Séance en hémicycle du 5 avril 2011 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • bioéthique
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La séance

Source

La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Chevènement

Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 35 de la Constitution.

Monsieur le président, à la suite d’une lettre en date du dimanche 3 avril 2011 adressée par M. Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, à M. Nicolas Sarkozy, Président de la République française, plusieurs sites tenus par les forces de Laurent Gbagbo dans la capitale ivoirienne ont été frappés le lundi 4 avril à partir de dix-sept heures trente par des hélicoptères français, en vertu de la résolution 1975 du 30 mars 2011 du Conseil de sécurité des Nations unies autorisant l’emploi des moyens nécessaires pour neutraliser les armes lourdes pouvant mettre en danger la vie de civils à Abidjan.

Or le deuxième alinéa de l’article 35 de la Constitution dispose : « Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote. »

Je pose donc une question au Gouvernement : a-t-il l’intention d’informer le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées et d’organiser un débat dans les trois jours ?

Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Mon cher collègue, acte vous est donné de votre rappel au règlement. Je transmettrai votre question à M. le président du Sénat – il a reçu cette nuit une lettre du Gouvernement à ce sujet – afin que réponse vous soit apportée.

(Texte de la commission)

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (projet n° 304, texte de la commission n° 389, rapports n° 388 et 381).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis répond à l’obligation de révision prévue par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

La France s’est progressivement dotée d’une législation importante afin de garantir le respect des valeurs fondamentales dans les applications biomédicales, notamment le respect de la dignité humaine, l’indisponibilité et l’inviolabilité du corps humain, le refus de la marchandisation, l’anonymat du don.

Pour élaborer son projet de loi, le Gouvernement a disposé de multiples travaux et avis d’instances. Les états généraux de la bioéthique ont donné la parole aux citoyens.

L’Assemblée nationale avait modifié sur certains points le texte déposé par le Gouvernement. La commission des affaires sociales du Sénat est revenue sur certains de ces points et a fait d’autres propositions, au terme de débats d’une grande qualité. À cet égard, je tiens à saluer le travail de votre commission et de son rapporteur, qui a permis de débattre avec justesse et profondeur des grands enjeux de ce texte.

Il revient maintenant à votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs, d’examiner ce texte et de se prononcer sur ces questions sensibles et complexes de la bioéthique, qui touchent à l’individu et à la société, à l’intime et au « vouloir vivre ensemble ».

Le Gouvernement sera, bien évidemment, très attentif à vos échanges.

Le projet de loi précise et complète la législation actuelle dans quatre grands domaines : la génétique, le diagnostic prénatal, l’assistance médicale à la procréation, l’AMP, et les recherches sur l’embryon.

Avant de vous laisser la parole, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’arrêterai sur les enjeux liés à quatre questions particulièrement sensibles de ce projet de loi : la clause de révision, la levée de l’anonymat, l’accès à l’assistance médicale à la procréation, notamment avec la grossesse pour autrui, la GPA, et le transfert post mortem, les recherches sur l’embryon.

J’évoquerai tout d’abord la clause de révision, dont le projet de loi prévoit la suppression. Il faut, bien sûr, exercer toute la vigilance nécessaire sur les avancées biomédicales et apporter des réponses aux nouvelles attentes de la société, mais une clause de révision périodique n’est pas le seul moyen d’y parvenir.

Réviser les lois de bioéthique tous les cinq ans présente, en effet, de sérieux inconvénients. Une telle clause risque d’empêcher le législateur de faire preuve de réactivité face à de nouvelles menaces. Elle bloque tous les ajustements, utiles et nécessaires, qui se trouveront différés à l’échéance de la révision. Elle nécessite une procédure lourde, qui aboutit dans les faits à allonger sensiblement les délais prévus. Enfin, elle tend à radicaliser les positions des uns et des autres, alors que la bioéthique est un sujet qui nécessite, au contraire, de cheminer sereinement vers de justes compromis.

En outre, les lois relatives à la bioéthique constituent aujourd’hui un socle juridique abouti et équilibré, qui ne nécessite plus de remise en chantier récurrente.

Enfin, le projet de loi prévoit d’organiser une procédure de veille et de suivi, ainsi que des débats publics autour des questions soulevées. Le Parlement disposera ainsi de tous les éclairages nécessaires pour proposer, le cas échéant, des ajustements et des novations, avec toute la fluidité requise.

À l’inverse, une clause de révision figerait toute adaptation et toute évolution des textes. Sa suppression est donc pleinement justifiée.

La levée de l’anonymat est assurément une question délicate. La version initiale du projet de loi du Gouvernement comportait une mesure de levée de l’anonymat. Le dispositif prévu visait à assurer l’équilibre des intérêts de toutes les parties : l’enfant issu d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, le donneur de gamètes et les parents de l’enfant. L’enfant pouvait accéder à l’identité du donneur à sa majorité, sous réserve du consentement de ce dernier.

L’Assemblée nationale avait supprimé ces dispositions. La commission les a rétablies.

Les positions sont très partagées sur cette question difficile. Le droit de l’enfant à connaître ses origines a été rappelé. Ce n’est pas une mauvaise chose que le débat se poursuive en séance publique.

Pour ma part, j’ai entendu les arguments des députés sur les inconvénients de la levée de l’anonymat. Toutes les options en comportent. Certains députés ont craint l’importance donnée au biologique par rapport à l’éducatif et une baisse des dons de gamètes.

Je note par ailleurs que le dispositif voté en commission ne prévoit pas le consentement du donneur pour la levée de l’anonymat, celui-ci étant implicite. Je pense que c’est un risque accru de voir diminuer le don de gamètes. En outre, les parents ne seront-ils pas tentés de taire aux enfants leur mode de conception ?

Enfin, les enfants nés avant 2014 seraient exclus du bénéfice de la mesure. Pour remédier à la souffrance des uns, on risque d’attiser celle des autres.

J’en viens maintenant à la gestation pour autrui et au transfert post mortem.

La gestation pour autrui vise à supprimer une cause de souffrance individuelle, et pas n’importe laquelle : celle de ne pas pouvoir donner la vie. Les progrès remarquables de l’assistance médicale à la procréation ont permis de remédier à de multiples causes de stérilité. Les personnes qui ne peuvent malheureusement pas en bénéficier sont confrontées à une souffrance d’autant plus difficile à accepter.

Néanmoins, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est résolument opposé à la légalisation de la gestation pour autrui, et ce pour trois raisons essentielles. Tout d’abord, la gestation pour autrui est incompatible avec le respect de la dignité humaine.

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

Ensuite, elle porte atteinte au principe d’indisponibilité du corps humain. Enfin, elle ouvre inéluctablement la voie à la marchandisation du corps humain. Il s’agit d’enjeux particulièrement lourds, que je vous demande solennellement de bien peser.

Autoriser la gestation pour autrui ouvrirait une brèche dangereuse et fragiliserait le socle même de notre législation en matière de bioéthique. C’est une pente assurément glissante. Si cette mesure était adoptée, des voix ne manqueraient pas de s’élever demain pour autoriser la rémunération des mères porteuses, au motif d’encadrer des pratiques de fait. Peut-on, en effet, raisonnablement croire que, au-delà de quelques personnes remarquablement altruistes, les femmes qui accepteront de porter un enfant pour le compte d’autrui ne se feront pas rémunérer ? Peut-on accepter qu’un enfant à naître fasse l’objet de transactions, qu’il soit cédé à sa naissance par la femme qui l’a porté ?

En définitive, la question soulevée est la suivante : devons-nous, parce qu’une technique est aujourd’hui disponible et parce qu’elle fait l’objet d’une demande sociale, nécessairement y faire droit ? Devons-nous renoncer à fixer des limites ? Les aspirations individuelles doivent-elles être satisfaites, quelles qu’en soient les conséquences pour la société et les valeurs qui la soudent ?

Les questions soulevées par le transfert des embryons post mortem sont de même nature. Toute souffrance mérite d’être entendue, accompagnée et soulagée, dans la mesure du possible, mais la souffrance ne peut être créatrice de droits. Dans le cas du transfert post mortem, la souffrance de la veuve est à mettre en balance avec celle de l’enfant, délibérément privé de père. La vocation de la loi doit rester de protéger les plus vulnérables.

Les dons d’organes ont également fait l’objet d’une réflexion, qui a progressivement évolué.

Il existe, vous le savez, une pénurie préoccupante d’organes pouvant être greffés. Pourtant, les techniques chirurgicales et les traitements anti-rejet ont fait la preuve de leur efficacité. De même, la qualité de vie des patients ayant bénéficié d’une greffe s’est incomparablement améliorée.

Or, depuis 2004, le nombre de greffes n’a que très faiblement augmenté, de 3 900 à 4 600, avec un nombre très réduit et stable de donneurs vivants : 213 en 2004, 235 en 2009.

Le Conseil d’État, dans son rapport d’avril 2009, comme l’Agence de la biomédecine avaient insisté sur le fait que cette pratique du don croisé d’organes devait être rigoureusement encadrée, dans la mesure où, en élargissant le cercle des donneurs, elle rompt le lien direct entre le donneur et le receveur. Il était impératif d’empêcher toute possibilité de pression sur le donneur : je pense aux dons en retour et au danger de marchandisation du corps humain.

Le projet de loi présente une avancée significative car il prévoit la possibilité d’organiser la pratique du don croisé entre donneurs vivants, en ne réservant donc plus ce type de greffes à la seule parentèle proche, mais en assurant un encadrement renforcé de ce type de prélèvement.

Ces dispositions sont de nature à augmenter de 25 % à 50 % le nombre de greffes, cela concernerait cinquante à cent greffes par an.

Toutefois, en 2009, les donneurs vivants ont représenté moins de 8 % des donneurs et ils constituent, en fait, un complément aux dons post mortem.

Il s’agit donc de tout faire pour augmenter le nombre de dons post mortem, car c’est une procédure délicate. Il convient de mieux accompagner les équipes hospitalières dans un moment éprouvant pour les proches afin de développer la confiance à l’égard des greffes d’organes et d’augmenter ainsi les dons.

En ce qui concerne l’exclusion des personnes homosexuelles du don d’organes et de sang, la question a été débattue en commission et je souhaite y revenir.

Lors de la discussion du projet de loi en commission des affaires sociales la semaine dernière, un amendement précisant que « nul ne peut être exclu du don en raison de son orientation sexuelle » a été débattu. M’appuyant sur l’exemple du don de sang, j’ai notamment évoqué le fait que, si des hommes ayant des relations avec des hommes se voyaient écartés du don, il s’agissait non pas d’une exclusion mais d’une contre-indication, cette dernière s’expliquant par un risque sanitaire avéré.

Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

Mes propos visaient à rappeler que les homosexuels masculins sont parmi les premières victimes du VIH/sida avec un nombre de nouvelles infections VIH environ 200 fois supérieur à celui de la population française. Ce sont des données statistiques produites par l’Institut de veille sanitaire. Mais c’est bien la notion de comportements ou de situations « à risques » qui doit être prise en compte en tant que facteur d’exposition au VIH et non pas, évidemment, le fait d’être homosexuel.

Pour moi, il ne s’agissait aucunement de stigmatiser l’homosexualité…

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

… et je regrette que mes propos aient pu blesser.

Aujourd’hui, cette polémique me peine profondément car elle ne reflète en rien mes opinions personnelles, celles-ci ayant été nourries, pendant près de vingt ans, par les moments partagés avec les patients infectés ou malades que j’ai pu suivre et soigner ainsi qu’avec les associations aux côtés desquelles je me suis engagée dans la lutte contre le VIH.

M’accuser aujourd’hui d’homophobie, attitude qui est très loin de mon état d’esprit, me semble particulièrement offensant.

Très bien ! sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

Enfin, le projet de loi qui vous est soumis pérennise les recherches sur l’embryon, c’est un point essentiel.

En revanche, la commission a souhaité passer du régime d’interdiction assorti de dérogations à un régime d’autorisation dans un cadre strict.

Le Gouvernement souhaite maintenir le régime d’interdiction actuel assorti de dérogations.

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

C’est un choix de continuité avec les lois de 1994 et de 2004, et de cohérence avec l’ensemble des dispositions relatives à l’embryon qui visent à garantir sa protection.

C’est refuser de considérer que les embryons surnuméraires ont vocation à entrer dans la recherche, tout en autorisant des recherches si leur finalité le justifie, mais seulement dans le cadre de dérogations strictes.

La recherche sur l’embryon n’est pas une recherche comme les autres parce qu’elle touche à l’origine de la vie. Je tiens à souligner que le bilan de l’Agence de la biomédecine montre que ce régime juridique de l’embryon n’a pas pénalisé la recherche française. Il n’y a donc pas de raison d’en changer et d’opter pour un régime d’autorisation encadré.

Cela peut sembler symbolique, mais dans le domaine si sensible du respect de l’embryon et de la vie humaine dès son commencement, les symboles ont leur importance.

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

Certains proposent de distinguer les recherches sur l’embryon des recherches sur les cellules souches embryonnaires et de faire bénéficier ces dernières d’un régime d’autorisation. Cette proposition peut paraître séduisante, mais, à l’examen, elle n’est ni justifiée, ni pertinente.

Elle n’est pas justifiée, parce que le prélèvement de cellules souches embryonnaires aboutit à détruire l’embryon. On ne peut donc mettre en place ce régime d’autorisation sans remettre en cause la protection due à l’embryon. Elle n’est pas non plus pertinente, parce qu’elle alimente la défiance vis-à-vis des recherches sur l’embryon in toto. Or, certaines de ces recherches, par exemple sur l’embryogenèse, sont porteuses de progrès médicaux décisifs et sont menées par des équipes renommées.

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

Au total, il n’y a pas lieu de modifier le régime instauré en 2004, qui a permis de concilier le haut degré de protection accordé à l’embryon avec une qualité de la recherche internationalement reconnue.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

C’est le statu quo ! On fait du sur place !

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les points qu’il m’a paru important de souligner. Il vous revient d’examiner de nouveau ces propositions. Je ne doute pas que, au-delà de positions partisanes, le débat permettra d’approfondir l’ensemble des enjeux de ce texte.

Applaudissementssur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, rarement débat aura été aussi préparé que celui de ce projet de loi relatif à la bioéthique. Depuis deux ans, de nombreux rapports ont été établis par l’Agence de la biomédecine, le Conseil d’État, le Comité consultatif national d’éthique, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ou la mission d’information de l’Assemblée nationale, pour étudier l’ensemble des aspects juridiques, scientifiques et éthiques de la biomédecine.

Pour la première fois, une grande consultation nationale, sous la forme d’états généraux de la bioéthique, a été organisée. En associant panels de citoyens, spécialistes et experts de tous ordres, elle a permis d’ouvrir largement le débat et de recueillir des avis qui complètent de manière très utile les rapports publics sur cette question.

Pour notre part aussi, vous le savez, dès l’année dernière, sur l’initiative de la présidente de la commission des affaires sociales, Muguette Dini, nous avons engagé la réflexion sur les sujets couverts par la loi et sur les pistes d’évolution possibles, grâce aux « quatre rencontres de la bioéthique » organisées sous le haut patronage du président Gérard Larcher. Qu’il me soit permis de rendre ici de nouveau un hommage tout particulier à Marie-Thérèse Hermange, qui a introduit chacune de ces rencontres par un exposé liminaire complet et ouvert, favorisant des échanges riches entre nous et avec plusieurs grands témoins, acteurs des différents domaines concernés.

Les lois de bioéthique sont nées en 1994 d’un constat, celui de la capacité nouvelle de la médecine à agir sur les fondements mêmes de la vie. Les progrès de la génétique fondés sur la connaissance complète du génome, le développement des pratiques d’assistance médicalisée à la procréation, la possibilité d’agir sur la matière même de la vie au travers des cellules souches embryonnaires, ont amené le législateur à prévoir un encadrement spécifique des activités médicales et de la recherche dans ces domaines.

Les principes posés en 1994 pour l’encadrement de la biomédecine constituent le socle de la conception française de la bioéthique. Le premier d’entre eux est la primauté de la personne inscrite à l’article 16 du code civil. Cette primauté signifie que les considérations techniques, scientifiques et économiques doivent toujours être secondaires par rapport au respect de la vie. Le second principe fondant la bioéthique est celui de la non-patrimonialité du corps humain, qui figure à l’article 16-1 du même code, selon lequel on ne peut vendre tout ou partie de son corps. La seule possibilité d’utiliser des éléments du corps humain en médecine repose donc sur le don et celui-ci doit être libre, éclairé, anonyme et gratuit.

Mes chers collègues, ces principes n’ont pas varié depuis 1994 et il n’est pas question de les remettre en cause aujourd’hui. Toutefois, à l’intérieur du cadre éthique ainsi fixé, les dispositions précises encadrant les activités biomédicales sont susceptibles d’évoluer.

Pour décider si des évolutions sont effectivement nécessaires, la commission des affaires sociales s’est d’abord attachée à écouter l’ensemble des acteurs de ce secteur.

Nous avons, bien sûr, entendu des médecins qui utilisent les techniques biomédicales et cherchent à les améliorer pour soigner, d’autant qu’ils ont, en plus de cette lourde tâche, celle – peut-être plus dure encore – d’annoncer les mauvaises nouvelles aux patients et aux familles. La volonté de ces femmes et de ces hommes de tout mettre en œuvre pour surmonter la maladie et sauver les vies, la qualité de la médecine et de la recherche françaises, qu’ils incarnent, forcent notre respect.

Nous avons aussi prêté une attention particulière aux messages portés par les associations qui travaillent au quotidien avec les parents et les enfants malades ou qui se font l’écho des greffés, des donneurs d’organes, des personnes nées d’un don, et qui luttent pour que l’éthique se traduise dans les faits.

Nous avons également eu à cœur de nous entourer de l’avis des juristes, tant il est vrai que la clarté de la loi et la cohérence des dispositions que nous adoptons sont essentielles dans le domaine de la bioéthique.

Enfin, l’apport des sciences humaines et sociales a été particulièrement important. L’éclairage des sociologues et des philosophes a permis à chacun d’entre nous de faire ses choix en étant pleinement informé et en ayant réfléchi.

Dans le prolongement de ces auditions, la commission s’est fondée, pour élaborer son texte, sur le respect de la dignité des personnes, qui repose sur celui de leur autonomie, et sur la raison d’être de la médecine, qui est de soigner et de ne pas nuire.

Respecter la dignité de la personne, c’est d’abord ne pas la soumettre aux contraintes économiques ou sociales quand il est question d’atteinte à son corps ou à ses produits. Concrètement, nous savons tous que la France manque de donneurs d’organes, de tissus et de cellules, et le projet de loi, dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, a cherché à remédier à cette situation de plusieurs manières.

Tout d’abord, il a amélioré l’information du public sur le dispositif de la loi Caillavet de 1976, selon laquelle, sauf opposition expresse, nous sommes tous potentiellement donneurs d’organes au moment de notre mort. Ensuite, il a élargi le cercle des donneurs vivants au-delà de la famille proche. Enfin, il a autorisé une nouvelle procédure pour le don de rein entre vifs, le don croisé, qui permettra de surmonter certains cas d’incompatibilité en procédant à un échange de greffons entre deux couples donneur-receveur.

La commission des affaires sociales est favorable à toutes les mesures qui encouragent le don et qui améliorent l’encadrement législatif en ce domaine. Elle a d’ailleurs pris, à son tour, des initiatives en ce sens, mais elle n’a pas admis la mise en place de contreparties pour le donneur d’organes ou de gamètes. La frontière entre encouragement au don altruiste et ce qui le transforme, ou risque de le transformer, en obligation ou en démarche intéressée est fragile et la plus grande prudence s’impose en ce domaine.

Respecter l’autonomie des personnes, c’est leur donner tous les moyens de décider librement de la manière dont elles souhaitent conduire leur existence face aux informations que fournit la science et aux choix qu’elle propose. Garantir la liberté de choix n’est pas chose facile.

La décision de l’interruption médicale de grossesse en cas de diagnostic de trisomie 21 est-elle vraiment une décision libre quand on sait que 96 % des diagnostics positifs conduisent les familles à demander la fin de la grossesse ?

Face au risque d’eugénisme, la commission des affaires sociales est convaincue qu’il n’appartient ni à l’État ni à la société de décider à la place des parents quels enfants ils doivent faire naître et élever. Mais elle considère que la préservation de leur choix suppose de leur permettre de disposer de l’ensemble des informations sur les maladies diagnostiquées et, autant qu’il est possible, d’éviter que les contraintes liées à la difficulté d’élever un enfant handicapé ne dictent leur conduite. De ce point de vue, la médecine doit informer et, si elle le peut, soigner. Mais il y a une chose qu’elle ne peut, ni ne doit faire : décider en substituant la volonté du médecin à celle des principaux intéressés !

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

La médecine conforte l’autonomie des personnes, mais il importe tout autant de protéger l’autonomie de ces dernières par rapport à elle. Je pense aux tests génétiques, pour lesquels le droit de ne pas savoir est aussi important que la possibilité de connaître la maladie dont on est porteur ou les risques que l’on encourt. De même, face à l’offre mondiale de tests génétiques de qualité diverse disponibles sur internet, une information sur leur degré de fiabilité est une précaution qui me semble nécessaire.

Affirmer l’autonomie par rapport à la science, c’est encore remettre l’humain au cœur des procédures d’assistance médicalisée à la procréation. La demande de levée de l’anonymat du don de gamètes peut se comprendre ainsi. Certaines personnes nées grâce à un don ne veulent pas devoir leur existence à la seule technique médicale. Elles revendiquent le fait qu’un gamète est non pas un simple matériau thérapeutique, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

... mais le vecteur de la transmission de la vie et qu’il est, à ce titre, porteur d’une histoire et d’une identité.

Sur mon initiative, la commission a mis en place un système inspiré du modèle anglais, qui dispose que tous les donneurs soient désormais informés du caractère automatique de la levée de l’anonymat si l’enfant issu du don et devenu majeur le demande. À mon sens, un tel système, qui ne sera effectif qu’une fois les enfants nés après le 1er janvier 2014 devenus adultes, nous permettra de lever les ambiguïtés et les non-dits qui entourent actuellement le don de gamètes pour passer à un régime de responsabilité éthique n’entraînant ni responsabilité civile ni responsabilité pénale.

J’insiste par ailleurs sur un point : préserver la dignité des personnes et leur autonomie, c’est refuser de tirer le bénéfice de pratiques conduites à l’étranger hors du cadre éthique qui est le nôtre. En les acceptant, nous cautionnerions l’exploitation des plus faibles ailleurs, tout en nous donnant la bonne conscience de ne pas nous livrer à de telles pratiques chez nous. Ce serait là une hypocrisie cynique. Je pense, bien sûr, aux pratiques des mères porteuses dans des pays où le niveau de vie est très inférieur au nôtre.

Assumer nos choix éthiques suppose d’être sûrs qu’ils soient solides, c’est-à-dire conformes à leurs fondements. La médecine, et à plus forte raison la biomédecine doivent soigner et ne pas nuire. Est-ce à dire que nous pouvons utiliser dans la perspective du soin toutes les ressources possibles, y compris en extrayant les cellules souches qui composent les embryons entre le cinquième et le septième jour de la fécondation ? Nous nous sommes penchés sur les progrès scientifiques, et la perspective de donner à des cellules adultes le même potentiel que les cellules souches embryonnaires, au travers des cellules souches dites « induites », nous permettra peut-être un jour de nous dispenser des cellules souches embryonnaires. Cependant, pour l’instant, les chercheurs qui travaillent sur l’ensemble des types de cellules nous ont indiqué que ce moment n’était pas encore venu.

Je voudrais insister sur un point. Non, les chercheurs ne souhaitent pas spécialement travailler sur les cellules souches embryonnaires ! Mais ils tiennent à pouvoir utiliser tous les moyens offerts par la science pour trouver les remèdes utiles à notre santé. J’en veux pour preuve que très peu d’équipes ne travaillent que sur les cellules souches embryonnaires ou ne le font qu’après avoir tenté de faire aboutir leurs travaux en utilisant d’autres types de cellules. Je pense que nous ne pouvons pas, en conscience, et vis-à-vis des générations futures, décider de fermer une voie du progrès médical.

Pour la commission des affaires sociales, il convient de sortir de l’ambiguïté qui est la nôtre à l’heure actuelle. Nous considérons que le système d’interdiction avec dérogation en matière de recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires n’est plus tenable en l’état actuel de la science. La commission a donc suivi sur ce point les préconisations du Conseil d’État, de l’Académie de médecine et de la grande majorité des médecins et chercheurs que nous avons entendus en passant d’un régime d’interdiction avec dérogation à un régime d’autorisation strictement encadré.

Pour des raisons que j’exposerai au cours du débat, l’autorisation encadrée, dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, me paraît aussi respectueuse de la spécificité de l’embryon que l’interdiction de principe avec dérogation.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

M. Alain Milon, rapporteur. Elle a toutefois un grand mérite, celui de la clarté : clarté pour les scientifiques, clarté pour l’image internationale de la France. Pour moi, il vaut mieux des choix assumés et étroitement contrôlés que des positions ambiguës, toujours moralement contestables.

MM. Gilbert Barbier et Guy Fischer applaudissent.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Par ailleurs, il me semble que, lorsque l’on parle de recherche impliquant l’embryon, on se focalise trop souvent sur les thérapies utilisant les cellules souches embryonnaires. Il existe aussi des recherches conduites au profit des embryons, dans le but de mieux comprendre l’embryogenèse, de soigner les maladies dès les premiers stades de la vie et d’améliorer les procédures d’assistance médicalisée à la procréation. Elles ne doivent pas être négligées.

Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

De la même manière, il existe des recherches sur d’autres catégories de cellules souches qui ne posent pas les mêmes problèmes éthiques et qui doivent être encouragées. Il s’agit des cellules du sang de cordon, du cordon ombilical et du placenta. La France est en avance dans ce domaine ; nous devons poursuivre nos efforts dans cette voie. À cet égard, je me réjouis que le projet de loi accorde un statut à ces cellules.

J’ajoute que le devoir de ne pas nuire qui incombe à la médecine nous impose la plus grande prudence en matière de choix de politique de santé publique. Jusqu’à ce que les pratiques de diagnostic évoluent en 2008, le recours à l’amniocentèse a causé la perte de six cents à sept cents embryons sains par an pour le diagnostic de trois cents cas de trisomie 21. La balance entre les bénéfices et les risques demande à être toujours exactement prise en compte.

Le débat nous donnera l’occasion de revenir sur l’ensemble des mesures de ce texte essentiel, mais, avant de conclure, je me permets de le resituer dans la durée.

Si je souscris pleinement à la nécessité de stabilité des normes, je suis convaincu que le Parlement doit être tenu informé de l’évolution de la biomédecine, afin de pouvoir reprendre l’initiative législative si nécessaire.

