Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi, le troisième depuis 1994 à concerner le domaine de la bioéthique, a cela de spécifique qu’il nous interpelle tous au-delà de nos convictions politiques. Et pour cause ! La matière dont nous traitons n’est rien de moins que l’humain, avec la question fondamentale de l’humain en devenir, le vivant, avec la question de son inaccessibilité, ainsi que la place que nous entendons réserver à la science dans le cadre précis des deux précédentes interrogations.
Autant dire que les lois de bioéthique font systématiquement appel à des positions personnelles, à des convictions que chacun s’est intimement forgées, plus qu’à des positions partisanes ou politiques…
L’obligation qui nous incombe, à toutes et à tous, de définir pour l’avenir les règles d’éthique en matière de santé, de médecine et de recherche fait peser sur nous une responsabilité particulière. Il s’agit de trouver ce subtil équilibre entre ce que la science peut faire techniquement et le souci scrupuleux du respect de l’éthique.
Cette question primordiale entre le possible et le souhaitable ne doit pas être la propriété des seuls scientifiques. Elle doit être la ligne conductrice d’un véritable débat citoyen.
À cet égard, je me réjouis de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement qui est devenu, en l’état actuel du projet de loi, l’article 24 ter A, lequel tend à prévoir la possibilité d’organiser un débat public sous forme d’états généraux avant tout projet de réforme dans le domaine de la bioéthique. Cette proposition, que le groupe communiste et républicain avait avancée en 2003 et qui, à cette époque, ne fut pas retenue, trouve aujourd’hui sa concrétisation et permettra d’instaurer un véritable débat démocratique dans notre pays sur le sujet.
Ce débat est indispensable quand on mesure l’importance des décisions prises pour l’avenir. C’est un signal très positif envoyé à nos concitoyens.
Toutefois, cette satisfaction s’accompagne d’une déception. Nous sommes convaincus, au sein du groupe CRC-SPG, que l’importance des sujets traités, ainsi que la vitesse à laquelle progresse la science devraient conduire à prévoir dans la loi le principe d’une révision régulière – quinquennale, par exemple – des lois de bioéthique. Nous savons ce choix non partagé… Nous serons néanmoins très attentifs sur la question et nous rallierons aux propositions formulées dans ce domaine.
Par ailleurs, nous avons retenu une double approche pour nous interroger sur ce projet de loi : d’une part, l’application à la matière bioéthique d’un principe de responsabilité politique pouvant se résumer en une phrase, celle utilisée par le philosophe Hans Jonas – « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; d’autre part, le principe de non-commercialisation du vivant.
À cet égard, il est temps que notre législation aille encore plus loin. En effet, la directive européenne 98/44/CE sur la protection juridique des inventions biotechnologiques, adoptée en juillet 1998, reconnaît que le vivant est « brevetable sous certaines conditions ». Ce texte permet l’usage commercial d’une séquence génétique en vue d’une application industrielle mais, surtout, il vise à harmoniser les pratiques juridiques des différents États de la Communauté et à élargir le champ d’application du droit des brevets à l’ensemble du vivant.
Alors, me direz-vous, l’article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle, en prévoyant que « le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence totale ou partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables » est plus protecteur que cette directive. Soit !
Mais tout cela n’est pas suffisant puisque, d’une certaine manière, est autorisée la brevetabilité de certains éléments au titre de l’inventivité dans la mesure où, selon ce même article, sont brevetables les inventions constituant « l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain ». Nous sommes par ailleurs persuadés que notre droit doit prévoir expressément l’interdiction de l’appropriation économique, sous la forme de brevets, de tout ce qui est vivant, que cela soit humain, végétal ou animal.
On le voit d’ailleurs aujourd’hui dans l’agriculture : cette logique qui conduit certaines entreprises, bien souvent des multinationales, à s’approprier une plante ou un animal au prétexte qu’elles en auraient modifié un ou deux gènes pour le rendre plus résistant joue contre les agriculteurs et, dans une certaine mesure, contre les équilibres naturels actuels. Ce qui a préexisté à l’homme ne peut pas être breveté.
De la même manière, nous sommes satisfaits de la rédaction actuelle de l’article 7, qui pose le principe de l’utilisation allogénique des cellules hématopoïétiques du sang de cordon et du sang placentaire ainsi que des cellules du sang de cordon et du placenta, interdisant de fait les banques à finalité autologue.