Monsieur Michel, pour défendre votre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, vous faites, me semble-t-il, des interprétations erronées de la jurisprudence et vous raisonnez de manière spécieuse. Vous invoquez trois griefs.
Votre premier grief concerne l’audition libre, réapparue selon vous, à l’article 11 bis du projet de loi, qui ne serait pas conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
Or l’article 11 bis tel qu’il résulte des travaux de la commission est ainsi rédigé : « Lorsque la personne est présentée devant l’officier de police judiciaire, son placement en garde à vue […] n’est pas obligatoire dès lors qu’elle n’est pas tenue sous la contrainte de demeurer à la disposition des enquêteurs et qu’elle a été informée qu’elle peut à tout moment quitter les locaux de police ou de gendarmerie. Le présent alinéa n’est toutefois pas applicable si la personne a été conduite par la force publique devant l’officier de police judiciaire. »
Cela concerne donc le cas où la personne dispose d’une totale liberté de parler ou non et de quitter les lieux. Je ne vois pas pourquoi on empêcherait de telles auditions.
Par conséquent, toute votre argumentation visant à faire croire que l’article 11 bis dissimulerait des mesures de contrainte n’est pas recevable.
Votre deuxième grief porte sur les régimes dérogatoires. Sans doute votre analyse se fonde-t-elle sur le texte qui avait été initialement déposé à l’Assemblée nationale. Mais un certain nombre de modifications importantes ont été apportées depuis, si bien que le texte dont vous êtes aujourd'hui saisis, mes chers collègues, est parfaitement compatible avec la jurisprudence de la Cour de cassation, qui fait elle-même référence aux décisions du Conseil constitutionnel.
Par conséquent, il n’y a, me semble-t-il, plus de problème sur la question des régimes dérogatoires.
Votre troisième grief – j’espère que nous n’allons pas revenir à chaque fois sur le sujet, même si nous pouvons en parler dans le cadre de la discussion de la présente motion – a trait au rôle du procureur de la République.
Là, vous nous entraînez dans un autre débat. Vous affirmez que le procureur de la République n’est pas un juge, puisqu’il est, notamment, une autorité de poursuite. Personne ne le conteste ! Le procureur de la République n’est pas un juge ; en revanche, c’est un magistrat, et il fait partie de « l’autorité judiciaire ».
Mais ce n’est pas le sujet. La question qui nous préoccupe est de savoir si le contrôle de la garde à vue dans les premières heures peut être assuré par un membre du parquet. Et la réponse est oui !
Vous pourrez tirer les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel dans tous les sens, vous ne trouverez aucun motif d’irrecevabilité dans le texte qui vous est présenté.
Toutes ces décisions vont dans le même sens : la personne doit être présentée rapidement ; nous avons évoqué ce matin la « promptitude ». En France, elle sera présentée au bout de la quarante-huitième heure s’il y a besoin de dépasser les premiers délais.
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas fixé de délai maximal. On peut supposer qu’elle envisageait plutôt un délai de quatre jours. Comme je l’ai indiqué ce matin à la tribune, quarante-huit heures, c’est deux fois moins que quatre jours !
Par conséquent, il n’y a là aucun motif d’inconstitutionnalité et de contrariété par rapport à des dispositions conventionnelles.
Vous nous avez fait part tout à l’heure de votre conception personnelle, qui est au demeurant respectable. Pour vous, un magistrat qui n’est pas juge ne doit pas pouvoir être chargé du contrôle d’une garde à vue. Vous avez le droit de défendre cette thèse ; simplement, elle va à l’encontre non seulement des décisions jurisprudentielles, mais également de la Constitution, qui s’impose à tous ! M. le garde des sceaux vous en a fait la démonstration.
Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui est parfaitement conforme à la Constitution. Si, d’aventure, vous défériez ce texte au Conseil constitutionnel après son adoption par le Parlement, je suis à peu près certain – bien évidemment, je ne voudrais pas me montrer présomptueux et anticiper sur la décision des Sages – qu’il ferait l’objet d’une déclaration de conformité.
Au sein de la commission des lois, en tout cas, nous n’avons trouvé aucun motif d’inconstitutionnalité ou de contrariété avec des dispositions conventionnelles.
C'est la raison pour laquelle la commission émet sans hésitation un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.