Approbations sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

De la même manière, les citoyens doivent pouvoir se saisir régulièrement de l’ensemble de ces sujets. C’est pourquoi la commission des affaires sociales a prévu qu’un débat public, sous la forme d’états généraux très ouverts, devra avoir lieu avant chaque projet de réforme et, en tout état de cause, au moins une fois tous les cinq ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

M. Alain Milon, rapporteur. Mes chers collègues, je ne doute pas que notre débat aura la hauteur de vue et la dignité qu’appellent des sujets aussi essentiels pour notre société et les générations futures.

Applaudissements

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des lois s’est saisie pour avis de onze articles du projet de loi adopté par les députés le 15 février dernier.

La compétence de la commission des lois se justifie par la nature de certaines questions bioéthiques qui intéressent directement le droit de la famille, le droit de la responsabilité civile ou certains principes fondateurs inscrits dans notre code civil, comme le principe de l’anonymat du don ou celui de non-patrimonialité du corps humain.

Les lois fondatrices du 29 juillet 1994 ont posé le socle de la législation bioéthique. Conscient du caractère novateur de celle-ci et de la nécessité qu’elle soit appréciée à l’épreuve des faits et des évolutions scientifiques, le législateur avait posé le principe d’une révision périodique de cette législation tous les cinq ans. La première révision intervint en 2004, sans qu’elle s’accompagnât de remises en cause majeures des équilibres établis en 1994. Tel est aussi le cas du présent projet, qui constitue donc la deuxième occasion de révision.

En effet, ce projet de loi est d’une ampleur limitée : les principes édictés en 1994 sont solides et pertinents, et il n’y a pas de raison de les remettre en cause. Le seul principe nouveau est celui de l’abandon du principe de la révision. Sans doute peut-on y voir le signe de la maturité de cette législation, qui rentre dans le champ du droit commun et sera soumise à la vigilance continue du législateur. La mesure est judicieuse, à la condition que le débat soit organisé et se poursuive, comme l’a proposé la commission des affaires sociales.

Si cette législation doit s’adapter aux progrès scientifiques ou médicaux, il est souhaitable que les principes sur lesquels elle repose ne soient pas remis en cause, à moins que des bouleversements scientifiques ou des évolutions sociales ne le requièrent.

À cet égard, la commission des lois a constaté qu’aucune des dispositions dont elle s’est saisie n’est imposée par une avancée scientifique ou médicale déterminante. Au contraire, qu’il s’agisse de l’anonymat des donneurs de gamètes ou du transfert post mortem d’embryon, les questions qui se posent aujourd’hui sont les mêmes que celles auxquelles le législateur a répondu en 1994 et en 2004 en réaffirmant sa position de principe.

Les souhaits de modification de la législation, qui reposent souvent sur une souffrance que nul ne peut nier, sont légitimes. Toutefois, ils ne sauraient justifier à eux seuls une remise en cause de principes essentiels si cela a pour effet de porter atteinte à des intérêts tout aussi légitimes que ceux qu’ils défendent.

À l’issue de ses travaux, la commission des lois a adopté six amendements, qui ont tous été intégrés par la commission des affaires sociales au texte soumis à notre examen.

Avant de vous présenter brièvement le sens des conclusions de la commission des lois sur les onze articles dont elle s’est saisie, je souhaite remercier la commission des affaires sociales et son excellent rapporteur, M. Alain Milon, de la qualité du débat et des travaux qu’ils ont menés sur le projet de loi relatif à la bioéthique.

Le premier point concerne la procédure d’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique grave.

Madame la secrétaire d’État, la commission des lois partage l’objectif du Gouvernement de simplifier cette procédure, pour garantir une diffusion plus efficace de l’information médicale à caractère génétique.

Cependant, elle a été attentive à ce que les intérêts de chacun soient préservés, qu’il s’agisse de la personne diagnostiquée ou de ses apparentés. À cet égard, il lui a semblé plus judicieux de renvoyer sans exception au droit commun de la responsabilité civile et de la représentation légale.

Le deuxième point porte sur l’extension du cercle des donneurs vivants.

L’Assemblée nationale propose d’étendre un peu plus le cercle des donneurs vivants d’organe à toute personne avec laquelle le receveur possède un lien affectif étroit, stable et avéré.

Dans son principe, cette extension ne pose pas de problème. Cependant, on peut craindre qu’elle ne soit détournée par certains pour permettre des trafics. Il est effectivement plus facile de simuler un lien affectif stable qu’un lien familial établi par un acte d’état civil. Au cours de son audition, le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris, chargé de vérifier le consentement du donneur d’organe et le respect des conditions légales, a confirmé à votre serviteur la nécessité d’appuyer cette extension sur des éléments objectifs, notamment une durée minimale fixe. Tel est le sens du délai de deux ans prévu dans les dispositions de l’article 5.

Le troisième point a trait à la suppression de toute condition liée à la stabilité du couple souhaitant recourir à une assistance médicale à la procréation.

En droit français, l’assistance médicale à la procréation est conçue en miroir de la procréation naturelle : elle vise à permettre à un couple de pallier l’infertilité qui l’empêche de procréer naturellement.

Elle n’a pas pour objet de rendre possible des procréations impossibles. Pour cette raison, elle répond à des conditions médicales strictes.

À ces conditions médicales s’ajoutent des conditions sociales qui rendent compte de l’intérêt, d’une part, de l’enfant à naître dans un couple parental stable et uni et, d’autre part, de la société, qui consacre certaines formes de parentalité. Le couple doit ainsi répondre au critère d’une certaine stabilité en étant, soit marié, soit en mesure d’apporter les preuves d’une vie commune d’au moins deux ans.

Initialement, le projet de loi prévoyait d’étendre cette condition de stabilité aux partenaires hétérosexuels ayant conclu un pacte civil de solidarité, un PACS. L’Assemblée nationale est allée plus loin puisqu’elle a supprimé cette exigence de stabilité au motif que la durée d’une assistance médicale à la procréation et les épreuves que cette dernière impliquait manifestaient suffisamment l’engagement du couple demandeur.

La commission des lois n’a pas jugé cette suppression opportune : la condition juridique de stabilité offre aux équipes médicales un fondement juridique pour refuser l’assistance médicale à la procréation à un couple qui ne présenterait pas les qualités de stabilité requises, et ce dans l’intérêt de l’enfant. Faire disparaître cette exigence de stabilité, c’est concrètement supprimer toute possibilité de contrôle sur la réalité du couple qui demande à recourir à l’assistance médicale à la procréation. Symboliquement, cela revient à réduire encore un peu les dispositions qui renvoient, implicitement, à l’intérêt de l’enfant à naître. La commission des lois a, en conséquence, déposé un amendement, adopté par la commission des affaires sociales, visant à revenir à la rédaction du Gouvernement, en substituant toutefois à l’exigence d’une durée de vie commune de deux ans les conditions fixées pour le concubinage.

Le quatrième point concerne la levée de l’interdiction du transfert post mortem d’embryons.

Le droit en vigueur interdit à la fois le transfert posthume d’embryons et l’insémination à titre posthume. Pour que l’assistance médicale à la procréation puisse avoir lieu, les deux membres du couple doivent être vivants. Le décès de l’un d’eux interrompt irrémédiablement le processus. L’Assemblée nationale a proposé de lever cette interdiction, dans des conditions très encadrées.

La question du transfert post mortem d’embryons s’est déjà posée en 1994 et en 2004. Chaque fois, le législateur a écarté cette solution. La question revient devant nous alors qu’elle ne concerne, mes chers collègues, qu’à peine un cas par an.

Aussi légitime et respectable que soit la détresse des femmes confrontées à une situation si dramatique, celle-ci ne peut, à elle seule, guider le législateur lorsque cela aurait pour conséquence une remise en cause majeure de principes et de garanties essentiels.

La commission des lois a jugé nécessaire que l’intérêt de l’enfant prime : l’assistance médicale à la procréation ne peut être conçue que dans l’intérêt de ce dernier, qui est de naître dans une famille constituée de deux parents qui pourront l’élever. L’intérêt d’un enfant ne peut être de naître orphelin. Le projet parental qui fonde le recours à l’assistance médicale à la procréation est celui d’un couple parental : il disparaît avec ce couple, lorsque celui-ci se sépare ou lorsqu’un des deux partenaires décède.

En outre, il faut souligner la complexité et l’incertitude du régime dérogatoire mis en place, notamment en matière de succession et d’établissement de la filiation.

Enfin, la commission des lois a considéré qu’autoriser le transfert post mortem d’embryons conduisait à ouvrir la voie de l’insémination posthume ainsi que celle de procréations envisagées dans un contexte de mort prévisible ou imminente. Ni l’une ni l’autre de ces voies ne sont, selon nous, souhaitables.

Pour toutes ces raisons, après avoir rappelé que le transfert post mortem d’embryons ne concerne qu’un nombre extrêmement faible de cas – à peine un par an, je le répète –, la commission des lois a déposé un amendement, adopté par la commission des affaires sociales, et qui a supprimé le dispositif proposé par l’Assemblée nationale.

Le cinquième point a trait à l’encadrement des neurosciences et de l’imagerie cérébrale.

L’essor des neurosciences et le développement des techniques d’imagerie cérébrale, qui ne font aujourd’hui l’objet d’aucun encadrement juridique, suscitent de nouvelles interrogations éthiques.

Les députés ont souhaité apporter un certain nombre de garanties juridiques à l’utilisation de ces technologies. Ils se sont, pour ce faire, inspirés de l’encadrement juridique prévu pour l’examen des caractéristiques génétiques des individus, car le souci sous-jacent est identique dans les deux cas de figure : la crainte que l’on puisse considérer que les gènes ou les configurations neuronales du cerveau, siège de la pensée, constituent la vérité de la personne et que l’on utilise ces savoirs pour prédire les comportements ou les représentations relevant du for intérieur de chacun.

Le dispositif proposé présente donc le mérite d’apporter un cadre juridique à une pratique dont on ne mesure pas encore suffisamment les vertus et les risques. Il appartiendra donc au législateur d’être vigilant sur les évolutions futures de la discipline et des usages qui en seront faits, afin d’apporter toutes les garanties requises.

Le sixième point concerne la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes.

L’Assemblée nationale a supprimé la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes, que le texte prévoyait initialement d’autoriser.

La commission des lois partage l’analyse des députés sur ce point : la levée de l’anonymat est susceptible de perturber l’équilibre que le législateur a tenté d’instaurer, dans le respect des principes bioéthiques généraux, entre l’intérêt de tous ceux qui prennent part à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur et l’intérêt des enfants nés de cette technique médicale.

Autoriser, par la levée de l’anonymat, le donneur à prendre une place dans l’histoire personnelle et familiale de l’enfant, fût-ce avec son consentement, fait surgir au cœur de la filiation un primat biologique qui menace à la fois le lien familial que la loi tente de créer et la perception que chacun peut avoir de ce lien.

La commission des affaires sociales a adopté un amendement de son rapporteur, visant à rétablir la levée partielle de l’anonymat. Ce dispositif peut apparaître plus cohérent puisqu’il prévoit que la levée de l’anonymat ne jouera que pour l’avenir et que les futurs donneurs donneront en toute connaissance de cause, sans pouvoir s’opposer à la transmission de leur identité aux enfants nés de leur don qui souhaiteront la connaître. Cependant, les mêmes objections peuvent être opposées à ce dispositif. La commission des lois vous proposera donc de ne pas adopter ces articles.

Enfin, plus que toute autre, la législation bioéthique appelle un examen prudent et responsable. Elle porte autant d’espoirs que de risques, de certitudes que d’incertitudes. Il revient au législateur d’arbitrer entre des exigences parfois contraires : répondre à une souffrance avérée, garantir la protection de la personne humaine, privilégier le respect de principes directeurs, pour mieux préserver les équilibres fondamentaux de nos sociétés. Les questions débattues nous imposent de choisir en conscience afin de concilier au mieux les intérêts de chacun, au bénéfice de tous.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste. – M. Jean-Claude Frécon applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en 1994, la France a fait le choix de confier la définition des règles collectives en matière de bioéthique à la représentation nationale.

Ce faisant, notre société a considéré que ces règles n’étaient pas intangibles, qu’elles n’étaient pas limitables à de quelconques tabous moraux ou politiques. Au contraire, notre société a estimé qu’elles pouvaient à tout moment évoluer en réponse aux aspirations sociales et qu’il incombait au Parlement, aux élus du peuple, d’en être les arbitres et les garants.

Depuis cette date, grâce notamment aux révisions des années 2000, de nombreux progrès ont été accomplis.

Sur le terrain juridique, une codification du droit de plus en plus précise a été opérée. Sur le terrain démocratique, les modalités de la concertation et du débat public ont sans cesse été améliorées, comme le prouve d’’ailleurs l’association permanente des organismes consultatifs, du Conseil d’État et de la société civile aux travaux du Parlement sur ces sujets. Sur le terrain de l’analyse scientifique, la création de l’Agence de la biomédecine, qui autorise et évalue les protocoles de recherche, a permis – dans une certaine hypocrisie parfois – à la recherche de ne pas régresser.

Nous nous trouvons aujourd’hui dans la situation où le Parlement, après avoir écouté la société, loin des pressions et des conceptions intimes des uns et des autres, doit trancher.

Quelle est notre responsabilité en cet instant ? Il nous faut distinguer, parmi les évolutions rapides de la biologie et de la médecine, celles qui peuvent constituer de réels espoirs d’amélioration de la santé humaine et de la vie sociale et celles qui viseraient à servir des entreprises lucratives ou qui bafoueraient les droits de l’homme, socle fondateur de notre vie en commun.

Réguler le champ des sciences de la vie en les confrontant à l’éthique de la dignité de la personne humaine est donc une tâche complexe, mais aujourd’hui impérieuse. Aussi est-il légitime que nous réexaminions la législation en ce domaine afin de rechercher une nouvelle convergence entre le développement des techniques biomédicales et la continuité des normes bioéthiques.

Le texte que vous nous avez soumis, madame la secrétaire d'État, ne nous semble pas y parvenir complètement. Selon nous, il s’agit davantage d’un texte de réaffirmation, de précision, d’ajustement, que d’un texte de développement, en quelque sorte, encore incomplet sur plusieurs points majeurs.

Heureusement, dans un certain nombre de domaines, la commission des affaires sociales l’a bien fait évoluer. Je salue, à ce propos, la volonté dont a fait preuve M. le rapporteur.

Espérons, madame la secrétaire d'État, que nos débats permettront d’améliorer ce projet de loi et que vous aurez le souci d’être à l’écoute de nos propositions.

Je reprendrai les principaux aspects du texte, en commençant par ses points positifs.

J’insisterai, premièrement, sur l’accord de fond qui s’est dégagé entre les différentes sensibilités sur le terrain des frontières morales de nos travaux : d’une part, l’intégrité de la personne humaine et, d’autre part, le refus de la marchandisation du vivant. Ce consensus est primordial, car il nous préserve de toute dérive et constitue le socle d’un débat serein.

Nous approuvons la redéfinition de la procédure d’information de la parentèle en cas de repérage d’anomalie génétique. Les notions complexes telles que le respect du secret médical et le droit d’information des tiers concernés nous semblent être conjuguées habilement.

De la même façon, les ouvertures qui sont faites en matière de facilitation du don d’organe sont utiles. Les risques mercantiles sont écartés et les possibilités d’échange devraient être augmentées par l’autorisation encadrée du don croisé. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que des efforts importants restent à développer en matière d’information et de promotion de la transmission d’organes, dans un pays où – il faut bien le dire – certaines pesanteurs culturelles continuent d’entourer cette pratique. Les articles 5 bis à 5 sexies portant, notamment, sur l’information en direction de la jeunesse vont, me semble-t-il, dans le bon sens.

En ce qui concerne la gestation pour autrui et la légalisation de la pratique des mères porteuses, dont il n’est d’ailleurs pas question dans le texte, mais qui ont été introduites à l’Assemblée nationale et qui ont également fait irruption – il faut bien le dire – dans le débat national depuis quelque temps, les avis convergent face aux dangers d’un détournement marchand d’une telle faculté. Sans nier la douleur des personnes dans l’incapacité d’avoir un enfant, nous pensons néanmoins que la société doit avant tout se prémunir de tout danger d’aliénation du corps humain. L’enfant n’est pas un produit, le corps de la femme n’est pas une matrice utilisable à loisir et par épisodes.

Reste, toutefois, le problème de la prolifération internationale de telles pratiques, qui exerce, il est vrai, une véritable pression sur la société française.

L’amendement présenté par M. le rapporteur sur ce sujet me paraît sinon empreint de naïveté, intéressant à analyser, car il est important que la législation française permette d’éviter la marchandisation dont je parlais précédemment. Et j’ai hâte de voir le sort qui lui sera réservé.

Pour beaucoup d’entre nous, l’adoption, qui est non pas un moindre mal, mais l’expression alternative d’un projet parental, répond parfaitement à notre conception de la parenté : le lien affectif et éducatif par-delà le lien génétique. Elle doit permettre de remédier aux souffrances vécues. Encore faut-il en améliorer les conditions d’accès, mais c’est un autre sujet qu’il conviendra de ne pas laisser de côté.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

J’en viens, maintenant, aux hésitations du texte et à des problématiques qui nous paraissent, pour l’heure, insuffisamment traitées ou précisées.

Concernant le problème de la levée de l’anonymat du don de gamètes en faveur des enfants majeurs qui souhaiteront connaître leurs origines, trois options nous sont actuellement offertes : le texte de l’Assemblée nationale, qui préconise le maintien de l’anonymat, faisant fi en cela de la demande de connaissance de leur identité d’un nombre toujours croissant de jeunes receveurs ; le texte du Gouvernement, qui lève l’anonymat, sous réserve de l’accord du donneur ; enfin, le texte de la commission qui ouvre toutes grandes les portes du refus de l’anonymat, mais en... 2032 ! Cela laisse augurer d’un débat long et acharné, mais certainement passionnant !

Pour ma part, à titre personnel, je pencherais plutôt pour l’adoption du texte du Gouvernement – une fois n’est pas coutume, madame la secrétaire d’État ! La filiation n’a pas un fondement exclusivement biologique ni exclusivement affectif ou éducatif, elle mêle intimement les deux. Le compromis gouvernemental, si je puis m’exprimer ainsi, me semble représenter un léger progrès, au moins aujourd’hui. Il constitue certainement une étape sur le chemin qui permettra de répondre à la nécessité éprouvée par un nombre de plus en plus important de personnes d’associer à la reconnaissance éducative la connaissance de leurs origines biologiques.

Dans le même ordre d’idée, nous regrettons, en ce qui concerne la restriction de l’accès à l’assistance médicale à la procréation, le maintien d’un critère de durée minimale de vie commune. La commission a ainsi fait le choix de rétablir la rédaction initiale du Gouvernement, alors que les députés avaient décidé de supprimer toute référence à une condition de stabilité du couple souhaitant s’engager dans un protocole d’assistance médicale à la procréation. En cela, la commission revient à une vision conservatrice de sa doctrine familiale, ce qui semble paradoxal, au vu de ce qui précède.

Je m’attarderai enfin sur la question fondamentale de la recherche sur les cellules souches embryonnaires à partir d’embryons surnuméraires destinés à la destruction. Nous demeurions, jusqu’alors, plus que sceptiques sur ce point essentiel et je dois avouer que nous apprécions à sa juste mesure l’évolution résultant des travaux de la commission.

Le glissement de la notion « d’interdiction sauf dérogation » – assez curieuse, d’ailleurs – au principe « d’autorisation sous conditions » nous paraît un message positif adressé à la société tout entière. Que de chemin parcouru depuis notre proposition rejetée en 2004 !

Si une telle disposition venait à être adoptée, la France trouverait là l’occasion de rectifier l’un des archaïsmes majeurs de sa pensée scientifique et morale.

Mme Catherine Tasca manifeste son approbation.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Alors, disons-le aussi nettement que possible, coupons court à l’hypocrisie coupable qui dure depuis dix-sept ans ! Oui, si l’utilité médicale collective en est la visée, la recherche génétique doit être autorisée. Nous effacerons alors la sémantique peureuse de l’« interdiction sauf dérogation », qui se solde, depuis 2004, par 90 % de suites favorables accordées aux demandes d’autorisations...

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

À nos yeux, l’immense promesse du progrès médical est un espoir qu’il faut encourager et non restreindre. Ayons confiance en nos chercheurs ! Ne mettons pas en doute, par une forme de scepticisme craintif, l’intérêt ni la légitimité de leurs travaux ! La France a la chance de disposer d’un système universitaire de recherche qui nous préserve assez bien des logiques purement économiques.

La liberté de recherche et le respect de la personne humaine ne s’opposent pas, surtout lorsque la perspective ultime du travail scientifique donne corps au droit des malades à espérer un traitement pour les maux dont ils souffrent.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

M. Bernard Cazeau. Ne privons pas d’espoir ceux qui sont en attente de soins, ceux dont un proche est atteint d’une maladie incurable, ceux qui souffrent d’être laissés sans solution ! Songeons au « bébé médicament », ce bébé mal nommé qui est en réalité celui de l’espoir et de la guérison !

Mme Marie-Thérèse Hermange manifeste son désaccord.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Personne, en médecine, ne cherche à créer un être post-humain, en dehors des règles de la nature ! Personne ne cherche à annuler le cycle de la vie humaine, comme le prétendait récemment un dignitaire de l’épiscopat. Ne jouons pas à nous faire peur ! En matière médicale, nous savons toutes et tous que la connaissance n’est pas synonyme de bonheur humain, mais qu’elle n’en est pas moins une condition incontournable.

Nous veillerons particulièrement, lors des débats, à ce qu’aucun recul ne vienne affecter ce texte dans le domaine de la recherche : ce sera une raison essentielle de notre choix au moment du vote.

Nous aborderons ce débat avec l’ambition de faire progresser le texte de la commission, de lui imprimer la marque laïque qui caractérise notre pensée politique. La science progresse, la famille se transforme, la société change et le simple catalogue de pratiques permises, tolérées, conditionnées ou interdites ne prendrait pas la mesure de ces bouleversements, madame la secrétaire d’État.

La société a besoin d’une déontologie adaptée à son temps, pas d’une pensée figée ! Aussi apporterons-nous le plus grand soin à compléter et à améliorer la loi, quand nous le pourrons, en gardant bien présent à l’esprit qu’il faudra y revenir, dans quelques années, pour promouvoir de nouveaux droits et pour permettre des avancées thérapeutiques et médicales, tout en protégeant la dignité des êtres humains.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la bioéthique revêt une portée singulière et essentielle.

Une portée singulière, parce qu’il nous interroge, dans notre for intime, sur notre conception de l’existence humaine et, finalement, sur l’avenir de l’homme, au moment où la science ouvre des perspectives vertigineuses, souvent pleines d’espoir, mais parfois aussi inquiétantes. Ce débat est singulier, parce qu’il nous incite à sonder notre conscience et à dépasser, évidemment, les réflexes partisans habituels. Quelles que soient notre sensibilité et notre appartenance politique, nous savons bien qu’une appartenance commune plus profonde, plus large aussi, nous rassemble : l’appartenance à une même humanité. Nous partageons, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, cette idée simple et forte que la dignité d’une personne, dans sa singularité, n’est pas négociable.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Ce projet de loi est également essentiel par ses enjeux : jusqu’où peut-on aller, jusqu’où ne doit-on pas aller, pour ne pas franchir des seuils anthropologiques au risque de blesser l’essence même de l’homme ? Ce projet de loi est essentiel parce qu’il n’a rien d’uniquement scientifique ou technique. En repoussant toujours plus loin les limites dans la maîtrise du vivant, nous modifions aussi l’échelle des valeurs qui fondent la vie en société. Les choix que nous effectuerons n’exprimeront pas seulement une vision de l’homme, ils renforceront ou affaibliront le lien social. En ce sens, ce débat est profondément politique.

Sur le fond, ce texte pose trois questions : quelles limites l’éthique doit-elle donner à la science et comment s’assurer que la science reste bien au service de l’homme ? Quels repères l’éthique doit-elle poser face aux demandes particulières, face à la liberté individuelle ? Enfin, quelles bornes l’éthique doit-elle imposer au marché, aux intérêts financiers qui, dans chaque avancée, voient d’abord une occasion de profit ?

La première question touche aux rapports de l’éthique et de la science. Bien sûr, la science est un formidable facteur de progrès. Elle s’identifie même à l’idée de modernité, mais notre modernité ne doit pas être uniquement l’emballement d’une grande machinerie qui, au nom d’une ambition prométhéenne, déclasserait une promesse d’humanité au rang de matériau de laboratoire.

De ce point de vue, l’abandon du régime d’interdiction, pour la recherche sur l’embryon humain, me paraît constituer une erreur.

Tout d’abord, le passage du régime de l’interdiction assortie d’exceptions au régime d’autorisation encadrée représente une évolution considérable, car il induit tout simplement une inversion radicale du principe de protection, qui s’inscrit dans une logique de déshumanisation progressive de l’embryon : en 1994, nous posons le principe d’interdiction stricte de toute recherche sur l’embryon humain ; en 2004, nous maintenons ce principe en l’assortissant de dérogations et, aujourd’hui, vous nous proposez d’autoriser la recherche sur l’embryon humain. Cet engrenage nous conduit à traiter l’embryon de plus en plus comme un objet et de moins en moins comme une personne humaine potentielle !

Ensuite, la rupture radicale que constitue cet abandon du principe d’interdiction ne se justifie pas, et ce pour deux raisons essentiellement.

La première est fondamentale : la loi civile, comme M. le rapporteur l’a rappelé, pose le principe intangible du respect de la personne « dès le commencement de sa vie » ; ce sont les termes de l’article 16 de notre code civil. Or le problème n’est pas de savoir si l’être humain est intouchable, mais à partir de quand on devient un être humain. Comment, en effet, définir et dater un seuil d’entrée dans l’humanité ? Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé n’a pas apporté de réponse définitive à cette question, mais il indique que l’embryon est « une personne humaine potentielle ». Effectivement, chaque étape de son développement est comme contenue dans l’étape qui la précède. Quand bien même aurions-nous un doute à cet égard, mes chers collègues, ce doute ne serait-il pas suffisant pour nous abstenir de traiter l’embryon comme un simple produit de laboratoire ?

D’autant plus qu’il existe désormais des solutions de rechange. Telle est la deuxième raison pour laquelle le principe de l’autorisation de la recherche sur l’embryon ne me paraît pas souhaitable, puisque d’autres techniques sont désormais disponibles…

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

M. Bruno Retailleau. Finalement, la science vient au secours de l’éthique en offrant au progrès d’autres voies moins intrusives et plus respectueuses.

Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

La seconde question porte sur les repères que l’éthique doit poser face aux demandes particulières, face à la liberté individuelle. Cette interrogation n’a rien de théorique, car la liberté individuelle devient une sorte d’horizon indépassable. Il suffit désormais qu’une demande s’exprime pour que l’on somme le législateur de l’entériner par la loi ! Ma conviction est que la tâche du politique n’est pas d’être le greffier des particularités ; au contraire, il lui appartient de promouvoir la chose commune. Comme disait Malraux, « l’individu s’oppose à la collectivité, mais il s’en nourrit ».

Deux sujets expriment bien cette tension entre les désirs des uns et notre identité collective.

