Intervention de Gilbert Barbier

Réunion du 5 avril 2011 à 14h30
Bioéthique — Discussion d'un projet de loi

Photo de Gilbert BarbierGilbert Barbier :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est l’aboutissement de la clause de révision inscrite dans la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique.

En réalité – comme il a été dit –, aucune recherche n’est venue bouleverser fondamentalement le champ de la bioéthique, ni poser de nouveaux défis depuis la promulgation de cette loi, si ce n’est l’émergence de la biologie de synthèse, dont il faudra un jour se préoccuper.

C’est surtout l’approfondissement des techniques existantes et leur diffusion croissante qui changent la dimension des problèmes.

Notamment, la mondialisation de la recherche engendre des tensions économiques et risque de favoriser à court terme le « moins-disant éthique », car elle s’accompagne d’une concentration des moyens financiers. Aussi est-il assez compréhensible que les chercheurs souhaitent une simplification des procédures. Il est vrai que celles-ci sont parfois inutilement contraignantes et qu’il est difficile de connaître à l’avance l’impact thérapeutique d’une découverte.

Comme le rappelait le professeur Henri Atlan, le chercheur s’efforce avant tout de sauvegarder sa liberté, de conduire ses travaux pour découvrir. C’est l’un des enjeux de la recherche fondamentale que la loi de 2004 paraît limiter, non sans une certaine hypocrisie d’ailleurs, mais j’y reviendrai.

Parallèlement, l’information scientifique et juridique circule très rapidement ; elle est très médiatisée. Juste ou fausse, elle suscite réactions, mais aussi espérances. L’utilisation du réseau internet permet aussi à chacun d’évaluer l’offre juridique en fonction de ses besoins. Un interdit peut être facilement contourné par un déplacement opportun vers un pays voisin dans lequel la loi est plus permissive.

Le « dumping juridique » et le « moins-disant éthique » font recette dans tous les champs couverts par la biomédecine : explosion des tests génétiques via internet, tourisme de transplantation et de procréation.

On voit bien, dans ce contexte, l’importance de notre débat de ce jour. Personnellement, je ne crois pas que le législateur se doive d’être « à la remorque » de la science pour toujours adapter la loi aux découvertes en cours et de répondre aux nouvelles demandes sociales.

Si la liberté du chercheur et celle de l’individu existent, le législateur doit – c’est sa vocation – créer le cadre et les conditions du « vivre ensemble ». « On entre véritablement en éthique », disait Paul Ricoeur, « quand, à l’affirmation par soi de la liberté, s’ajoute la volonté que la liberté de l’autre soit ». C’était poser comme valeur universelle, non pas la simple juxtaposition des libertés, mais la réciprocité. C’est tout le propos d’Axel Kahn sur le caractère au fond universel et intemporel des valeurs de respect de la personne.

Sur trois sujets, les attentes s’expriment désormais avec plus de force.

Le premier de ces sujets est la levée de l’anonymat dans le cadre des actes d’assistance médicale à la procréation, au nom du droit à connaître ses origines, sujet dont l’acuité se manifeste aussi par l’explosion des tests génétiques en accès libre sur le réseau internet. Dans bien des cas, il s’agit de satisfaire la curiosité de chacun sur ses origines familiales.

L’Assemblée nationale avait finalement décidé, à une large majorité, de maintenir le principe de l’anonymat. La commission des affaires sociales, sur l’initiative de son rapporteur, est revenue au texte initial. À mon sens, c’est une erreur : la rupture de l’anonymat comporte des éléments bien plus perturbants que l’ignorance de l’identité de son géniteur.

Elle aura vraisemblablement des conséquences sur le nombre des donneurs, qui risque de diminuer dans un premier temps. Par ailleurs, les parents seront tentés de cacher à leur enfant le mode de sa conception.

Compte tenu du recours toujours possible aux tests génétiques par les enfants devenus adultes, la découverte d’un secret aura des conséquences bien plus néfastes que la méconnaissance de ses origines. Comment réagira un enfant si sa mère ou son père biologique ne manifeste pas le souhait de le rencontrer ? Ou encore quelle sera la réaction de la famille du donneur en apprenant l’existence d’un autre enfant ? Les risques de conflits et de traumatismes psychologiques ne sont pas à écarter, particulièrement dans le cas où le donneur est une mère.

Il eût été plus raisonnable de permettre un accès aux seules motivations et données non identifiantes sur le donneur.

Le second sujet concerne l’accès à l’assistance médicale à la procréation. Certains souhaitent en effet l’ouvrir à des femmes célibataires ou à des couples de femmes. D’autres réclament la légalisation du recours à la mère porteuse.

Je ne juge pas les nouvelles formes de parentalité existantes ni les familles recomposées ou monoparentales. L’aspiration à « faire famille » ou à devenir parents n’est certes pas réservée à quelques-uns, mais crée-t-elle pour autant des droits sur la société ? Gardons aussi à l’esprit l’intérêt de l’enfant à naître…

Les techniques d’assistance médicale à la procréation étant lourdes et difficiles à mettre en œuvre, je considère qu’elles doivent être réservées aux stérilités médicalement avérées. Sur ce point, le projet de loi me satisfait.

