Intervention de Alain Milon

Réunion du 5 avril 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi

Photo de Alain MilonAlain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, rarement débat aura été aussi préparé que celui de ce projet de loi relatif à la bioéthique. Depuis deux ans, de nombreux rapports ont été établis par l’Agence de la biomédecine, le Conseil d’État, le Comité consultatif national d’éthique, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ou la mission d’information de l’Assemblée nationale, pour étudier l’ensemble des aspects juridiques, scientifiques et éthiques de la biomédecine.

Pour la première fois, une grande consultation nationale, sous la forme d’états généraux de la bioéthique, a été organisée. En associant panels de citoyens, spécialistes et experts de tous ordres, elle a permis d’ouvrir largement le débat et de recueillir des avis qui complètent de manière très utile les rapports publics sur cette question.

Pour notre part aussi, vous le savez, dès l’année dernière, sur l’initiative de la présidente de la commission des affaires sociales, Muguette Dini, nous avons engagé la réflexion sur les sujets couverts par la loi et sur les pistes d’évolution possibles, grâce aux « quatre rencontres de la bioéthique » organisées sous le haut patronage du président Gérard Larcher. Qu’il me soit permis de rendre ici de nouveau un hommage tout particulier à Marie-Thérèse Hermange, qui a introduit chacune de ces rencontres par un exposé liminaire complet et ouvert, favorisant des échanges riches entre nous et avec plusieurs grands témoins, acteurs des différents domaines concernés.

Les lois de bioéthique sont nées en 1994 d’un constat, celui de la capacité nouvelle de la médecine à agir sur les fondements mêmes de la vie. Les progrès de la génétique fondés sur la connaissance complète du génome, le développement des pratiques d’assistance médicalisée à la procréation, la possibilité d’agir sur la matière même de la vie au travers des cellules souches embryonnaires, ont amené le législateur à prévoir un encadrement spécifique des activités médicales et de la recherche dans ces domaines.

Les principes posés en 1994 pour l’encadrement de la biomédecine constituent le socle de la conception française de la bioéthique. Le premier d’entre eux est la primauté de la personne inscrite à l’article 16 du code civil. Cette primauté signifie que les considérations techniques, scientifiques et économiques doivent toujours être secondaires par rapport au respect de la vie. Le second principe fondant la bioéthique est celui de la non-patrimonialité du corps humain, qui figure à l’article 16-1 du même code, selon lequel on ne peut vendre tout ou partie de son corps. La seule possibilité d’utiliser des éléments du corps humain en médecine repose donc sur le don et celui-ci doit être libre, éclairé, anonyme et gratuit.

Mes chers collègues, ces principes n’ont pas varié depuis 1994 et il n’est pas question de les remettre en cause aujourd’hui. Toutefois, à l’intérieur du cadre éthique ainsi fixé, les dispositions précises encadrant les activités biomédicales sont susceptibles d’évoluer.

Pour décider si des évolutions sont effectivement nécessaires, la commission des affaires sociales s’est d’abord attachée à écouter l’ensemble des acteurs de ce secteur.

Nous avons, bien sûr, entendu des médecins qui utilisent les techniques biomédicales et cherchent à les améliorer pour soigner, d’autant qu’ils ont, en plus de cette lourde tâche, celle – peut-être plus dure encore – d’annoncer les mauvaises nouvelles aux patients et aux familles. La volonté de ces femmes et de ces hommes de tout mettre en œuvre pour surmonter la maladie et sauver les vies, la qualité de la médecine et de la recherche françaises, qu’ils incarnent, forcent notre respect.

Nous avons aussi prêté une attention particulière aux messages portés par les associations qui travaillent au quotidien avec les parents et les enfants malades ou qui se font l’écho des greffés, des donneurs d’organes, des personnes nées d’un don, et qui luttent pour que l’éthique se traduise dans les faits.

Nous avons également eu à cœur de nous entourer de l’avis des juristes, tant il est vrai que la clarté de la loi et la cohérence des dispositions que nous adoptons sont essentielles dans le domaine de la bioéthique.

Enfin, l’apport des sciences humaines et sociales a été particulièrement important. L’éclairage des sociologues et des philosophes a permis à chacun d’entre nous de faire ses choix en étant pleinement informé et en ayant réfléchi.

Dans le prolongement de ces auditions, la commission s’est fondée, pour élaborer son texte, sur le respect de la dignité des personnes, qui repose sur celui de leur autonomie, et sur la raison d’être de la médecine, qui est de soigner et de ne pas nuire.

Respecter la dignité de la personne, c’est d’abord ne pas la soumettre aux contraintes économiques ou sociales quand il est question d’atteinte à son corps ou à ses produits. Concrètement, nous savons tous que la France manque de donneurs d’organes, de tissus et de cellules, et le projet de loi, dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, a cherché à remédier à cette situation de plusieurs manières.

Tout d’abord, il a amélioré l’information du public sur le dispositif de la loi Caillavet de 1976, selon laquelle, sauf opposition expresse, nous sommes tous potentiellement donneurs d’organes au moment de notre mort. Ensuite, il a élargi le cercle des donneurs vivants au-delà de la famille proche. Enfin, il a autorisé une nouvelle procédure pour le don de rein entre vifs, le don croisé, qui permettra de surmonter certains cas d’incompatibilité en procédant à un échange de greffons entre deux couples donneur-receveur.

La commission des affaires sociales est favorable à toutes les mesures qui encouragent le don et qui améliorent l’encadrement législatif en ce domaine. Elle a d’ailleurs pris, à son tour, des initiatives en ce sens, mais elle n’a pas admis la mise en place de contreparties pour le donneur d’organes ou de gamètes. La frontière entre encouragement au don altruiste et ce qui le transforme, ou risque de le transformer, en obligation ou en démarche intéressée est fragile et la plus grande prudence s’impose en ce domaine.

Respecter l’autonomie des personnes, c’est leur donner tous les moyens de décider librement de la manière dont elles souhaitent conduire leur existence face aux informations que fournit la science et aux choix qu’elle propose. Garantir la liberté de choix n’est pas chose facile.

La décision de l’interruption médicale de grossesse en cas de diagnostic de trisomie 21 est-elle vraiment une décision libre quand on sait que 96 % des diagnostics positifs conduisent les familles à demander la fin de la grossesse ?

Face au risque d’eugénisme, la commission des affaires sociales est convaincue qu’il n’appartient ni à l’État ni à la société de décider à la place des parents quels enfants ils doivent faire naître et élever. Mais elle considère que la préservation de leur choix suppose de leur permettre de disposer de l’ensemble des informations sur les maladies diagnostiquées et, autant qu’il est possible, d’éviter que les contraintes liées à la difficulté d’élever un enfant handicapé ne dictent leur conduite. De ce point de vue, la médecine doit informer et, si elle le peut, soigner. Mais il y a une chose qu’elle ne peut, ni ne doit faire : décider en substituant la volonté du médecin à celle des principaux intéressés !

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