L’assistance médicale à la procréation, tout d’abord : les innovations scientifiques ne doivent pas avoir pour objet de satisfaire toutes les aspirations individuelles et il ne saurait y avoir de « droit à l’enfant ». Sur ce sujet, je voudrais d’ailleurs saluer la position de notre commission, favorable à l’interdiction du transfert d’embryon post mortem.

Le dépistage prénatal illustre également ce conflit entre individu et société. La quête de l’enfant parfait, avec zéro défaut, est une tentation dangereuse.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

M. Bruno Retailleau. Le diagnostic anténatal comporte de fait un risque grave et sérieux d’eugénisme.

Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Comment comprendre ce chiffre terrible : 96 % des grossesses diagnostiquées trisomiques font aujourd’hui l’objet d’un avortement ?

Peut-on sereinement affirmer, dans ces cas, que l’application systématisée de ces techniques mène à un progrès, nous qui pensons tous qu’une civilisation, une société, se juge au sort qu’elle réserve aux plus faibles, aux plus petits ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Une société se juge au sort qu’elle réserve à ses enfants !

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Parce que l’humanité blessée, mes chers collègues, l’humanité différente, c’est encore l’humanité, c’est encore nous-mêmes !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Conclusion ! Votre temps de parole est dépassé !

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Alors, madame le secrétaire d’État, faisons au moins en sorte de consacrer au traitement de la maladie les mêmes moyens que ceux que nous dépensons pour ce seul dépistage.

Je conclus : l’enjeu de ce débat n’est pas l’opposition du progrès contre l’éthique, de la liberté individuelle contre le pacte collectif. C’est la défense même de l’humanisme qui est en cause. Dans l’histoire récente, il est souvent arrivé à l’homme de dégrader la nature ; ne prenons pas le risque d’abîmer, dans l’avenir, notre propre humanité !

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Barbier

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est l’aboutissement de la clause de révision inscrite dans la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

En réalité – comme il a été dit –, aucune recherche n’est venue bouleverser fondamentalement le champ de la bioéthique, ni poser de nouveaux défis depuis la promulgation de cette loi, si ce n’est l’émergence de la biologie de synthèse, dont il faudra un jour se préoccuper.

C’est surtout l’approfondissement des techniques existantes et leur diffusion croissante qui changent la dimension des problèmes.

Notamment, la mondialisation de la recherche engendre des tensions économiques et risque de favoriser à court terme le « moins-disant éthique », car elle s’accompagne d’une concentration des moyens financiers. Aussi est-il assez compréhensible que les chercheurs souhaitent une simplification des procédures. Il est vrai que celles-ci sont parfois inutilement contraignantes et qu’il est difficile de connaître à l’avance l’impact thérapeutique d’une découverte.

Comme le rappelait le professeur Henri Atlan, le chercheur s’efforce avant tout de sauvegarder sa liberté, de conduire ses travaux pour découvrir. C’est l’un des enjeux de la recherche fondamentale que la loi de 2004 paraît limiter, non sans une certaine hypocrisie d’ailleurs, mais j’y reviendrai.

Parallèlement, l’information scientifique et juridique circule très rapidement ; elle est très médiatisée. Juste ou fausse, elle suscite réactions, mais aussi espérances. L’utilisation du réseau internet permet aussi à chacun d’évaluer l’offre juridique en fonction de ses besoins. Un interdit peut être facilement contourné par un déplacement opportun vers un pays voisin dans lequel la loi est plus permissive.

Le « dumping juridique » et le « moins-disant éthique » font recette dans tous les champs couverts par la biomédecine : explosion des tests génétiques via internet, tourisme de transplantation et de procréation.

On voit bien, dans ce contexte, l’importance de notre débat de ce jour. Personnellement, je ne crois pas que le législateur se doive d’être « à la remorque » de la science pour toujours adapter la loi aux découvertes en cours et de répondre aux nouvelles demandes sociales.

Si la liberté du chercheur et celle de l’individu existent, le législateur doit – c’est sa vocation – créer le cadre et les conditions du « vivre ensemble ». « On entre véritablement en éthique », disait Paul Ricoeur, « quand, à l’affirmation par soi de la liberté, s’ajoute la volonté que la liberté de l’autre soit ». C’était poser comme valeur universelle, non pas la simple juxtaposition des libertés, mais la réciprocité. C’est tout le propos d’Axel Kahn sur le caractère au fond universel et intemporel des valeurs de respect de la personne.

Sur trois sujets, les attentes s’expriment désormais avec plus de force.

Le premier de ces sujets est la levée de l’anonymat dans le cadre des actes d’assistance médicale à la procréation, au nom du droit à connaître ses origines, sujet dont l’acuité se manifeste aussi par l’explosion des tests génétiques en accès libre sur le réseau internet. Dans bien des cas, il s’agit de satisfaire la curiosité de chacun sur ses origines familiales.

L’Assemblée nationale avait finalement décidé, à une large majorité, de maintenir le principe de l’anonymat. La commission des affaires sociales, sur l’initiative de son rapporteur, est revenue au texte initial. À mon sens, c’est une erreur : la rupture de l’anonymat comporte des éléments bien plus perturbants que l’ignorance de l’identité de son géniteur.

Elle aura vraisemblablement des conséquences sur le nombre des donneurs, qui risque de diminuer dans un premier temps. Par ailleurs, les parents seront tentés de cacher à leur enfant le mode de sa conception.

Compte tenu du recours toujours possible aux tests génétiques par les enfants devenus adultes, la découverte d’un secret aura des conséquences bien plus néfastes que la méconnaissance de ses origines. Comment réagira un enfant si sa mère ou son père biologique ne manifeste pas le souhait de le rencontrer ? Ou encore quelle sera la réaction de la famille du donneur en apprenant l’existence d’un autre enfant ? Les risques de conflits et de traumatismes psychologiques ne sont pas à écarter, particulièrement dans le cas où le donneur est une mère.

Il eût été plus raisonnable de permettre un accès aux seules motivations et données non identifiantes sur le donneur.

Le second sujet concerne l’accès à l’assistance médicale à la procréation. Certains souhaitent en effet l’ouvrir à des femmes célibataires ou à des couples de femmes. D’autres réclament la légalisation du recours à la mère porteuse.

Je ne juge pas les nouvelles formes de parentalité existantes ni les familles recomposées ou monoparentales. L’aspiration à « faire famille » ou à devenir parents n’est certes pas réservée à quelques-uns, mais crée-t-elle pour autant des droits sur la société ? Gardons aussi à l’esprit l’intérêt de l’enfant à naître…

Les techniques d’assistance médicale à la procréation étant lourdes et difficiles à mettre en œuvre, je considère qu’elles doivent être réservées aux stérilités médicalement avérées. Sur ce point, le projet de loi me satisfait.

Reste la question du transfert d’embryon post mortem, qui a déjà été évoquée. Dans le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, celui-ci était autorisé. La commission en a décidé autrement. Cette décision apparaît sévère pour le membre du couple survivant, qui peut, par ailleurs, consentir au don de ses embryons en vue d’un accueil par un autre couple.

J’ai donc déposé un amendement visant à autoriser le transfert d’embryon post mortem dans les conditions proposées par l’Assemblée nationale : consentement écrit du conjoint, délai de six à dix-huit mois après le décès de celui-ci, suivi psychologique de la mère.

Certains ont souhaité à nouveau porter le débat sur la gestation pour autrui en séance publique. L’encadrement strict qu’ils proposent à travers leurs amendements ne lève pas, selon moi, les objections de fond.

Cette technique remet en cause une règle fondamentale du droit de la filiation de la plupart des États occidentaux, selon laquelle la maternité légale résulte de l’accouchement : « Mater semper certa est ». Mais, surtout, elle ramène la gestation à une période neutre, impersonnelle, sans effet sur le devenir de l’enfant. C’est en définitive vouloir considérer que l’utérus n’est qu’un simple incubateur.

Pour Mme Badinter, « on peut porter un enfant sans faire de projet, sans fantasmer, sans tricoter une relation avec lui ». Je ne saurais affirmer le contraire, bien que les médecins démontrent chaque jour l’importance des échanges fœto-maternels.

Quoi qu’il en soit, une grossesse, ce n’est pas toujours simple : la mère porteuse n’est pas à l’abri de complications ; elle doit aussi affronter le regard des autres, celui de sa famille en particulier.

Qu’adviendra-t-il si sa grossesse se déroule mal ? Qui sera responsable ? Quel sera le sort de l’enfant si le couple d’intention ne le reconnaît pas ou, entre-temps, est dissous par la mort, une séparation ou un divorce ?

Toutes ces questions ainsi que celle du défraiement impliquent un contrat. Je le dis sincèrement, cela me choque et me bouleverse qu’on puisse établir un contrat sur un enfant à venir. Il est évidemment des couples que l’on souhaiterait aider, mais la loi doit poser des limites.

Enfin, le troisième sujet qui suscite des attentes concerne les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Contrairement à la position de l’Assemblée nationale, la commission des affaires sociales a supprimé l’interdiction de telles recherches au profit d’un régime d’autorisation strictement encadrée. On ne peut en effet que s’interroger sur la valeur d’un interdit de principe qui s’appuie sur des valeurs profondes et intangibles et pour lequel est aménagé de façon permanente un régime dérogatoire.

N’y a-t-il pas une hypocrisie à justifier le maintien du principe de l’interdiction par le souci de protéger l’embryon alors que la loi autorise le tri des embryons grâce au diagnostic préimplantatoire et la conception d’embryons surnuméraires qui sont voués à être détruits ?

Sur le plan scientifique, il n’y a plus grand sens, depuis que les cellules iPS ont été découvertes, à opposer recherche sur les cellules souches embryonnaires et recherche sur les cellules souches adultes, même si certaines pathologies doivent être traitées de préférence par les unes plutôt que par les autres.

Par ailleurs, un système qui interdit tout en organisant une transgression est illisible, malsain et culpabilisant pour les chercheurs. Les équipes françaises sont confrontées à un défi d’innovations technologiques très important. Le régime dérogatoire induit une instabilité juridique peu propice à attirer les jeunes chercheurs, les chercheurs étrangers et les investissements des industriels et des sociétés de capital-risque.

Il convient donc de mettre fin à cette sorte de suspicion à l’égard de la recherche sur l’embryon alors que tout le monde s’accorde à reconnaître la qualité des contrôles auxquels procède l’Agence de la biomédecine.

Il faut simplifier les démarches administratives imposées aux chercheurs, créer une banque de cellules souches gérée par l’Agence de la biomédecine et encourager la poursuite de la recherche fondamentale, sans privilégier telle ou telle approche.

Mes chers collègues, il est indispensable de s’interroger en permanence sur les meilleurs moyens d’utiliser les remarquables avancées de la recherche biomédicale, de prévenir au mieux les risques de dérive auxquels ces avancées peuvent conduire – en premier lieu, comme le révèle le grand livre de Stephen Jay Gould, le risque d’une Mal-mesure de l’homme, d’une réduction de la complexité, de l’identité et du devenir de la personne à ce que peut en dire la biologie.

Le texte de la commission, malgré les quelques questions que j’ai soulevées, me semble conserver les équilibres nécessaires entre les valeurs fondant notre société et les libertés individuelles. En l’état actuel, je le voterai.

Applaudissements sur les travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi, le troisième depuis 1994 à concerner le domaine de la bioéthique, a cela de spécifique qu’il nous interpelle tous au-delà de nos convictions politiques. Et pour cause ! La matière dont nous traitons n’est rien de moins que l’humain, avec la question fondamentale de l’humain en devenir, le vivant, avec la question de son inaccessibilité, ainsi que la place que nous entendons réserver à la science dans le cadre précis des deux précédentes interrogations.

Autant dire que les lois de bioéthique font systématiquement appel à des positions personnelles, à des convictions que chacun s’est intimement forgées, plus qu’à des positions partisanes ou politiques…

L’obligation qui nous incombe, à toutes et à tous, de définir pour l’avenir les règles d’éthique en matière de santé, de médecine et de recherche fait peser sur nous une responsabilité particulière. Il s’agit de trouver ce subtil équilibre entre ce que la science peut faire techniquement et le souci scrupuleux du respect de l’éthique.

Cette question primordiale entre le possible et le souhaitable ne doit pas être la propriété des seuls scientifiques. Elle doit être la ligne conductrice d’un véritable débat citoyen.

À cet égard, je me réjouis de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement qui est devenu, en l’état actuel du projet de loi, l’article 24 ter A, lequel tend à prévoir la possibilité d’organiser un débat public sous forme d’états généraux avant tout projet de réforme dans le domaine de la bioéthique. Cette proposition, que le groupe communiste et républicain avait avancée en 2003 et qui, à cette époque, ne fut pas retenue, trouve aujourd’hui sa concrétisation et permettra d’instaurer un véritable débat démocratique dans notre pays sur le sujet.

Ce débat est indispensable quand on mesure l’importance des décisions prises pour l’avenir. C’est un signal très positif envoyé à nos concitoyens.

Toutefois, cette satisfaction s’accompagne d’une déception. Nous sommes convaincus, au sein du groupe CRC-SPG, que l’importance des sujets traités, ainsi que la vitesse à laquelle progresse la science devraient conduire à prévoir dans la loi le principe d’une révision régulière – quinquennale, par exemple – des lois de bioéthique. Nous savons ce choix non partagé… Nous serons néanmoins très attentifs sur la question et nous rallierons aux propositions formulées dans ce domaine.

Par ailleurs, nous avons retenu une double approche pour nous interroger sur ce projet de loi : d’une part, l’application à la matière bioéthique d’un principe de responsabilité politique pouvant se résumer en une phrase, celle utilisée par le philosophe Hans Jonas – « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; d’autre part, le principe de non-commercialisation du vivant.

À cet égard, il est temps que notre législation aille encore plus loin. En effet, la directive européenne 98/44/CE sur la protection juridique des inventions biotechnologiques, adoptée en juillet 1998, reconnaît que le vivant est « brevetable sous certaines conditions ». Ce texte permet l’usage commercial d’une séquence génétique en vue d’une application industrielle mais, surtout, il vise à harmoniser les pratiques juridiques des différents États de la Communauté et à élargir le champ d’application du droit des brevets à l’ensemble du vivant.

Alors, me direz-vous, l’article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle, en prévoyant que « le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence totale ou partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables » est plus protecteur que cette directive. Soit !

Mais tout cela n’est pas suffisant puisque, d’une certaine manière, est autorisée la brevetabilité de certains éléments au titre de l’inventivité dans la mesure où, selon ce même article, sont brevetables les inventions constituant « l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain ». Nous sommes par ailleurs persuadés que notre droit doit prévoir expressément l’interdiction de l’appropriation économique, sous la forme de brevets, de tout ce qui est vivant, que cela soit humain, végétal ou animal.

On le voit d’ailleurs aujourd’hui dans l’agriculture : cette logique qui conduit certaines entreprises, bien souvent des multinationales, à s’approprier une plante ou un animal au prétexte qu’elles en auraient modifié un ou deux gènes pour le rendre plus résistant joue contre les agriculteurs et, dans une certaine mesure, contre les équilibres naturels actuels. Ce qui a préexisté à l’homme ne peut pas être breveté.

De la même manière, nous sommes satisfaits de la rédaction actuelle de l’article 7, qui pose le principe de l’utilisation allogénique des cellules hématopoïétiques du sang de cordon et du sang placentaire ainsi que des cellules du sang de cordon et du placenta, interdisant de fait les banques à finalité autologue.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

Nous considérons effectivement que l’existence de telles banques aurait constitué un retournement fondamental dans notre droit actuel puisque le don n’aurait plus eu qu’une finalité personnelle, et ce alors même que le procédé est loin d’être abouti.

Pour notre part, nous faisons nôtre l’analyse développée par le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, dans son avis n° 74, selon lequel « une autoconservation systématique, en dehors d’une justification médicale exceptionnelle, nie le don et constitue un obstacle à la constitution de banques pour les autres, qui supposerait une identification immunogénétique préalable au coût très important ». Et le CCNE de conclure : « Il semble que la conservation systématique de sang placentaire pour utilisation exclusivement autologue soit dans l’état actuel de la science, une illusion thérapeutique qui réponde davantage à des objectifs de marché. »

Cette conservation, mes chers collègues, si elle devait être autorisée, constituerait immanquablement une discrimination à l’égard de nos concitoyens les moins riches, le coût exorbitant de ces procédés les excluant de fait.

Nous considérons d’ailleurs qu’il nous faut aller encore plus loin et prévoir dans la loi expressément, comme nous le faisons dans l’amendement que nous avons déposé en ce sens, l’interdiction pure et simple des banques privées commerciales. Celles-ci suscitent des utopies et déguisent un but mercantile sous le prétexte de rendre service à l’enfant.

C’est la même préoccupation du refus de la commercialisation du vivant qui a conduit notre groupe, à l’issue d’une période de débats et de réflexion, à nous opposer à la gestation pour autrui, c’est-à-dire ce choix qui consiste pour un couple à demander à une tierce personne de porter en son ventre leur enfant.

Certes, les progrès de la technique permettent aujourd’hui de séparer la fécondation de l’enfantement lui-même, c’est-à-dire de distinguer en deux phases la grossesse de l’accouchement. Pour autant, nous ne souhaitons pas que se développe en France un commerce lié à la capacité des femmes à donner la vie. Cette capacité biologique ne peut faire l’objet d’aucun contrat ni d’aucun commerce, car l’inverse conduirait à les réduire à cette capacité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’un commerce.

Comme le dit justement l’appel « contre le marché des ventres », « là où elle est permise, cette pratique donne toujours lieu à une rétribution de la grossesse », ce qui a par ailleurs pour objet, et de manière indirecte, de donner un prix à l’enfant, comme on pourrait le faire pour tout produit commandé dont on attendrait la livraison. Convenez, mes chers collègues, que cela n’est pas souhaitable.

L’enfantement devient alors un service social où la sphère économique s’empare de la vie, avec cette particularité notable que, comme le souligne la philosophe Sylviane Agacinski, « dans les pays qui ont légalisé la gestation pour autrui, on constate que ce sont les femmes pauvres qui portent l’enfant des couples riches, et jamais le contraire ». Cela se vérifie en Californie, où fleurissent les annonces affichant clairement et sans détour : « Ventres à louer ». Et, comme le souligne l’appel contre le commerce des ventres que j’ai précédemment mentionné, « là où elle est autorisée, même très encadrée, comme au Royaume-Uni, la maternité pour autrui est toujours rémunérée, sous forme de salaire ou de “dédommagement”, bien au-delà de la couverture des frais médicaux. Et comment pourrait-il en être autrement ? ».

Tout cela n’empêche pas que, même en Californie, s’organise une forme de dumping social des ventres les moins chers, conduisant les couples désireux d’avoir des enfants à se rendre en Inde, où le prix d’un utérus, puis d’un ventre est plus faible. Comme le souligne encore une fois, et à raison, Sylvianne Agacinski, « la marchandisation n’est pas une dérive, elle est au cœur de cette pratique ». Cela tend à réduire, neuf mois durant, la mère dite de substitution à un simple espace dans lequel prendrait forme la vie. C’est assimiler la femme à un outil, inscrit dans une logique à laquelle nous refusons d’adhérer : la fabrication d’un enfant.

C’est pourquoi, malgré le désir compréhensible des couples qui veulent connaître les joies de la parentalité, nous voterons contre des amendements prévoyant de telles dispositions s’ils devaient être débattus, comme ce fut le cas en commission des affaires sociales.

Par ailleurs, nous saluons la rédaction de l’article 23, concernant les recherches sur les cellules souches, tel qu’il a été modifié par la commission des affaires sociales. L’état actuel du droit, c’est-à-dire le principe de l’interdiction de la recherche sauf dérogation, n’était plus approprié aux réalités scientifiques, et ses fondements reposent sur une chimère à laquelle nous n’adhérons pas.

Je tiens à le dire avec force, ce n’est pas dépasser notre humanité que de permettre aux scientifiques de faire, dans l’intérêt de tous, des recherches sur des embryons qui, parce qu’il n’y a plus de projet parental, sont destinés in fine à être détruits.

Le principe d’autorisation encadrée, tel qu’il est proposé dans cet article, nous paraît être aujourd’hui le cadre juridique le plus approprié, permettant à la fois aux scientifiques de travailler dans des conditions plus claires, notamment vis-à-vis de leurs partenaires européens, tout en évitant certaines dérives naturellement contestables.

Les conditions fixées dans cet article nous semblent suffisamment protectrices dans la mesure où, s’il existe une alternative à la recherche sur l’embryon, celle-ci sera privilégiée. Toutefois, à ce jour, contrairement à ce que prétendent les auteurs des amendements déposés en commission ou pour la séance plénière, qui affirment que ces recherches ne se concrétisent pas, celles-ci s’avèrent indispensables. Mieux, elles permettent de véritables avancées.

Ainsi, le journal La Croix, dans sa publication du 1er janvier dernier, mettait en évidence un cas important de réussites issues de ces recherches. On y découvre par exemple que le biologiste Marc Peschanski, qui mène des études sur la maladie de Steinert concernant près de 7 000 personnes, a pu mieux comprendre certains désordres dans la communication entre le système nerveux et les muscles. Mieux, il semblerait également qu’il ait pu identifier des composés pharmacologiques ayant un effet thérapeutique sur cette maladie. Ces résultats n’auraient pas été obtenus s’il n’avait pu disposer de la possibilité d’effectuer des recherches sur des cellules souches issues d’embryons atteints de cette pathologie et triés à l’occasion d’un diagnostic préimplantatoire. Cécile Martinat, chercheuse à l’INSERM et qui a contribué à ces travaux, le confirme elle-même : « Aucune autre approche expérimentale n’aurait permis aujourd’hui d’élucider ces mécanismes. »

Dès lors, pourquoi continuer à nous priver, dans un cadre juridique précis et protecteur, de telles capacités de recherches ? Pourquoi maintenir un système dont chacun s’accorde à dire, y compris ceux qui sont opposés à la recherche sur les embryons, qu’il est hypocrite ? Rien, d’un point de vue tant scientifique que social, ne nous y invite.

En outre, l’adoption en commission des affaires sociales d’un amendement interdisant la fabrication d’embryons chimériques, c’est-à-dire mêlant des cellules humaines et animales, s’inscrit précisément dans le cadre du respect de nos valeurs fondamentales.

Nous partageons également le souci de la commission des lois d’interdire le transfert post mortem des embryons. S’il est indiscutable que l’embryon a été conçu dans le cadre d’un projet parental, nous considérons que celui-ci est automatiquement dissout avec le décès du père potentiel et qu’il n’est pas dans l’intérêt d’un enfant de le faire naître orphelin au motif que les progrès de la médecine auraient rendu possible une telle situation.

Malgré le travail considérable réalisé par la commission des affaires sociales, qui aurait d’ailleurs peut-être nécessité, comme l’ont suggéré nos collègues du groupe socialiste, la constitution d’une commission spéciale, nous considérons que, sur certains aspects, le texte actuel n’est pas suffisant.

Tel est le cas de l’article 7, qui exclut enfin le placenta et le cordon ombilical de la catégorie des déchets et des résidus opératoires. Il nous semble que les extraire d’un régime existant, sans préciser de quel régime ils relèvent dorénavant, n’est pas satisfaisant ; c’est pourquoi nous avons déposé un amendement précisant que ces éléments sont dorénavant considérés comme des éléments du corps humain. Ce faisant, nous entendons leur apporter les protections juridiques nécessaires, évitant ainsi que ces éléments, qui peuvent dans l’avenir jouer des rôles importants, puissent faire l’objet d’une commercialisation.

C’est également le cas des mesures d’information à destination du grand public en matière de dons d’organes. Nous regrettons que la commission des affaires sociales les ait considérées comme redondantes avec le droit existant.

En effet, comme le souligne Guiseppe Poretto, le président de l’association France Adot, « même s’il y a eu une légère augmentation des greffes, on se trouve toujours en situation de pénurie d’organes, alors que le nombre de personnes inscrites sur la liste d’attente de don d’organe en France est, lui, en augmentation constante : 14 400 personnes en 2010, qui devraient pourtant pouvoir bénéficier d’une nouvelle vie, grâce à une transplantation ».

C’est la preuve, s’il en est, qu’il est urgent de renforcer tout ce qui favorise le don de vie. Et l’information du grand public est, en la matière, capitale. Car, si le taux de refus exprimé de son vivant est inchangé depuis des années, environ 32 %, alors qu’il n’était que de 28 % en 2007, les équipes médicales disent toutes être confrontées à une difficulté particulière, la réticence des proches lorsqu’ils ignorent la volonté du défunt. Une plus grande information nous paraît donc indispensable, et nous avons déposé des amendements en ce sens.

Nous considérons également qu’il est aujourd’hui urgent d’instaurer, à côté du registre national des refus, un registre positif qui pourrait regrouper le nom des personnes ayant clairement fait connaître leur volonté de donner leurs organes en cas de décès. Si le cadre juridique actuel protège la volonté de ceux qui ont décidé de ne pas donner leurs organes, rien ne garantit que le consentement de ceux qui souhaitent participer à leur manière au don de vie soit pleinement respecté. C’est à croire qu’il y aurait deux poids, deux mesures, selon que l’on refuse ou que l’on accepte de donner, comme s’il était légitime, en quelque sorte, de respecter l’autonomie de la décision des personnes refusant les prélèvements et de ne pas respecter celle des donneurs. Pour notre part, la volonté des uns vaut celle des autres, et les proches doivent accepter de respecter une volonté exprimée du vivant, quelle qu’elle fût.

C’est pourquoi nous avons déposé un second amendement afin de limiter la possibilité de s’opposer aux prélèvements, en cas de silence du défunt, aux seuls parents des enfants mineurs et, pour les majeurs, à la personne de confiance.

Toujours avec la volonté de garantir l’information de nos concitoyens en ce qui concerne le don d’organes, nous avons déposé un amendement prévoyant que le livret d’accueil remis à chaque patient hospitalisé intègre une information compréhensible par tous et que des locaux soient mis, dans les hôpitaux, à la disposition des associations qui promeuvent le don de vie.

Enfin, il ne faut pas le nier, nous sommes en désaccord sur quelques points.

Je pense par exemple à l’article 6, qui tend à opérer une harmonisation des règles juridiques quant au don de cellules souches hémiopatiques issues des prélèvements de moelle osseuse ou de prélèvement de sang périphérique. Ces derniers dons ne pourraient plus être effectués qu’après expression du consentement devant le président du tribunal de grande instance ou son représentant.

Pour notre part, nous estimons que le renforcement du formalisme prévu dans cet article peut avoir un caractère dissuasif, ce qui n’est pas souhaitable eu égard au faible nombre de donneurs actuels. Considérant toutefois que cette harmonisation est souhaitable, nous proposons que soit institué un formalisme identique, sous la forme d’un consentement par écrit, étant entendu que, selon nous, les équipes médicales sont naturellement capables de délivrer aux éventuels donneurs toutes les informations nécessaires.

