Tant que la carrière de ces femmes et de ces hommes dépendra du pouvoir exécutif, la Cour européenne des droits de l’homme ne pourra que dénoncer cette situation et estimer que les nécessaires garanties d’indépendance de ces magistrats ne sont pas réunies.
J’irai plus loin, monsieur le garde des sceaux : le grand, le profond malaise qui règne actuellement au sein de la magistrature et dont je n’ai pas, au cours d’une très longue carrière, vu d’autre exemple, trouve sa source, pour une grande part, dans le fait que l’exécutif, en France, ne veut pas desserrer son emprise sur la carrière des magistrats du parquet, parce que, pense-t-il, elle lui donne une possibilité d’intervention dans les affaires qui l’intéressent ! Ne jouons pas les naïfs, il suffit de consulter la grande actualité judiciaire pour s’en convaincre. Tant qu’il n’aura pas été remédié à cette situation, tant que les nominations des magistrats du parquet ne seront pas au moins soumises à avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, comme l’Assemblée nationale et le Sénat en avaient manifesté la volonté par des votes à la suite du rapport de la commission Truche, ce malaise persistera, car il est profond et structurel.
Le second motif de la position de la Cour européenne des droits de l’homme tient à la question de l’impartialité. La Cour européenne des droits de l’homme ne cesse de le rappeler : il faut que le public soit convaincu que la justice a été rendue de façon impartiale et avec objectivité.
Si nous envisageons les formalités et le déroulement de la garde à vue sous cet angle de l’impartialité, nous nous trouvons placés devant un autre prodigieux paradoxe : c’est le parquet, partie poursuivante dans le procès pénal, qui décide de l’étendue des droits de la défense pendant la garde à vue ! C’est une situation inouïe, on le reconnaîtra ! Comment peut-on parler, dans ces conditions, de procès équitable ?
Il s’agit là, j’en suis bien conscient, d’une question extraordinairement difficile, compte tenu de ce que sont aujourd’hui les principales lignes de force de notre procédure pénale, mais nous ne pouvons pas l’esquiver. À cette question majeure, on ne peut répondre que d’une façon : un magistrat du siège, autorité totalement impartiale et indépendante, doit donner au parquet l’autorisation de prendre des mesures restrictives des droits de la défense. Je ne fais ici que rappeler des évidences ! Une même personne ne peut pas, à la fois, poursuivre une personne et restreindre les droits de la défense. Puisque l’on évoque volontiers le duel judiciaire, imaginez que, sur le pré, l’une des parties se munisse d’une Kalachnikov tout en obligeant l’autre à se contenter d’une escopette d’un autre âge ! C’est impossible : le procès équitable commande l’égalité des armes ; vous ne pouvez échapper à cet impératif.
C’est pourquoi il faut renvoyer ce projet de loi à la commission, afin que nous puissions revoir les différentes phases d’intervention du parquet dans le cadre de la garde à vue et procéder aux ajustements nécessaires.
Monsieur le ministre, ne voyez pas dans mon attitude un réflexe d’opposant. Je le dis clairement : autant les assemblées ont fait tout ce qu’elles ont pu pour améliorer le droit de la garde à vue, autant le Gouvernement s’est employé à le durcir au cours des cinq dernières années. Le Gouvernement n’a pas voulu cette réforme, il y a été traîné, s’écriant, à l’instar de Mme du Barry devant le bourreau : « Encore un moment de garde à vue paisible, sans avocat, à la Maigret ! »