Nous considérons effectivement que l’existence de telles banques aurait constitué un retournement fondamental dans notre droit actuel puisque le don n’aurait plus eu qu’une finalité personnelle, et ce alors même que le procédé est loin d’être abouti.
Pour notre part, nous faisons nôtre l’analyse développée par le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, dans son avis n° 74, selon lequel « une autoconservation systématique, en dehors d’une justification médicale exceptionnelle, nie le don et constitue un obstacle à la constitution de banques pour les autres, qui supposerait une identification immunogénétique préalable au coût très important ». Et le CCNE de conclure : « Il semble que la conservation systématique de sang placentaire pour utilisation exclusivement autologue soit dans l’état actuel de la science, une illusion thérapeutique qui réponde davantage à des objectifs de marché. »
Cette conservation, mes chers collègues, si elle devait être autorisée, constituerait immanquablement une discrimination à l’égard de nos concitoyens les moins riches, le coût exorbitant de ces procédés les excluant de fait.
Nous considérons d’ailleurs qu’il nous faut aller encore plus loin et prévoir dans la loi expressément, comme nous le faisons dans l’amendement que nous avons déposé en ce sens, l’interdiction pure et simple des banques privées commerciales. Celles-ci suscitent des utopies et déguisent un but mercantile sous le prétexte de rendre service à l’enfant.
C’est la même préoccupation du refus de la commercialisation du vivant qui a conduit notre groupe, à l’issue d’une période de débats et de réflexion, à nous opposer à la gestation pour autrui, c’est-à-dire ce choix qui consiste pour un couple à demander à une tierce personne de porter en son ventre leur enfant.
Certes, les progrès de la technique permettent aujourd’hui de séparer la fécondation de l’enfantement lui-même, c’est-à-dire de distinguer en deux phases la grossesse de l’accouchement. Pour autant, nous ne souhaitons pas que se développe en France un commerce lié à la capacité des femmes à donner la vie. Cette capacité biologique ne peut faire l’objet d’aucun contrat ni d’aucun commerce, car l’inverse conduirait à les réduire à cette capacité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’un commerce.
Comme le dit justement l’appel « contre le marché des ventres », « là où elle est permise, cette pratique donne toujours lieu à une rétribution de la grossesse », ce qui a par ailleurs pour objet, et de manière indirecte, de donner un prix à l’enfant, comme on pourrait le faire pour tout produit commandé dont on attendrait la livraison. Convenez, mes chers collègues, que cela n’est pas souhaitable.
L’enfantement devient alors un service social où la sphère économique s’empare de la vie, avec cette particularité notable que, comme le souligne la philosophe Sylviane Agacinski, « dans les pays qui ont légalisé la gestation pour autrui, on constate que ce sont les femmes pauvres qui portent l’enfant des couples riches, et jamais le contraire ». Cela se vérifie en Californie, où fleurissent les annonces affichant clairement et sans détour : « Ventres à louer ». Et, comme le souligne l’appel contre le commerce des ventres que j’ai précédemment mentionné, « là où elle est autorisée, même très encadrée, comme au Royaume-Uni, la maternité pour autrui est toujours rémunérée, sous forme de salaire ou de “dédommagement”, bien au-delà de la couverture des frais médicaux. Et comment pourrait-il en être autrement ? ».
Tout cela n’empêche pas que, même en Californie, s’organise une forme de dumping social des ventres les moins chers, conduisant les couples désireux d’avoir des enfants à se rendre en Inde, où le prix d’un utérus, puis d’un ventre est plus faible. Comme le souligne encore une fois, et à raison, Sylvianne Agacinski, « la marchandisation n’est pas une dérive, elle est au cœur de cette pratique ». Cela tend à réduire, neuf mois durant, la mère dite de substitution à un simple espace dans lequel prendrait forme la vie. C’est assimiler la femme à un outil, inscrit dans une logique à laquelle nous refusons d’adhérer : la fabrication d’un enfant.
C’est pourquoi, malgré le désir compréhensible des couples qui veulent connaître les joies de la parentalité, nous voterons contre des amendements prévoyant de telles dispositions s’ils devaient être débattus, comme ce fut le cas en commission des affaires sociales.
Par ailleurs, nous saluons la rédaction de l’article 23, concernant les recherches sur les cellules souches, tel qu’il a été modifié par la commission des affaires sociales. L’état actuel du droit, c’est-à-dire le principe de l’interdiction de la recherche sauf dérogation, n’était plus approprié aux réalités scientifiques, et ses fondements reposent sur une chimère à laquelle nous n’adhérons pas.