Nous sommes également en désaccord sur l’article 20 ter de ce projet de loi, qui vise à informer les couples du devenir de leurs ovocytes, comme cela se fait pour les embryons. Cette information ne nous semble ni opportune ni souhaitable. Les couples qui ont accepté de donner leurs ovocytes à des fins de recherche scientifique consentent, de fait, à ce que des recherches soient effectuées ; cette information n’apportera rien de plus. Pis, on peut craindre que, au moment du don, les équipes médicales qui les reçoivent ne soient pas en capacité d’informer précisément les donneurs de l’utilisation précise qui sera faite des ovocytes. Cette disposition les placerait alors dans une situation délicate, vis-à-vis tant de la loi que des donneurs. C’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer cet article.

Vous le voyez, mes chers collègues, notre appréciation de ce texte est mesurée, même si nous reconnaissons que les apports de la commission des affaires sociales n’ont pas été négligeables et qu’ils vont même – permettez-moi de le dire – dans le bon sens.

Toutefois, nous n’ignorons pas que les dispositions de ce projet de loi peuvent être très mouvantes et que, parfois, la séance publique peut défaire ce que la commission a fait ou revenir sur des dispositions que nous jugeons pour notre part intéressantes. C’est pourquoi le groupe CRC-SPG ne prendra de décision sur son vote qu’à l’issue de l’examen du texte par notre Haute Assemblée.

Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les lois de bioéthique sont à la frontière du philosophique et du juridique. En effet, la biomédecine permet d’agir sur les fondements mêmes de la vie que sont le génome et l’embryon. Ces matières, qui échappent au tout-modélisable, au tout-conceptualisable, renvoient chacun d’entre nous aux limites de ses propres connaissances à un moment donné. Cette situation impose, plus qu’en toute autre matière, une grande vigilance de chacun afin de ne pas confondre le droit et la morale, l’intime conviction et les règles souhaitables compte tenu de l’état de la société.

Le double diagnostic préimplantatoire est un exemple emblématique de la réflexion que nous avons à mener. La morale – certains diraient l’éthique – commande d’en terminer immédiatement avec l’appellation et avec la pratique des « bébés-médicaments ». Le droit est sans doute plus nuancé : la technique doit pouvoir être permise comme ultime recours, mais uniquement comme tel. Et je me réjouis que, grâce à notre collègue Anne-Marie Payet, cette précision clé ait été apportée lors de l’examen en commission.

Le double diagnostic préimplantatoire n’est qu’un exemple. Plus généralement, pour se livrer à cet exercice à la fois fondamental et malaisé de législation, la France s’est dotée d’outils uniques au monde : les lois de bioéthique, dont voici la troisième génération.

Notre pays apparaît pionnier en la matière et nos lois de bioéthique sont reprises en droit international dans la convention d’Oviedo. Nous ne pouvons que nous réjouir que, sur l’initiative de notre commission des affaires sociales, le Parlement puisse – je l’espère – autoriser la signature de cette convention dans le présent texte.

Avec les lois de bioéthique, la France, contrairement à d’autres pays qui refusent d’approfondir la réflexion, prend le problème à bras-le-corps, ce qui est tout à son honneur, en posant les grands principes avec lesquels nous ne souhaitons pas transiger.

En tant que législateur, notre tâche est d’aider la recherche et la médecine à avancer sans porter atteinte à l’inviolabilité de l’humain, ce qui implique – les orateurs, dans leurs diversités, l’ont tous dit – que l’on ne puisse ni tout faire ni tout laisser faire. Tel est le principe qui gouvernera la façon dont le groupe Union centriste appréhendera le texte.

C’est ainsi que nous nous opposerons, comme 1’a fait la commission, au transfert d’embryons post mortem, ne serait-ce que dans l’intérêt de l’enfant. Après les « bébés-médicaments », nous ne voulons pas voir arriver – disons-le clairement – les « bébés-souvenirs ».

Bien sûr, une fois les grands principes posés, pour savoir exactement où placer le curseur, des divergences peuvent se faire jour au sein de notre groupe, comme au sein d’autres groupes d’ailleurs. En effet, les questions de bioéthique transcendent les clivages politiques traditionnels.

Ainsi en est-il de la question de la levée de l’anonymat du don de gamètes. Au sein de notre groupe, des voix, comme celle de Roselle Cros, s’élèveront pour défendre la position originelle du Gouvernement. D’autres soutiendront celle de l’Assemblée nationale ; d’autres encore celle de la commission des affaires sociales. Pour ma part, je m’exprimerai plutôt en faveur du maintien de l’anonymat.

Les opinions seront également diverses sur des sujets aussi sensibles que la gestation pour autrui ou la recherche sur l’embryon. À titre personnel, je ne suis pas favorable à la gestation pour autrui et je suis enclin à conserver le principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon, assorti d’exceptions. Mais, je le dis à l’intention des membres de mon groupe, en particulier de Mme la présidente de la commission des affaires sociales, cette position n’engage que moi.

Il est en revanche certains sujets importants sur lesquels les centristes parleront d’une seule voix. Ainsi sommes-nous favorables au droit à l’information concrétisé par la procédure d’information de la parentèle. Ainsi sommes-nous favorables, comme je l’ai déjà indiqué, à l’interdiction du transfert d’embryons post mortem.

Nous sommes également favorables à l’élargissement du cercle des donneurs, compte tenu de la pénurie d’organes vitaux, comme nous sommes favorables aux dons croisés. L’élargissement du cercle des donneurs vivants aux personnes qui ont un lien affectif étroit et stable avec le receveur est évidemment plus problématique. Mais, tel qu’il est encadré, il ne devrait cependant pas poser de difficultés.

Pour conclure, j’aborderai un point beaucoup moins éthique et plus technique : l’ordonnance relative à la biologie médicale, …

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

… qui n’a été que peu évoquée jusqu’à présent. Notre groupe soutient la démarche de la commission des affaires sociales du Sénat, laquelle a supprimé l’article qui en portait abrogation.

En effet, même si l’ordonnance pose certains problèmes réels, mais également bien identifiés, elle ne mérite pas d’être abrogée dans son entier. D’ailleurs, le Gouvernement s’est engagé – j’espère, madame la secrétaire d'État, que vous nous le confirmerez – à répondre, dans les plus brefs délais à toutes les questions que cette ordonnance a fait naître.

Nous voulons éviter la financiarisation et la concentration excessive des laboratoires entre les mains de certains groupes intéressés.

Debut de section - PermalienPhoto de François Zocchetto

Sur ce sujet, nous voulons obtenir des assurances du Gouvernement.

Il ne me reste plus qu’à rendre hommage au remarquable travail fourni par la commission des affaires sociales, qui a préparé ce débat fondamental très en amont en y associant tous les parlementaires dans leur diversité. La présidente de la commission, Muguette Dini, et le rapporteur, Alain Milon, ont su, au-delà de leurs propres convictions, faire vivre un débat dans lequel chacun semble avoir trouvé sa place.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Au moment où le pacte entre l’homme, la nature et la technique est brisé à l’autre bout du monde, nous voilà, monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, convoqués pour nous prononcer sur la maîtrise du vivant. Convoqués moins par vous, monsieur le président, que par la science, comme si celle-ci avait besoin de scribes exigeant des prescriptions légales et se retranchant derrière l’autorité des textes pour réaliser la matérialité des pratiques biomédicales actuelles, obérant bien souvent les déplacements anthropologiques que nous opérons au fil des années.

Car, en réalité, il est demandé au législateur de fixer des limites à des pratiques médicales et, du même coup, de consacrer, en les rendant licites, celles qui sont techniquement possibles pour opérer le passage du « tout est possible » au « tout doit être possible ». Or je crains, mes chers collègues, que, quel que soit notre vote, les scientifiques nous disent : « Vous avez juridiquement tort parce que nous avons scientifiquement raison. »

Tort, parce que nombre de scientifiques partagent les propos de Gaston Bachelard selon lesquels l’opinion, que nous représentons, « pense mal » tandis que la science a toujours raison.

Tort, parce que nous ne sommes pas des sachants et qu’en conséquence nous ne pouvons comprendre ce qui se cache et s’exprime sous les termes très savants de méiose, pluripotence, totipotence, cellules souches, cellules germinales ou somatiques… Tort donc, parce que, ne les comprenant pas, nous ne pouvons prendre la mesure de toutes ces techniques. Celles-ci peuvent être facteurs d’amélioration de vie, ce que nous ne pouvons nier, comme nous ne pouvons nier qu’il nous faudra toujours des Pasteur ou des Fleming pour espérer nous arracher à la fatalité de la maladie. Soit, mais jusqu’à quel prix ?

Ce prix, c’est la dignité de l’homme, qui n’est pas négociable. Or, que l’on approuve ou que l’on réprouve ces évolutions, les banaliser et les entériner comme un fait accompli serait, à mon sens, une erreur, car elles instaurent une rupture de sens et d’égalité par rapport à notre condition humaine. Une rupture de sens, puisqu’il s’agit d’opérer une nouvelle conception de l’homme en le confectionnant. Une rupture d’égalité, puisque la science, qui est la servante de la vie et doit l’aider sans la manipuler, sans l’anéantir et sans la détruire, peut aujourd’hui opérer l’inverse. En effet, elle a la capacité de sélectionner l’homme, de le stocker hors du temps et de le détruire.

Elle a la possibilité de sélectionner l’homme, d’abord.

Le dépistage systématique de la trisomie 21, dont le coût est de 100 millions d’euros pour la sécurité sociale, qu’aucun autre pays ne pratique avec un tel souci de performance et qui aboutit de surcroît à la disparition de 700 enfants sains par an en raison de faux positifs, finit par introduire une discrimination entre des êtres humains sur des critères biologiques. Si la décision prise appartient à chacun et est infiniment respectable, il en va tout autrement lorsque médecine et société considèrent d’un même élan qu’une telle pathologie fait partie de ce que l’on ne veut plus voir. C'est la raison pour laquelle je m’étonne, monsieur le rapporteur, que l’on puisse parler de balance bénéfices–risques à ce sujet. Je soutiendrai donc les amendements de Bernadette Dupont.

Le principe de sélection opéré par le diagnostic prénatal est manifeste à travers la technique de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, comme avec celle du diagnostic préimplantatoire. Dans le premier cas, le généticien choisit de sélectionner le donneur pour l’appareiller au receveur ; dans le deuxième cas, il choisit quel embryon réimplanter.

Aujourd’hui, nous allons passer du diagnostic préimplantatoire à la pérennisation du « bébé-médicament », ce que le Conseil d’État considère comme une double transgression. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement en la matière.

N’opérons-nous pas, dans toutes ces situations, le passage d’une logique aléatoire à une logique de détermination, passage aussi de la réalité du mystère de l’homme à cet homme défini biologiquement à partir d’un certain barème vital et fonctionnel ?

À quoi servent nos belles lois sur l’accessibilité pour les handicapés ? Ce qui constitue l’homme, n’est-ce pas sa capacité d’accueillir et d’aimer, éventuellement au prix de sa propre vie, pour que le plus vulnérable puisse vivre pleinement ?

À partir du moment où le souci de sécurité et le désir démesuré de tout connaître dominent la vie, n’aboutit-on pas à l’inverse, à ce qu’elle soit réduite et dévitalisée, à penser la vie moins comme un don que comme une réalité objectivable, jusqu’à vouloir maîtriser le temps ?

En effet, via la technique, le corps est désormais considéré comme un gisement précieux. Il fait l’objet d’un stockage, avec la cryoconservation du sperme, d’embryons et, demain, d’ovocytes. Nous sommes prêts à autoriser, sans contrepartie éthique, la vitrification ovocytaire alors qu’elle constitue un pas de plus vers une offre de fécondation in vitro qui dépassera de loin les seules indications médicales pour répondre aux demandes individuelles de femmes ménopausées, mais aussi pour la constitution, demain – les chercheurs le savent –, d’embryons anonymes.

De plus, comme le souligne Sylviane Agacinski, dans bon nombre de techniques, c’est toujours le corps de la femme qui se trouve instrumentalisé : un corps qui devient laboratoire, expérimentation, médicament, au profit des laboratoires, voire pour permettre la gestation pour autrui qui conduirait à la légalisation de l’abandon d’enfant.

Un homme est stocké hors du temps puisque la congélation d’embryons à moins 196 degrés a pour effet de suspendre le temps entre la conception et la venue au monde. Ainsi de cette femme de quarante-deux ans donnant naissance en 2010 à un enfant issu d’un embryon congelé depuis vingt ans, donné ensuite pour adoption à un autre couple !

Quelles limites fabriquons-nous ? Pour qui ? Pour quoi ? Pourquoi ces 150 000 embryons surnuméraires ? Ils sont en réalité destinés à la recherche, qui déroge à l’interdiction de créer des embryons pour les travaux des scientifiques en confiant aux seuls parents la responsabilité de fournir les embryons comme objets de recherche. Étrange conception, au regard de nos responsabilités, qui fait des parents soit les promoteurs soit les censeurs de la recherche !

Mais alors, l’embryon humain perdrait-il son droit à la dignité, faute de projet parental ? La personne âgée le perdrait-elle sans un projet filial porté par ses enfants ? Pourquoi, demain, ne pas retirer sa dignité à une personne isolée parce qu’elle n’aurait pas de projet fraternel porté par ses frères en humanité ?

La pratique du surnuméraire, qui va perdurer puisque le projet de loi la pérennise, validera une autorisation systématique de la recherche sur l’embryon, occultant les autres possibilités offertes par la science.

La science nous demande donc de ratifier un débat qu’elle estime avoir tranché. Sachons éviter cet écueil ! C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement tendant à limiter le nombre d’embryons surnuméraires.

Enfin, je veux évoquer la capacité de détruire l’être humain pour la recherche.

Sous la pression médiatique, les effets d’annonce occultent bien souvent les réelles avancées de la recherche et de la thérapie cellulaire. Pourquoi cette omerta sur les cellules souches issues du sang de cordon ombilical, alors que nous avons fait la première mondiale en 1987 et que, sans l’impulsion du Sénat, les cellules souches issues du sang de cordon seraient toujours considérées comme un déchet opératoire ?

Pourquoi invoquer toujours la difficulté de les stocker ? Pourquoi ne pas mettre en avant les travaux de nos médecins militaires qui offrent des applications thérapeutiques en cas de risque nucléaire, alors que les cellules souches embryonnaires ne permettent aujourd’hui – les médecins qui sont parmi nous le savent bien – que la modélisation de pathologies réalisables avec des cellules animales et des cellules souches pluripotentes induites ? Pourrions-nous faire comme si celles-ci n’avaient jamais existé ?

Pourrions-nous aussi omettre la récente révolution de nature juridique énoncée le 10 mars par le procureur de la Cour de justice de l’Union européenne ? Celui-ci indique : premièrement, que la notion d’embryon humain s’applique dès le stade de la fécondation à toutes les cellules souches embryonnaires totipotentes, dans la mesure où la caractéristique essentielle de celles-ci est de pouvoir évoluer en un être humain complet ; deuxièmement, qu’une invention doit être exclue de la brevetabilité lorsque la mise en œuvre du procédé technique soumis au brevet utilise des cellules souches embryonnaires dont le prélèvement a impliqué la destruction ou même l’altération de l’embryon.

Allons-nous nous mettre en porte-à-faux avec le droit européen en encourageant le criblage et la modélisation sur les cellules souches embryonnaires, alors que ces techniques, d’une part, n’ont qu’un but industriel et, d’autre part, peuvent être aussi bien faites sur des cellules souches pluripotentes induites ?

C’est la raison pour laquelle je vous proposerai de maintenir l’interdiction de la recherche quand celle-ci porte atteinte à la viabilité et à l’intégrité de l’embryon, car c’est bien ce qui fait une différence fondamentale.

On le voit, mes chers collègues, les développements biomédicaux confèrent à notre responsabilité des dimensions inouïes d’ambiguïté. Par les choix que nous ferons, nous traduirons une vision de l’humanité : soit nous considérons que c’est la science qui crée la vie, et donc que l’homme peut être un produit fabriqué par la science, soit nous considérons que c’est la vie qui crée la science et que la vie est un mystère qui nous dépasse, qui nous est donné et qui se donne, mais que nous voulons, avec notre raison, sans cesse maîtriser en la confectionnant nous-mêmes.

Oui, les avancées de la science doivent être souhaitées et saluées lorsqu’elles servent les êtres humains. Mais oui, ces avancées doivent être combattues lorsqu’elles se servent des êtres humains. C’est sur cette distinction et sur elle seule, mes chers collègues, que nous devons concentrer notre attention pour être parfaitement dans notre rôle de législateur.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – Mmes Anne-Marie Payet et Anne-Marie Escoffier applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Le Texier

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au sein des commissions, que ce soit au cours des débats ou lors des auditions, le travail autour de ce projet de loi sur la bioéthique a été passionnant, riche et déstabilisant.

Nombreux sont ceux qui ont vu, au fil des discussions, leur avis se préciser ou, au contraire, les doutes surgir. Une chose est sûre : de telles interrogations appellent non pas tant des avis tranchés qu’un travail de raison, parfois ardu, quelquefois insatisfaisant mais toujours stimulant.

Le débat est passionnel parce qu’il touche à la vie et à sa transmission, parce qu’il parle à l’individu autant qu’il renvoie à la notion d’espèce.

Préserver la dignité de l’individu, tout en permettant le progrès médical, c’est accepter de gérer une tension permanente entre des valeurs à affirmer et un inconnu à déchiffrer.

La manipulation du vivant fait peur. Elle heurte la notion de sacré chez certains, mais fascine les hommes depuis très longtemps. Elle porte aussi en elle nombre de promesses et répond à nombre de détresses. Les couples qui ont fait appel à la procréation médicalement assistée peuvent en témoigner, ceux en attente d’un avenir possible pour un enfant aujourd’hui condamné également.

Vouloir donner la vie ou vouloir la sauver est toujours noble. Ce qui l’est moins, c’est la tentation d’en faire un commerce et de réduire l’humain à une marchandise. Cet écueil, les lois bioéthiques ont été mises en place pour l’éviter et elles y sont parvenues.

Pour autant, les progrès de la médecine comme l’avancée de la société impliquent que cet équilibre puisse être régulièrement « interrogé », à l’aune de l’évolution de la science, mais aussi de celle des mentalités. Voilà pourquoi nous trouvons dommage que la clause de révision ait été abandonnée.

Certes, la loi a pour vocation de tracer des cadres durables, au sein desquels peuvent s’inscrire des changements. Mais les questions de bioéthique que posent les avancées scientifiques en sont encore à leurs prémisses et il serait prématuré de trancher un débat alors que l’objet même de nos discussions est en pleine mutation et que notre société entame à peine son processus de réflexion.

J’en veux pour preuve la situation dans laquelle se retrouvent tous les groupes politiques. Les lignes de fracture traversent, en effet, l’ensemble des courants politiques, au point que, sur nombre de sujets que nous allons aborder, le vote sera individuel.

Si, au sein du groupe socialiste, nous pensons tous que la recherche sur l’embryon ou les cellules souches embryonnaires doit être soumise au régime de l’autorisation encadrée, nous sommes partagés dès que nous abordons la question de l’anonymat des dons de gamètes, la gestation pour autrui ou encore l’implantation post mortem.

S’agissant de la recherche embryonnaire, si nous sommes favorables à un régime d’autorisation encadrée, c’est d’abord parce que la situation actuelle, faite d’interdiction assortie de dérogations temporaires ou permanentes, est illisible pour les citoyens et ingérable pour les chercheurs. De fait, elle assimile ainsi la recherche à une transgression et dévalorise une approche scientifique en la transformant en une démarche sulfureuse. Cette situation a une incidence sur l’investissement nécessaire à la recherche, car les autres pays ne comprennent pas ce choix, et nos médecins, nos chercheurs, nos laboratoires s’interrogent sur la pérennité des travaux qu’ils pourraient entreprendre.

Une telle attitude nous a déjà fait prendre beaucoup de retard puisque, ailleurs, ces recherches avancent. Or je crois vraiment qu’il vaut mieux favoriser la recherche dans les pays où l’encadrement éthique est réel, comme le nôtre, plutôt que se réfugier dans une posture d’interdiction et laisser ainsi le champ libre à des pays moins scrupuleux et moins attachés à la notion de dignité humaine.

C’est pourquoi je tenais à saluer le travail effectué en commission et l’implication de notre rapporteur, qui nous a fait sortir de l’hypocrisie d’une vraie-fausse interdiction pour enfin mettre en place ce régime d’autorisation encadrée que les praticiens attendent tous.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Le Texier

Je ne doute pas que, sur ce point, notre assemblée confirmera l’avancée réalisée par la commission des affaires sociales et reconnaîtra ainsi l’investissement remarquable des chercheurs de renom que nous avons auditionnés.

En ce qui concerne le don de gamètes, la levée de l’anonymat a fait l’objet de débats particulièrement intéressants sur la question des origines. Ceux qui veulent préserver l’anonymat s’inscrivent souvent dans une démarche où le projet parental suffit à établir l’origine. Ils privilégient la notion d’histoire à écrire par rapport à l’origine biologique. Pour eux, l’intérêt de l’enfant réside dans l’amour qu’il peut recevoir, l’éducation qu’on lui dispense, l’avenir.

Tout en partageant ce point de vue, ceux pour qui l’anonymat doit être levé considèrent néanmoins que nul n’a le droit d’empêcher un enfant d’avoir accès à ses origines.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Le Texier

Voilà pourquoi, après avoir longtemps hésité, j’ai décidé, pour ma part, de me prononcer en faveur de la levée de l’anonymat.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymonde Le Texier

Pour autant, je comprends fort bien la position de mes amis socialistes qui ont signé un amendement en sens contraire. Les observations qu’ils font sont pertinentes : pour un couple qui a un projet parental, il est plus facile de s’approprier le don de gamètes si celui-ci est désincarné ; les risques de baisse des dons et l’éventuelle augmentation du secret au sein des familles méritent également d’être pris en compte.

Toutes ces raisons, je les entends. Pour autant, peut-on refuser à une personne l’accès à l’intégralité de son histoire ?

Des débats de cette nature montrent bien que certaines questions ont besoin d’être revisitées, car nous ne pouvons pas aujourd’hui en mesurer toutes les conséquences. Se revoir dans cinq ans ne serait pas inutile, d’autant que nous n’avons pu dégager un consensus clair. Qui sait si, dans cinq ans, mes positions, ou les vôtres, n’auront pas évolué ! Et je choisis le terme de « position » à dessein, tant celui de « conviction » me semble, en la matière, inapproprié !

Autre point sur lequel les avis sont partagés, même si le groupe socialiste a clairement choisi de ne pas opérer de distinction entre stérilité médicale et stérilité sociale : la question de l’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels.

À partir du moment où nous nous accordons à dire que la filiation réside dans le projet parental et non dans la capacité biologique, pourquoi refuser l’accès à la procréation médicalement assistée – ou à l’adoption, d’ailleurs – à des couples homosexuels ?

Certes, si l’autorisation encadrée de la recherche sur l’embryon est finalement adoptée, nous aurons réglé des problèmes essentiels. Mais je considère que nous ne pouvons pas trancher définitivement les questions de nature sociétale. Elles méritent que l’on y revienne régulièrement, tant qu’un véritable consensus ne se fait pas jour.

La loi n’est pas un éteignoir ni un couvercle posé sur ce qui nous bouscule le plus. Sur ces thèmes-là, elle doit aussi faire confiance à l’évolution de sa société. Le débat sur la gestation pour autrui en est la preuve. L’amendement que certains membres du groupe socialiste présenteront sur ce sujet a pour objet d’ouvrir le débat. Cet amendement, qui émane d’une proposition de loi déposée par Michèle André, vise à autoriser la gestation pour autrui, tout en en définissant strictement le cadre : la gestation pour autrui ne concernerait notamment que les couples hétérosexuels dont la femme, faute d’utérus, ne peut porter un enfant.

La multiplication de ces pratiques à l’étranger et leurs conséquences en France s’imposent déjà à nous de manière très concrète. Nous connaissons tous le cas d’enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger et dont l’état civil fait l’objet d’une bataille juridique. Des dizaines d’enfants se retrouvent aujourd’hui ainsi apatrides. Or, en privant ces enfants d’état civil, est-ce que l’on agit vraiment dans leur intérêt ?

Je ne crois pas qu’il soit possible d’apporter une réponse, quelle qu’elle soit, à cette question au détour d’un amendement, même si, en l’occurrence, j’en suis signataire. Je n’en regrette que plus l’absence d’une clause de révision ; mais peut-être n’est-il pas trop tard pour revenir sur ce point. C’est tout le sens d’un autre amendement du groupe socialiste. N’ayons pas peur d’assumer notre part d’incertitude en rétablissant l’obligation d’organiser de nouveaux rendez-vous législatifs autour des lois de bioéthique, et, surtout, acceptons la nécessité de laisser du temps au temps.

Souvent mauvaise conseillère, l’urgence n’est jamais un bon maître. À ce titre, la future loi ne prendra tout son sens qu’à la condition de ne pas constituer le cadre définitif que certains espèrent. L’immobilisme en la matière serait délétère.

À partir du texte frileux issu de l’Assemblée nationale, le travail réalisé au sein de la commission des affaires sociales a permis de proposer une rédaction à la hauteur des enjeux de notre recherche.

Soutenir le passage d’un principe d’interdiction des recherches sur les cellules souches embryonnaires à une autorisation encadrée serait tout à l’honneur des sénateurs. Le maintien de l’interdiction a certes ses partisans, mais nous souhaitons ardemment trouver ici une majorité afin que la future loi relative à la bioéthique ne soit pas un rendez-vous manqué. C’est donc avec autant d’espoirs que d’inquiétudes que le groupe socialiste aborde la discussion du présent texte.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : comment, en cet instant, ne pas nous remémorer cette sentence de Rabelais, homme de science, médecin et humaniste qui, déjà à la Renaissance, alertait les hommes sur le difficile équilibre entre le progrès scientifique et le respect des valeurs essentielles des vertus aristotéliciennes ?

Aujourd’hui, au milieu des grands cataclysmes que nous vivons, et dont certains ont été fabriqués par la main de l’homme, nous avons le devoir de nous interroger.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Et ce devoir est absolu, incontournable lorsque la science s’intéresse non plus seulement aux choses, à la nature, mais à l’homme dans son essence même.

C’est là tout l’objet de l’éthique, dont la bioéthique n’est que l’une des formes, mais une forme qui touche à un enjeu d’humanité et met en cause, au plus profond de nous, notre conception de la vie. C’est un débat difficile – le plus difficile de tous – auquel nous sommes aujourd’hui confrontés, car, en ce domaine, il n’est pas de vérité.

Chacun des points de vue exprimés dans cette Haute Assemblée est respectable. Il est le reflet de la perception que l’on a du sens de la vie. Il est l’expression de notre conscience. Dès lors, notre devoir de parlementaire n’est-il pas d’inscrire dans une sorte de code de déontologie des principes pour ainsi dire universels, partagés, en faisant abstraction des techniques par définition évolutives, adaptables, qui contraindraient le législateur à un travail récurrent de mise à jour ?

