que cette durée excessivement réduite sera évidemment insuffisante dans les affaires les plus complexes, pour prendre connaissance des faits ainsi que des nombreuses pièces présentes dans le dossier de la personne gardée à vue.
Cela porte atteinte au droit à une défense effective, en particulier au recours effectif à un avocat. J’espère donc que l’amendement que nous avons déposé à l’article 6 du projet de loi visant à augmenter la durée de l’entretien avec l’avocat sera adopté lors de nos débats.
Vous l’aurez compris, les sénatrices et sénateur écologistes considèrent que ce texte ne fait que feindre de s’aligner sur des prescriptions conventionnelles et constitutionnelles, mais dissimule finalement son manque d’ambition derrière des dispositions vraiment inefficaces et incomplètes.