Reste la question du transfert d’embryon post mortem, qui a déjà été évoquée. Dans le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, celui-ci était autorisé. La commission en a décidé autrement. Cette décision apparaît sévère pour le membre du couple survivant, qui peut, par ailleurs, consentir au don de ses embryons en vue d’un accueil par un autre couple.

J’ai donc déposé un amendement visant à autoriser le transfert d’embryon post mortem dans les conditions proposées par l’Assemblée nationale : consentement écrit du conjoint, délai de six à dix-huit mois après le décès de celui-ci, suivi psychologique de la mère.

Certains ont souhaité à nouveau porter le débat sur la gestation pour autrui en séance publique. L’encadrement strict qu’ils proposent à travers leurs amendements ne lève pas, selon moi, les objections de fond.

Cette technique remet en cause une règle fondamentale du droit de la filiation de la plupart des États occidentaux, selon laquelle la maternité légale résulte de l’accouchement : « Mater semper certa est ». Mais, surtout, elle ramène la gestation à une période neutre, impersonnelle, sans effet sur le devenir de l’enfant. C’est en définitive vouloir considérer que l’utérus n’est qu’un simple incubateur.

Pour Mme Badinter, « on peut porter un enfant sans faire de projet, sans fantasmer, sans tricoter une relation avec lui ». Je ne saurais affirmer le contraire, bien que les médecins démontrent chaque jour l’importance des échanges fœto-maternels.

Quoi qu’il en soit, une grossesse, ce n’est pas toujours simple : la mère porteuse n’est pas à l’abri de complications ; elle doit aussi affronter le regard des autres, celui de sa famille en particulier.

Qu’adviendra-t-il si sa grossesse se déroule mal ? Qui sera responsable ? Quel sera le sort de l’enfant si le couple d’intention ne le reconnaît pas ou, entre-temps, est dissous par la mort, une séparation ou un divorce ?

Toutes ces questions ainsi que celle du défraiement impliquent un contrat. Je le dis sincèrement, cela me choque et me bouleverse qu’on puisse établir un contrat sur un enfant à venir. Il est évidemment des couples que l’on souhaiterait aider, mais la loi doit poser des limites.

Enfin, le troisième sujet qui suscite des attentes concerne les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

Contrairement à la position de l’Assemblée nationale, la commission des affaires sociales a supprimé l’interdiction de telles recherches au profit d’un régime d’autorisation strictement encadrée. On ne peut en effet que s’interroger sur la valeur d’un interdit de principe qui s’appuie sur des valeurs profondes et intangibles et pour lequel est aménagé de façon permanente un régime dérogatoire.

N’y a-t-il pas une hypocrisie à justifier le maintien du principe de l’interdiction par le souci de protéger l’embryon alors que la loi autorise le tri des embryons grâce au diagnostic préimplantatoire et la conception d’embryons surnuméraires qui sont voués à être détruits ?

Sur le plan scientifique, il n’y a plus grand sens, depuis que les cellules iPS ont été découvertes, à opposer recherche sur les cellules souches embryonnaires et recherche sur les cellules souches adultes, même si certaines pathologies doivent être traitées de préférence par les unes plutôt que par les autres.

Par ailleurs, un système qui interdit tout en organisant une transgression est illisible, malsain et culpabilisant pour les chercheurs. Les équipes françaises sont confrontées à un défi d’innovations technologiques très important. Le régime dérogatoire induit une instabilité juridique peu propice à attirer les jeunes chercheurs, les chercheurs étrangers et les investissements des industriels et des sociétés de capital-risque.

Il convient donc de mettre fin à cette sorte de suspicion à l’égard de la recherche sur l’embryon alors que tout le monde s’accorde à reconnaître la qualité des contrôles auxquels procède l’Agence de la biomédecine.

Il faut simplifier les démarches administratives imposées aux chercheurs, créer une banque de cellules souches gérée par l’Agence de la biomédecine et encourager la poursuite de la recherche fondamentale, sans privilégier telle ou telle approche.

Mes chers collègues, il est indispensable de s’interroger en permanence sur les meilleurs moyens d’utiliser les remarquables avancées de la recherche biomédicale, de prévenir au mieux les risques de dérive auxquels ces avancées peuvent conduire – en premier lieu, comme le révèle le grand livre de Stephen Jay Gould, le risque d’une Mal-mesure de l’homme, d’une réduction de la complexité, de l’identité et du devenir de la personne à ce que peut en dire la biologie.

Le texte de la commission, malgré les quelques questions que j’ai soulevées, me semble conserver les équilibres nécessaires entre les valeurs fondant notre société et les libertés individuelles. En l’état actuel, je le voterai.

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