C’est, me semble-t-il, le parti pris avec sagesse depuis la loi de 1994 qui a reconnu la primauté de la personne humaine et « le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

Le principe de dignité de la personne humaine est le fondement même de la loi de bioéthique, revue une première fois en 2004 et soumise à une nouvelle révision aujourd’hui.

C’est d’ailleurs à ce titre que, fort opportunément, le premier article du texte de la commission – l’article 1er A – autorise la ratification de la convention du Conseil de l’Europe signée à Oviedo en 1997 et protège ainsi l’homme d’une application incontrôlée de la biologie et de la médecine.

Il n’en reste pas moins que se pose le problème grave de la distorsion entre les législations et réglementations des différents pays qui ne partagent ni les mêmes façons de penser ni les mêmes modes d’action. De là les dérives, dont nous avons déjà de trop nombreux exemples, que constituent la marchandisation des organes, voire du corps, le tourisme procréateur. De là, aussi, le risque, souvent évoqué, d’eugénisme lorsque l’homme joue au démiurge.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Escoffier

Le texte présenté par le rapporteur de la commission des affaires sociales et par le rapporteur pour avis de la commission des lois s’attache à trouver la voie médiane, juste, entre une attitude par trop conservatrice et une attitude progressiste à l’excès, hardie, répondant à certaines actions appuyées de lobbying, portées par une société qui me paraît parfois en perte de repères. Je n’en examinerai ici que quelques dispositions.

Si, aujourd’hui, le don d’organes et de moelle osseuse ne fait plus débat, assis sur le double principe de gratuité et d’anonymat, en revanche, le don de gamètes et d’ovocytes pose la difficile question, derrière l’aspect génétique, de l’hérédité et de l’héritage. À mon sens, la raison – mais s’agit-il bien là de raison ? – voudrait que ce don restât anonyme, pour que soient protégés tant le receveur que le donneur, mais en évitant au demeurant que, si cet anonymat est levé à la demande du receveur à sa majorité, le nombre des donneurs ne diminue dangereusement, risque que certains ont évoqué.

S’agissant des tests génétiques et de la médecine prédictive, le texte proposé me paraît avoir trouvé un juste équilibre parce qu’il prévoit un encadrement clair et laisse toujours à la personne concernée la liberté de sa décision : savoir ou ne pas savoir, être ou non informée des risques encourus si une anomalie génétique grave devait être décelée.

Juste équilibre, mais équilibre fragilisé par le sens donné aux formules « anomalie génétique grave » et « affection d’une particulière gravité » dans le diagnostic prénatal, selon que l’on se place du point de vue du patient ou de celui du médecin prescripteur. Chacun de nous a vécu ou connu des situations qui ne prenaient ni la même intensité ni la même gravité selon la place ou le rôle occupé. Et comment s’indigner de l’attitude de tel médecin prescripteur qui, soumis à la « mode » de la judiciarisation galopante, prend des précautions pouvant sembler abruptes ? Là encore, aucune vérité absolue : à chacun de se déterminer en conscience, librement.

Tout aussi difficile est le débat sur les cellules souches embryonnaires, qui font actuellement l’objet d’un régime d’interdiction assorti de dérogations.

Comment renoncer à traiter certaines maladies – Parkinson, diabète – grâce à une médecine régénératrice, reconstituant, au moyen de cellules souches, des organes défaillants ou des tissus ayant subi des lésions ? Ne revient-il pas à la recherche médicale d’essayer par tous les moyens de faire reculer ces maladies ?

Les cellules souches embryonnaires ont commencé à révéler leurs potentialités. S’arrêter au milieu du gué, ce serait condamner des avancées médicales dont on a déjà pu mesurer les bienfaits.

Le régime d’autorisation encadré par le texte, même s’il est loin de répondre au problème du statut de l’embryon, apporte des garanties auxquelles je peux adhérer.

J’en viens au douloureux problème de la gestation pour autrui. Douloureux parce que, je ne l’ignore pas, il existe des cas de maladie ou d’accident qui interdisent à des femmes d’être mères, ou plutôt de porter l’enfant du couple qu’elles forment avec leur conjoint.

Pour ces femmes, et sous des conditions strictes, il pourrait paraître légitime – ou du moins ne pas paraître illégitime – d’admettre le principe de la gestation pour autrui. Cependant je ne peux, en conscience, accepter le principe de ce contrat portant location d’utérus à des fins procréatrices, qui remet en cause la dignité de la mère porteuse, qui l’instrumentalise, en fait un outil vivant. Je m’interroge sur les conséquences de cette forme de commercialisation du produit humain, sur les marques, peut-être indélébiles, que pourrait laisser cette pratique dans la conscience de la mère porteuse. Quelles conséquences aussi sur l’enfant lui-même : qui est sa mère ? Quelle est, au juste, sa filiation ?

Je crois sage la position de la commission lorsqu’elle a choisi d’écarter les deux amendements « progressistes » qui auraient permis le recours à cette technique, une technique dont l’utilisation aurait pu être élargie à d’autres bénéficiaires.

Je pense que la commission a aussi été sage en voulant protéger la dignité des personnes et en remettant l’humain au cœur du débat, pour ne pas laisser la place première à la science seule.

Enfin la commission des affaires sociales et la commission des lois ont encore fait preuve de sagesse en faisant en sorte de garantir, dans le texte proposé, le développement intégral de l’homme. Ce développement exige de nous lucidité et responsabilité, deux qualités qui, je n’en doute pas, sont au cœur de notre Haute Assemblée.

Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Antoine Lefèvre

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voter les lois de bioéthique est une grande fierté pour un parlementaire, mais c’est aussi un grand défi.

Voilà maintenant vingt-huit ans que la bioéthique fait partie de notre quotidien, depuis la création du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Toutes nos sociétés sont concernées.

Certaines nations ont fait le choix d’une approche éthique moins exigeante et moins régulatrice que la nôtre. En effet, dans ce domaine, il n’existe pas de consensus international. La France, quant à elle, a pris le parti de respecter certaines valeurs essentielles qui cimentent notre société.

En effet, la bioéthique, la « morale du vivant », touche à l’intime conviction de chacun, et nous nous devons d’être prudents sur des sujets tels que le don croisé d’organes, la recherche sur l’embryon et les cellules souches, le diagnostic prénatal, la levée de l’anonymat, la conservation de gamètes et d’embryons, le transfert post mortem d’embryons ou encore la gestation pour autrui.

Les avancées scientifiques et les développements rapides des techniques médicales fascinent, et ce projet de loi suscite de grandes attentes, parfois contradictoires.

Nous devons donc, à travers notre législation, affirmer un certain nombre de valeurs, qui ne peuvent relever du « moins-disant » éthique, indépendamment de ce qu’autorisent nos voisins étrangers.

La prudence est requise sur tous ces sujets – par exemple, sur celui de l’euthanasie, qui a récemment déclenché de grands débats –, et l’actualité nous le rappelle parfois de façon dramatique.

Prudence, donc ! Mais sachons aussi, pour nos compatriotes, rester audibles.

Dans le temps qui m’est attribué, je ne développerai pas tous les thèmes de cette révision, révision pour laquelle nous serons amenés à nous retrouver de plus en plus fréquemment étant donné les nécessaires ajustements consécutifs aux avancées scientifiques importantes.

En tant que jeune parlementaire, mais aussi en tant que jeune père de famille, je vais m’efforcer de relayer, notamment, les attentes, très souvent fort douloureuses, de tous ces couples en désir d’enfant.

Je m’attacherai tout d’abord à la question de la procréation médicalement assistée. Actuellement, 20 000 enfants sur 800 000 naissent grâce à cette technique. Cela est loin d’être négligeable. Il peut s’agir d’insémination ou de fécondation in vitro, éventuellement avec don de sperme ou d’ovocytes. J’insisterai sur la possibilité d’autoriser – dans des limites temporelles très précises – le transfert d’embryon après le décès brutal du père, dès lors que celui-ci avait préalablement donné son consentement et qu’un processus de transfert, correspondant à un véritable projet parental d’assistance médicale à la procréation, était entamé.

Certains objecteront qu’une telle mesure conduit à « faire naître des orphelins », des enfants sans père. Reconnaissez néanmoins que ces enfants ne seraient pas seuls à être élevés dans une famille monoparentale et que bien d’autres enfants se retrouvent sans père.

Un enfant né dans de telles conditions reste l’enfant de l’amour de la mère et du père décédé, et un enfant peut se construire autour d’un père absent. Un père décédé est encore un père et il demeure une référence pour l’enfant.

Dans un avis très récent, le Comité consultatif national d’éthique affirme que « dans le cas du transfert d’un embryon conçu du vivant du père, le futur enfant a déjà une forme d’existence procédant des deux membres du couple ». Cette forme d’existence est bien différente de celle d’un enfant à naître dont la conception procéderait de l’utilisation post mortem du sperme d’un père mort depuis plus ou moins longtemps.

Enfin, lors des états généraux de la bioéthique, nos concitoyens ont qualifié l’actuelle impossibilité de transfert de « violence », estimant que « l’autorisation donnée à une femme de poursuivre une grossesse est apparue comme une évidence ».

La commission spéciale de l’Assemblée nationale a proposé d’ouvrir cette possibilité et elle a été suivie par les députés en première lecture. Je soutiendrai donc un amendement tendant à rétablir l’article 20 bis.

Je souhaite également insister sur le principe du maintien de l’anonymat relatif au don de gamètes, anonymat qui prévaut également pour les dons d’organes.

À ce jour, 50 000 personnes sont nées à partir de gamètes provenant de donneurs. Il ne faudrait pas, en revenant sur l’anonymat, même de façon partielle comme cela est aujourd’hui proposé, installer une sorte de discrimination entre les enfants ayant accès au nom de leur donneur et ceux qui, du fait du refus de ce dernier, n’y auraient pas accès.

Les conséquences de la levée de l’anonymat ne se résument pas à une chute prévisible du nombre donneurs. En effet, la préoccupante question du secret demeure. Alors que, dans le système actuel, moins d’un quart des enfants conçus à partir d’un don de gamètes sont informés de leur mode conception, on peut présumer que, dans le cas d’une levée de l’anonymat, les parents renonceront à livrer cette information à leur enfant.

Si le principe de l’anonymat est sans doute imparfait, il permet d’éviter des dérives et des conduites non éthiques. Je salue donc la position de la commission des lois sur le maintien de la suppression des articles 14 à 18, relatifs à la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes. Je proposerai également des amendements en ce sens puisque la commission des affaires sociales, saisie au fond, s’est prononcée dans un sens différent.

S’agissant du don d’organes, force est de constater le manque récurent de greffons. Ainsi, en 2010, faute de greffe, 277 patients sont décédés alors que seulement 28 % des Français ont spécifiquement exprimé leur refus de prélèvement.

La loi autorisant le don n’est pas bien appliquée, notre population n’est pas suffisamment informée, alors même que le principe de la transplantation est largement accepté.

Comme l’a signalé notre collègue député le professeur Jean-Louis Touraine, par ailleurs président de France transplant, qui n’a pas le souvenir d’un seul patient ayant opposé une réflexion philosophique lorsqu’une greffe lui a été proposée, nul n’est contre la transplantation quand il s’agit d’en bénéficier !

Or les circonstances dramatiques dans lesquelles la famille est appelée à faire éventuellement part d’un refus de don – exprimé de son vivant par la personne décédée – la conduisent souvent à prononcer un refus, et cela, parfois, sans doute, en contradiction avec la volonté du donneur potentiel.

Faciliter les dons croisés d’organes entre personnes vivantes et encourager le don d’organes reste donc une priorité.

Je parlerai rapidement de la gestation pour autrui, interdite en France. Le rapport publié en 2009 par le Conseil d’État insistait sur les dérives contraires aux droits de l’enfant qu’elle sous-tend.

Le 10 mars 2009, l’Académie de médecine s’est prononcée contre la législation des mères porteuses, alors qu’un rapport d’information du Sénat, établi en 2008, s’y déclarait favorable, sous réserve d’un encadrement très strict, et que le Comité consultatif national d’éthique estimait, en mai 2010, que la gestation pour autrui comportait des risques éthiques qui ne seraient abolis par aucun garde-fou législatif.

Je me félicite donc que cette disposition, pour des raisons évidentes de non-marchandisation du corps de la femme, ne figure pas dans le texte de la commission. Vous l’avez rappelé tout à l’heure, madame le secrétaire d’État.

Toutefois, cette interdiction française n’empêche pas les dérives et pousse à une sorte de « délocalisation procréative » qui n’est pas exempte de risques

La décision qui sera rendue demain par la Cour de cassation sur la retranscription de l’acte de naissance de deux petites filles nées d’une mère porteuse aux États-Unis est donc très attendue. Il faudra bien un jour trouver un cadre juridique pour les enfants nés de cette manière, car ils sont bel et bien là ! Quid de leur état civil ?

Debut de section - PermalienPhoto de Antoine Lefèvre

S’il est vrai que les questions de bioéthique font appel à des principes et des convictions qui dépassent les clivages partisans, abordons cette révision dans le respect de l’avis de l’autre, avis qui se nourrit souvent des expériences humaines de chacun.

Pour ma part, je souhaite que ce texte puisse réunir le plus large des consensus.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Payet

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique, que le Sénat entame cet après-midi, nous place loin des divisions politiques classiques qui opposent, sur de nombreux sujets, une droite conservatrice et une gauche moderniste. Il ne s’agit pas, ici, de raisonner par réflexe idéologique ou tradition partisane. Le débat qui nous anime est d’une tout autre nature : il s’agit de nous interroger sur la conception que nous nous faisons de l’homme et, en premier lieu, du fragile embryon humain.

Le texte qui nous est soumis appelle d’abord une réflexion générale. Depuis 1994, le législateur ne s’est pas départi d’une conception utilitariste de l’embryon humain. Cette conception le conduit à distinguer entre les embryons qui répondent à un projet parental et ceux que n’accompagne pas un tel projet, vulgairement appelés « embryons surnuméraires », comme s’ils étaient « en trop » pour l’humanité. Les uns, destinés à voir le jour, sont considérés comme des êtres humains, alors que les autres vont devenir, demain plus encore qu’en 2004, des matériaux de recherche pour les scientifiques. Dans les deux cas, pourtant, il s’agit bien, à la base, d’un même embryon humain.

Le critère de distinction entre ces deux catégories d’embryons est purement subjectif et tient au projet que leurs parents conçoivent pour eux. Est-il acceptable, dans une démocratie digne de ce nom, que l’humanité d’un être dépende d’un regard subjectif autorisé par le bon vouloir du législateur ? Au nom de quel principe un être humain, fût-il législateur, peut-il décider de nier l’humanité et les droits élémentaires de toute une catégorie d’êtres, sous prétexte que ce sont des embryons et ne répondent pas, ou plus, à un projet parental ?

La grandeur de la civilisation ne consiste-t-elle pas, au contraire, à reconnaître la dignité inaliénable et intangible de chaque être humain, quel que soit le «projet » que d’autres ont formé pour lui ?

Je ne peux, à cet égard, m’empêcher d’évoquer un rapprochement qui me vient à l’esprit. Il s’agit de la chosification, dans nos anciennes colonies, jusqu’en 1848, d’une autre catégorie d’êtres humains, du fait du «projet social » que d’autres avaient conçu pour eux et malgré eux.

Debut de section - PermalienPhoto de Anne-Marie Payet

Comme le soulignait à l’époque Victor Schœlcher à propos de l’abolition de l’esclavage, « la République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle ne croit pas qu’il suffise, – pour se glorifier d’être un peuple libre –, de passer sous silence toute une classe d’hommes tenue hors du droit commun de l’humanité. Elle a pris au sérieux son principe… Par là, elle témoigne assez hautement qu’elle n’exclut personne de son éternelle devise : Liberté, Égalité, Fraternité. »

Ces phrases auraient-elles perdu de leur actualité ? On pourrait être conduit à le penser !

Prenons, par exemple, le cas du « bébé médicament », qui n’est plus voulu pour lui-même, mais pour sa compatibilité génétique avec un frère ou une sœur malade déjà né. Imaginez les réactions psychologiques d’un enfant à qui l’on annoncerait que son patrimoine génétique ne doit rien au hasard, mais tient au fait que son cordon ombilical était recherché pour soigner son frère !

L’interrogation demeure aujourd’hui ! L’être humain ne peut être voulu que pour lui-même, et non d’abord parce qu’il répondait hier à un « projet social » et qu’il répond aujourd’hui à un « projet parental » ou à un « projet » de guérison d’un frère ou d’une sœur !

Venons-en maintenant au cœur du projet de loi.

Deux dispositions, modifiées par la commission des affaires sociales du Sénat, ont particulièrement retenu mon attention. Il s’agit, d’une part, de l’extension de la proposition du diagnostic prénatal et, d’autre part, de l’autorisation de la recherche sur les embryons.

La commission des affaires sociales du Sénat a rejeté l’amendement sur le dépistage prénatal voté par l’Assemblée nationale, qui dispose que les médecins proposent le dépistage prénatal aux femmes enceintes « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Supprimer cette dernière limite revient à soutenir que les médecins sont tenus de proposer ce dépistage prénatal à toutes les femmes enceintes, de façon systématique.

Juridiquement, cela instaure un eugénisme d’État ! En effet, on inscrit dans la loi un élément de contrainte qui s’imposera aux médecins à une étape déterminante du dispositif. Il est important d’avoir à l’esprit que 96 % des fœtus diagnostiqués porteurs de trisomie 21 donnent lieu à une interruption médicale de grossesse et que le prélèvement du liquide amniotique à travers l’abdomen provoque deux fausses-couches d’enfants « normaux » pour une trisomie dépistée !

L’obligation, pour les médecins, d’organiser un dépistage prénatal induit une problématique d’eugénisme particulièrement aiguë, après quinze ans de pratique pour la trisomie et, aujourd’hui, en raison de la mise au point permanente de nouveaux tests ainsi que de la volonté de prévenir tout risque.

La trisomie 21 est particulièrement visée par ce dépistage. On signifie donc aux futures mères et à toute la société qu’il serait insupportable d’assumer la maternité d’un enfant atteint de trisomie 21 ! Quel signal envoyons-nous alors aux familles qui ont fait le choix d’accueillir un enfant trisomique ! Cette évolution pourrait être la source d’une tragique stigmatisation de ces personnes !

Imaginez que le dépistage prénatal existe depuis longtemps et que l’on ait ainsi pratiqué au cours des siècles passés cette sélection de l’enfant sans maladie. De grands génies comme Mozart, atteint du syndrome de la Tourette, Beethoven, atteint de la maladie de Paget, ou encore Lincoln et Mendelssohn, victimes du syndrome de Marfan, et bien d’autres auraient été éliminés avant même de voir le jour ! Aujourd’hui, à chaque jour qui passe, c’est Mozart qu’on assassine, non pas musicalement mais physiquement !

Imagine-t-on parvenir à ce « meilleur des mondes » que dépeint si bien Aldous Huxley sans nous amputer d’une grande part de notre humanité, du génie de certains et de l’apport considérable d’autres ? Et tout cela au nom de l’efficacité économique, du refus de la faiblesse ou, pis, du confort ?

Je ne peux pas ne pas vous renvoyer à l’article 16-4 du code civil, aux termes duquel « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite ».

S’agissant de la recherche sur les embryons, la commission a voté le passage d’un régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation. Ce choix signe une rupture radicale avec le choix de la France de respecter la vie et la dignité de l’embryon humain dès le commencement de son développement. L’article 16 du code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

Si l’on veut prendre les problèmes à leur source, il faut réduire le nombre d’embryons « surnuméraires », car les chercheurs justifient leur utilisation à des fins de recherche en arguant de l’inutilité de ces embryons dans les congélateurs des CECOS dès lors qu’ils ne répondent plus à aucun «projet parental ». N’effectuer aucune congélation et réimplanter immédiatement les embryons artificiellement fécondés me paraît constituer la solution la plus sage. J’ai déposé des amendements en ce sens.

Le législateur ne se donne-t-il pas un pouvoir illimité sur l’être vivant ? Le philosophe Jürgen Habermas, dans son ouvrage L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral, metsolennellement en garde l’Occident contre une telledérive : « Doit-on laisser les sociétés réguler notredestin génétique ? »

Pour ma part, mes chers collègues, je vous invite à réfléchir en conscience aux enjeux éthiques que recèle un tel projet.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Monsieur le président, mes chers collègues, comme l’ont dit tous les intervenants qui m’ont précédé, ce débat est difficile, car le parlementaire doit à la fois concilier des impératifs souvent contradictoires et trancher. Le choix sera peut-être douloureux pour tel ou tel d’entre nous, mais notre devoir est de nous abstraire des conditionnements aliénants que notre vie, notre éducation, nos convictions religieuses ou nos origines nous imposent souvent, pour appréhender l’intérêt général.

En l’occurrence, la recherche de l’intérêt général par le législateur trouve son origine, me semble-t-il, dans le progrès scientifique et médical qui nous épouvante souvent, mais aussi dans l’évolution de la société, au sein de laquelle des demandes nouvelles, des débats inédits, liés à ce progrès, surgissent et nous interpellent vivement.

La question de savoir si le progrès technique en matière médicale est synonyme de progrès humain a été tranchée depuis longtemps : par la négative.

Il nous appartient donc d’encadrer, en tenant compte des attentes de la société, des possibilités nouvelles qui s’offrent à nous et de nos valeurs communes, notamment l’intérêt de l’enfant à naître.

Pour ma part, je pense qu’il n’existe pas un droit à l’enfant, mais plutôt le droit pour des enfants d’avoir une famille, et il me semble que l’adoption peut être une réponse pour de nombreux couples en détresse.

Mme Bernadette Dupont applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Je me bornerai ici à évoquer des questions tournant autour de la procréation médicalement assistée au sens large, c’est-à-dire la venue au monde d’enfants par des voies qui ne sont pas considérées comme naturelles.

Mes positions suivront un double fil conducteur.

Tout d’abord, j’ai toujours pensé que ce qui différenciait essentiellement l’homme, l’homo sapiens, des autres animaux, c’est qu’il s’inscrit dans une lignée, qu’il connaît ses origines : il doit donc pouvoir les connaître. Je suis par conséquent favorable à la levée de l’anonymat en ce qui concerne le don de gamètes.

J’entends bien les objections mais, pour moi, elles se heurtent au principe fondamental que je viens d’énoncer. Je ne crois pas, contrairement à Mme Françoise Héritier, que l’éducation seule peut structurer la personne. La filiation n’est pas seulement un acte de reconnaissance sociale, c’est aussi un acte biologique.

Soyons francs : si une grande majorité de personnes se prononcent contre la levée de l’anonymat, c’est peut-être parce que celui-ci est le principe pervers sur lequel repose l’ensemble des lois de bioéthique,

Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

… notamment les dispositions concernant la procréation médicalement assistée.

Je n’accepte pas le postulat de l’anonymat. J’entends les demandes angoissées de ceux qui, sans pour autant vouloir transformer leur cercle familial, cherchent à savoir d’où ils viennent et je suis convaincu que l’on ne peut construire une société sur le mensonge et la dissimulation.

À cet égard, le Conseil d’État, dans son avis de 2009, a dit mieux que moi ce qu’il fallait en penser. Il s’agit principalement d’une démarche tendant à mieux se construire personnellement et psychologiquement, non dans le but d’avoir un autre père ou une autre mère, mais pour ne pas vivre dans l’ignorance ou le mensonge. Je crois que l’on peut souscrire à cet avis.

Ma position sur la procréation médicalement assistée a été dictée en grande partie par ce que je viens de dire. D’ailleurs, lors du vote sur la première loi de bioéthique, à l’Assemblée nationale, j’avais déjà voté contre la procréation médicalement assistée avec un tiers donneur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Ma position est également fondée sur l’idée que la médecine, la technique peuvent pallier des insuffisances ou des impossibilités, mais qu’elles ne peuvent en définitive se substituer à la nature pour donner naissance à des enfants de nulle part, venus d’on ne sait où.

Eux-mêmes, bien sûr, ne savent pas non plus d’où ils viennent, et le code civil leur donne une filiation qui me paraît aujourd’hui totalement hypocrite, car, un jour, par le biais de l’ADN, ils pourront savoir que les mentions figurant sur leur état civil ne correspondent pas à leur père ou à leur mère.

Même s’il existe de véritables détresses parentales, il convient de rester serein. Bien entendu, à mon sens, la famille n’est pas déterminée par le mariage, et j’accepte la procréation médicalement assistée pour d’autres couples que les couples mariés, mais avec des gamètes issus d’au moins l’un de ceux qui seront les parents juridiques de l’enfant.

C’est la raison pour laquelle je me prononcerai en faveur de la gestation pour autrui telle qu’elle est encadrée dans le rapport d’information de 2008, Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui, rédigé au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales du Sénat, et issu du groupe de travail « Maternité pour autrui » présidé par Michèle André, dont Alain Milon ainsi que notre ancien collègue M. de Richemont étaient rapporteurs et dont je faisais moi-même partie.

Sur ce sujet, nous avons entendu les uns et les autres, nous avons encadré, et nous nous sommes rendus dans certains pays étrangers, notamment en Grande-Bretagne, où la loi est réduite au minimum : elle n’interdit rien, donc la gestation pour autrui est permise ; simplement, comme nous l’a affirmé le représentant du ministère de la santé, toute marchandisation est évitée. Les choses sont donc moins compliquées que chez nous !

En revanche, je ne voterai pas l’autorisation de transfert d’embryon post mortem. En effet, je redoute qu’un enfant né dans ces conditions, surtout s’il s’agit d’un garçon, ne rencontre ultérieurement de graves difficultés psychologiques, dues au transfert inévitable des sentiments que la mère opérera sur lui.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Michel

Je suis bien conscient, mes chers collègues, que mes positions ne seront pas intégralement partagées, y compris au sein du groupe auquel j’appartiens, mais c’est le pari audacieux de ce débat, et c’est aussi ce qui le justifie.

La loi ne peut arrêter le mouvement ; dès lors, elle doit l’accompagner socialement et politiquement pour qu’il acquière des structures et un cadre reconnus.

Telle est la tâche à laquelle nous devons nous atteler, en tenant compte des consensus qui « enjamberont » certainement nos lignes de partage habituelles.

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées du groupe CRC-SPG et de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Dupont

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la bioéthique voté par l’Assemblée nationale nous revient aujourd’hui, et il nous appartient de l’accepter, de le consolider ou de le rejeter.

J’opterai pour la consolidation, car l’accepter en l’état, ce serait laisser la porte ouverte, par certaines ambiguïtés, à toutes sortes d’interprétations et le rejeter, ce serait nier les avancées proposées.

Cette loi sera fondamentale : elle est un enjeu d’humanité. Le respect de la dignité humaine, sujet déjà évoqué lors de précédents débats de société suivis avec beaucoup d’attention par nos concitoyens, en est le premier principe. Nos concitoyens sont en effet conscients de la gravité du vote de leurs représentants et restent partagés entre, d’une part, les avancées prometteuses de la science et de la technique et, d’autre part, les risques d’exploitation biologique et de marchandisation du corps humain. L’enjeu est vertigineux !

