Intervention de Laurent Béteille

Réunion du 19 septembre 2007 à 16h00
Contrefaçon — Discussion d'un projet de loi

Photo de Laurent BéteilleLaurent Béteille, rapporteur :

Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le texte que nous examinons vise, pour l'essentiel, à transposer une directive européenne de 2004 destinée à renforcer la lutte contre la contrefaçon.

Cette directive européenne est inspirée d'ailleurs en grande partie du droit français et de la procédure de saisie-contrefaçon, qui a montré son efficacité et pourra désormais être pratiquée dans tous les pays de l'Union européenne qui auront transposé cette directive. Elle apporte également au droit français un certain nombre d'atouts supplémentaires.

Dans son exposé, Mme le ministre a insisté sur ce phénomène qui a pu, dans le passé, présenter un caractère artisanal et limité, mais est devenu aujourd'hui un véritable fléau de société, lourd de conséquences économiques, se traduisant par des destructions d'emplois, la pénalisation des entreprises les plus innovantes et une perte de ressources fiscales.

Je voudrais également insister sur un point souvent oublié : la contrefaçon cause un préjudice important au consommateur lui-même. Celui-ci croit parfois réaliser une bonne affaire, or ce n'est jamais le cas. En réalité, le rapport qualité-prix est toujours déplorable. Je pourrais citer l'exemple d'une personne qui a récemment rapporté d'un pays dont je tairais le nom un petit appareil électroménager. Cet appareil magnifique, portant le logo d'une marque fort connue, n'a fonctionné que trois jours et, depuis, personne n'a pu ni voulu le réparer. De tels engins, achetés à moitié prix, s'avèrent toujours de mauvaises affaires, soyons-en bien conscients !

À Roissy, je suis toujours surpris par les affiches informant le consommateur des risques pénaux qu'il encourt. Il me semblerait plus utile de lui dire qu'il fait une très mauvaise affaire chaque fois qu'il achète un bien contrefaisant. Cette vérité mériterait d'être rappelée plus souvent parce qu'un certain nombre de nos concitoyens ne s'en rendent pas forcément compte.

En outre, - c'est, si j'ose dire, la cerise sur le gâteau - un certain nombre d'objets contrefaisants sont extrêmement dangereux. On pense, notamment, aux faux médicaments qui, dans le meilleur des cas, ne soignent pas et, dans le pire, aggravent le mal. Mais tous les domaines de l'industrie sont touchés : certains jouets sont dangereux dans la mesure où ils ne respectent aucunes des normes de protection des enfants, car ils comportent des parties qui peuvent être avalées, créant des risques d'asphyxie. L'industrie des cosmétiques prend des précautions considérables pour s'assurer du caractère non allergénique de ses produits : la contrefaçon ne s'intéresse pas à cet aspect des choses. Il en va de même pour les lunettes de soleil qui ne filtrent pas, les pièces détachées de toutes sortes d'engins, notamment les automobiles, qui présentent un risque pour les utilisateurs et les piétons. La contrefaçon met en jeu la sécurité et la santé du consommateur, mais aussi ses propres intérêts économiques.

Cette directive est donc bienvenue : il fallait absolument procéder à sa transposition, nous sommes d'ailleurs un peu en retard pour le faire. Première avancée, son texte prévoit que les États membres doivent mettre en place des procédures permettant d'obtenir rapidement des mesures provisoires et conservatoires efficaces : injonctions visant à faire cesser la contrefaçon, saisies de marchandises. Si les circonstances l'exigent, ces procédures sont non contradictoires.

Il faut savoir que, à l'heure actuelle, notre droit permet d'obtenir des mesures conservatoires, mais par voie de référé, c'est-à-dire en appelant le contrefacteur, ce qui parfois lui permet de faire disparaître des preuves, de s'organiser. Seules des mesures probatoires, comme la saisie de contrefaçons ou des constats d'huissier, peuvent être obtenues par le biais de procédures sur requête non contradictoires.

Sur ce point, la transposition de la directive nous paraît devoir être pleinement approuvée. La transcription de ces nouvelles mesures concerne l'ensemble des nombreux droits de propriété intellectuelle, allant de la propriété littéraire et artistique aux marques, dessins et modèles, en passant par des domaines plus récents tels que les systèmes d'information, les certificats d'obtentions végétales ou certaines appellations d'origine.

La consécration d'un droit d'information constitue une deuxième avancée importante de la directive. Il s'agit de permettre, autant que faire se peut, car ce ne sera pas forcément facile même si le dispositif se trouvera largement amélioré, la recherche de l'origine et des réseaux de distribution des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle. C'est, pour le droit français, un progrès important : il existait déjà des possibilités d'obtenir par voie d'injonction des éléments d'information concernant les parties à la procédure, mais il s'agit ici d'aller au-delà et de permettre l'obtention d'informations sur des tiers qui pourront ensuite être attraits au procès civil.

La troisième avancée permise par la directive consiste en une amélioration de la réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon. Il s'agit là, à mon sens, d'un enjeu extrêmement important, car le montant des réparations allouées par les juridictions françaises décourageait souvent, jusqu'à présent, les entreprises concernées de saisir les tribunaux, dans la mesure où les procédures sont évidemment onéreuses et où il est très difficile de faire la preuve du préjudice subi. Il était donc nécessaire de mettre en place une procédure alternative permettant soit la prise en compte des bénéfices réalisés par le contrefacteur, soit un calcul forfaitaire du préjudice, d'autant que le mode de calcul retenu dans la jurisprudence française n'autorisait jusqu'alors véritablement que la prise en compte d'un préjudice théorique, lié aux capacités de production de l'entreprise victime de la contrefaçon. Ainsi, une entreprise dont la capacité de production ne dépasse pas une centaine d'articles ne peut obtenir une réparation satisfaisante si la contrefaçon de son modèle ou de sa marque porte sur un millier d'exemplaires. Le calcul forfaitaire du préjudice est donc une évidente avancée, que la commission des lois vous propose de valider.