Je tiens à le dire avec force, ce n’est pas dépasser notre humanité que de permettre aux scientifiques de faire, dans l’intérêt de tous, des recherches sur des embryons qui, parce qu’il n’y a plus de projet parental, sont destinés in fine à être détruits.
Le principe d’autorisation encadrée, tel qu’il est proposé dans cet article, nous paraît être aujourd’hui le cadre juridique le plus approprié, permettant à la fois aux scientifiques de travailler dans des conditions plus claires, notamment vis-à-vis de leurs partenaires européens, tout en évitant certaines dérives naturellement contestables.
Les conditions fixées dans cet article nous semblent suffisamment protectrices dans la mesure où, s’il existe une alternative à la recherche sur l’embryon, celle-ci sera privilégiée. Toutefois, à ce jour, contrairement à ce que prétendent les auteurs des amendements déposés en commission ou pour la séance plénière, qui affirment que ces recherches ne se concrétisent pas, celles-ci s’avèrent indispensables. Mieux, elles permettent de véritables avancées.
Ainsi, le journal La Croix, dans sa publication du 1er janvier dernier, mettait en évidence un cas important de réussites issues de ces recherches. On y découvre par exemple que le biologiste Marc Peschanski, qui mène des études sur la maladie de Steinert concernant près de 7 000 personnes, a pu mieux comprendre certains désordres dans la communication entre le système nerveux et les muscles. Mieux, il semblerait également qu’il ait pu identifier des composés pharmacologiques ayant un effet thérapeutique sur cette maladie. Ces résultats n’auraient pas été obtenus s’il n’avait pu disposer de la possibilité d’effectuer des recherches sur des cellules souches issues d’embryons atteints de cette pathologie et triés à l’occasion d’un diagnostic préimplantatoire. Cécile Martinat, chercheuse à l’INSERM et qui a contribué à ces travaux, le confirme elle-même : « Aucune autre approche expérimentale n’aurait permis aujourd’hui d’élucider ces mécanismes. »
Dès lors, pourquoi continuer à nous priver, dans un cadre juridique précis et protecteur, de telles capacités de recherches ? Pourquoi maintenir un système dont chacun s’accorde à dire, y compris ceux qui sont opposés à la recherche sur les embryons, qu’il est hypocrite ? Rien, d’un point de vue tant scientifique que social, ne nous y invite.
En outre, l’adoption en commission des affaires sociales d’un amendement interdisant la fabrication d’embryons chimériques, c’est-à-dire mêlant des cellules humaines et animales, s’inscrit précisément dans le cadre du respect de nos valeurs fondamentales.
Nous partageons également le souci de la commission des lois d’interdire le transfert post mortem des embryons. S’il est indiscutable que l’embryon a été conçu dans le cadre d’un projet parental, nous considérons que celui-ci est automatiquement dissout avec le décès du père potentiel et qu’il n’est pas dans l’intérêt d’un enfant de le faire naître orphelin au motif que les progrès de la médecine auraient rendu possible une telle situation.
Malgré le travail considérable réalisé par la commission des affaires sociales, qui aurait d’ailleurs peut-être nécessité, comme l’ont suggéré nos collègues du groupe socialiste, la constitution d’une commission spéciale, nous considérons que, sur certains aspects, le texte actuel n’est pas suffisant.
Tel est le cas de l’article 7, qui exclut enfin le placenta et le cordon ombilical de la catégorie des déchets et des résidus opératoires. Il nous semble que les extraire d’un régime existant, sans préciser de quel régime ils relèvent dorénavant, n’est pas satisfaisant ; c’est pourquoi nous avons déposé un amendement précisant que ces éléments sont dorénavant considérés comme des éléments du corps humain. Ce faisant, nous entendons leur apporter les protections juridiques nécessaires, évitant ainsi que ces éléments, qui peuvent dans l’avenir jouer des rôles importants, puissent faire l’objet d’une commercialisation.
C’est également le cas des mesures d’information à destination du grand public en matière de dons d’organes. Nous regrettons que la commission des affaires sociales les ait considérées comme redondantes avec le droit existant.
En effet, comme le souligne Guiseppe Poretto, le président de l’association France Adot, « même s’il y a eu une légère augmentation des greffes, on se trouve toujours en situation de pénurie d’organes, alors que le nombre de personnes inscrites sur la liste d’attente de don d’organe en France est, lui, en augmentation constante : 14 400 personnes en 2010, qui devraient pourtant pouvoir bénéficier d’une nouvelle vie, grâce à une transplantation ».