Le progrès ne peut et ne doit exclure la réflexion éthique.

D’autres, mieux que je ne saurais le faire – en particulier Marie-Thérèse Hermange, à laquelle je veux rendre hommage –, …

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Dupont

… ont abordé ou aborderont des sujets comme la procréation médicalement assistée, le tri et le double tri d’embryons, les embryons surnuméraires, la recherche sur l’embryon et les dérogations possibles, le transfert d’embryon post mortem, la gestation pour autrui, avec toutes les conséquences induites, dont le non-respect de l’indisponibilité du corps humain. Pour ma part, je me concentrerai sur quelques articles.

À tous les articles titre II concernant les dons d’organes en vue de greffe, on ajoute subrepticement des dispositions relatives au don de gamètes. Or celui-ci ne peut être inclus dans une campagne « don de vie ». Il est fondamentalement le « don de la vie », et non un objet de greffe au sens habituel du terme.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Dupont

Le don de gamètes ne peut faire l’objet que d’un traitement tout à fait unique.

Au titre III, qui traite du diagnostic prénatal, l’amendement proposé par Jean Leonetti est sage et fondamental, les examens étant prescrits « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Je sais qu’il est contesté par nombre de spécialistes de la grossesse, médecins, sages-femmes, par notre commission des affaires sociales, autant qu’il est approuvé par d’autres. Vous le comprendrez, je suis de ceux-ci.

En effet, on ne peut envisager d’obliger chaque femme enceinte à subir des examens qui ne sont pas sans risque pour l’embryon, qui n’offrent aucune garantie quant au résultat et qui sont aussi susceptibles de rendre anxiogène une grossesse, laquelle constitue tout de même le rôle essentiel de la femme et doit rester une période d’espérance confiante et sereine pour la plupart des femmes.

Dans le diagnostic prénatal, j’insisterai particulièrement sur les examens systématiques de dépistage de la trisomie 21. À cet égard, je remercie Anne-Marie Payet de la très belle déclaration qu’elle a faite sur le sujet. Cette anomalie chromosomique non létale n’a ni prévention ni thérapie possible in utero. Une fois qu’elle est détectée, il reste donc le recours à l’avortement, pour lequel de fortes pressions sont couramment exercées puisque, Anne-Marie Payet l’a rappelé, sur les 92 % de cas diagnostiqués, 96 % aboutissent à la suppression du fœtus.

Pourquoi cette sélection, qui va à l’encontre de l’article 16 du code civil et qui est discriminatoire : critère biologique ou même, irai-je jusqu’à dire, « délit de faciès » ? Raisons psychologiques, raisons économiques, raisons systémiques ? Est-ce une philosophie ? Dans tous les cas, c’est à n’en pas douter une forme d’eugénisme, hors de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son humanité, qui soulève la question du regard que la société posera sur celui qui naîtra malgré tout et sur sa famille, mais aussi sur celui qui naîtra en étant porteur d’un autre handicap non détecté et tout aussi invalidant.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Dupont

À vouloir lisser, on engendrera des conflits, et notre société apportera la preuve qu’elle est incapable d’accueillir les plus vulnérables d’entre nous, pourtant moteurs de solidarité et de fraternité.

Je vois cependant, à l’article 12 bis, une lueur d’espoir puisqu’il prévoit des pistes de financement et de promotion de la recherche médicale pour le traitement de la trisomie 21, à laquelle la commission des affaires sociales ajoute les anomalies cytogénétiques. La presse de ce jour livre la nouvelle d’un essai thérapeutique encourageant : il s’agit d’une molécule testée en Espagne qui a un effet positif sur la mémoire et la psychomotricité, modifiant ainsi, dans la trisomie 21, l’effet néfaste du chromosome surnuméraire.

Je souscrirai par ailleurs volontiers à la nécessité d’une formation, dans le cursus universitaire, à l’annonce du diagnostic pessimiste. Top peu de médecins sont aujourd’hui capables d’accompagner une famille à qui est révélé ce diagnostic, tout simplement parce qu’ils sont désemparés.

Parmi les points positifs, il faut également retenir le fait de proposer, lorsqu’il y a suspicion avérée d’une grossesse à risque, une liste d’associations spécialisées dans la maladie ou le handicap dépistés.

De même, l’article 13 bis prévoit un temps de réflexion avant toute décision et c’est essentiel, comme l’est le dialogue confiant entre la femme enceinte et son médecin, pour qui une formation à l’annonce du diagnostic pessimiste me paraît décidément nécessaire.

Le titre V traite d’un sujet qui suscite de fortes discussions, tant il est sensible.

Il me semble pertinent de décider d’une levée à tout le moins partielle de l’anonymat du don de gamètes si l’enfant devenu majeur est demandeur. Cela s’inscrit dans le cadre de la Convention internationale des droits de l’enfant, signée par la France, qui stipule que tout enfant a droit à la connaissance de ses origines. Par ailleurs, parentalité et hérédité ne se contredisent pas.

Mais ce projet protège-t-il les droits de l’enfant ou privilégie-t-il le droit à enfant ? Il ne fait nulle part référence à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ce texte, dans ses contradictions, a besoin d’être encore resserré.

Je terminerai en insistant pour que la loi votée fasse l’objet, au fil du temps, d’un suivi régulier par le Parlement, à la fois au regard de son exécution et en fonction des résultats de la recherche.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Dupont

Mme Bernadette Dupont. L’homme pour la science ou la science pour l’homme ? Une question que l’on ne saurait ignorer et qui engage le législateur que nous sommes.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste. –Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Roselle Cros

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, rendez-vous désormais régulier, la révision des lois de bioéthique est un temps à part de la vie parlementaire.

Elle s’impose aujourd’hui non seulement au vu des évolutions rapides de la science et des technologies médicales, mais aussi au regard des changements des mentalités et des demandes de notre société. Le contexte de 2011 n’est plus celui de 2004.

Faisant appel aux principes éthiques et aux convictions philosophiques ou religieuses autant qu’à l’engagement politique, la réflexion de chacun transcende les clivages partisans.

Avant d’entrer dans l’examen du texte, j’aimerais rappeler que la France est le premier pays d’Europe à s’être doté d’une législation complète en matière de bioéthique, posant des principes forts, rappelés par M. le rapporteur, privilégiant le projet collectif tout en s’efforçant de respecter l’autonomie individuelle.

Nous nous félicitons donc que, sous l’impulsion de la commission des affaires sociales, le projet autorise la ratification de la convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, inspirée des lois de 1994.

Quels sont les principaux enjeux scientifiques et sociaux du texte ?

Le premier est le droit à l’information.

Je souscris pleinement à la réécriture de la procédure d’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique grave. Il est toutefois souhaitable de la compléter en prévoyant le cas où un donneur de gamètes apprendrait qu’il est atteint d’une telle affection : il faudrait alors permettre à l’enfant ou aux enfants issus de ses dons d’être informés. Je défendrai un amendement en ce sens.

De même, compte tenu de la pénurie d’organes disponibles pour les greffes vitales, je suis très favorable à l’élargissement du cercle des donneurs vivants par l’autorisation encadrée du don croisé d’organes.

L’insuffisance de dons d’organes n’en restera pas moins problématique, et c’est pourquoi nous attendons beaucoup de la mission confiée par le présent texte à l’Agence de la biomédecine, qui vise à amplifier les campagnes de sensibilisation menée par cette dernière en direction des jeunes. Je voudrais d’ailleurs rendre hommage à cette agence, qui encadre les quatre domaines du prélèvement et de la greffe, de la procréation, de l’embryologie, de la génétique, et dont le sérieux et la qualité du travail sont unanimement reconnus.

Le don étant un acte de générosité encore peu répandu dans notre culture, il y a lieu d’encourager les prélèvements de sang de cordon, qui permettent d’effectuer des greffes allogéniques, dont le nombre a plus que quadruplé ces dernières années, avec des résultats thérapeutiques incontestables.

Pour cela, les campagnes de sensibilisation doivent être renforcées, tant en direction des cliniques dotées de services d’obstétrique qu’auprès des sages-femmes, souvent réticentes du fait de réelles difficultés techniques.

Le droit à l’information et le désir de savoir posent des questions plus délicates lorsqu’il s’agit du diagnostic prénatal. Les députés proposent que des examens de biologie médicale et d’imagerie ne soient proposés aux femmes enceintes que « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Mais c’est faire porter au médecin une responsabilité qui comporte une large part d’incertitude et de subjectivité. Cela revient aussi à introduire une inégalité entre les femmes les mieux informées et les autres. C’est à la femme, bien éclairée et conseillée par le médecin, que doit revenir la décision. Il ne s’agit pas d’un dépistage systématique mais bien d’une proposition. Et quand bien même une anomalie serait décelée, la femme a toujours le choix – c’est heureux ! – de poursuivre ou non sa grossesse et de se faire accompagner pour assumer sa décision et, le cas échéant, mieux préparer la naissance.

Je soutiens également la position de la commission des affaires sociales en ce qui concerne l’implantation embryonnaire post mortem. L’autoriser, c’est faire peu de cas de l’intérêt de l’enfant, délibérément privé de père et chargé d’une lourde mission, celle d’être un « enfant-souvenir ».

Un autre volet du droit à l’information concerne le régime du don de gamètes. L’Assemblée nationale a voulu conserver le principe de l’anonymat. Notre commission a adopté une position totalement inverse, en autorisant la révélation de l’identité à l’enfant devenu majeur, s’il la demande.

Il nous faut concilier les intérêts des trois parties concernées : celui d’un couple qui ne souhaite pas nécessairement partager un secret susceptible de déstabiliser l’équilibre familial, celui du donneur, qui, ignorant son devenir, ne peut présager de sa réaction dix-huit ans plus tard, mais aussi celui de l’enfant, qui, se sachant issu d’une assistance médicale à la procréation, éprouvera, comme tout un chacun, le désir inné de connaître ses origines.

Le texte initial du Gouvernement me semble être celui qui concilie le mieux les intérêts des trois parties, sans risquer de dissuader les donneurs. Ainsi, le donneur décide de permettre soit l’accès à son identité, soit l’accès à tout ou partie des données non identifiantes prévues par l’article. Je proposerai donc de rétablir ce texte.

Le deuxième enjeu fort de ce projet est le devenir de la recherche sur l’embryon et les embryons surnuméraires, avec le possible développement de la médecine régénérative, soit à des fins thérapeutiques, soit dans le but de réparer des tissus ayant subi de graves lésions. Eu égard à l’importance de l’enjeu – l’avenir de ce champ de la recherche –, on ne peut interdire totalement cette piste.

Toutefois, considérant qu’aucun début de résultat n’a été constaté et prenant en compte le risque de heurter les convictions de nombre de nos concitoyens, le statut actuel, fait d’une interdiction assortie, le cas échéant, de dérogations, paraît demeurer approprié.

Le dernier enjeu est sociétal : il concerne la gestation pour autrui, pour laquelle il existe une demande, certes réelle, mais faible en nombre. Je ne suis pas favorable à l’instrumentalisation du corps de la femme, doutant de l’existence de motivations non lucratives, et je suis sensible aux arguments des psychanalystes et psychiatres qui soulignent les dangers de la GPA pour l’enfant, pour la femme qui le porte et pour les familles concernées. Enfin, je pense qu’aujourd’hui notre société elle-même n’est pas mûre pour accepter cette pratique.

En conclusion, j’aimerais remercier la commission des affaires sociales et sa présidente, Muguette Dini, et féliciter son rapporteur, M. Alain Milon, qui a su mener, dans le respect des convictions de chacun, les nombreuses auditions qui ont instruit et nourri notre réflexion.

Applaudissements sur les travées de l ’ Union centriste et sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif de ce projet de loi relatif à la bioéthique, je souhaiterais faire quelques remarques sur la méthode.

Il me semble que, face à un texte qui ne fait l’unanimité au sein d’aucun groupe politique, qui touche chacun d’entre nous dans ses convictions les plus intimes, qui fait appel à nos expériences, à nos valeurs, à notre conception de l’homme, de l’éthique, et donc de la bioéthique, nous allons un peu trop vite.

Adopté à l’Assemblée nationale le 15 février dernier, ce projet de loi vient en discussion au Sénat sept semaines plus tard, alors que nos travaux ont été suspendus pendant pratiquement trois semaines.

Au-delà du fait que nous avons été pris de court, qu’un remaniement est intervenu entre le passage de ce texte en conseil des ministres et son examen par le Parlement, je déplore également l’absence de constitution d’une commission spéciale pour étudier le projet.

Je pense aussi que ce texte aurait dû être élaboré bien plus tôt. Nous avons en effet deux ans de retard sur le calendrier : le précédent texte relatif à la bioéthique date de 2004 et il aurait dû être révisé après cinq ans. En ne respectant pas cette « clause de revoyure », madame la secrétaire d’État, vous avez laissé passer la date d’expiration du moratoire sur l’interdiction de la recherche sur l’embryon. En conséquence, l’Agence de la biomédecine ne peut plus délivrer d’autorisation de recherche, faute pour le Gouvernement et le Parlement d’assumer leurs responsabilités !

Je le dis dès à présent et je le répéterai au long des débats : il est nécessaire de prévoir des dates de révision des lois de bioéthique et, surtout, de s’y tenir ! Le progrès technique va souvent plus vite que le droit, pourtant censé l’encadrer.

Voilà pour la méthode. Penchons-nous à présent sur le projet de loi qui nous est proposé.

Je tiens tout d’abord à saluer le travail de la commission des affaires sociales, qui a permis d’améliorer le texte voté à l’Assemblée nationale.

Je salue ainsi la disparition de l’article 4 quater, qui introduisait un cavalier législatif supprimant l’ordonnance Ballereau et, par là même, l’encadrement de la profession de biologiste médical.

Je me réjouis également du toilettage de certains articles, notamment de la suppression de la « reconnaissance de la Nation » à l’égard des donneurs d’organe, disposition particulièrement inutile et ridicule.

Enfin, les membres de la commission, dans leur sagesse, ont également substitué au régime d’interdiction avec dérogations de la recherche sur les embryons, qui était parfaitement hypocrite, un système d’autorisation assortie de conditions et de garanties.

Cependant, ces améliorations restent marginales, tant ce projet de loi relatif à la bioéthique s’avère insuffisant et sans ambition.

Les avancées législatives majeures se font rarement dans le consensus, passant au contraire par des débats parlementaires passionnés, seuls à même de permettre de dépasser le statu quo et l’immobilisme.

Il y a des lois qui ne deviennent consensuelles qu’après leur adoption, comme celles sur la contraception, l’interruption volontaire de grossesse, le PACS… Nos prédécesseurs ont eu le courage et le mérite d’inscrire ces débats à l’ordre du jour.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un projet de loi sans envergure, du fait des tabous portés par les courants les plus traditionalistes de la majorité.

Tabou sur l’interruption de grossesse : trente-cinq ans après l’adoption de la loi Veil, on trouve dans ce projet de loi des dispositions qui traduisent un recul des droits des femmes en matière d’accès à l’interruption volontaire de grossesse. En dépit du temps qui s’est écoulé, les obstacles persistent, et nous devons rester vigilants pour défendre encore et toujours l’accès à l’avortement. Quand ce droit sera-t-il totalement acquis ?

Tabou sur les dons des homosexuels. La France manque de donneurs, notamment de sang et d’organes. Des personnes meurent faute d’être transfusées. L’an dernier, 277 personnes sont décédées du fait du manque de greffons. Plus de 10 000 autres figurent sur les listes d’attente cette année. Alors, quand allons-nous enfin autoriser nos concitoyens homosexuels à pouvoir effectuer cet acte citoyen qu’est le don de sang ou le don d’organe pour sauver des vies ? J’espère que notre assemblée aura enfin la lucidité de rectifier cette interdiction archaïque.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

Tabou sur l’assistance médicale à la procréation, qui reste interdite aux femmes célibataires et aux couples de femmes, alors même que les femmes célibataires sont autorisées à adopter des enfants. Combien de temps va-t-on maintenir cette entrave au droit de fonder une famille en raison de son choix de vie ou de son orientation sexuelle ?

Tabou sur la gestation pour autrui : le projet de loi relatif à la bioéthique n’aborde même pas la question de la reconnaissance juridique des enfants nés d’une GPA à l’étranger. Pourtant, en mars 2010, la cour d’appel de Paris a confirmé que deux jumelles nées d’une mère porteuse américaine – la GPA est légale en Californie – étaient bien les enfants d’un couple français. Néanmoins, elle a refusé la transcription des actes d’état civil… Et ce n’est pas un cas isolé : de plus en plus de parents ont recours à la GPA à l’étranger, faute de pouvoir le faire en France. Voulons-nous condamner ces enfants sans papiers à être « juridiquement orphelins » ?

Tabou sur la fin de vie, enfin. Le choix de l’aide médicalisée à mourir n’est toujours pas proposé aux personnes en fin de vie, preuve du manque de considération pour les dernières volontés des malades.

En ce qui concerne les souhaits des personnes en fin de vie, je précise d’ailleurs que les écologistes soutiendront l’amendement de M. Sueur visant à protéger juridiquement la volonté exprimée, de son vivant, par un donneur d’organe potentiel.

De tabou en tabou, globalement, les sénatrices et sénateurs écologistes ne notent aucune avancée dans ce projet de loi en matière de respect de l’autonomie des personnes, c'est-à-dire de possibilité de décider pour elles-mêmes, en connaissance de cause, en fonction des choix que la science leur permet.

Nous ne souhaitons pas édicter un modèle unique de vie, allant de la procréation à la mort, voire au-delà. Cependant, je suis profondément convaincu que nos concitoyens aspirent à la liberté de disposer de leur corps tout au long de leur vie.

Les Français le savent bien, ouvrir des possibilités n’a jamais obligé personne à les mettre en œuvre. Permettre le diagnostic prénatal n’oblige personne à procéder à une interruption médicalisée de grossesse. Avoir autorisé le PACS n’a empêché aucun couple hétérosexuel de se marier. De même, permettre l’euthanasie n’empêchera personne de préférer les soins palliatifs ou même la poursuite acharnée des soins.

Voici ma conception du rôle du législateur face à des thèmes aussi complexes que celui de la bioéthique. Le législateur doit encadrer le progrès médical, trouver un équilibre entre le développement de celui-ci et le respect des règles éthiques correspondant aux aspirations de notre société.

Je doute que la discussion des articles permette de remédier au manque d’ambition de ce texte, et je crains que, en restant trop frileuse par rapport à ses voisins, la France ne règle aucun problème.

En éludant ces questions de société, nous incitons les Français à recourir à certaines pratiques légalisées dans des pays voisins. Mon souhait serait que les couples de femmes n’aient plus à aller en Belgique pour mettre au monde des « bébés-Thalys »…

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

… et qu’il soit mis fin à la pratique consistant, pour les plus fortunés de ceux qui arrivent en fin de vie, à aller chercher en Suisse une assistance à mourir.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Pierre Signé

Même à l’approche de la mort, mieux vaut être riche que pauvre !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Desessard

On ne doit pas laisser les individus se débrouiller comme ils le peuvent !

Nos concitoyens méritaient un projet de loi à la hauteur des enjeux de société : le Parlement ne peut rester passif devant les évolutions sociales !

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Pierre Signé

Il y a dans ce discours quelques vérités bien senties !

Applaudissements sur plusieurs travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Lorrain

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat que nous menons n’est pas celui d’une société conservatrice. Chaque pays analyse les questions en fonction de son histoire. À vouloir faire s’affronter progressistes et conservateurs, on se trompe.

Nous souhaitons donner à la personne humaine les moyens d’utiliser la science pour renforcer ses libertés. Il nous faut fixer des limites à l’individualisme et à la cupidité, renforcer le don contre la marchandisation.

Madame la secrétaire d'État, le scientisme nous vante quotidiennement les avantages de telle ou telle cellule souche embryonnaire, tout en dénonçant l’obscurantisme et le retard que prendrait la France.

Je souhaite que les chercheurs travaillent sur les cellules embryonnaires par dérogation. Mais j’observe que, à cet égard, les choses ne fonctionnent pas si mal, même si nous dénonçons la tracasserie et les lourdeurs administratives. Admettre des dérogations, c’est accepter des exceptions bien encadrées par la règle, afin de ne pas pénaliser nos concitoyens et de ne pas se fermer au progrès, qui est porteur non seulement d’avancées, mais également d’illusions.

Le passage de l’interdiction avec dérogations à l’autorisation sous conditions, pour des résultats qui peuvent être identiques, marque la volonté symbolique de modifier une approche de la recherche sur l’embryon et les cellules souches.

La juriste Florence Bellivier, dans un bulletin d’information de l’Ordre national des médecins, souligne qu’« un régime d’interdiction avec dérogations me semble plus juste. » Elle ajoute : « Quand une question morale pose problème, la loi doit refléter le dilemme éthique. En outre, si le législateur avait préféré l’autorisation sous conditions, il ouvrait la porte à une multiplication des sanctions pénales en cas de transgression. »

Le bon sens scientifique pourrait porter toutes les parures de l’avantage pour ce qui concerne le dépistage de la trisomie 21, mais celui-ci ne peut se concevoir que par la volonté des personnes concernées, éclairées et loyalement informées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Lorrain

Il faut dire que, à notre époque, la biologie alliée à l’imagerie fonctionnelle devient dominante. Toutefois, elle ouvre aussi la voie à une vision réductrice de l’individu.

Le succès des neurosciences ne peut se concevoir qu’encadré par une « neuroéthique », qui reste à définir face aux transgressions potentielles.

Certains déçus du prétendu choix de la stabilité montrent l’incompréhension du questionnement. Les lois de bioéthique devraient répondre à de nouvelles demandes sociales, au risque d’être à la traîne. Au désir de certains relevant avant tout de questions sociales, nous préférons la protection du plus faible, donc de l’enfant. Cela nécessite de légiférer en limitant notre liberté individuelle ; mais c’est un choix !

Le don de gamètes, c'est-à-dire de cellules permettant le développement de la fécondation, doit rester neutre. Ces cellules ne sont pas porteuses de filiation, ni d’une histoire sociale et affective. La levée de l’anonymat ne doit pas induire un bouleversement de l’existence de l’enfant. Néanmoins, on doit entendre un adulte qui est à la recherche de ses origines et on doit pouvoir l’accompagner. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il soit nécessaire de lever l’anonymat, car le retentissement de cette levée ne concerne pas seulement un donneur et un receveur. En effet, pourquoi serait-il si suspect d’écouter les CECOS, acteurs depuis plusieurs décennies et dont les compétences sont reconnues ?

Renoncement, refus, statu quo, immobilisme, principe intangible… Le changement pour quoi faire ? Pour un nouveau modèle de la responsabilité.

Au fil des siècles, la responsabilité s’est affrontée au changement. Même si l’on ne légifère pas en fonction de la sociologie du moment et de ses nouveaux « produits », tel le don d’engendrement, on peut néanmoins dire que l’approche éthique est mouvement : elle se situe dans l’agir et, donc, dans le changement. Les fins ne sont pas, à elles seules, le changement.

II nous paraît bien inutile de parler de familialisme, de traditionalisme. Nous préférons affirmer des valeurs et des principes de gratuité et de don. Si le débat éthique est celui du compromis en fonction d’intérêts particuliers, au détriment de la protection du plus faible, de la confiance, nous allons à l’échec. S’il existe une éthique minimaliste, ce sera la bioéthique. La science peut nous libérer, mais les scientistes peuvent nous soumettre.

L’intérêt du débat est de faire apparaître un positionnement clair. Le rapporteur, qui a notre estime, pose clairement le principe d’intégration de la recherche sur l’embryon. II lève l’anonymat par l’accès à l’identité de tout tiers dont les gamètes ont permis la conception. La levée d’une interdiction serait la réponse à une éventuelle hypocrisie institutionnelle, mais elle ne peut venir que des acteurs.

Au nom de la cohérence, de la lisibilité et de la simplification, nous ne pouvons abandonner nos valeurs. Même si c’est discutable, nous restons profondément kantiens : la fin ne justifie pas les moyens.

Pour le professeur Sicard, « la bioéthique n’est pas une énonciation, elle est une dénonciation », et nous tentons, modestement, de mettre en œuvre cette définition.

Lorsque le savant médiatique parle de ses recherches, on l’écoute, on l’aide : parler du saint Graal – vase ayant recueilli le sang du Christ – à propos des cellules embryonnaires est peut-être excessif. Mais ces chercheurs pensent-ils un instant aux autres chercheurs, en sciences humaines par exemple, qui inspirent aussi ce débat, mais avec des moyens tout à fait dérisoires ?

Le principe du respect, de la dignité n’a pas la même signification en fonction de notre histoire ou de notre culture personnelle. C’est pourquoi, très en amont, il serait nécessaire d’accorder à l’éthique le titre de matière reconnue par l’université, ce qui éviterait un usage abusif et l’alimentation de postures diamétralement opposées.

Malheureusement, nous nous reconnaissons peu, malgré le travail sincère qui ressort de certaines des propositions de la commission, outre le refus de l’implantation post mortem ou celui de la gestation pour autrui. Pourquoi ne pas faire confiance au médecin qui œuvre dans le cadre d’une relation privilégiée avec le malade, en lui évitant d’imposer des prescriptions légales ?

Les convictions dites « de la société » sont celles de certains chercheurs qui prescriraient en même temps les normes. Or ces acteurs sont soumis aux pressions des investisseurs, qui ne sont pas obligatoirement des philanthropes.

L’éthique comprise comme une gêne est une profonde erreur. Elle n’est pas une partie de la politique ; elle est politique ! Elle nous protège dans l’incertitude, dans le doute. Elle inspire, mais, si elle peut dire le bien, elle ne se targue pas de dire la vérité.

Nous devons écouter les philosophes, tel Emmanuel Hirsch, qui souhaite l’organisation régulière d’états généraux de la bioéthique soumis à l’arbitrage du Parlement. II faut développer une culture de la réflexion éthique, afin d’affaiblir les positions extrêmes où prévalent les idéologies, les intérêts et les pressions.

Applaudissements sur certaines travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la bioéthique est une matière compliquée.

Parce qu’elle cherche à résoudre des questions de nature morale soulevées par l’avancement de la recherche et le développement des technologies dans les domaines de la médecine, de la biologie et de la santé, elle interroge notre conscience individuelle et fait appel à nos convictions les plus personnelles.

Il reste que, en tant que parlementaires, nous faisons la loi au nom de l’intérêt général : nous devons donc trouver un équilibre entre nos convictions personnelles, les attentes de la société et les principes fondamentaux qui régissent notre droit et notre organisation sociale.

Alors que, en 2004, le débat sur le clonage thérapeutique avait dominé pendant l’élaboration de la loi, il a aujourd’hui complètement disparu en raison du discrédit porté sur ces recherches. Aujourd’hui, de nouveaux débats ont émergé au sein de la société civile, qui mobilisent l’attention des médias et du monde politique : par exemple, la demande d’autorisation de la gestation pour autrui émanant de femmes dans l’incapacité de procréer, celle de l’élargissement de l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux femmes célibataires et aux couples homosexuels ou encore celle de certains enfants nés d’une assistance médicale à la procréation qui veulent connaître leur origine.

