Désormais, trois dates compteront dans la procédure pénale en France : l’arrivée de l’avocat au procès pénal en 1789, l’arrivée de l’avocat dans les cabinets d’instruction en 1895 et l’arrivée de l’avocat dans les commissariats en 2011.
Certes, cette arrivée était très attendue, mais ce projet de loi est empreint d’une certaine hypocrisie : il prévoit la présence de l’avocat, tout en réduisant à peau de chagrin l’efficacité de son intervention.
À première vue, le texte constitue une avancée puisqu’il institue la présence de l’avocat tout au long de la garde à vue. Mais c’est précisément là que le bât blesse. Les inquiétudes de la profession sont légitimes et méritent d’être relayées. Nous les partageons. Elles sont d’autant plus vives que le projet n’est pas satisfaisant au regard des attentes des praticiens et qu’il risque de sacraliser la phase policière des procédures en conférant aux procès-verbaux une valeur absolue.
La personne gardée à vue est immédiatement informée de son droit d’être assistée par un avocat, nous dit le texte, mais l’avocat désigné ne peut s’entretenir avec le gardé à vue que pendant trente minutes. Un amendement visant à doubler ce temps a été refusé. L’avocat a le droit de consulter les procès-verbaux du dossier, mais pas d’en prendre copie. L’avocat peut assister aux auditions, mais ne dispose que d’un délai de deux heures pour arriver, faute de quoi l’audition peut commencer sans lui. Le procureur peut différer de douze heures la présence de l’avocat aux auditions lorsqu’une telle mesure apparaît indispensable au bon déroulement de l’enquête, pour des raisons impérieuses, sans possibilité de consultation du dossier, s’il le décide. Douze heures, c’est souvent largement suffisant pour attendrir le suspect ! Et il ne nous est pas garanti que les déclarations faites pendant les douze heures passées sans l’assistance de l’avocat ne serviront pas de fondement à une condamnation ultérieure, en application de la magnifique déclaration de principe introduite à l’article préliminaire du code de procédure pénale.
Enfin, l’officier de police judiciaire peut s’opposer aux questions de l’avocat et informer le procureur de la République s’il « estime que l’avocat perturbe gravement le bon déroulement d’une audition », lequel procureur pourra demander au bâtonnier la désignation d’un nouvel avocat qu’on espérera plus docile.
Et nous ne traitons pas encore des régimes dérogatoires ! Seules sont concernées, pour l’instant, par cet articles les gardes à vue relevant du régime de droit commun. C’est vous dire le sort, bien mince, réservé au droit de la défense dans ce projet de loi.
Ainsi, mes chers collègues, le rôle de l’avocat est d’être un spectateur passif, voire un surveillant des interrogatoires de son client, quand sa présence n’est pas exclue ou différée.
Pourquoi vous montrer aujourd’hui aussi méfiants, pour ne pas dire défiants, par rapport aux aménagements que nous proposons ?