C’est la preuve, s’il en est, qu’il est urgent de renforcer tout ce qui favorise le don de vie. Et l’information du grand public est, en la matière, capitale. Car, si le taux de refus exprimé de son vivant est inchangé depuis des années, environ 32 %, alors qu’il n’était que de 28 % en 2007, les équipes médicales disent toutes être confrontées à une difficulté particulière, la réticence des proches lorsqu’ils ignorent la volonté du défunt. Une plus grande information nous paraît donc indispensable, et nous avons déposé des amendements en ce sens.
Nous considérons également qu’il est aujourd’hui urgent d’instaurer, à côté du registre national des refus, un registre positif qui pourrait regrouper le nom des personnes ayant clairement fait connaître leur volonté de donner leurs organes en cas de décès. Si le cadre juridique actuel protège la volonté de ceux qui ont décidé de ne pas donner leurs organes, rien ne garantit que le consentement de ceux qui souhaitent participer à leur manière au don de vie soit pleinement respecté. C’est à croire qu’il y aurait deux poids, deux mesures, selon que l’on refuse ou que l’on accepte de donner, comme s’il était légitime, en quelque sorte, de respecter l’autonomie de la décision des personnes refusant les prélèvements et de ne pas respecter celle des donneurs. Pour notre part, la volonté des uns vaut celle des autres, et les proches doivent accepter de respecter une volonté exprimée du vivant, quelle qu’elle fût.
C’est pourquoi nous avons déposé un second amendement afin de limiter la possibilité de s’opposer aux prélèvements, en cas de silence du défunt, aux seuls parents des enfants mineurs et, pour les majeurs, à la personne de confiance.
Toujours avec la volonté de garantir l’information de nos concitoyens en ce qui concerne le don d’organes, nous avons déposé un amendement prévoyant que le livret d’accueil remis à chaque patient hospitalisé intègre une information compréhensible par tous et que des locaux soient mis, dans les hôpitaux, à la disposition des associations qui promeuvent le don de vie.
Enfin, il ne faut pas le nier, nous sommes en désaccord sur quelques points.
Je pense par exemple à l’article 6, qui tend à opérer une harmonisation des règles juridiques quant au don de cellules souches hémiopatiques issues des prélèvements de moelle osseuse ou de prélèvement de sang périphérique. Ces derniers dons ne pourraient plus être effectués qu’après expression du consentement devant le président du tribunal de grande instance ou son représentant.
Pour notre part, nous estimons que le renforcement du formalisme prévu dans cet article peut avoir un caractère dissuasif, ce qui n’est pas souhaitable eu égard au faible nombre de donneurs actuels. Considérant toutefois que cette harmonisation est souhaitable, nous proposons que soit institué un formalisme identique, sous la forme d’un consentement par écrit, étant entendu que, selon nous, les équipes médicales sont naturellement capables de délivrer aux éventuels donneurs toutes les informations nécessaires.
Nous sommes également en désaccord sur l’article 20 ter de ce projet de loi, qui vise à informer les couples du devenir de leurs ovocytes, comme cela se fait pour les embryons. Cette information ne nous semble ni opportune ni souhaitable. Les couples qui ont accepté de donner leurs ovocytes à des fins de recherche scientifique consentent, de fait, à ce que des recherches soient effectuées ; cette information n’apportera rien de plus. Pis, on peut craindre que, au moment du don, les équipes médicales qui les reçoivent ne soient pas en capacité d’informer précisément les donneurs de l’utilisation précise qui sera faite des ovocytes. Cette disposition les placerait alors dans une situation délicate, vis-à-vis tant de la loi que des donneurs. C’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer cet article.
Vous le voyez, mes chers collègues, notre appréciation de ce texte est mesurée, même si nous reconnaissons que les apports de la commission des affaires sociales n’ont pas été négligeables et qu’ils vont même – permettez-moi de le dire – dans le bon sens.
Toutefois, nous n’ignorons pas que les dispositions de ce projet de loi peuvent être très mouvantes et que, parfois, la séance publique peut défaire ce que la commission a fait ou revenir sur des dispositions que nous jugeons pour notre part intéressantes. C’est pourquoi le groupe CRC-SPG ne prendra de décision sur son vote qu’à l’issue de l’examen du texte par notre Haute Assemblée.