Sur tous ces sujets, il n’y a pas de réponses simples ou évidentes. Pourtant, il nous faut bien y apporter des réponses tranchées et cohérentes. La tâche est ardue. Même si, aujourd’hui, je défends certaines positions, je n’ai pas de certitudes absolues.

En effet, derrière les questions qui sont aujourd'hui soumises à notre examen, il y a des enjeux sous-jacents complexes qui nous conduisent, que l’on ait ou non une formation médicale ou scientifique, à une certaine forme d’humilité.

En tant qu’homme de gauche, ma réflexion a été bien entendu guidée par le respect des principes d’égalité, de solidarité, de laïcité et de dignité, par le refus de l’obscurantisme et du conservatisme, par la volonté d’encourager la recherche. Mais, sur un tel terrain, qui touche à la vie, à la mort, à la maladie, à la reproduction, entrent aussi en considération des principes plus intimes, qui, parfois, nous amènent à prendre des positions différentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

J’en viens au contenu du projet de loi et je concentrerai mon propos sur quelques points essentiels.

En premier lieu, j’aborderai la question de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Nous sommes satisfaits que la commission ait eu le courage d’adopter un dispositif clair et cohérent. À cet égard, le régime d’interdiction assortie d’une dérogation permanente adopté par l’Assemblée nationale était d’une totale hypocrisie, d’autant qu’il n’était assorti d’aucune clause de révision, ce qui revenait à geler le dispositif à perpétuité.

L’’interdiction, dès lors qu’elle est assortie d’une exception, ne fournit pas plus de garanties contre les dérives et les abus que ne le ferait une autorisation pure et simple. Bien au contraire, l’abandon du régime d’exception permet de concentrer la réflexion sur les modalités d’application de la recherche, dont certaines, en l’état actuel du droit, s’avèrent insatisfaisantes ou lacunaires. La consécration d’une autorisation, précisément encadrée et soumise à conditions, est le signe d’une évolution maîtrisée, pleinement justifiée, révélatrice de la volonté de la représentation nationale d’assumer sa responsabilité en conciliant la protection de l’embryon et l’intérêt général servi par la recherche.

La loi de 2004 s’inscrivait d’ailleurs dans cette logique. Le régime dérogatoire qu’elle instaurait avait été conçu comme un régime transitoire : un temps d’expérience, destiné à évoluer si l’ouverture à la recherche n’entraînait pas des abus. En cas de bilan positif, l’esprit de la loi était de basculer dans un régime d’autorisation. Or le bilan est, de l’avis général, très positif : les dérives n’ont pas eu lieu.

Sur le plan juridique, dès 1994, le Conseil constitutionnel avait ouvert la voie à une consécration du principe d’autorisation de la recherche sur les embryons, estimant que l’article 16 du code civil, qui interdit toute atteinte à la dignité de la personne et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, cette protection étant étendue à l’embryon, n’était pas applicable à l’embryon in vitro.

Sur le plan scientifique, il ne fait guère de doute que les recherches sur les cellules embryonnaires sont porteuses de grands espoirs.

Enfin, on ne peut totalement ignorer l’argument industriel. Ces recherches nécessitent de lourds investissements. Or le maintien d’un régime d’exception fragilise la position de la France au sein de la communauté internationale, en suscitant la méfiance des investisseurs, inquiets devant l’incertitude et le manque de lisibilité de la loi française.

Il est donc temps de franchir le pas. Il y a même urgence puisque, depuis le 6 février dernier, la dérogation prévue par la précédente loi est arrivée à échéance. Depuis cette date, plus aucun projet de recherche nouveau ne peut être engagé.

En matière d’assistance médicale à la procréation, le moins que l’on puisse dire est que le texte reste très en retrait.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Alors que l’assistance médicale à la procréation est aujourd’hui devenue « banale » avec la naissance chaque année de plus de 10 000 bébés issus d’une fécondation in vitro, ce sont les conditions pour y avoir accès qui posent désormais problème, dans un contexte radicalement nouveau, où la question du désir d’enfant devient une question sociale à part entière.

Force est de constater que la législation française mise en place en 1994 est très limitative et qu’elle se fonde sur un modèle familial dominant, ignorant assez largement les évolutions à l’œuvre dans la société française. Elle ne laisse aucune place à d’autres modes de parentalité. Or c’est une réalité : la parentalité se décline désormais sous plusieurs formes.

Dans ce débat, il ne doit pas, selon moi, y avoir de place pour des considérations naturalistes conduisant à des jugements d’ordre moral ou subjectif. Les seuls éléments à prendre en considération devraient être l’intérêt de l’enfant, d’une part, la consistance du projet parental, de l’autre. Le plus important est la capacité de la famille à rendre heureux l’enfant qu’elle accueille et à le mener à l’âge adulte dans les meilleures conditions.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

L’argument selon lequel il ne saurait exister de « droit à l’enfant » sert bien souvent à écarter toute velléité d’ouvrir les portes de la parentalité et de l’assistance médicale à la procréation, en particulier aux couples de même sexe.

Les motifs qui excluent aujourd’hui les couples homosexuels du droit d’être parents sont moins fondés sur des raisons objectives que sur des préjugés sociaux. Les recherches réalisées aux États-Unis et en Europe du Nord montrent assez clairement qu’il n’y a pas d’impact majeur de l’homoparentalité sur le bien-être et le devenir psychologique des enfants.

C’est pourquoi nous sommes favorables à un élargissement aux couples de même sexe de l’accès à la parentalité, donc à l’assistance médicale à la procréation et à l’adoption.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

Si l’on en juge par le texte issu de la commission, il nous reste encore un long chemin à parcourir avant d’en arriver là !

Alors que l’Assemblée nationale avait fait un pas en supprimant la condition de durée de vie commune de deux ans pour les couples non mariés, le Sénat fait, lui, un pas en arrière en réintroduisant une condition de stabilité et de continuité du couple. Celle-ci doit, en plus, avoir « un caractère suffisant ».

Sur un plan strictement juridique, cela me semble pour le moins compliqué, voire porteur de risque d’inégalités : qui jugera de ce caractère suffisant ? Selon quels critères ? Qu’est-ce que cela a à voir avec le projet parental ?

En ce qui concerne le transfert d’embryon post mortem, je suis satisfait – je m’exprime là à titre personnel – que la majorité de la commission ait voté la suppression du dispositif adopté par l’Assemblée nationale. Je me suis longtemps interrogé sur ce point. Si je comprends la détresse de ces femmes qui ont attiré l’attention de l’opinion publique, je ne peux me résoudre à ce que la loi autorise sciemment la naissance d’orphelins.

Une fois de plus, la seule question à se poser est celle de l’intérêt de l’enfant. Or je crois pour ma part que l’absence de père, eu égard aux circonstances de sa naissance, pourrait être de nature à créer des troubles psychologiques importants pour cet enfant né d’un deuil. Je souhaite vivement que l’article 20 bis ne soit pas rétabli. Je développerai plus largement mes arguments lors de la discussion des articles, afin de respecter le temps de parole qui m’est imparti.

À ce stade, je souhaite aussi aborder la gestation pour autrui. Comme la présidente et le rapporteur de la commission des affaires sociales, avec trente de mes collègues, j’ai déposé un amendement légalisant la gestation pour autrui.

En 2009, j’ai participé, sans a priori ni idées préconçues, au groupe de travail présidé par Michèle André et j’ai été convaincu de l’intérêt de légaliser la gestation pour autrui dans des conditions strictes.

Entendons-nous bien : il ne s’agit nullement de reconnaître un quelconque « droit à l’enfant » ni d’autoriser une pratique de confort qui permettrait à une femme de faire porter son enfant par une autre, parce qu’elle souhaiterait, par exemple, éviter les « désagréments » d’une grossesse. Il s’agit de faire de la gestation pour autrui un instrument supplémentaire au service de la lutte contre l’infertilité. Les conditions prévues sont d’ailleurs extrêmement strictes : seuls pourraient ainsi en bénéficier les couples dont la femme se trouve dans l’impossibilité de mener une grossesse à terme ou de la mener sans un risque d’une particulière gravité pour sa santé ou pour celle de l’enfant à naître.

Face à certaines dérives permises par des législations étrangères, je crois que la France a tout intérêt à se doter d’une législation rigoureuse, qui éviterait les drames que l’on connaît actuellement. Nous aurons l’occasion d’en débattre plus longuement lors de l’examen des amendements.

Toutefois, je voudrais vous faire part de ma conviction : nous ne parviendrons pas à lutter contre la « marchandisation » du corps de la femme si la situation que nous connaissons perdure !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

La lutte ne sera possible dans les pays périphériques que si la loi française encadre très strictement cette pratique et définit bien les conditions dans lesquelles elle sera possible dans notre pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Godefroy

En tout cas, mes chers collègues, c’est un débat qui honore le Sénat, quand l’Assemblée nationale, elle, a fait l’impasse sur cette question.

Que l’on soit partisan ou opposant de la gestation pour autrui, il reste un point important à régler : celui de l’état civil des enfants nés à l’étranger grâce à cette pratique.

Le service civil du parquet du tribunal de grande instance de Nantes, seul tribunal compétent pour statuer sur la nationalité française, refuse de délivrer des papiers à ces enfants, qui peuvent ainsi se retrouver sans mère officielle et même parfois apatrides – ces derniers temps, on a beaucoup entendu parler de ces enfants nés en Ukraine que leurs parents ne peuvent ramener en France.

Officiellement, on recense une quinzaine de dossiers problématiques. Le plus connu est celui des époux Mennesson, sur lequel la Cour de cassation rendra son arrêt définitif demain : le parquet général s’est d’ailleurs prononcé en faveur de l’inscription à l’état civil ; je regrette que l’on doive attendre une décision de la plus haute juridiction française pour éventuellement légiférer !

Sans préjuger les conclusions de l’arrêt qui sera rendu demain, je pense qu’il existe un risque de conflit entre la position que nous prendrons sur la légalisation ou non de la gestation pour autrui et le problème de l’inscription à l’état civil de l’enfant né de cette pratique. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.

Un autre sujet sensible est celui de l’anonymat des donneurs de gamètes.

Le conflit entre vérité biologique et apparence sociale ne date pas d’hier ! Mais, depuis 1972 et la création des CECOS, l’anonymat du donneur a été conçu dans le corpus juridique français comme un principe éthique autant que comme un moyen d’assurer l’acceptabilité sociale et morale de la pratique de l’insémination artificielle avec donneur.

L’anonymat est aujourd’hui contesté par des associations d’enfants issus d’un don de gamètes. Devenus adultes, certains vivent comme une souffrance ce silence sur leur identité et revendiquent le droit d’accéder à leurs origines.

À l’instar de ce qu’ont fait d’autres pays européens, le texte initial du Gouvernement prévoyait la possibilité de lever l’anonymat du donneur à la demande de l’enfant et avec le consentement du donneur. L’Assemblée nationale a supprimé ces dispositions du texte.

Sur l’initiative du rapporteur, la commission des affaires sociales a non seulement rétabli le dispositif, mais a aussi choisi d’aller plus loin puisqu’elle rend cette levée de l’anonymat automatique à partir de 2013. Le donneur sera alors informé, au moment du don, que l’enfant éventuellement conçu avec ses gamètes pourra, à sa majorité, demander à avoir accès à des données non identifiantes le concernant, voire à son identité, et qu’il sera fait automatiquement droit à sa demande, sans vérifier que le donneur y consent toujours.

J’ai le sentiment que cela pose plus de problèmes que cela n’en résout. L’anonymat du don est l’un des principes fondateurs de notre droit de la bioéthique et je ne crois pas que l’on doive y déroger.

Je considère, en effet, que la levée de l’anonymat est discutable sur le plan éthique et contre-productive sur le plan pratique. Elle alimente une dangereuse confusion entre parentalité et origine biologique et elle remet en cause la primauté symbolique du caractère social et affectif de la filiation. Elle fragilise la position tant du couple receveur, qui sera plus enclin à garder le secret sur les conditions de conception de son enfant, que du donneur, qui n’est pas un parent et n’a donc pas sa place dans la famille.

Il ne faut pas négliger non plus le risque sérieux de voir diminuer non seulement le nombre de dons, mais également le nombre des couples souhaitant bénéficier d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.

Selon un sondage effectué pas l’Agence de la biomédecine, 50 % des donneurs de sperme ne donneraient pas si l’anonymat n’était pas garanti, tandis que, selon une enquête réalisée par la Fédération nationale des CECOS, 25 % des couples renonceraient à une procréation par don de sperme.

Je ne sous-estime pas la souffrance exprimée par certains de ces enfants du don, mais j’ai de sérieux doutes quant à l’efficacité du « remède » et au bénéfice psychologique pour un enfant ainsi conçu de connaître ses origines, voire de se laisser offrir cette possibilité, ce qui introduit pour lui une décision difficile à prendre et à assumer. Je crois au contraire qu’il pourrait s’en trouver déstabilisé et bien plus en souffrance que du fait de la méconnaissance de son donneur.

Monsieur le président, je vous remercie de m’avoir accordé un peu plus de temps de parole. J’aurais encore quelques sujets à aborder, mais nous y reviendrons lors de la discussion des articles. Je pense notamment, monsieur le rapporteur, au problème de l’état civil des enfants mort-nés – c’est l’article 79-1 du code civil –, qu’il nous faudra également régler Je suis décidément trop bavard !

Sourires. –Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est pour moi majeur et pose de vraies questions qui nous concernent tous. Pour autant, c’est sur un point en particulier que je me mobilise : celui de la levée de l’anonymat du don de gamètes.

En première lecture, l’Assemblée nationale a purement et simplement supprimé le titre V du projet de loi initial portant sur l’identité des donneurs de gamètes, ce que, à titre personnel, j’avais vivement regretté.

Or, sur l’initiative de son rapporteur, notre excellent collègue Alain Milon, que je salue, la commission des affaires sociales a décidé de revenir sur cet anonymat et de le lever partiellement, dans des conditions qui me semblent équilibrées.

Je me félicite de ce choix courageux de la commission des affaires sociales et souhaite que le Sénat maintienne cette position lors de l’examen des articles, cela pour les raisons suivantes.

En tant que sénateur, je défends les libertés individuelles et je considère qu’imposer à un être humain un secret sur ses origines est une violation pure et simple de ses libertés.

C’est cette même conviction qui me fait prendre des positions résolues quant à la suppression de l’accouchement sous X. Bien que les histoires de vie des enfants nés par don de gamètes et des enfants nés sous X ne soient évidemment pas comparables, la souffrance issue de l’absence d’une partie ou de la totalité de leurs origines est tout aussi révoltante.

En fait, c’est précisément sur ce point – le droit d’accès aux origines, tel qu’il est affirmé dans de nombreux traités internationaux, dont la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989 à New York par l’Assemblée générale des Nations unies – que se sont appuyés les recours déjà déposés par une douzaine d’enfants nés par insémination artificielle avec sperme de donneur.

C’est pourquoi, avant d’aborder les conséquences de la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes sur la vie de ces derniers, je veux parler de ceux qui restent systématiquement à l’écart des débats, à savoir les enfants, adultes en devenir, nés par insémination artificielle avec sperme de donneur.

Je veux dépasser le clivage entre parents et donneur pour m’attacher à ceux qui devraient être au cœur de nos réflexions : les enfants.

En effet, mes chers collègues, comment imaginer vivre et se construire sans savoir d’où l’on vient ? En serions-nous capables, nous qui connaissons nos origines ? Il est utopique de penser que l’amour de ses deux parents suffit à éluder la question. Ces enfants-là sont différents des autres et ils ont le droit de mettre un nom sur leur différence. Or ce nom-là ne se résume pas à un tube à essai !

Un homme a donné son sperme ou une femme a donné ses ovocytes pour qu’un enfant naisse. Cet enfant a le droit de savoir qui était ce donneur parce que cet adulte en devenir a hérité d’un patrimoine et que, tant qu’on le lui taira, il sera bancal. Tout l’amour dont il peut être entouré par ses parents, toute la stabilité qu’ils peuvent lui offrir ne saurait effacer ce questionnement.

Cet enfant, cet être humain, ne recherche pas une famille : il en a déjà une. Il recherche son histoire. Et cette histoire était multiple bien avant sa naissance, car un tiers a donné ses gamètes pour qu’il naisse.

Dès le départ, l’histoire s’est écrite à trois. Dès le départ, le couple réuni autour de ce projet d’enfant a accepté qu’une tierce personne y participe. Comment refuser au principal intéressé de l’affaire de connaître son identité ?

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Trop souvent, nous jugeons ces situations à l’aune de nos propres expériences, essentiellement résumées à la dualité d’un couple de parents.

Pour la plupart d’entre nous, les filiations biologiques, affectives et juridiques sont portées par les mêmes personnes : les parents. Mais, chez les enfants nés par dons de gamètes, et à plus forte raison chez les enfants nés sous X, elles relèvent de plusieurs acteurs. Au cours des dernières années, la principale erreur a été d’occulter cette pluralité.

Combien de parents adoptifs ont affirmé être les parents biologiques de leur enfant ? Combien de parents ayant eu recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ont tu cette vérité à leur enfant ? Que ce dernier soit à 50 % l’enfant biologique de ses parents n’y change rien. Lorsque la vérité éclate, c’est un cataclysme. Et les études qui ont été réalisées en témoignent : de nombreux parents taisent cette intrusion, pourtant voulue, dans leur parentalité.

Afin que les choses soient apaisées, il faut impérativement en passer par ce préalable : la prise de conscience en amont, par les parents, de la situation dans laquelle ils s’engagent et de l’héritage pluriel que recevra leur enfant. Ce n’est qu’à cette condition qu’eux-mêmes n’auront pas peur de ce qui se cache derrière le secret.

Car la peur de la vérité, mes chers collègues, fait souvent plus peur que la vérité elle-même. Le fantasme fait plus de ravages que la réalité. Les parents n’ont pas à craindre qu’un donneur, dès lors qu’il sera identifié, bouscule l’équilibre de leur famille. De la même manière, le donneur ne doit pas craindre qu’un enfant s’installe dans la sienne.

Cette réflexion me conduit à évoquer un second préalable, extrêmement important à mes yeux, à savoir la responsabilisation des dons : il convient en effet que les donneurs d’hérédité prennent conscience de la portée de leur acte.

Mme Marie-Thérèse Hermange, Mlle Sophie Joissains et Mme Janine Rozier manifestent leur approbation.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Vous avez parlé tout à l’heure de générosité, mais on ne donne pas ses gamètes comme on donne du sang. On a besoin de sang pour vivre, mais on a besoin de gamètes pour naître, ce qui ne revient pas du tout au même.

Le don doit être assumé et relationnel. C’est ce qui se passe déjà en Suède, en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Australie et dans bien d’autres pays. Alors même que certains agitent le chiffon rouge lorsque l’on évoque la levée de l’anonymat, je tiens à rétablir la vérité : non, le nombre de donneurs ne chute pas dans ce nouveau cadre et, s’il peut baisser dans un premier temps, il remonte ensuite.

Ce sont les profils des donneurs qui, sans conteste, changent. Dans les pays où les dons ne sont plus ou n’ont jamais été anonymes, les donneurs sont responsables, citoyens et tout aussi généreux. La différence, c’est qu’ils assument leur altruisme.

Dans le système tel qu’il existe en France, le don de gamètes ne s’adresse qu’aux parents ; même la générosité des donneurs est tenue secrète.

Ce sont tous ces tabous qu’il nous faut lever : le tabou qui pèse sur un couple confronté à l’infertilité de l’un des partenaires ; sur un donneur confronté aux conséquences de son acte ; sur un être qui possède plusieurs parents et qui choisit ou non de les aimer ou de les accepter.

Il est impossible de nier la revendication naturelle d’un citoyen à connaître ses origines, en pensant qu’un être humain peut se contenter d’une demi-vérité. Cela reviendrait à se construire à partir d’un puzzle incomplet. Une seule pièce manquante suffit à amputer le paysage, à rompre l’équilibre.

Oui, les enfants nés par dons de gamètes deviennent des adultes multiples, pluriels. Que l’on respecte leur héritage et, surtout, qu’on ne les en prive pas ! Les ravages et les souffrances liés au secret des origines durent toute une vie. Si nous défendons la liberté et l’égalité de chacun, nous ne pouvons pas tolérer que des êtres humains soient volontairement privés de leur histoire, de leur vérité.

Il faut questionner notre conscience, en plaçant l’enfant au cœur de nos débats. Son intérêt doit primer toute autre considération.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaiterais faire état, à titre liminaire, de quatre réflexions.

Premièrement, la loi que nous allons voter, à la différence des lois de bioéthique précédentes, n’intègre pas l’horizon d’une révision indexée sur les progrès scientifiques à venir. Elle se place sur le plan des principes et il me semble intéressant de le noter car, s’il est effectivement souhaitable d’adapter la loi à l’état des connaissances scientifiques, l’éthique ne saurait y être subordonnée ni en devenir une variable d’ajustement.

Deuxièmement, l’éthique est-elle au service de la science ou la science au service de l’éthique ? Poser ainsi la question, ce n’est pas opposer l’une à l’autre, mais tenter de hiérarchiser et clarifier les finalités et les moyens. Selon moi, la fin ne saurait justifier les moyens.

De ce point de vue, je regrette que ce débat n’ait pas préalablement bénéficié, comme à l’Assemblée nationale, de la constitution d’une commission ad hoc. Nous aurions pu ainsi clairement marquer l’équilibre à respecter entre les exigences éthiques et les considérations scientifiques. Je souhaite cependant rendre hommage aux deux rapporteurs, car ces deux préoccupations ont guidé leurs réflexions et leurs travaux.

Troisièmement, un texte si particulier peut s’envisager sous deux perspectives : il s’agit soit de poser des principes stricts en prévoyant des dérogations, soit d’autoriser des pratiques en les assortissant de mesures d’encadrement. J’opte résolument pour la première solution : mieux vaut poser des principes se référant à l’éthique, quitte à les assouplir, plutôt que de prévoir des autorisations dont l’encadrement sera très vite difficile à maîtriser.

Quatrièmement, face à ce texte difficile, je conditionnerai mes votes au respect de deux principes. D’une part, la science doit rester un moyen au service de l’homme et non une fin en soi. D’autre part, il convient de veiller au respect des droits de l’enfant, le droit à l’enfant ne devant jamais leur porter atteinte. Ne laissons pas planer le spectre du Docteur Folamour sur nos débats !

Gardons toujours à l’esprit une vision équilibrée de la famille, à la fois réalité biologique, si importante aux yeux de l’enfant, et lieu d’éducation pour sa construction sociale, point de vue privilégié par les parents.

Les questions majeures qui se posent aujourd’hui sont sensiblement les mêmes que celles qui furent posées en 2004. J’en vois quatre, qui transcendent le texte et inspirent les mesures que nous allons examiner. Elles concernent la prédiction, le don d’organe, l’anonymat du don de gamètes et la procréation médicale assistée.

S’agissant d’abord de la prédiction, j’observe que la science a désormais le formidable pouvoir de détecter les caractéristiques du fœtus et ses pathologies, au premier rang desquelles la trisomie 21. Ce terrible service rendu aux parents leur révèle une différence, une maladie. Vise-t-il à trouver les voies de la guérison ou bien à faire peser sur eux le regard d’une société qui aspire au risque zéro et refuse le handicap ? Si la frontière entre ces deux options semble théoriquement balisée, prenons garde, dans la pratique, à ne pas développer un eugénisme, sous couvert de compassion et d’information.

Pour ce qui est du don d’organe, il ne saurait être assimilé au don de gamètes. Il n’en partage ni la nature ni la destination ! L’organe a un intérêt médical, celui de guérir et de réparer, alors que le gamète est utilisé pour la procréation. Donner la vie à un nouvel être humain, ce n’est pas la même chose que de transplanter un organe ! Sauver une vie, ce n’est pas en créer une nouvelle ! Les gamètes ne sont donc pas de simples « matériaux » biologiques.

À ce titre, je voudrais souligner combien les termes employés lors des débats m’ont parfois mis mal à l’aise : le gamète, l’ovocyte, l’embryon lui-même sont souvent désignés comme du « matériel » biologique. J’en veux pour preuve le terme terrible de « bébé-médicament », ainsi que les notions de sélection, de stocks, de rendement, d’offre et de demande. Gardons-nous de dériver pas vers l’eugénisme, le risque zéro et l’enfant parfait !

La troisième question majeure est celle de l’anonymat et de l’accès aux origines. J’avoue avoir longtemps hésité sur le point de savoir si l’on devait ou non lever l’anonymat. Dès lors que l’on considère le don de gamètes comme un acte qui n’est pas anodin, il semble impossible de refuser à l’enfant l’accès à son histoire, ainsi que vient de le dire excellemment Mme Des Esgaulx. Ce don a en effet des conséquences majeures, à savoir la naissance d’êtres humains, qui, tôt ou tard, se poseront la question de leurs origines.

La famille et la relation entre les parents et l’enfant ne se cantonnent pas à un lien social et culturel. Le lien est également biologique : c’est une loi naturelle qu’il serait dangereux d’ignorer, au risque de causer des dégâts psychologiques importants parmi les membres de la famille.

Accéder à ses origines devrait être un droit légitime. Je suis bien entendu tout à fait conscient des problèmes que cela crée lorsqu’un même donneur engendre de nombreuses vies.

La France a signé la Convention internationale des droits de l’enfant, rédigée sous l’égide des Nations unies, ainsi que, en 1997, la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, textes qui reconnaissent à l’enfant, notamment celui qui est né sous X, ce droit de connaître ses origines. Dans ces conditions, je ne vois pas comment l’on pourrait refuser de l’accorder aux enfants nés de dons de gamètes. L’adulte, le donneur, le médecin, sont certes les responsables de la vie ainsi donnée, mais le point de vue de l’enfant – celui qui souhaite savoir d’où il vient, celui qui a soif de repères – ne peut pas être ignoré !

Enfin, s’agissant de la procréation médicale assistée, je rappelle que l’enfant n’est en aucun cas un droit, mais bien un sujet de droit. C’est particulièrement vrai dans le cas de la procréation post mortem, où la motivation principale ne me semble pas être l’enfant ! Faire un enfant pour faire son deuil et ainsi créer un orphelin est, à mes yeux, un acte qui ne privilégie pas l’intérêt de l’enfant ! Quelle est alors la place de celui-ci ?

Des contradictions flagrantes émaillent d’ailleurs le débat sur l’enfant post mortem : comment peut-on prôner l’implantation post mortem au nom du lien biologique tout en affirmant que l’enfant ne se détermine que par le lien éducatif ? Comment peut-on désigner la paternité comme un lien social et justifier l’implantation post mortem, qui ampute de facto l’enfant d’un père ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique de Legge

L’implantation post mortem ouvre également la voie à la gestation pour autrui dans le cas d’hommes veufs souhaitant à tout prix un enfant d’une épouse décédée. Il convient de s’interroger sur ces dérives possibles.