Au-delà de ces différentes améliorations figurant dans la directive, la commission des lois suggère l'adoption d'un certain nombre de mesures complémentaires et d'adaptations.

S'agissant tout d'abord de la notion d'échelle commerciale, reprise de la directive mais de caractère facultatif, il faut noter qu'elle paraît extrêmement floue. À lire le texte de la directive, en effet, elle semble exprimer davantage une idée de finalité qu'une idée d'ampleur, que le mot « échelle », dans ce contexte, recouvre pourtant clairement dans la langue française.

Je pense qu'il s'agit donc là d'une complication inutile. On va demander aux tribunaux de caractériser une échelle commerciale lorsque la saisie de contrefaçons n'aura porté que sur quelques articles. L'entreprise victime aura alors des difficultés à apporter des preuves qui nous semblent parfaitement superflues, parce que l'on sait qu'une entreprise ne se lancera dans une procédure que si la contrefaçon n'est pas un phénomène ponctuel, mais met en jeu des intérêts importants et représente véritablement une attaque commerciale.

Nous avons également proposé de prévoir des sanctions plus sévères envers la contrefaçon portant atteinte à la santé et à la sécurité des personnes. J'ai insisté longuement tout à l'heure sur l'intérêt de défendre le consommateur : ce souci doit prévaloir dans tous les domaines.

Certes, il existe déjà un délit de contrefaçon fortement sanctionné, puisque passible de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende, ce qui n'est pas rien. C'est la base de notre droit, et il existe en outre une circonstance aggravante, à savoir la commission de la contrefaçon en bande organisée. Cependant, il me semble nécessaire, dans l'esprit que j'ai exposé à l'instant, d'aller plus loin et de considérer que lorsque la contrefaçon risque de porter atteinte à l'intégrité, à la sécurité ou à la santé des personnes, il convient de renforcer les sanctions. J'ai dit tout à l'heure combien le champ d'une telle mesure était vaste et ne se limitait pas à quelques produits.

Un autre point qui nous paraît important au regard de l'attractivité juridique du territoire français et du rayonnement de notre droit tient à la spécialisation des juridictions.

La France s'est déjà engagée dans cette voie, mais d'une manière à la fois timide, voire timorée, et quelque peu anarchique.

En effet, actuellement, si un seul tribunal de grande instance, celui de Paris, est compétent en matière de marques communautaires, toutes les juridictions françaises, tant commerciales que civiles, sont compétentes pour les marques nationales. Parallèlement, si sept tribunaux de grande instance sont compétents en matière de brevets, dix le sont, de manière assez inexplicable, s'agissant des certificats d'obtentions végétales, qui sont en fait des brevets portant sur le vivant.

Aucune logique n'est donc véritablement perceptible dans tout cela, et je crois qu'il convient de répondre à la préoccupation que notre collègue Cointat avait exprimée dans son rapport de 2002 sur l'évolution des métiers de la justice : « Afin de permettre aux magistrats de rendre une justice de qualité, la mission souhaite la poursuite du mouvement actuel de spécialisation dans des matières très complexes. Une telle évolution constitue en effet une clef d'avenir cruciale pour la justice française. »

Il faudrait vraiment, à mon sens, parvenir à ce qu'un nombre restreint de tribunaux soient spécialisés en matière de propriété intellectuelle. Ils pratiqueront ce droit régulièrement et deviendront de véritables spécialistes, reconnus tant en France que sur le plan européen.

Par ailleurs, je voudrais évoquer l'extension souhaitable des compétences des douanes et des services judiciaires, qui jouent déjà un rôle très important en matière de lutte contre la contrefaçon mais dont l'action se limite essentiellement à la protection des marques. Nous proposerons, au travers d'un amendement, d'étendre le champ de leur compétence à tous les domaines du droit de la propriété intellectuelle.

Nous souhaitons en outre rendre possible une répression plus sévère de la contrefaçon s'agissant des marchandises qui ne font que transiter sur notre territoire, en provenance par exemple d'Asie - que l'on n'y voie aucune accusation de ma part ! - et à destination du marché africain. À l'heure actuelle, dans la mesure où le marché européen n'est pas concerné, les douanes ne peuvent relever qu'une simple contravention, sanction qui n'est manifestement pas à la hauteur du problème. Il convient de pouvoir pénaliser davantage ces marchandises.

Il faut également permettre la destruction de marchandises, sans qu'elles restent stockées pendant des années dans les entrepôts de Roissy, ce qui coûte cher et fait perdre du temps à tout le monde.

Une autre avancée que nous appelons de nos voeux consiste en la pleine transposition de la directive en ce qui concerne les frais de justice, de manière que la partie ayant gagné le procès et obtenu une réparation n'ait pas à participer, le cas échéant, aux frais de recouvrement.

En conclusion, il reviendra finalement au Gouvernement, pour que le texte soit pleinement efficace, de prendre un certain nombre de décrets d'application. Me tournant vers le banc du Gouvernement, j'insiste à nouveau sur ce point, qui me paraît fondamental.

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