Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 5 avril 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Ce projet de loi est également essentiel par ses enjeux : jusqu’où peut-on aller, jusqu’où ne doit-on pas aller, pour ne pas franchir des seuils anthropologiques au risque de blesser l’essence même de l’homme ? Ce projet de loi est essentiel parce qu’il n’a rien d’uniquement scientifique ou technique. En repoussant toujours plus loin les limites dans la maîtrise du vivant, nous modifions aussi l’échelle des valeurs qui fondent la vie en société. Les choix que nous effectuerons n’exprimeront pas seulement une vision de l’homme, ils renforceront ou affaibliront le lien social. En ce sens, ce débat est profondément politique.

Sur le fond, ce texte pose trois questions : quelles limites l’éthique doit-elle donner à la science et comment s’assurer que la science reste bien au service de l’homme ? Quels repères l’éthique doit-elle poser face aux demandes particulières, face à la liberté individuelle ? Enfin, quelles bornes l’éthique doit-elle imposer au marché, aux intérêts financiers qui, dans chaque avancée, voient d’abord une occasion de profit ?

La première question touche aux rapports de l’éthique et de la science. Bien sûr, la science est un formidable facteur de progrès. Elle s’identifie même à l’idée de modernité, mais notre modernité ne doit pas être uniquement l’emballement d’une grande machinerie qui, au nom d’une ambition prométhéenne, déclasserait une promesse d’humanité au rang de matériau de laboratoire.

De ce point de vue, l’abandon du régime d’interdiction, pour la recherche sur l’embryon humain, me paraît constituer une erreur.

Tout d’abord, le passage du régime de l’interdiction assortie d’exceptions au régime d’autorisation encadrée représente une évolution considérable, car il induit tout simplement une inversion radicale du principe de protection, qui s’inscrit dans une logique de déshumanisation progressive de l’embryon : en 1994, nous posons le principe d’interdiction stricte de toute recherche sur l’embryon humain ; en 2004, nous maintenons ce principe en l’assortissant de dérogations et, aujourd’hui, vous nous proposez d’autoriser la recherche sur l’embryon humain. Cet engrenage nous conduit à traiter l’embryon de plus en plus comme un objet et de moins en moins comme une personne humaine potentielle !

Ensuite, la rupture radicale que constitue cet abandon du principe d’interdiction ne se justifie pas, et ce pour deux raisons essentiellement.

La première est fondamentale : la loi civile, comme M. le rapporteur l’a rappelé, pose le principe intangible du respect de la personne « dès le commencement de sa vie » ; ce sont les termes de l’article 16 de notre code civil. Or le problème n’est pas de savoir si l’être humain est intouchable, mais à partir de quand on devient un être humain. Comment, en effet, définir et dater un seuil d’entrée dans l’humanité ? Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé n’a pas apporté de réponse définitive à cette question, mais il indique que l’embryon est « une personne humaine potentielle ». Effectivement, chaque étape de son développement est comme contenue dans l’étape qui la précède. Quand bien même aurions-nous un doute à cet égard, mes chers collègues, ce doute ne serait-il pas suffisant pour nous abstenir de traiter l’embryon comme un simple produit de laboratoire ?

D’autant plus qu’il existe désormais des solutions de rechange. Telle est la deuxième raison pour laquelle le principe de l’autorisation de la recherche sur l’embryon ne me paraît pas souhaitable, puisque d’autres techniques sont désormais disponibles…

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