L’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de sa personne, reconnus par le droit supranational, ne sauraient composer avec de telles ambitions scientifiques.

En conclusion, je dirai que j’aborde cette discussion avec plus de questions que de certitudes. Au terme de nos débats sur une loi dont la vocation doit être de protéger la famille et l’enfant, mon vote sera conditionné par la réponse à ces questions simples : les droits de l’enfant sont-ils respectés par ce texte et sortent-ils renforcés de son adoption ? Le primat de l’humain sur la science est-il assuré ?

La science doit rester un moyen au service de l’homme et non une fin en soi.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne suis pas une scientifique, mais une juriste, que la lecture de ce projet de loi a, je vous l’avoue, ébahie.

J’ai eu la vive impression de lire le scénario audacieux et brillant d’un film d’anticipation, qui aurait pu être l’œuvre de George Orwell. Nous sommes dans le réel, et pourtant il manque à ce scénario un ingrédient pour qu’il puisse être crédible, être à l’origine d’une fiction réussie : l’humanité.

Ce texte est un condensé de propositions censées pallier de véritables misères et désespérances humaines : des femmes dont le désir d’enfant ne peut être assouvi, des malades désespérés, en quête de panacée. Ces aspirations sont ô combien légitimes et les solutions esquissées ou apportées, parfaitement généreuses, ingénieuses, laborieuses.

Toutefois, si j’admire profondément le progrès scientifique, ces propositions me laissent un froid insidieux dans le cœur. Je n’y vois pas trace de ce qui doit faire loi, de ce devant quoi nous devons nous incliner, de ce à quoi il nous faut avant tout faire droit : l’intérêt de l’enfant.

N’étant pas scientifique, je le répète, je n’entrerai pas dans le détail de toutes les questions soulevées par ce texte. Celui-ci nous conduit, me semble-t-il, à nous interroger sur la transmission et sur ce que la société à venir réserve à nos enfants.

Quelle société peut, sans faillir, programmer froidement et minutieusement la venue au monde d’enfants dont le sort, déjà tracé, sera d’être abandonnés à la naissance par leur mère pour être donnés, confiés, voire vendus à une autre femme ? En effet, qu’elle soit légale ou illégale, cette pratique, dans le monde de convoitise qui est le nôtre, donne déjà lieu et donnera encore lieu à un commerce des plus sordides.

Quelle société peut programmer la venue au monde d’enfants dont les pères sont morts au moment de leur conception ?

Que veut une société dont les pères biologiques resteront, de manière programmée, et non accidentelle, anonymes pour leur progéniture ?

Sommes-nous dans une société où le droit à l’enfant prime les droits de l’enfant ? Là est la vraie question ! Car l’enfant a le droit de ne pas être abandonné, sauf cas de force majeure, le droit d’être pourvu, autant que possible, de parents bien vivants et structurants, le droit d’avoir des racines, de savoir, s’il le souhaite, d’où il vient, pour ne pas avoir le sentiment d’être né sans avoir été précédé d’une histoire, de n’être en quelque sorte de nulle part, comme s’il était issu de graines semées aux quatre vents.

La gestation pour autrui a peut-être été ou sera peut-être, en tant qu’acte isolé, un geste exceptionnel, un geste d’une grande beauté ; légalisée, banalisée, elle consacre l’abandon, voire la commercialisation de l’être humain.

Le transfert d’embryons post mortem peut être la survivance, la continuité d’un amour, d’un être aimé et hors du commun ; dans le réel, il reste un enfant orphelin.

Le transfert d’embryons post mortem légalisé consacre et banalise le statut d’orphelin.

L’anonymat du don de gamètes minimise, réduit à sa plus simple expression la fonction génitrice. La transmission, même sur le plan thérapeutique, demeure une responsabilité. L’origine biologique peut être primordiale pour un individu, que ce soit dans sa construction personnelle, dans sa conception du monde ou, plus prosaïquement, dans la collecte d’informations concernant sa santé. Personne n’a le droit de programmer cette mutilation psychique.

Pour tous ces enfants objets, où se situera l’altérité ? Que penser d’une société où les enfants naissent de procédures déshumanisées, où les droits fondamentaux existent de manière exorbitante pour les parents, au préjudice de ceux, inexistants, des enfants ?

La fin ne peut justifier les moyens. Cette phrase sera sans doute souvent répétée au cours de ce débat, tout comme celle-ci : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Ces deux maximes sont anciennes, elles n’ont jamais été révisées et n’ont pas pris une ride.

Les principes éthiques sont et doivent être inaltérables. Ce sont des lois d’airain qui ne peuvent changer au gré des soubresauts de l’actualité. Je me félicite qu’aucune révision ne soit prévue dans le temps. Afin que le foisonnement scientifique ne soit pas anarchique ou dangereux, nous devrons le confronter à la loi, mais s’il en est besoin.

Ne nous trompons pas de maître : la science ne peut que servir !

Beaucoup diront : « Cela se fait dans d’autres pays ». C’est ennuyeux en effet ; c’est sûrement une chose à considérer. Un jour peut-être les règles éthiques devront-elles se prendre à plus grande échelle. Néanmoins, en aucune manière, nous ne pouvons et ne devons transiger avec ce qu’il y a de plus sacré pour satisfaire une uniformité de pensée ou de mœurs.

Nous ne partageons pas tous les mêmes croyances, les mêmes combats, les mêmes aspirations spirituelles, mais nous avons tous, au moins, une idée de l’homme. Au nom de cette idée, nous ne pouvons oublier que tout être humain mérite respect, liberté, considération et, surtout, amour. Cela commence un peu plus tôt qu’à la naissance.

Les cellules d’embryon ne sont pas des cellules ordinaires !

Je veux maintenant vous citer l’extrait d’un débat scientifique qui a eu lieu en commission des affaires sociales : « [...] nous avons besoin de nouveaux embryons, tout simplement pour donner des moyens suffisants à la thérapie cellulaire. […] compte tenu des incompatibilités et en passant par les propriétés de l’antigène HLA, [il faudra] 22 000 donneurs potentiels pour prélever des cellules de vingt embryons compatibles avec 55 % de la population caucasienne ».

Le besoin de nouveaux embryons se fait jour. Pourra-t-on se contenter de l’existant ? Permettez-moi d’en douter.

Symboliquement, la vie ne peut être créée pour servir la maladie ou la mort. Voilà qui serait une vision d’horreur !

Tout cela est déterminant pour la société de demain. Pour toutes ces raisons, je voterai, si besoin est, contre la gestation pour autrui, contre le transfert d’embryons post mortem et pour la levée de l’anonymat du don de gamètes, pour l’interdiction de la recherche sur l’embryon et la promotion d’autres techniques.

En complément de ce texte, il faudrait introduire de véritables assouplissements en matière d’adoption.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Joissains

Beaucoup sont laissés sur le bord du chemin par les tragédies de la vie. La générosité et la grandeur de notre civilisation dépendent de notre attitude envers ceux qui n’ont rien et attendent tout.

Avant de continuer à produire – c’est le mot – de multiples embryons, dont l’immense majorité partira en fumée ou deviendra sujet d’expérience – je suis d’ailleurs très réservée sur la question du nombre des embryons surnuméraires –, notre société devra s’interroger sur son ambition, sur le sens – c’est la maître-mot – qui est le sien et sur celui qu’elle aura demain.

Si nous n’envisageons pas ce débat sous l’angle d’un humanisme vigilant, où l’intérêt de l’enfant prend et reprend toute sa place, si nous commençons à faire ce qui est aujourd’hui l’exception la règle, si nous devenons consuméristes à ce point, je crains que le monde que nous aborderons, aussi riche en progrès scientifiques soit-il, ne perde toute dimension transcendante et ne soit plus à l’échelle ni d’un homme ni d’un dieu.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai été tenté de reprendre l’intervention que j’avais faite lors de l’examen de la précédente loi relative à la bioéthique, car, si les techniques évoluent, les questions d’éthique sont immuables. Je pense donc toujours avec Chateaubriand qu’« il ne faut pas plier les réalités du présent aux rêves de l’avenir ». Cette maxime de prudence s’impose plus que jamais dans le domaine de la bioéthique.

Nous ne devons pas nous laisser dicter nos choix par la science ou les appétits financiers de certains. Or nous constatons une divinisation de la science devant laquelle tout devrait céder. Vu l’enjeu, une commission spéciale sur cette question aurait été bienvenue.

Aussi, je ne trouve pas dans le texte issu des délibérations de l’Assemblée nationale, modifié par les travaux de notre commission, de raisons suffisantes pour voter en faveur de ce projet de loi. Au contraire, de multiples aspects militent pour que je vote contre et je n’aperçois pas dans les quelques évolutions qui sortiront des débats de motifs me conduisant à changer de position.

Je n’aborderai évidemment pas tout ce qui conforte mon point de vue ; d’autres se sont exprimés bien mieux que moi voilà quelques instants.

Les dispositifs plus ou moins alambiqués concernant la recherche sur l’embryon sont inacceptables et la position de la commission n’améliore pas la situation, loin s’en faut.

Chaque fois, on fait un pas vers de nouvelles transgressions et je suis peu rassuré par l’action des thuriféraires de la recherche sur l’embryon. Le bon sens commanderait d’ailleurs de cesser de créer des embryons surnuméraires.

Les différentes dispositions du texte ne nous préservent pas de la marchandisation du corps humain. Se pose ainsi la délicate question de l’anonymat. Il est donc nécessaire de distinguer les dons concernant des éléments du corps.

Pour les dons d’organes ou le don du sang, l’anonymat ne soulève pas de question. Pour ce qui est des dons de gamètes, qui ne sont en rien comparables, la levée de l’anonymat est inéluctable, puisque nous avons ratifié des conventions internationales nous engageant à garantir le droit d’accès à ses origines. En conséquence, cela remettra aussi en cause le principe de l’accouchement sous X.

S’agissant de la question des dons de gamètes, permettre la procréation par tiers donneur a été une erreur dont nous n’avons pas fini de voir toutes les conséquences dévastatrices pour la vie des personnes. La sagesse serait un jour d’abandonner cette possibilité.

La commission a écarté à juste titre la possibilité de faire naître sciemment un enfant sans père. Elle a aussi écarté la gestation pour autrui, qui ne peut que provoquer la déconstruction de la maternité, la déconstruction de la filiation. La GPA, c’est l’institutionnalisation de la marchandisation du corps de la femme, très probablement de celles qui sont les plus pauvres et les plus fragiles. C’est la consécration du droit à l’enfant et l’officialisation de l’abandon d’enfant.

La technique des mères porteuses constitue une atteinte aux principes fondateurs de notre civilisation : le respect de la dignité humaine, celle de la femme, qui ne peut être réduite à un instrument de gestation, et la dignité de l’enfant, qui ne peut faire l’objet d’un contrat entre adultes. De ce point de vue, les promoteurs de la GPA génèrent de grands risques pour notre société.

Ce n’est pas parce que certains ne respectent pas une règle qu’il faut la changer. Tout cela n’est pas compatible avec la conception de l’homme et de la famille à laquelle je me réfère.

Je veux maintenant aborder la question du dépistage prénatal, notamment celui de la trisomie 21.

Notre société a institué vis-à-vis des porteurs de cette anomalie chromosomique un délit de faciès et a fait du trisomique la tête de Turc de la génétique.

Oh ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

La loi de 1994 a introduit l’eugénisme ; celle de 2004 a accentué la tendance et celle de 2011 la confirmera. En effet, dans un État de droit, démocratique, on a créé un pouvoir total, radical, exceptionnel, dérogatoire, exorbitant, d’ordre divin, qui est celui de donner la mort de manière préméditée à un enfant uniquement parce qu’il est petit, malade ou handicapé.

Murmures sur les travées du groupe socialiste.

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

Ce dépistage – ce pistage devrais-je dire – est devenu un acte politique collectif sur l’initiative de la puissance publique. Il est fondé sur un calcul coût-bénéfice du dépistage de la trisomie 21 qui fait froid dans le dos. C’est d’ailleurs une curieuse politique de santé publique dont les effets collatéraux ont pour conséquence la mort d’un plus grand nombre de sujets non atteints que de sujets malades, puisque, pour supprimer un fœtus trisomique, on supprime deux autres fœtus.

Il serait bon alors de tout calculer et de corriger les chiffres en tenant compte du nombre d’enfants sains qui ne sont pas nés et de tout ce que peut apporter une personne trisomique quand, par exemple, elle se distingue au festival de Cannes …

Il faut aussi s’interroger sur le marché juteux que cela représente pour certains laboratoires, qui, de plus, livrent des tests à la fiabilité incertaine. À l’heure où se posent des questions sur les liens d’intérêt entre experts et fabricants de médicaments, je considère qu’on est peu regardant sur ce point. Mais il ne faut pas gêner le marketing de l’eugénisme. En effet, 800 000 dépistages par an, cela rapporte !

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

Les limiter aux situations à risque – 1 % peut-être – ferait faire de sérieuses économies, mais toucher aux rentes de situation – plus de 100 millions d’euros pas an – demanderait du courage.

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

Si l’on consacrait ne serait-ce que la moitié de ces sommes à la recherche sur la maladie, cela changerait beaucoup de choses. Il est révélateur que la trisomie 21 ne figure pas dans le plan « maladies rares ».

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

Pourtant, un plan de recherche sur la trisomie 21 honorerait notre pays.

La France est le pays qui va le plus loin dans cet eugénisme, puisque 92 % des trisomies sont repérées, contre 70 % en Europe, et 96 % d’entre elles sont suivies d’un avortement. Cela ne suffit pas à certains, puisqu’un député s’est inquiété de savoir pourquoi il en reste encore 4 % !

Notons ainsi qu’un pays comme la Suède n’a pas de politique de dépistage de la trisomie 21.

On entretient donc les Français dans la phobie de l’enfant trisomique et, au nom de la norme mythique de l’enfant parfait, on encourage une culture eugénique qui conduit à transformer la génétique en un redoutable système policier.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.

Debut de section - PermalienPhoto de André Lardeux

Le revers de la médaille, c’est bien sûr la judiciarisation de plus en plus grande de la pratique médicale. Cela aboutit à des positions qui méritent pour le moins réflexion. En effet, la société conserve-t-elle sa dignité si elle établit des seuils de dignité ? Laisser entendre que l’élimination d’un enfant est une liberté relève d’un raisonnement controuvé. Ce ne sont pas les distinguos qui se veulent subtils entre eugénisme individuel et eugénisme collectif qui changent la donne, puisque le développement de l’eugénisme dit « individuel » relève d’une décision collective. Ainsi, on a osé écrire qu’un fœtus atteint de trisomie 21 peut légitimement bénéficier d’une interruption médicale de grossesse. On se demande où est le bénéfice pour le fœtus concerné !

On a donc un groupe sélectionné sur la base du génome de ses membres ; ceux-ci font l’objet d’atteintes à la vie de nature à entraîner la destruction partielle ou totale de leur groupe. Cela se fait sur la base d’un plan concerté : analyse coût-bénéfice, stratégie de dépistage, objectifs de performance et de qualité, moyens de financement. Je n’ose imaginer comment on aurait appelé cela en d’autres lieux et en d’autres temps. L’article 211–1 du code pénal apportera peut-être la réponse ...

D’aucuns objectent que cela conduit à la remise en cause de la loi Veil. Quoi que, les uns et les autres, nous pensions sur le sujet, ce n’est pas ce qui est en cause. En effet, la loi Veil n’a jamais dit que l’enfant à naître n’était ni un être humain ni une personne pour l’excellente raison qu’aucune loi ne peut le proclamer. On peut même dire que la loi autorisant l’avortement est bien la preuve que l’enfant à naître est une personne, sans quoi il n’y aurait pas eu besoin d’une loi pour y porter atteinte.

Le texte proposé n’apportant pas de modification sur le fond de cette question, je ne pourrai évidemment pas modifier la position que j’avais adoptée voilà sept ans.

Enfin, informer toutes les femmes est pervers, puisque l’on crée chez la très grande majorité d’entre elles une anxiété inutile. On voit ainsi des parents traumatisés et culpabilisés après qu’on leur eut imposé brutalement de choisir entre la charge d’un enfant trisomique ou d’avoir un avortement sur la conscience.

Cette question suffit à elle seule pour que je vote contre l’ensemble du texte. Ce projet de loi fourre-tout n’est que le symbole d’une époque déboussolée, d’une société qui n’a plus de repères. Il est loin de remplir la mission de la loi, qui est de protéger les personnes et de défendre l’égalité de tous en droit et en dignité. En effet, il oublie que toute vie est un trésor.

Pour conclure, je dirai que la qualité d’une société ou d’une civilisation se mesure au respect qu’elle manifeste envers les plus faibles de ses membres. Une société techniquement parfaite dans laquelle seuls sont admis les membres pleinement productifs devrait être totalement indigne de l’homme, pervertie par une sorte de discrimination non moins condamnable que la discrimination raciale.

Applaudissements sur quelques travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

M. Jean-Louis Carrère. Vous applaudissez ? Avez-vous vraiment bien écouté ce qu’il a dit ?

M. Roland Courteau renchérit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre débat, dans son ensemble, est de très haute tenue, même si je ne partage pas tout ce qui vient d’être dit.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Il démontre que nous sommes capables de dépasser nos positions partisanes, de respecter le point de vue de chacun.

Nous avons abordé ces sujets avec modestie et aussi, oserais-je le dire, avec un peu d’angoisse. Le médecin que je suis sait en effet combien il est important pour le malade d’obtenir des réponses, il connaît la douleur des couples qui n’arrivent pas à avoir d’enfant. Je sais aussi, parce que je l’ai appris lorsque j’exerçais en tant que neuropsychiatre dans un établissement prenant en charge les enfants handicapés, quelles peuvent être les espérances de ces enfants.

Voilà pourquoi il faut permettre à la science d’avancer. Mais la science n’est pas une divinité ; elle apporte des réponses à des problèmes quotidiens.

Si nous sommes demandeurs de progrès scientifiques, nous savons aussi que ceux-ci peuvent déboucher sur des situations inacceptables. Il nous appartient donc de rappeler un certain nombre de principes éthiques.

Je salue d’ailleurs le très bon équilibre que vous avez su trouver, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, même si je ne suis pas d’accord sur tous les points. Ainsi, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’avant-propos du rapport, qui précise que « [...] le débat, en matière bioéthique, ne permet pas et ne permettra jamais l’émergence d’un réel consensus : […], il a pour but de soulever un perpétuel questionnement, […], plus que de fournir des réponses définitives ».

Le propre de notre démocratie est de nous permettre de nous retrouver. C’est pourquoi je n’intente de procès à personne : je sais que nous avons tous les mêmes exigences de protection de la dignité des personnes et des droits de l’enfant – principes que nous sommes déterminés à faire respecter – et que nous sommes également tous confrontés à des situations qui posent question. En tant que législateurs, il nous appartient donc aujourd'hui d’avancer, comme nous avait fortement permis de le faire en 2004 – vous étiez alors Premier ministre, monsieur le président – M. Jean-François Mattei, à qui je tiens ici à rendre hommage.

Il était bon de prévoir un rendez-vous tous les cinq ans – nous avons un peu dépassé le délai – afin de nous permettre de faire le point. L’objectif était non pas de remettre en cause les fondements de notre éthique, mais de répondre à des situations nouvelles. L’intérêt d’un tel rendez-vous a été démontré. Dès lors, pourquoi ne pas en fixer un nouveau dans cinq ans ?

Monsieur le rapporteur, vous l’avez vous-même indiqué, la situation pourrait évoluer d’ici à deux ou trois ans, par exemple en ce qui concerne la vitrification ovocytaire. À cet égard, j’indique que je souhaite que ce procédé se développe, tant dans le public que dans le privé, car il rendra possible, au lieu de constituer des stocks d’embryons congelés destinés à être éventuellement réimplantés par la suite, de ne congeler que des gamètes. Cela permettra de ne procéder à la fécondation qu’au moment opportun et limitera, de ce fait, le nombre d’embryons congelés.

Lorsque j’étais président du conseil régional du Languedoc-Roussillon – pardonnez-moi de me citer –, j’ai lancé à Montpellier le premier centre de biothérapie cellulaire. Je sais les réponses que cette technique peut apporter – les recherches ne sont pas exclusivement effectuées sur des cellules embryonnaires – …

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

En effet !

... et que celle-ci est appelée à se développer.

Je le répète, je souhaite que, dans cinq ans, comme nous le faisons aujourd'hui, nous puissions faire le point sur un certain nombre de sujets. Ce rendez-vous est non pas destiné à nous faire renoncer à nos convictions en matière de respect de la personne humaine, mais à tenir compte des évolutions de la science. Peut-être certains débats seront-ils alors totalement dépassés ?

Permettez-moi maintenant d’évoquer, avec simplicité, mais avec de fortes convictions, le débat sur le diagnostic prénatal.

Les modalités de ce diagnostic importent peu. Ce qui compte, c’est que nous fassions passer un message positif afin de modifier le regard que notre société porte sur les personnes handicapées.

Sachez qu’un enfant mongolien est plein d’espérance et peut avoir une vie heureuse. Sa famille, qui lui a donné beaucoup d’affection, mérite toute notre considération. Voilà une attitude qui évacuerait les faux débats !

Moi, je n’accuse personne d’eugénisme, car je ne pense pas quelqu’un veuille aller dans cette direction. Sortons donc de ce débat et évoquons plutôt la recherche – pourquoi pas dans le cadre de la commission mixte paritaire ? –, qui est abordée à l’article 12.

Je le répète : il est important que nous adressions un message d’espérance à toutes les familles d’enfants handicapés. J’en ai reçu plus de mille dans des établissements créés voilà plus de cinquante ans dans mon département, à une époque où personne ne s’en occupait. Je puis vous dire que ces familles sont formidables.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Ne les culpabilisons pas, car ce risque existe. Il faut au contraire valoriser l’amour, l’affection et le bonheur qu’elles peuvent apporter à leur enfant, quel que soit son handicap. Nous pouvons tous être d’accord sur ce sujet et nous mobiliser pour ces familles.

Bien sûr, il faut organiser un dépistage – je n’aime pas beaucoup ce mot, car le handicap n’est pas une maladie –, disons plutôt des tests, ne serait-ce que pour préparer un accouchement dans des conditions plus positives.

Tel est le message que je souhaitais porter ici, celui d’un médecin qui a beaucoup appris en travaillant dans des établissements pour enfants handicapés, lesquels nous ont souvent donné des leçons d’espérance.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP et de l ’ Union centriste.

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de constater qu’un consensus se dégage sur les valeurs essentielles qui constituent le socle de notre législation en matière de bioéthique.

Quelles que soient vos sensibilités, vous vous accordez tous à souligner l’importance des principes que j’ai évoqués en présentant ce projet de loi. Je veux parler de la dignité humaine, du respect dû à la vie humaine, dès son commencement, du refus de la marchandisation et de l’attachement au don solidaire.

Je me suis exprimée sur cinq points essentiels lors de l’examen du texte en commission : la clause de révision périodique du texte, la levée de l’anonymat, la gestation pour autrui, le transfert d’embryons post mortem, l’interdiction des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, avec possibilité de dérogation.

Je veux apporter quelques précisions en réponse à vos interventions.

Tout d’abord, je suis malheureusement convaincue que légaliser la gestation pour autrui ne mettrait pas un terme à la marchandisation ni aux voyages à l’étranger, notamment vers certains États des États-Unis qui ont légalisé la GPA, afin de trouver, pardonnez-moi l’expression, des femmes moins coûteuses.

On verra donc apparaître à plus ou moins long terme une rémunération des mères porteuses. Imaginez qu’il y ait moins de femmes volontaires que de couples demandeurs, ce qui est probable, ces derniers iront alors à l’étranger afin de louer des ventres un peu moins chers. Les rémunérations occultes se développeront.

Ensuite, concernant la recherche sur l’embryon, l’argument du manque de sécurité pour les chercheurs et du découragement des investissements ne me semble pas fondé. En effet, d’une part, c’est la pérennisation des possibilités de recherche qui apportera aux chercheurs la sécurité qui leur manque. D’autre part, il n’y a pas aujourd’hui de nécessité d’investissement industriel afin de développer cette recherche.

Je voudrais surtout réaffirmer un principe : le respect dû à l’embryon doit primer sur les préoccupations financières et la rentabilité.

Mme Bernadette Dupont, Mlle Sophie Joissains et M. Jean-Louis Lorrain applaudissent.

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

Nous aurons l’occasion de revenir sur ces points lors de l’examen des amendements.

Par ailleurs, s’agissant du diagnostic prénatal, je ne peux pas vous laisser dire, madame Payet, que se développe un « eugénisme d’État ». Cette expression signifierait que l’État organise la sélection génétique des personnes. Dans le cadre du projet de loi, c’est la femme qui décide.

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

Il est simplement prévu de respecter son droit à l’information. Ainsi, elle saura qu’elle aura la possibilité de procéder à un dépistage, mais celui-ci ne lui sera pas imposé.

Debut de section - Permalien
Nora Berra, secrétaire d'État

Ce n’est peut-être qu’une nuance, mais elle est de taille et je tiens à la souligner.

Pour répondre à M. Fischer sur le don de cellules souches hématopoïétiques et le développement des pratiques commerciales, je voudrais préciser que le don dédié n’est pas tout à fait la même chose que le don autologue. En effet, il a vocation à permettre de soigner un membre de la fratrie. Si les banques du sang réservent des espaces à cet effet, on ne peut que s’en réjouir.

Le Gouvernement n’a aucunement l’intention d’encourager une quelconque politique commerciale. C’est d’ailleurs pour cette raison que le projet de loi n’autorise pas la conservation de sang qu’à des thérapeutiques.

En outre, le régime de consentement présumé doit impérativement être maintenu en matière de don d’organes. Certains d’entre vous souhaitent la mise en place de registres de consentement exprès. Je souligne simplement que des études montrent que ces registres ne recueillent que peu d’inscriptions. En définitive, le régime de consentement présumé est celui qui permet d’obtenir la plus grande disponibilité d’organes. Ne fragilisons pas ce dispositif en multipliant les registres.

Enfin, je me réjouis du rétablissement de l’ordonnance relative à la biologie médicale par la commission. Les quelques points de difficultés résiduelles soulevés par ce texte feront l’objet d’ajustements dans le cadre de la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, déposée par M. Fourcade.

Applaudissements sur les travées de l ’ UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…

La discussion générale est close.

La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Debut de section - PermalienPhoto de Muguette Dini

Monsieur le président, le Gouvernement venant de déposer des amendements, je vous demande une suspension de séance afin que la commission puisse les examiner, d’autant que le premier d’entre eux vise à supprimer l’article 1er A.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. le président. Dans ces conditions, mes chers collègues, je vous propose d’interrompre maintenant nos travaux et de les reprendre à vingt et une heures trente.

Assentiment.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Raffarin

M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 5 avril 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-134 QPC).

Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.

Acte est donné de cette communication.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt-et-une heures trente.